Intervention de Roland Ries

Commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire — Réunion du 13 novembre 2013 : 1ère réunion
Loi de finances pour 2014 -mission « ecologie développement et mobilités durables » — Examen du rapport pour avis

Photo de Roland RiesRoland Ries, rapporteur pour avis :

Nous analysons aujourd'hui une partie des crédits du programme n° 203 « Infrastructures et services de transport » de la mission « Écologie, développement et mobilité durables », le compte d'affectation spéciale « services nationaux de transport conventionnés de voyageurs », qui permet de financer les trains d'équilibre du territoire (TET) et les fonds de concours attendus en 2014 pour les transports ferroviaires et fluviaux, et parmi ceux-ci les crédits de l'Afitf, directement touchés par les mouvements actuels de remise en cause de l'écotaxe poids lourds.

Parlons d'abord de ce sujet brûlant. Comme vous le savez, l'Afitf est l'acteur privilégié du financement de l'ensemble des infrastructures de transport, qu'elles soient ferroviaires, fluviales, maritimes ou routières, avec un budget en 2013 de 2,2 milliards d'euros. Ses ressources proviennent essentiellement du secteur autoroutier, avec, d'une part, la redevance domaniale, d'autre part, la taxe d'aménagement du territoire, versées par les sociétés autoroutières. En 2013, ces ressources ont atteint 865 millions d'euros. Depuis 2009, son équilibre a été assuré par le versement d'une subvention budgétaire, qui devait progressivement s'éteindre avec la mise en place de nouvelles ressources. Cette subvention était de 660 millions d'euros en 2013. Elle est fixée à 334 millions d'euros pour 2014. Parmi les nouvelles ressources dégagées pour l'Afitf, la redevance domaniale, versée par les sociétés d'autoroutes en contrepartie de l'avantage qu'elles tirent de l'occupation du domaine public, a été augmentée en 2013 d'une centaine de millions d'euros, pour passer de 198 millions à 299 millions d'euros. Mais la clé de cet équilibre reposait sur la mise en oeuvre de l'écotaxe poids lourds à la mi-2013, qui devait générer une recette brute annuelle de 1,2 milliard d'euros, dont 760 millions d'euros pour l'Afitf et 160 millions d'euros pour les collectivités territoriales. Cette taxe, qui devait entrer en vigueur en juillet dernier, a malheureusement subi un premier report au 1er octobre, puis un second, au 1er janvier 2014, avant l'annonce récente de sa suspension - et non de sa suppression, j'insiste - à la suite des manifestations bretonnes. Il en résulte non seulement un manque à gagner très conséquent - le coût du report au 1er janvier représentait déjà un manque à gagner de 250 millions d'euros pour l'Afitf - mais aussi, probablement, des dépenses nouvelles pour l'État, dès lors que des pénalités sont prévues en cas de retard dans la mise en oeuvre, après le 1er janvier 2014, au bénéfice d'Ecomouv', qui bénéficie d'un contrat contesté.

Dans ce contexte, comment ne pas s'alarmer au sujet du financement des infrastructures de transport ? J'estime que notre devoir est d'interpeller sérieusement le Gouvernement. Une solution rapide et pérenne doit être trouvée pour l'Afitf, qui est la pierre angulaire du développement de politiques de mobilité ambitieuses et durables. Je n'ai pas eu de réponse satisfaisante à ce sujet, y compris lorsque nous avons auditionné le ministre Frédéric Cuvillier hier.

Je voudrais en profiter pour rappeler quelques fondamentaux sur l'écotaxe, tant elle a fait l'objet de contrevérités ces dernières semaines, alors qu'elle est le fruit d'une décision approuvée, en 2009, par tous les bords politiques. Elle répond à un triple objectif : rationaliser le recours au transport routier de marchandises, c'est-à-dire mettre fin aux habitudes des camions - de transit notamment - qui empruntent les itinéraires alternatifs aux autoroutes afin d'éviter les péages et détériorent les routes sans participer à leur entretien - sans parler des questions de sécurité routière et de congestion que ce comportement soulève ; émettre un signal-prix sur l'usage de la route dans une perspective écologique, pour favoriser les circuits courts et éviter l'encombrement des routes avec des camions partiellement vides ; faire payer la route par ses usagers afin d'arrêter de subventionner le transport routier, peu vertueux par rapport aux autres modes de transport, notamment ferroviaires et fluviaux qui, eux, internalisent les coûts d'entretien de leurs infrastructures, par le loyer que paie la SNCF à RFF par exemple.

Les transporteurs n'étaient pas opposés par principe à cette mesure, grâce au mécanisme de répercussion des coûts sur les chargeurs. La colère actuelle des paysans bretons m'étonne. N'a-t-elle pas été alimentée par les reports successifs ? Les problèmes économiques - fermetures d'usines ou difficultés du secteur agro-alimentaire - ne peuvent pas être imputés à l'écotaxe poids lourds, puisqu'elle n'est pas encore en vigueur. Elle est le bouc-émissaire d'une effervescence, d'une montée d'adrénaline qui lui sont étrangères, en Bretagne comme ailleurs, d'autant que cette région doit bénéficier d'un abattement de 50% sur la taxe, en raison de sa périphéricité.

Cette agitation remet malheureusement en question l'équilibre financier envisagé pour l'Afitf au cours des prochaines années. Or, le Premier ministre a annoncé il y a quelques mois le choix du scénario 2 proposé par la commission « Mobilité 21 » présidée par Philippe Duron, à savoir le scénario le plus ambitieux. Il propose un montant d'investissements compris entre 28 et 30 milliards d'euros d'ici à 2030, ce qui nécessiterait 400 millions d'euros supplémentaires par an pour l'Afitf en plus de l'écotaxe. Il faut donc trouver de nouvelles sources de financement ou maintenir la subvention d'équilibre versée par l'État. Autant dire que nous sommes loin aujourd'hui de l'équilibre budgétaire, puisque nous devons déjà réussir à boucler le financement pour 2014. Le ministre doit nous donner des explications sur l'exercice budgétaire qui vient !

Deuxième souci : les services de transports de voyageurs doivent être soumis, à compter du 1er janvier 2014, au taux réduit de TVA de 10 % au lieu de 7 %. Cette augmentation, qui intervient peu de temps après celle de 2012 qui a déjà vu ce taux passer de 5,5 % à 7 %, me rend perplexe. Elle aura des conséquences lourdes sur les autorités organisatrices de transport (AOT) et entre en totale contradiction avec l'objectif de promotion d'une véritable mobilité durable, notamment par le développement des transports collectifs. Les AOT, déjà confrontées à des contraintes budgétaires fortes, ne pourront pas absorber cette hausse. Deux conséquences sont donc à redouter : soit une augmentation des tarifs perçus auprès des usagers, qui risquent alors de se détourner, au moins pour certains d'entre eux, des transports collectifs ; soit la réduction de l'offre, et donc une moindre attractivité de ces transports. C'est la raison pour laquelle je vous proposerai deux amendements, qui visent à soumettre les transports collectifs du quotidien au taux réduit de 5,5 %. Il s'agirait de viser uniquement les transports urbains et non urbains, interurbains, d'intérêt local et régional, majoritairement utilisés pour les déplacements domicile-travail.

Le choix de ce périmètre est adapté à l'objectif de promotion de cette catégorie de transport et permettrait de limiter le coût de la mesure à 300 millions d'euros environ. Je propose de le compenser soit par une augmentation de la taxation sur le gazole, soit par la création d'une taxe sur le kérosène pour les vols intérieurs. Ces deux gages correspondent à notre message en faveur de la promotion effective de la mobilité durable et de la mise en application concrète du principe du « pollueur-payeur ». Une position de notre commission sur ce sujet, qui relève sur le fond de la commission des finances, aurait plus de poids que de simples initiatives isolées de notre part.

Je déposerai également trois amendements techniques sur le versement transport : deux d'entre deux visent à modifier le calcul de l'exemption pour l'appuyer sur le produit réel du versement transport et non sur le nombre des salariés ; le troisième vise à lutter contre l'optimisation fiscale liée au dépassement du seuil de neuf salariés, en-dessous duquel les entreprises sont exemptées.

Dans le domaine des transports fluviaux, la subvention pour charges de service public versée à Voies navigables de France s'élève à 265 millions d'euros, en recul d'1,7 % par rapport à 2013. Ces crédits doivent être complétés par des fonds de concours versés par l'Afitf, à hauteur de 65 millions d'euros. Mais, là encore, les concours de l'Afitf semblent sujets à caution, compte tenu de l'actualité. En outre, 7,6 millions d'euros sont prévus au titre du soutien au transport combiné maritime et fluvial.

S'agissant des transports ferroviaires, le concours de l'Etat à RFF pour la gestion de l'infrastructure s'élèvera à 2,552 milliards d'euros en 2014, soit un montant très proche de celui versé l'an dernier. L'enveloppe consacrée au soutien du transport combiné ferroviaire est en revanche évaluée à 16,5 millions d'euros en crédits de paiement, au lieu de 19 millions d'euros en 2013. La réduction du budget consacré au transport combiné se poursuit.

Le compte d'affectation spéciale « services nationaux de transport conventionnés de voyageurs » retrace les opérations relatives à l'exploitation des trains d'équilibre du territoire. Celle-ci est régie par une convention triennale signée entre l'Etat et la SNCF : elle arrive à échéance le 31 décembre 2013 ; le gouvernement et la SNCF ont décidé de la prolonger d'un an. Le compte d'affectation spéciale connaît une double évolution. D'une part, le montant de la contribution à l'exploitation de ces trains est réduit, mais cette diminution résulte de la modification de la tarification de l'infrastructure mise en oeuvre par RFF. Ce mécanisme complexe est neutre pour les parties prenantes : il s'agit d'un transfert entre les redevances acquittées par la SNCF et celles acquittées par l'État. D'autre part, les crédits consacrés au matériel roulant augmentent. Le Premier ministre a annoncé en juillet dernier le renouvellement de ce matériel entre 2015 et 2025, dans le cadre du plan « Investir pour la France ». À cette fin, une première tranche ferme de 500 millions d'euros a été engagée dès cet été pour renouveler les anciennes locomotives diesel et les voitures. Compte tenu du déficit d'exploitation des trains d'équilibre du territoire, le renouvellement de la convention constitue un enjeu fort de l'année 2014.

Il n'est pas le seul. Outre l'hypothèque relative à l'écotaxe, qui, à mon sens, doit être levée rapidement, le choix du scénario 2 de la commission « Mobilité 21 » implique de mobiliser de nouvelles ressources pour les années à venir. Il importe aussi de rationaliser nos dépenses, en agissant sur l'organisation de nos structures. C'est l'un des objectifs poursuivis par la réforme ferroviaire, qui vise à réunir RFF et la SNCF au sein d'un groupe public unifié. Le gestionnaire du réseau RFF, le gestionnaire délégué SNCF Infra et la direction des circulations seront enfin regroupés pour constituer un gestionnaire d'infrastructure unique. Cette réforme majeure doit aussi être un moyen de stabiliser la dette ferroviaire, qui dépasse aujourd'hui 40 milliards d'euros. Il faudra rationaliser nos investissements, confirmer la priorité donnée au réseau existant et conforter les acteurs dans leur volonté de mettre en place un grand plan de modernisation du réseau. L'année 2014 sera donc capitale pour les transports ferroviaires.

Sous réserve de ces observations et dans l'attente des solutions que proposera le Gouvernement pour pallier le retard de l'écotaxe, je vous propose d'émettre un avis favorable d'attente à l'adoption de ces crédits.

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