Intervention de Louis Nègre

Commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire — Réunion du 13 novembre 2013 : 1ère réunion
Prévention et protection contre les inondations — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Louis NègreLouis Nègre, rapporteur :

Ce texte a pour ambition de mettre en oeuvre les préconisations du rapport publié le 24 septembre 2012, à la suite des travaux de la mission commune d'information sur les inondations dans le Var et le Sud-est de la France, que j'ai eu l'honneur de présider et dont Pierre-Yves Collombat était rapporteur. Notre constat était le suivant : si les dispositifs de gestion immédiate de l'urgence et de l'indemnisation après-crise existent et peuvent être améliorés, la politique de prévention des inondations est pratiquement inexistante dans notre pays.

Quels en sont en effet les résultats ? Fin février 2010, tempête Xynthia, cinquante-trois morts, 700 millions d'euros de dégâts. Les 15 et 16 juin 2010, à Draguignan et dans la basse vallée de l'Argens, dans le Var, vingt-trois morts, deux disparus, 1,2 milliard d'euros de dégâts. En novembre 2011, dans la basse vallée de l'Argens et le Sud-Est de la France, quatre morts, 500 à 800 millions d'euros de dégâts. En décembre 2011, inondations dans les Vosges. En octobre 2012, pluies torrentielles sur La Garde et Toulon, deux morts. En octobre et novembre 2012, inondations dans le Pas-de-Calais. En juin 2013, inondations en Haute-Garonne et dans les Hautes-Pyrénées, 127 communes sinistrées, 134 millions d'euros de dégâts. Fin octobre 2013, inondations dans la Drôme et l'Ardèche. Voilà le contexte. Voilà la litanie des conséquences qui doit nous faire prendre conscience du problème. On constate en moyenne un milliard d'euros de dégâts chaque année du fait des inondations, sans parler des pertes humaines. L'ensemble des assurés, par l'intermédiaire de surprimes de cotisations, finance l'indemnisation à hauteur de 500 millions par an. Nous ne pouvons pas continuer ainsi. On traite les conséquences des inondations, mais on n'effectue aucune prévention en amont.

C'est pourquoi la présente proposition de loi est articulée en trois volets : la prévention des inondations, la gestion des situations de crise et pour finir, l'après-crise.

Je serai très bref sur le premier volet concernant la prévention des inondations. En effet, ces dispositions ont déjà été adoptées par le Sénat, dans le cadre de la deuxième lecture du projet de loi d'affirmation des métropoles. Il s'agit de clarifier l'exercice des missions en matière de prévention des inondations. À ce jour, aucune politique globale n'est menée, notamment du fait de l'absence d'une compétence clairement définie et attribuée. La compétence « gestion des milieux aquatiques et prévention contre les inondations » est donc créée, avec, si nécessaire, un financement adapté. Cette compétence, confiée aux intercommunalités, a vocation à être exercée par des établissements publics territoriaux de bassin, au niveau des grands fleuves, et par des établissements publics d'aménagement et de gestion de l'eau, au niveau des sous-bassins fluviaux. La gestion des ouvrages et équipements de prévention a été rationalisée. Il est prévu que l'ensemble du dispositif entre en vigueur de manière progressive, afin de laisser aux collectivités le temps de s'adapter. Je vous proposerai donc, par cohérence juridique, de supprimer ces articles, déjà votés par le Sénat dans le texte métropoles. Il s'agit des articles 1er à 5, 13 et 14.

L'article 6 propose de donner une définition législative à la notion de cours d'eau, sur la base des critères dégagés par la jurisprudence. Cela permettra de clarifier les responsabilités des différents acteurs, dans un contexte où les contentieux liés à la police de l'eau ont tendance à se généraliser. Je vous proposerai d'adopter un amendement pour combler l'oubli d'un critère important de définition des cours d'eau : l'écoulement peut en effet ne pas être permanent tout au long de l'année, en particulier sur le pourtour méditerranéen et dans les outre-mer.

L'article 7 prévoit une élaboration conjointe des plans de prévention des risques naturels prévisibles, entre l'État et les collectivités territoriales, et une simplification des procédures de révision de ces plans. L'objectif de l'auteur du texte, et j'y souscris pleinement, est de garantir une meilleure association des élus locaux à l'élaboration des PPRI, afin de réduire le caractère particulièrement conflictuel de cette procédure.

Je vous proposerai cependant un amendement de réécriture de cet article. En effet, la formulation retenue fait référence à une élaboration conjointe des plans. Cette notion d'élaboration conjointe soulève des problèmes sérieux en termes de responsabilité pénale et civile des élus. C'est pourquoi il est préférable de supprimer ces mots et de préciser à l'article L. 562-3 du code de l'environnement, relatif à l'élaboration des plans de prévention, que les collectivités sont associées à l'élaboration des plans, avant leur prescription, et à chaque étape de leur élaboration. L'amendement précise également que la population doit être informée et consultée, conformément à ce que recommandait le rapport de notre mission d'information.

L'article 8 augmente la représentation des élus locaux au sein des instances délibérantes des comités de bassin et des agences de l'eau, afin de les rendre majoritaires. Il est, je crois, très important que les élus soient mieux associés également à ce niveau de décision. Vous l'aurez compris, à travers cette proposition de loi, le but est que les élus locaux aient davantage un droit de regard sur la politique de prévention.

J'en arrive au deuxième volet du texte, consacré à la gestion de crise à proprement parler. L'article 9 vise à mieux associer les maires à la conduite des opérations de secours par le préfet. Ce n'est pas toujours le cas sur le terrain, et aucun texte ne prévoit formellement, à ce jour, une telle information. Je vous proposerai ici un amendement de clarification : la rédaction de l'article indique que les préfets assurent la direction des opérations en liaison avec les maires. Les mots « en liaison » semblent laisser entendre qu'il existe une co-direction des opérations de secours et donc à nouveau une co-responsabilité. Ce n'est pas l'objectif visé. Je vous propose de sécuriser la rédaction et de préciser que le préfet doit être en contact régulier avec les maires, si les moyens de communication le permettent.

L'article 10 vise les réserves communales de sécurité civile. L'article L. 724-1 du code de sécurité intérieure est réécrit pour préciser notamment que ces réserves peuvent intervenir hors des limites de la commune. Cette disposition va dans le sens d'une meilleure réactivité en cas de crise sur le terrain et d'une aide aux communes voisines. Je vous proposerai toutefois de préciser par amendement que l'intervention hors de la commune ne peut se faire qu'avec l'accord écrit, par mail par exemple, des maires concernés. Cela me semble important, notamment au regard du principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales.

L'article 11 réécrit l'article L. 125-1 du code des assurances pour prévoir que l'arrêté interministériel constatant l'état de catastrophe naturelle ne peut être pris qu'après avis d'une « commission permanente composée notamment de représentants des collectivités territoriales, de représentants d'entreprises d'assurances et de personnalités qualifiées ». Il est important, là encore, d'associer les parties prenantes à la prise de décision. Je vous soumettrai un amendement renvoyant à un décret le soin de préciser le détail de la composition de cette commission permanente. L'amendement supprimera également la dernière phrase de l'article qui précise que l'arrêté interministériel est susceptible de recours, dans la mesure où il s'agit là du droit commun.

L'article 12 prévoit la création d'une commission de suivi des opérations liées à l'après-crise, présidée par le préfet. Il s'agit là d'une disposition unanimement réclamée par les élus et par les sinistrés. Cette commission permettra de faire le point sur l'avancement des travaux, des indemnisations et sera un lieu d'échange et d'information sur tout sujet intéressant les élus et les sinistrés. Il s'agit là d'une grande avancée. Je crois que cet article, en apparence modeste, constituera un progrès important sur le terrain.

Je vous proposerai la suppression des articles 13 et 14, déjà votés dans le cadre du projet de loi métropoles.

Le dernier volet du texte porte sur les dispositions relatives à l'indemnisation. L'article 15 supprime l'exigence de la parution d'un décret qui conditionne, actuellement, le bénéfice du remboursement anticipé par le fonds de compensation pour la TVA des dépenses d'investissement faites par les communes en réparation des dégâts causés par des intempéries exceptionnelles. Je vous proposerai d'adopter cet article sans modification.

L'article 16 permet de déroger aux règles de publicité et de mise en concurrence du code des marchés publics en cas de situation d'urgence impérieuse résultant, notamment, d'une catastrophe naturelle. Cette disposition dérogatoire est bienvenue dans son esprit, mais est déjà prévue par l'article 35 du code des marchés publics, de nature réglementaire. Le seul effet juridique de la proposition de loi est donc de l'élever au niveau législatif, sans rien changer au fond du droit existant. Cela me paraît excessif, et je vous proposerai donc la suppression de cet article.

L'article 17 instaure une assurance habitation obligatoire pour les propriétaires. L'objectif est de porter à 100 % un taux de couverture des propriétaires qui est déjà très élevé sur une simple base volontaire, de l'ordre de 98 %. J'y étais dans un premier temps favorable. Toutefois, cette nouvelle assurance obligatoire présente des inconvénients d'ordres juridique et pratique. Juridiquement, les principes du droit national et européen ne permettent pas d'instaurer une assurance obligatoire pour d'autres risques que ceux encourus au titre de la responsabilité civile des assurés à l'égard des tiers. Pratiquement, l'application effective de cette nouvelle obligation aux 2 % de propriétaires qui ne sont pas encore assurés nécessiterait un dispositif de contrôle onéreux, dont le coût serait égal voire supérieur au surcroît de primes espéré. Et son efficacité serait de toute façon douteuse, puisque ce taux de 2 % semble correspondre au minimum incompressible des récalcitrants à tout dispositif d'assurance obligatoire, comme le montre l'exemple de l'assurance automobile obligatoire. En conséquence, je vous proposerai la suppression de cet article.

L'article 18, d'une part, prévoit une modulation de la surprime d'assurance contre les risques de catastrophe naturelle en fonction des efforts des assurés pour renforcer leur propre protection, d'autre part, interdit toute modulation des franchises d'assurance en fonction de l'absence d'un plan de prévention des risques naturels dans la commune ou du nombre d'événements calamiteux constatés dans le passé. Le second volet de cet article mérite d'être approuvé, car cette modulation des franchises est une forme de sanction injuste pour les assurés, qui ne peuvent être tenus personnellement responsables ni de l'incurie des pouvoirs publics, ni de l'acharnement du sort sur leurs biens. Quant au premier volet, la modulation de la surprime sera inopérante compte tenu du niveau modeste de celle-ci, de l'ordre de 25 euros pour un contrat multirisques habitation standard. Je vous proposerai donc un amendement qui fera porter la modulation sur la prime de base, qui pourra être réduite si l'assuré veille à renforcer sa protection contre les catastrophes naturelles, en application de l'article L. 113-4 du code des assurances.

L'article 19 prévoit que l'obligation de couvrir les risques de catastrophes naturelles ne s'impose pas aux entreprises d'assurance pour les biens construits et les activités exercées en violation des lois et règlements en vigueur. Actuellement, les assureurs ne peuvent refuser la garantie catastrophe naturelle qu'aux biens immobiliers et activités implantés dans des zones classées inconstructibles par un plan de prévention ou en violation des règles administratives tendant à prévenir les dommages causés par une catastrophe naturelle. L'élargissement proposé de cette clause à toutes les formes de violation des lois et règlements me paraît excessive, car les assureurs trouveront toujours moyen d'invoquer une irrégularité quelconque pour refuser de faire jouer la garantie. Par exemple, une entreprise qui violerait le droit du travail ou une construction qui ne respecterait pas la réglementation thermique pourraient se voir privées de la garantie « catastrophe naturelle » ! Je vous proposerai donc de réserver l'hypothèse d'un retrait de la garantie au seul cas d'un bien immobilier construit dans une zone classée inconstructible par un plan de prévention, tout en lui donnant un caractère automatique.

L'article 20 prévoit que les aides versées par le Fonds d'intervention pour les services, l'artisanat et le commerce en cas de catastrophe naturelle doivent être calculées en tenant compte des franchises d'assurance appliquées dans le régime des catastrophes naturelles. Cela me semble équitable, et je vous proposerai d'adopter cet article sans modification.

L'article 21 vise à étendre le bénéfice du régime des catastrophes naturelles aux dommages relevant actuellement du régime des calamités agricoles. Tout en partageant l'objectif d'améliorer la couverture des agriculteurs contre les risques de catastrophe naturelle, je ne pense pas que ce soit la bonne méthode. Cette extension de son champ aurait pour effet de déséquilibrer gravement sur le plan financier le régime des catastrophes naturelles, et il faudrait alors soit augmenter la surprime, soit réduire le niveau des indemnisations. Lors des auditions des cabinets ministériels, nous avons appris que le Gouvernement avait engagé une réflexion pour améliorer, comme nous le souhaitons tous, le régime des calamités agricoles, aujourd'hui bien insuffisant. De plus, le régime actuel fait également intervenir de manière très complexe des fonds européens. Il est, c'est clair, urgent d'améliorer ce régime et le Gouvernement devra s'engager lors de la discussion en séance à prendre les mesures nécessaires. Mais, en l'état, je vous proposerai la suppression de cet article.

Enfin, l'article 22 est la traditionnelle disposition de gage, par une majoration des droits sur les tabacs, des éventuelles conséquences financières de la proposition de loi pour les collectivités territoriales.

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