Intervention de Jacques Legendre

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 13 novembre 2013 : 1ère réunion
Projet de loi de finances pour 2014 — Mission « action extérieure de l'état » - examen du rapport pour avis et contrat d'objectifs et de moyens de campus france - avis

Photo de Jacques LegendreJacques Legendre :

Madame la présidente, chers collègues, les sujets abordés dans le présent rapport me tiennent particulièrement à coeur. C'est pourquoi j'ai accepté avec plaisir de représenter notre collègue Louis Duvernois.

L'action culturelle extérieure présente des visages aussi variés que les acteurs qui y concourent : elle concerne aussi bien l'éducation et la promotion de la langue française que les échanges artistiques et scientifiques.

Le ministère des affaires étrangères joue bien logiquement un rôle majeur en matière d'animation et de financement du vaste dispositif que constitue l'action culturelle extérieure, même si d'autres ministères, et en particulier celui de la recherche et de l'enseignement supérieur, y participent activement.

Pour la dixième année consécutive, le programme 185 « Diplomatie culturelle et d'influence » de la mission « Action extérieure de l'État » du ministère des affaires étrangères est affecté, dans le projet de loi de finances pour 2014, d'une réduction des moyens qui lui sont alloués. Après une diminution maîtrisée de 0,54 % en 2013, l'année 2014 s'annonce plus austère pour le réseau culturel français, qui enregistre une contraction de 3,3 % des crédits, à 724,7 millions d'euros.

Ces crédits sont répartis entre les six actions, de périmètre fort inégal, du programme : l'animation du réseau (44,1 millions d'euros), la coopération culturelle et la promotion du français (73,6 millions d'euros), les enjeux globaux (8,9 millions d'euros), l'attractivité et la recherche (101,8 millions d'euros), l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (416,5 millions d'euros), enfin, les dépenses de personnel (79,6 millions d'euros).

L'ensemble des dispositifs participe à l'effort d'économie. Ainsi, dans le cadre de la participation des opérateurs à la réduction de la dépense publique, leurs subventions ont été révisées : Campus France contribuera à hauteur de 0,16 million d'euros et l'Institut français pour 2,5 millions d'euros.

La subvention à l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE) diminue, pour sa part, de 8,5 millions d'euros, compte tenu de la stabilisation des taux des pensions civiles et des économies de fonctionnement jugées possibles. Pourtant, le nombre d'élèves scolarisés ne cesse de croître : après une augmentation de 30 % au cours des dix dernières années, la rentrée 2013 a induit près de 3 500 inscriptions supplémentaires. Cette croissance, dont il convient cependant de se réjouir dans la mesure où elle signe la reconnaissance de la qualité de l'enseignement français à l'étranger, engendre des coûts importants, notamment en termes immobiliers, que la dotation de l'AEFE peine désormais à couvrir.

S'agissant du réseau des instituts culturels, l'achèvement de la fusion des services de coopération et d'action culturelle (SCAC) et des établissements à autonomie financière (EAF) permet de réduire les crédits exceptionnels de restructuration du réseau à 1,4 million d'euros, soit une diminution de 53 % par rapport à 2013. La réduction des dotations de fonctionnement aux EAF s'établit à nouveau à 4 % en 2014 (40,7 millions d'euros), tandis qu'ils bénéficient de 12,6 millions d'euros pour leurs opérations. Par ailleurs, les subventions aux alliances françaises diminuent de 4,3 % pour s'établir à 7,02 millions d'euros. Enfin, les crédits dédiés à l'animation du réseau communication, missions d'évaluation, informatique, formation des agents, frais de missions et de représentation baissent de 4,3 %.

Plus encore que l'an passé, le réseau culturel français devra donc déployer des trésors d'imagination pour poursuivre la rationalisation de son fonctionnement sans renoncer à ses ambitions au bénéfice de l'influence de la France dans le monde. Sur ce point, j'estime fort dommageable l'abandon du projet, expérimenté depuis 2012, de rattachement des EAF à l'Institut français. Certes coûteuse dans un premier temps, la réforme aurait utilement permis de rationaliser les actions du réseau et de mutualiser certains coûts, notamment en matière de formation des agents.

Quoi qu'il en soit, la restriction continue des moyens dédiés à la diplomatie culturelle conduira prochainement le réseau à son niveau d'étiage, à partir duquel les efforts sur les coûts de fonctionnement ne suffiront plus au maintien d'un service de qualité.

Au-delà de la traditionnelle analyse des crédits alloués au programme 185 pour 2014, j'ai souhaité, cette année, orienter mes travaux dans une double direction : la francophonie et la promotion de la langue française d'une part, l'activité et les perspectives de l'opérateur Campus France, au sujet desquelles notre commission doit se prononcer à l'occasion de l'examen du prochain contrat d'objectifs et de moyens, d'autre part.

Selon l'Organisation internationale de la francophonie (OIF), près de 220 millions de personnes utiliseraient quotidiennement la langue française, dont près de la moitié en Afrique. Ce chiffre pourrait atteindre 500 millions de personnes à l'horizon 2050, en fonction des prévisions de croissance démographique de ce continent. J'estime toutefois qu'au regard de l'offensive des langues vernaculaires et de l'anglais en Afrique francophone, ces prévisions semblent à tout le moins très optimistes, si ce n'est irréalistes.

Certes, à première vue, l'attractivité de la langue française semble ne rien avoir perdu de sa superbe : on compterait ainsi 450 000 professeurs de français à l'étranger et 100 millions d'élèves et d'étudiants francophones, ce qui ferait du français la deuxième langue la plus enseignée après l'anglais.

Toutefois, la géographie de l'apprentissage du français est mouvante et dépend de critères extrêmement variés, à l'instar de l'évolution du pouvoir d'achat local, des flux migratoires, du dynamisme du réseau mais également de l'importance donnée au français dans les programmes scolaires et universitaires.

En outre, ces chiffres encourageants masquent une tout autre réalité : le recul inexorable de la francophonie dans de nombreux pays, y compris des États membres de l'Organisation internationale de la francophonie (OIF), où les élites francophones, vieillissantes et parfois déconsidérées, ont laissé la place à des dirigeants économiques et politiques bien davantage anglophones.

La réalité de l'usage du français dans les organisations internationales et européennes, où il a pourtant statut de langue officielle, est également source d'inquiétudes.

Ainsi, l'office statistique européen Eurostat ne publie plus ses résultats qu'en anglais, l'Office européen des brevets, par le biais du protocole de Londres, tente d'imposer l'anglais comme langue scientifique et technique et de nombreux documents de travail européens à destination de l'État français sont rédigés en anglais.

L'association des fonctionnaires francophones des organisations internationales a d'ailleurs déposé plainte, le 18 octobre dernier, contre la Commission européenne, en raison de l'absence de traduction prévue dans le cadre de l'appel à candidatures pour la mise en place d'une plateforme de lutte contre la fraude fiscale.

En outre, aux Nations-Unies, la maîtrise de l'anglais est exigée dans 87 % des recrutements, tandis que celle du français l'est dans moins de 7 % des cas : cette dérive a d'ailleurs été dénoncée en 2011 par le corps commun d'inspection de l'Organisation des Nations unies (ONU).

Dans ce cadre, je souhaite saluer l'initiative du Premier ministre, qui a rappelé dans une circulaire en date du 25 avril dernier, l'obligation d'emploi de la langue française dans l'ensemble des outils de communication publique et par les fonctionnaires français dans le cadre des relations internationales. Il y est notamment précisé que l'usage d'une langue tierce ne doit se faire « qu'en ultime recours ».

Toutefois, dans ce contexte, la diminution de 5,6 millions d'euros des crédits destinés aux organisations multilatérales de la francophonie inscrit sur l'action 5 « Coopération multilatérale » du programme 209 « Aide au développement », qui étaient pourtant restés stables depuis plusieurs années, me semble particulièrement malvenue.

L'opérateur Campus France, qui fait l'objet de mon second « focus », est placé sous la tutelle conjointe du ministre des affaires étrangères et du ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche.

Il a pour missions essentielles, outre la gestion des bourses, de promouvoir l'enseignement supérieur français à l'international, mais également d'accueillir et d'informer les étudiants et chercheurs étrangers. À cet effet, il s'appuie sur un réseau de 199 espaces dédiés placés sous l'autorité des ambassadeurs, employant 300 personnes dans 112 pays pour l'organisation d'actions de promotion variées (salons, forums, visites thématiques, tournées universitaires, qui totalisent chaque année en moyenne 200 000 visiteurs), soit un réseau comparable à celui du British Council. L'établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC) dispose également d'un site Internet, décliné en une cinquantaine de versions locales, qui offre des informations sur le système universitaire français et les démarches à effectuer avant de venir en France.

Au cours de l'année scolaire 2012-2013, la France a accueilli 289 274 étudiants étrangers, soit une augmentation de 0,2 % par rapport à l'année précédente et de 30,6 % en dix ans. Ils représentent 12,1 % des étudiants inscrits dans l'enseignement supérieur français (contre 4 % aux États-Unis, 10 % en Allemagne et 22 % au Royaume-Uni). 75 % d'entre eux sont inscrits dans les universités.

La répartition globale de l'ensemble des étudiants étrangers par région d'origine indique que l'Afrique du Nord et sub-saharienne demeure la première région d'origine avec près de la moitié des étudiants (44,9 %) mais en diminution de 3,5 % en un an. L'Europe se situe à la deuxième place avec 26 % des inscrits.

Si les comparaisons internationales doivent être approchées avec précaution, en raison de l'hétérogénéité des sources, on observe qu'un nombre croissant de nouvelles destinations, à l'instar de l'Espagne et de l'Italie en Europe, se positionnent en concurrents sérieux. La Chine affiche également des ambitions fortes et entend devenir d'ici 2015 un des premiers pays d'accueil des étudiants internationaux dans le monde.

Face à une concurrence internationale de plus en plus aiguë, il est heureux de constater que la place de la France est restée stable.

Pour autant, les restrictions budgétaires imposées à Campus France en 2014 devraient conduire l'opérateur à limiter ses activités de promotion de l'enseignement supérieur français à l'international, ce qui apparaît fort regrettable au regard de l'ampleur des défis à relever et de l'aggravation de la concurrence.

Il pourrait, en outre, être utile, comme le propose la Cour des comptes dans son rapport de septembre 2013 sur le réseau culturel de la France à l'étranger, de :

- mettre en place un outil de suivi efficace des bénéficiaires de bourses sur le modèle du Club France Maroc ou de l'annuaire constitué par l'ambassade de France au Brésil, afin de faciliter les prises de contacts. Un tel outil existe déjà, avec des résultats encourageants, en Allemagne et au Royaume-Uni ;

- renforcer l'information aux étudiants étrangers, compte tenu des limites, malgré les progrès enregistrés, des espaces Campus France, dont l'efficacité varie en fonction de la fréquentation. L'opérateur pourrait s'appuyer à cet effet sur des enseignants des universités locales chargés, contre un complément de rémunération, de promouvoir le système français d'enseignement supérieur.

Au-delà de ce rapide bilan, nous sommes saisis, mes chers collègues, du premier projet de contrat d'objectifs et de moyens de Campus France, qui couvre la période 2013-2015. Il a fait l'objet, lors de son élaboration, d'un consensus des deux ministères de tutelle de l'établissement, comme des ministères cosignataires que sont le ministère de l'intérieur et celui de l'économie et des finances.

Ce document, dont on peut regretter que la première année d'application soit déjà pratiquement écoulée, propose quatre objectifs stratégiques :

- la valorisation et la promotion des établissements d'enseignement supérieur et de recherche, ainsi que du système d'enseignement supérieur et de formation professionnelle français à l'international ;

- l'amélioration de l'accueil des étudiants et des chercheurs étrangers ;

- le suivi régulier et l'animation d'un réseau d'étudiants et de chercheurs ayant accompli tout ou partie de leur cursus dans l'enseignement supérieur français ou le réseau d'enseignement français à l'étranger ;

- enfin, l'amélioration de l'efficience dans la gestion administrative et financière des programmes de mobilité et d'attractivité.

Comme le veut l'exercice et afin de permettre à la tutelle de juger des actions menées pendant la période de référence du contrat au regard des objectifs fixés, des indicateurs de performance et d'activité sont associés à chacun de ces quatre objectifs, eux-mêmes divisés en sous-objectifs plus opérationnels.

Au regard de la diminution annoncée des crédits publics, le contrat d'objectifs et de moyens présenté a le mérite d'un grand réalisme : les ambitions affichées apparaissent raisonnables, d'autant qu'il est prévu de les atteindre grâce à des gains de productivité et à une rationalisation de la gestion de l'opérateur, philosophie que je salue.

Deux points méritent également d'être soulignés : d'une part, la décision de mettre en place un outil de référencement commun avec le Centre national des oeuvres universitaires et scolaire (CNOUS), avec lequel les relations n'ont pas été des plus apaisées à la création de Campus France, dont on peut souhaiter qu'il contribue à améliorer la collaboration entre les deux opérateurs ; d'autre part, la mise en place d'un véritable suivi des étudiants et des chercheurs étrangers ayant effectué tout ou partie de leurs cursus en France, qui constitue une recommandation forte de la Cour des comptes. Il est toutefois regrettable que cet outil ne concerne que les boursiers.

Par ailleurs, je partage les observations de Campus France quant à la composition de ses organes de gouvernance, même si ce point ne ressort pas du contrat d'objectifs et de moyens.

Si l'ensemble constitue une construction équilibrée en termes de représentation des acteurs de la mobilité internationale, on peut cependant regretter une surreprésentation des administrations au conseil d'administration. De même, la présence du CNOUS, qui n'a pris part que deux fois aux délibérations du conseil, ne se justifie guère.

En revanche, l'absence totale de représentants du monde économique, au conseil d'administration comme au conseil d'orientation, apparaît dommageable. De la même manière, il serait souhaitable, compte tenu du rôle de Campus France en matière de délivrance des visas, que le ministère de l'intérieur y dispose d'un siège.

Pour l'ensemble des raisons exposées et en dépit de ces quelques remarques, je vous propose de donner un avis favorable à ce premier contrat d'objectifs et de moyens, dont il conviendra de suivre avec attention la mise en oeuvre.

En revanche, vous l'aurez compris mes chers collègues, compte tenu du sous-dimensionnement de l'enveloppe budgétaire aux ambitions culturelles françaises à l'étranger, je ne puis vous proposer de donner un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 185 « diplomatie culturelle et d'influence » au sein de la mission « Action extérieure de l'État ».

Par ailleurs, j'aurais souhaité que nous puissions entendre la ministre déléguée à la francophonie avant de nous prononcer.

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