Comme Catherine Coutelle, je me réjouis de participer à cet échange de vues auquel j'attache beaucoup d'importance. Je me propose de vous présenter la proposition de loi à laquelle j'ai travaillé d'abord à la délégation aux droits des femmes, puis en tant que rapporteure de la commission spéciale.
Cette proposition de loi s'appuie sur quatre piliers : le renforcement des moyens destinés à la lutte contre la prostitution et la traite, l'accompagnement social des personnes qui veulent sortir de la prostitution, l'éducation et la prévention et, enfin, la responsabilisation du client.
En ce qui concerne tout d'abord le renforcement des moyens, l'article premier, dont certaines dispositions doivent encore être précisées, tire les conséquences du fait que les réseaux de traite fonctionnent de manière indissociable d'Internet. Notre objectif est donc d'empêcher l'accès aux sites Internet hébergés à l'étranger qui favorisent le proxénétisme et la traite des êtres humain. L'idée est de s'inspirer des solutions mises en place dans le domaine de la pédopornographie et des jeux d'argent. Parmi les solutions à mettre en place, il y a le renforcement des moyens d'investigation des cyber-gendarmes.
Selon un argument qui nous est régulièrement opposé, on ne pourrait s'attaquer aux seuls clients sans prendre en compte le rôle déterminant des réseaux de traite. À ce sujet, dont nous ne méconnaissons pas l'importance, nous souhaitons que soit conclues des conventions avec les pays concernés par la traite, même si tous ces pays ne réagissent pas de manière favorable à cette idée.
J'en viens à l'accompagnement social des personnes qui souhaitent sortir de la prostitution. Ce problème sera confié à des commissions départementales qui seront créées sous l'égide du préfet et qui comprendront les élus locaux, aux côtés d'associations agréées. Cette commission serait chargée d'organiser le parcours de sortie de la prostitution. À mon avis, cette structure doit aussi être à même d'apprécier l'engagement de chaque personne avec qui un contrat sera signé. La commission étudiera donc chaque cas. Les services de police et de gendarmerie devront également en faire partie. Par ailleurs, nous attachons beaucoup d'importance au fait que des titres de séjour puissent être délivrés aux étrangers qui seront pris en charge dans le cadre d'un parcours de sortie. Nous souhaitons que ces titres de séjour, qui devraient selon moi être délivrés pour une période de six mois renouvelable, leur permettent d'exercer une activité professionnelle.
Je voudrais rappeler que le rapport de la délégation aux droits des femmes comprenait, sur un total de quarante recommandations, vingt-cinq recommandations concernant l'accompagnement social des personnes qui décident de sortir de la prostitution. C'est une dimension que nous avons toujours considérée comme décisive pour lutter contre la prostitution. J'insiste sur le caractère global et cohérent de notre démarche législative.
Parmi les autres dispositions de cette proposition de loi, nous attachons beaucoup d'importance au fait que, quand la victime le demande, le huis-clos au procès soit de droit. Nous avons également la certitude de l'intérêt du versement d'un pécule aux personnes souhaitant sortir de la prostitution. Il s'agit de l'allocation temporaire d'attente. Il semble difficile d'organiser des parcours de sortie de la prostitution sans que les personnes reçoivent un revenu de substitution temporaire.
Le troisième pilier de la proposition de loi concerne l'éducation et la prévention : nous proposons que le code de l'éducation comprenne, dans le domaine de l'éducation à la santé et à la sexualité, un enseignement sur la marchandisation des corps. Il semble en effet que tous les jeunes ne soient pas conscients du fait qu'échanger un acte sexuel contre une rémunération quelconque est de la prostitution.
J'en viens aux dispositions relevant de la pénalisation. Nous sommes convaincus que c'est la bonne démarche pour faire diminuer la demande, comme le montrent les exemples de la Suède, de la Norvège, de l'Islande ou de la Finlande. Nous pensons qu'une telle mesure est également de nature à dissuader les réseaux de traite et de proxénétisme d'agir sur notre territoire.
La proposition de loi prévoit aussi des stages de responsabilisation du client, qui seront effectués dans le cadre d'une décision de justice. Nous avons considéré que cette formule produisait de bons résultats à l'égard des conjoints violents. L'idée est de sensibiliser les personnes ayant recours à la prostitution aux conditions d'exercice de la prostitution et aux conditions de vie des personnes prostituées ainsi qu'aux phénomènes de la traite des êtres humains aux fins d'exploitation sexuelle. L'objectif est que les clients comprennent que leur argent contribue à la traite des êtres humains. Par ailleurs, je voudrais préciser que - cette information nous a été confirmée par le ministre de l'Intérieur - on observe actuellement une augmentation du nombre de viols subis par des personnes prostituées.
S'agissant du risque de clandestinité qui serait le corollaire de la pénalisation du client et qui affecterait la sécurité des personnes prostituées, je ne trouve pas cet argument convaincant : il faut bien avoir conscience du fait que, actuellement, les personnes prostituées sont considérées comme des délinquantes. Or avec la proposition de loi, elles ne le seront plus. Elles n'auront plus à se cacher de la police. Je ne comprends pas pourquoi la proposition de loi risquerait de renforcer la clandestinité et l'insécurité des personnes prostituées.
D'autres craintes concerneraient la difficulté pour les associations d'approcher les personnes prostituées : je ne vois pas quelles raisons s'opposeraient au fait que les associations puissent contacter et approcher les personnes prostituées pour les aider.
En Suède, le bilan de la pénalisation du client est positif. Nous avons rencontré, la semaine dernière, divers responsables suédois : la chancelière pour la justice, un commissaire de police de Stockholm et la procureure au parquet international de Stockholm. Aucun de ces témoignages ne permet d'affirmer que le danger ait augmenté en conséquence de la pénalisation. Je pense qu'il faut se garder dans ce domaine des allégations reposant sur des fantasmes et s'en tenir à la réalité des faits.
L'objectif de la proposition de loi est de décourager la demande en mettant en place notamment l'interdiction d'achat d'acte sexuel. Certes, la question de ce que vont devenir les personnes qui se prostituent depuis très longtemps se pose incontestablement. Quelle formation professionnelle et quelle reconversion leur proposer ? Il n'est pas question de les aider à continuer cette activité.
Selon certains, le risque de propagation du SIDA serait une conséquence de la pénalisation. Cette approche validerait la création de maisons closes. Pour ma part, je voudrais souligner que la propagation du SIDA semble davantage tenir à des facteurs comme la toxicomanie.