Les liaisons routières et ferroviaires actuelles présentent de fortes limites. Les liaisons routières font peser des contraintes d'encombrement et de pollution de moins en moins tolérables sur les vallées traversées et posent de sérieux problèmes de sécurité, comme les accidents du tunnel sous le Mont-Blanc en 1999 et celui du tunnel du Fréjus en 2005 sont venus nous le rappeler. Or la liaison ferroviaire historique, le long de la vallée de la Maurienne, ne constitue pas une alternative crédible. Certes, ses capacités théoriques sont loin d'être saturées, mais ses caractéristiques techniques sont inadaptées au transport moderne : les pentes à l'approche du tunnel du Fréjus, situé à 1296 mètres d'altitude, sont trop fortes ; une partie des accès entre Lyon et Chambéry est à voie unique ; ceux entre Culoz et Aix-les-Bains posent des problèmes de sécurité dans leur partie longeant le lac du Bourget, où le déraillement d'un convoi de matières dangereuses aurait des conséquences environnementales catastrophiques.
Le projet de liaison Lyon-Turin, à l'étude depuis le début des années 1990, vise à modifier radicalement la donne en perçant un nouveau tunnel de basse altitude, forcément beaucoup plus long (57 km) que le tunnel historique (14 km), qui pourra accueillir des flux massifs dans des conditions techniques et de sécurité satisfaisantes. Cette solution du tunnel ferroviaire de plaine est d'ailleurs celle retenue par la Suisse, avec l'Initiative des Alpes, adoptée par référendum en 1994, qui prévoit les deux nouvelles percées du Lötschberg et du Saint-Gothard. C'est aussi la solution retenue par l'Italie et l'Autriche pour le nouveau tunnel ferroviaire du Brenner. Il fait partie des douze projets prioritaires retenus dès le Conseil d'Essen en 1994, dans le cadre de la politique des réseaux transeuropéens de transport (RTE-T), et a été intégré à l'axe prioritaire n° 6, qui va de Lyon à la frontière ukrainienne, aujourd'hui partie du corridor Méditerranée, du sud de l'Espagne à l'Europe centrale, via le sud de la France et le nord de l'Italie. L'intérêt de cette ligne ferroviaire va donc bien au-delà des régions françaises et italiennes qu'il traverse ; mais elles en retireront des bénéfices immédiats : les gaz à effet de serre émis par les poids lourds pourraient être réduits d'un million de tonnes par an ; la sécurité sera améliorée pour les riverains ; du côté français, le doublement des tronçons encore à voie unique par une nouvelle ligne à deux voies permettra, par contrecoup, d'améliorer considérablement les dessertes pour les passagers dans toute la région Rhône-Alpes.
La ligne ferroviaire Lyon Turin, constituée de six sections distinctes et d'une longueur totale d'environ 269 kilomètres, comportera 193 kilomètres en tunnels pour les marchandises et 76 kilomètres à l'air libre. En effet, de nombreux autres ouvrages d'art sont prévus en plus du tunnel bitube central, long de 57 kilomètres. Pour la seule partie française, six viaducs et huit tunnels devront être réalisés, dont certains d'une longueur également significative, notamment le tunnel de Chartreuse, long de 25 kilomètres, et le tunnel de Belledonne, long de 20 kilomètres. Les coûts de ces travaux sont importants, mais devraient pouvoir être maîtrisés. Dans son référé du mois d'août 2012, la Cour des Comptes s'inquiète de l'augmentation du coût prévisionnel global du projet, depuis les premières estimations jusqu'au prévisionnel actuel de 24 milliards d'euros. Cela correspond au périmètre le plus vaste du projet, dont la section transfrontalière, qui fait l'objet de l'accord bilatéral, coûtera 8,5 milliards d'euros. Le coût des accès et aménagements est évalué à 6,2 milliards d'euros côté italien et à 7,8 milliards d'euros côté français, dont 400 millions d'euros pour le contournement nord de l'agglomération lyonnaise, 4,4 milliards d'euros pour les aménagements entre Lyon et Chambéry et 3 milliards d'euros pour la première phase des tunnels sous la Chartreuse et sous Belledonne. Les dernières phases n'ont vocation à être réalisées qu'en fonction de la montée en charge observée des trafics et ne sont pas intégrées, à ce stade, dans les estimations de coûts du Gouvernement.
L'accord du 30 janvier 2012 est le troisième accord franco-italien relatif au Lyon Turin, après celui de 1996, qui a instauré la conférence intergouvernementale, et celui de 2001, qui a créé le promoteur public Lyon Turin Ferroviaire. Mais il ne s'agit encore que d'une étape intermédiaire, puisqu'un nouvel accord sera nécessaire pour l'engagement des travaux. La mesure principale est la mise en place d'un nouveau promoteur public chargé de la conduite stratégique et opérationnelle de la partie transfrontalière de la nouvelle ligne. Alors que le promoteur actuel, Lyon Turin Ferroviaire, est détenu à parité par les deux gestionnaires nationaux d'infrastructures ferroviaires, Réseau ferré de France (RFF) et Rete Ferroviaria Italiana (RFI), le nouveau promoteur public sera contrôlé directement par les États, qui constituent à parité son conseil d'administration. Le directeur général et le directeur administratif et financier sont nommés par la partie italienne, tandis que le président du conseil d'administration, le président de la commission des contrats et le président du service permanent de contrôle le sont par la partie française. Des postes d'observateurs sont prévus pour des représentants de la Commission européenne et des régions Rhône-Alpes et Piémont. Son siège est à Chambéry, où au moins la moitié des effectifs sera basée, et la direction opérationnelle est à Turin.
L'article 7 de l'accord institue une commission des contrats composée de douze experts indépendants nommés à parité par les deux États - dont un président ayant voix prépondérante désigné par la France - et chargée de s'assurer de la régularité et de la transparence des procédures d'attribution des contrats et des marchés par le promoteur. L'article 8 de l'accord crée un service permanent de contrôle ayant pour mission de veiller au bon emploi des fonds publics et au bon fonctionnement du promoteur public, constitué de douze experts indépendants, nommés à parité par les deux États - dont un président ayant voix prépondérante désigné par la France. Des dispositions sont également prévues pour les règles de coordination des autorités nationales de contrôle et de régulation dans le domaine ferroviaire. La passation et l'exécution des contrats et marchés par le promoteur public seront régies par le droit français. Les litiges afférents seront soumis à un tribunal arbitral, qui voit ses pouvoirs renforcés pour le règlement des différends. Le droit du travail applicable sera celui du territoire. Les corps d'inspection du travail seront autorisés à intervenir sur l'ensemble de la section transfrontalière, sous réserve de l'obligation de missions conjointes lorsque les services d'un État voudront intervenir sur le territoire de l'autre État. Le promoteur public, ayant son siège en France, sera soumis à la législation et à la réglementation fiscale française.
L'accord comporte également des dispositions relatives au financement : dans la continuité de l'accord précédent de 2001, les études et travaux de reconnaissance sont financés à parts égales par les deux États (article 15) ; la disponibilité du financement sera un préalable au lancement des travaux de la partie commune franco-italienne de la section internationale et le projet devra viser la meilleure capacité d'autofinancement par le biais d'une tarification de l'infrastructure adaptée, dont aucune section ne devra prélever à son seul bénéfice la totalité de la capacité contributive en circulation (article 16) ; la France financera 42,1 % des travaux et l'Italie 57,9 %, dans la limite du coût estimé au stade projet et certifié par un tiers (article 18) - cette répartition, apparemment favorable à notre pays, vise à compenser le coût des accès français, plus élevé que celui des accès italiens.
Le projet bénéficie d'un plan de financement exceptionnel, au moment où des questions se posent sur le rôle de l'Union européenne dans la relance : celle-ci prend à sa charge 3,4 milliards d'euros représentant 40 % du financement de la section transfrontalière, tandis que l'Italie en prend en charge 35 % (2,9 milliards d'euros) et la France 25 % (2,2 milliards). Chaque pays conservera les retombées fiscales et sociales des travaux sur son territoire, soit pour la France 80% du tunnel (45 km sur 57 km). Ces conditions exceptionnellement favorables ne peuvent que nous faire souhaiter que le sommet de Rome du 20 novembre prochain débouche sur un ultime accord, prévu à l'article 4, qui devra, lui aussi, être approuvé.