Les crédits du programme 163 « Jeunesse et vie associative » s'établissent, dans le projet de loi de finances pour 2014, à un peu plus de 229 millions d'euros en crédits de paiement, contre 232 millions d'euros en loi de finances initiale pour 2013, soit une diminution légèrement supérieure à 1 %. Si l'on tient compte du rapatriement sur le service civique de trois millions d'euros supplémentaires issus du reliquat du fonds d'expérimentation de la jeunesse obtenu par la ministre, la diminution est ramenée à 0,3 %, après extraction de la réserve parlementaire. Les dépenses d'intervention dans les secteurs de la jeunesse, de l'éducation populaire et de la vie associative sont donc globalement préservées. Ce sont les services déconcentrés du ministère qui supportent l'effort le plus important de réduction des dépenses de fonctionnement.
Les moyens du programme 163 sont complétés par les crédits inscrits sur le nouveau programme 411 « Projets innovants en faveur de la jeunesse », à hauteur de 100 millions d'euros, en vue de favoriser, par le biais d'appels à projets, la conception et la mise en oeuvre de politiques de jeunesse intégrées et coopératives à l'échelle des territoires. Je souligne, néanmoins, que les premiers appels à projet ne seront pas lancés avant début 2015, l'année prochaine devant être consacrée à la réflexion avec l'ensemble des partenaires.
Le comité interministériel de la jeunesse (CIJ) du 21 février 2013, placé sous la présidence du Premier ministre, a élaboré un plan « Priorité jeunesse » définissant treize chantiers prioritaires et 47 mesures destinés à soutenir l'intégration, l'autonomie et l'employabilité des jeunes. Ce plan se caractérise par l'expérimentation de trois mesures phares :
- les emplois francs, qui reposent sur une aide forfaitaire de 5 000 euros pour l'embauche en CDI d'un jeune de moins de trente ans résidant dans les zones urbaines sensibles ;
- le service public régional de l'orientation, qui est expérimenté dans huit régions pilotes depuis septembre 2013 ;
- et la « garantie jeunes », expérimentée à partir d'octobre 2013 dans dix territoires afin d'apporter aux jeunes de moins de 25 ans un accompagnement intensif et des propositions adaptées de formation et d'emploi, ainsi qu'une garantie financière légèrement inférieure au revenu de solidarité active (RSA). Cette garantie préfigure, en quelque sorte, l'allocation de revenu minimum promise par le Président de la République aux jeunes de moins de 25 ans.
À ces dispositifs expérimentaux d'aide à l'insertion professionnelle des jeunes, s'ajoutent les emplois d'avenir et les contrats de génération. Face à la multiplication et à la fragmentation des dispositifs destinés au renforcement de l'autonomie et de l'employabilité des jeunes, il faut néanmoins se poser la question de la cohérence.
En particulier, comment s'assurera-t-on que l'engagement de service civique demeurera attractif auprès des jeunes les moins qualifiés, face à la multitude de dispositifs d'emplois aidés et de revenu minimum qui s'offrent à eux ? Il faut clairement distinguer et éviter toute confusion dans l'esprit des jeunes de moins de 25 ans entre, d'une part, le service civique qui constitue d'abord et avant tout un dispositif d'insertion civique et de sensibilisation à la notion d'intérêt général, et, d'autre part, les différents types de contrats aidés et de revenu minimum qui visent l'insertion professionnelle des jeunes les plus défavorisés. On est sur deux logiques bien distinctes, mais parfois concurrentielles, en particulier pour les jeunes les plus défavorisés.
N'oublions pas que les marges de progrès en termes de mixité sociale parmi les volontaires du service civique sont encore très importantes : seulement 25 % des engagés de service civique ont un niveau inférieur au baccalauréat, alors que 41 % ont un niveau supérieur au bac. Il faut donc faire attention à ce que le service civique, et plus largement l'engagement des jeunes au service de l'intérêt général, ne soit pas le privilège d'une poignée de jeunes diplômés ou poursuivant des études supérieures et que les jeunes les moins qualifiés et les plus vulnérables soient, eux, cantonnés aux dispositifs de contrats aidés.
J'en viens ainsi à l'évolution des moyens consacrés au développement du service civique. Le service civique continue de constituer le poste de dépenses le plus important du programme avec 149 millions d'euros prévus en 2014, soit quatre millions d'euros de plus qu'en 2013 et 64 % des moyens mobilisés au sein du programme 163.
Le problème le plus préoccupant est bien celui de la soutenabilité budgétaire de la montée en charge de ce dispositif.
En effet, le coût total d'une mission de service civique pour l'État est aujourd'hui d'environ 970 euros. Il sera ramené prochainement, après simplification du régime des cotisations retraite par le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2014, à 820 euros. Compte tenu de la durée moyenne d'un contrat de service civique qui s'établit à huit mois, la prise en charge d'un volontaire par l'État pendant un an revient à 6 560 euros. Dans ces conditions, pour satisfaire l'objectif de 100 000 volontaires effectuant un service civique en année pleine, il faudrait accorder à l'Agence du service civique 656 millions d'euros.
Nous sommes très, très loin du compte, et la Cour des comptes n'a pas manqué de s'en inquiéter dans son rapport sur l'exécution budgétaire de 2012 et le rappellera prochainement dans les conclusions de son contrôle sur les finances de l'Agence du service civique. Rappelons que la loi de programmation triennale ne prévoit à terme, en 2015, qu'une augmentation de 70 millions d'euros pour la mission « Sport, jeunesse et vie associative ». En admettant que l'augmentation ne bénéficie qu'au service civique, elle demeurerait bien insuffisante pour remplir l'objectif de 50 000 engagés de service civique en 2015 : il manquerait à l'agence encore 100 millions d'euros !
La Cour des comptes recommande la réduction du coût unitaire des missions de service civique. Mais je vois mal comment on pourrait aller plus loin dans cette réduction, sauf à choisir de diminuer le montant de l'indemnité de service civique pour le jeune, ce qui n'est certainement pas souhaitable, on en conviendra tous. On ne peut pas non plus diminuer les aides consenties aux structures d'accueil, puisque les associations doivent précisément permettre au jeune, via le tutorat, d'assumer en pleine autonomie l'exécution de sa mission, sans être en situation de subordination hiérarchique. C'est bien l'apprentissage de la responsabilité qui est au coeur du service civique. Les marges de réduction du coût des missions me semblent donc très faibles. Nous allons droit au mur si nous n'assurons pas une montée en charge puissante sur le plan budgétaire du dispositif pour être à la hauteur de l'ambition.
Malgré cette inquiétude forte sur la soutenabilité budgétaire du service civique, on peut relever quelques signes encourageants pour la jeunesse et la vie associative :
- la mobilité internationale des jeunes est confortée, puisque l'Office franco-allemand pour la jeunesse bénéficie de deux millions d'euros supplémentaires, consentis à parts égales par chacun des deux gouvernements partenaires, la France et l'Allemagne ;
- les dépenses fiscales en faveur du tissu associatif sont renforcées par l'augmentation de 6 000 à 20 000 euros de l'abattement de la taxe sur les salaires dont bénéficient les associations, soit 314 millions d'euros supplémentaires de dépenses fiscales. Dans ces conditions, 70 % des associations ne paieront plus de taxe sur les salaires.
N'oublions pas que les collectivités territoriales, en particulier les communes et les départements, sont au coeur de l'action en faveur des jeunes et du mouvement associatif. Or, j'ai le sentiment qu'on leur envoie un signal assez négatif lorsque l'État diminue le montant des crédits consacrés aux politiques partenariales locales de jeunesse et d'éducation populaire de presque 20 % par rapport à 2013 et de 26 % par rapport à 2012. Ce soutien est pourtant crucial car il permet d'accompagner les collectivités territoriales dans la mise en oeuvre de leurs politiques éducatives locales et l'amélioration de la qualité de l'accès des jeunes aux loisirs.
Le ministère justifie cette baisse significative par la montée en charge des dispositifs de droit commun dans le cadre de la réforme des rythmes scolaires : 250 millions d'euros au titre de la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) et la mise en place du « fonds d'amorçage » par l'État. Toutefois, de lourdes incertitudes continuent de peser sur la capacité des collectivités territoriales, elles-mêmes exposées à d'importantes contraintes budgétaires, à mettre en place des projets éducatifs territoriaux ambitieux et à développer l'offre d'activités périscolaires.
Je rappelle, par exemple, la situation préoccupante que connaissent certains départements en matière d'accueil collectif des mineurs. Confrontés à un phénomène de saturation des capacités d'accueil de leurs centres de loisirs et de vacances, des départements tels que le Loiret, la Côte-d'Or, le Bas-Rhin, la Mayenne et la Moselle ont été contraints de limiter l'accueil de nouveaux mineurs étrangers, en remettant en question le dispositif de répartition des jeunes étrangers isolés et le manque de transparence sur les quotas affectés à chaque département pour l'accueil de mineurs étrangers. Il faut donc alerter le Gouvernement sur les difficultés croissantes rencontrées par certains départements pour assurer une prise en charge éducative de qualité de l'ensemble des mineurs et, en particulier, des mineurs étrangers qui souffrent d'isolement.
En conclusion, je vous proposerai de donner un avis défavorable à l'adoption des crédits de la jeunesse et de la vie associative en raison des lourdes incertitudes qui pèsent sur la soutenabilité budgétaire de la montée en puissance du dispositif de service civique.