Intervention de Aymeri de Montesquiou

Réunion du 18 novembre 2013 à 17h00
Débat sur la politique d'aménagement du territoire

Photo de Aymeri de MontesquiouAymeri de Montesquiou :

Madame le ministre, vous avez pleinement raison quand vous affirmez que la politique de l’égalité des territoires a l’obligation de réussir. En effet, la disparité qui subsiste entre les territoires ruraux et les territoires urbains est contraire à l’efficacité économique dans notre pays.

Nos 30 000 communes rurales sont l’avenir de la France. Ce n’est pas un langage convenu, c’est l’affirmation que notre vaste territoire, le plus grand de l’Union européenne, doit exploiter sa taille. C’est un atout considérable. Il faut rééquilibrer notre territoire et faire en sorte que les communes rurales soient elles aussi reliées aux centres économiques mondiaux. C’est à travers la généralisation de l’accès au très haut débit que l’on parviendra à exploiter les talents, attirer les investisseurs et améliorer la qualité de vie de tous, jusque dans les zones les plus isolées.

La France se situe seulement au vingt-troisième rang européen en matière de déploiement du très haut débit, et au trente-huitième rang mondial en matière de vitesse de connexion moyenne. C’est très médiocre. La France doit produire un effort considérable de mise à niveau. La quasi-totalité des petites communes subissent la fracture numérique, du fait de débits insuffisants et même, très souvent, de l’absence totale de service ADSL. Notre taux de pénétration de la fibre optique est de 8 % seulement, contre 17, 7 % en moyenne européenne.

Aujourd’hui, madame le ministre, bien que 98 % des entreprises de plus de dix salariés soient connectées à Internet, la grande majorité d’entre elles n’ont pas accès à des services de très haut débit et doivent se contenter du même niveau d’offre que les particuliers. Je rappelle que le Japon et la Corée du Sud ont fait le choix stratégique d’investir massivement dans les réseaux de fibre optique pour atteindre 1 gigabit et intensifier ainsi leur compétitivité.

Le numérique est essentiel au développement des entreprises. Il est vital pour les petites et moyennes entreprises, les PME, qui représentent 60 % des emplois de notre économie et sont très souvent implantées en zone rurale. De manière plus inquiétante, les tarifs pratiqués sont absurdes, car antiéconomiques : les PME qui disposent d’une connexion à très haut débit paient 200 euros hors taxe par mois pour 2 mégabits et 1 000 euros pour 10 mégabits. C’est contraire à tout bon sens ! C’est une entrave au développement de leur compétitivité et à leur installation en zone rurale.

Les modalités de déploiement proposées inquiètent les collectivités. Par exemple, le Schéma directeur territorial d’aménagement numérique, le SDTAN, du Gers, qui définit les actions et moyens à mettre en œuvre dans le département, prévoit que le déploiement du réseau très haut débit en fibre optique ne concernera qu’une faible partie du territoire : celle où l’habitat est le plus dense.

Certaines communes équipées d’infrastructures téléphoniques, à savoir un nœud de raccordement ou un sous-répartiteur desservant plus de quatre-vingts abonnés, bénéficieront certes d’une montée en débit, mais elles n’auront pas accès au très haut débit. Les communes qui se situent à plus de cinq kilomètres de ces installations ne bénéficieront que d’un renforcement de leur débit via des antennes paraboliques et des antennes Wifi, procédés peu fiables, limités en débit et dont la durée de vie n’excédera pas quinze ans. L’ensemble des communautés de communes devront pourtant contribuer au financement de l’aménagement numérique.

Ce recours au « mix technologique », qui doit être transitoire, creuse les inégalités d’une commune à l’autre et ne répond pas aux besoins réels de la population. Il serait plus efficace d’installer la fibre optique selon un calendrier d’échéance précis, réaliste et ambitieux. Nous devons aussi anticiper l’accroissement considérable des applications du très haut débit et avoir le courage et l’ambition de prévoir un suréquipement au départ ou de mettre en place des infrastructures évolutives.

L’objectif de couvrir la France entière en 2025 représente un investissement global important, estimé à 23, 5 milliards d’euros. Il faut trouver un moyen de financement juste, pérenne, équilibré, entre toutes les collectivités. Notre collègue Hervé Maurey a proposé voilà quelques instants un financement mutualisé, au travers d’une contribution des abonnements d’accès Internet fixe, de la téléphonie mobile et d’une taxe sur les produits électroniques grand public. Il a raison : il faut mettre en place un dispositif spécifique d’alimentation durable du Fonds d’aménagement numérique du territoire. Quel sera-t-il, madame le ministre ?

Pour planifier la montée en débit dans les territoires ruraux, une action coordonnée et une mutualisation des coûts entre les opérateurs privés, les collectivités territoriales et l’État sont indispensables. Les opérateurs investissent dans les territoires les plus denses, car, pour eux, les zones rurales ne sont pas rentables. Les projets réalisés en milieu urbain devront donc, dans un souci d’équité, financer les infrastructures numériques des zones rurales.

La définition d’un programme réaliste de couverture des zones blanches est attendue des élus, qui sont exaspérés d’entendre parler de l’essor de la téléphonie mobile 4G, alors que de nombreuses communes n’ont toujours pas de couverture mobile 2G et 3G ! Il est inadmissible qu’en 2013 on ne puisse pas joindre un médecin d’urgence de n’importe quel point de notre territoire.

Je cite cet exemple du domaine médical, car l’accès au très haut débit est aussi un outil indispensable de gestion de santé publique. En effet, le numérique a le potentiel pour améliorer l’efficacité de notre système de soins et de gestion de la dépendance. L’e-santé constitue l’une des solutions aux problèmes d’organisation de la couverture médicale des communes rurales. La télésanté permettra aux médecins de surveiller leurs patients à distance et d’échanger des données médicalisées avec leurs collègues par l’Internet. Mais la télétransmission des actes de soin, la gestion du dossier médical informatisé et le suivi des patients à distance ne seront possibles que si l’accès au très haut débit est une réalité sur l’ensemble du territoire.

Par ailleurs, le télétravail est une activité en pleine croissance. Inspirons-nous des Pays-Bas, où il existe une centaine de Smart Work Centers, des télécentres comportant des espaces de travail, de réunion et des salles de téléprésence. Ces structures permettent à des territoires de moindre densité urbaine d’implanter dans les zones rurales des unités économiques très variées qui sont pour l’instant implantées dans les métropoles où se concentrent les crèches, les services publics, les banques ou les micro-entreprises. Ces télécentres peuvent devenir des bases essentielles du télétravail, lequel peut être un outil de développement des territoires ruraux. À titre d’exemple, le programme novateur Soho-Solo mis en place par la CCI du Gers s’est concrétisé par la création de huit télécentres et l’inscription de plus de 300 télétravailleurs, ce qui est appréciable à l’échelle de la population active du département.

Pourtant, malgré son potentiel, le télétravail ne concerne que 7 % de la population en France, contre en moyenne 13 % en Europe et 25 % en Amérique du Nord.

Le numérique constitue notre nouvelle frontière, qui est très attendue. Il donne un sens à l’expression « égalité des chances », qui n’est que trop souvent un simple slogan. Il est un moyen de donner une réalité au désir d’entreprendre, qui a déserté notre pays, en privant des territoires de l’économie moderne.

Francis Bacon nous exhorte à « reculer les bornes de l’Empire humain en vue de réaliser toutes les choses possibles ». Dans cet esprit, le numérique révolutionne notre société en générant de nouvelles inventions. La croissance repose aujourd’hui sur les nouvelles technologies et leurs applications. Si nous ne parvenons pas à résoudre le problème de l’accès au très haut débit dans les territoires ruraux, nous pénaliserons toute la France. En créant un écosystème favorable à la créativité et au progrès sur l’ensemble de notre territoire, nous entrerons ainsi tous ensemble dans la modernité. §

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