Intervention de Évelyne Didier

Réunion du 18 novembre 2013 à 17h00
Débat sur la politique d'aménagement du territoire

Photo de Évelyne DidierÉvelyne Didier :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, régulièrement, le Sénat débat sur le thème de l’aménagement du territoire pour dire combien il est important de permettre un aménagement équilibré de notre pays, listant tous les domaines où l’intervention publique est nécessaire pour garantir l’égalité partout sur l’ensemble du territoire.

Je dois bien avouer que plutôt que de débattre entre nous, sans que cela puisse déboucher sur une mesure concrète, nous aurions préféré examiner le projet de loi sur les territoires qui nous a été annoncé voilà maintenant plusieurs mois. Madame la ministre, vous nous direz sans doute dans votre réponse quand celui-ci nous sera enfin soumis.

Nous aurions également aimé que le Sénat adopte, le 10 octobre dernier, comme il en avait la possibilité, la proposition de loi, présentée par mon collègue Le Cam, opérant un rééquilibrage dans la répartition de la dotation globale de fonctionnement aujourd’hui trop défavorable aux petites communes.

Nous partageons, semble-t-il, sur toutes les travées, ou presque, de cet hémicycle, le diagnostic préoccupant de l’abandon progressif des territoires, du creusement des inégalités sociales et spatiales depuis de trop nombreuses années. Les sénateurs Renée Nicoux et Gérard Bailly ont d’ailleurs produit, il y a peu, un rapport dressant un constat sans appel sur le sujet.

La France a longtemps été un pays au fort pouvoir central, mais le mouvement engagé depuis les années quatre-vingt a amorcé une décentralisation donnant plus de pouvoirs aux territoires. Cette démarche a jusqu’à présent toujours été accompagnée d’une forte déconcentration permettant l’accompagnement et le soutien de l’État au plus près des territoires, ce qui a permis des avancées majeures pour la population.

Aujourd’hui, avec l’acte III de la décentralisation, le Gouvernement rompt avec cette tradition : tout en se voyant confier plus de responsabilités et de compétences, les collectivités sont privées du soutien de l’État et sont très contraintes financièrement. L’État lance même des politiques sans prévoir les ressources nécessaires pour les mener en confiant simplement leur réalisation aux collectivités selon le principe : « je décide, tu paies ! »

La réforme des rythmes scolaires constitue à ce titre un bel exemple. Ce sont les collectivités qui assument une politique décidée nationalement, sans les ressources nécessaires, créant de fortes disparités sur le territoire et une insatisfaction justifiée.

Ainsi, dans le cadre des lois de finances, non seulement les dotations des collectivités baissent de 3 milliards d’euros sur deux ans – et nous pensons que cette baisse va continuer –, mais, en plus, l’ingénierie d’État continue d’être démantelée, notamment dans le cadre du ministère de l’égalité des territoires. Comment agir dans ces conditions ? Comment œuvrer pour l’égalité des territoires lorsque la présence humaine au sein des préfectures est toujours rognée, avec des effectifs en baisse de 3 000 emplois entre 2009 et 2013 ? Ce désengagement de l’État bat en brèche, à nos yeux, la notion même d’égalité des territoires.

Alors se dessine une France à deux vitesses distinguant les territoires relevant de la métropole, qui aspirent les pouvoirs et les ressources, et les autres territoires, laissés sinon à l’abandon, du moins dans de grandes difficultés.

Une telle réorganisation de l’architecture institutionnelle porte atteinte à toute idée d’aménagement équilibré des territoires, et comporte deux écueils. Tout d’abord, elle met à mal la démocratie, parce que, nous le savons tous, la proximité des élus avec la population, et le contrôle réel que celle-ci peut opérer, est le gage d’une meilleure adéquation entre les besoins et les projets portés par et pour les territoires.

En outre, la marche forcée organisée vers l’intercommunalité, comme modèle et réponse unique aux enjeux d’aménagement du territoire, ainsi que nous l’avons vu lors du débat sur le transfert automatique de la compétence PLU, semble être une impasse ou, du moins, apparaît déconnectée des réalités locales concrètes.

Alors que l’État, depuis de nombreuses années, a laissé les territoires à l’abandon faute d’y consacrer les moyens nécessaires, ceux-ci ont dû s’organiser eux-mêmes. Aujourd’hui, les lois successives tendent vers la définition d’un cadre normatif et législatif extrêmement contraignant laissant entendre que les élus locaux, principalement les maires, seraient responsables de tous les maux, et notamment de l’étalement urbain, de l’artificialisation de sols, de la gabegie des finances. Quelle caricature !

En donnant le sentiment d’une impuissance, voire d’une incompétence des élus locaux, alors même que ce sont les collectivités qui sont à l’origine de plus de 70 % de l’investissement public, on nourrit désillusion et colère, on renforce, au fond, le sentiment de l’abandon et de la fatalité, ce qui, dans un contexte économique tendu, a des conséquences politiques graves pouvant mener à des comportements antirépublicains.

Aborder efficacement l’enjeu de l’aménagement du territoire devrait ainsi se traduire prioritairement par l’octroi de moyens financiers et humains en appui aux collectivités, car force est de constater qu’elles sont les maillons essentiels de la cohésion nationale.

L’État, par sa politique en termes de service public, a également renoncé à garantir à tous l’accès aux services principaux. Nous regrettons à cet égard que la présente majorité n’ait pas mis un point d’honneur à revenir sur les lois successives de privatisation, que ce soit de la Poste, d’EDF ou de GDF. Le démantèlement de la présence des hôpitaux publics se poursuit, au nom de la rationalisation de l’action publique. Le rail souffre toujours de sous-investissement, comme en témoigne l’accroissement de sa dette. Le fret est progressivement abandonné dans sa mission de proximité, alors que le wagon isolé est l’un des éléments déterminants de la transition écologique. Des villages continuent de dépérir, alors même que, selon des études récentes, de plus en plus de nos concitoyens aspirent à partir des zones urbaines, espérant ainsi gagner en qualité de vie. Mais ils ne le font pas, faute d’infrastructures suffisantes et de garantie d’emploi.

Car, au fond, c’est bien de cela qu’il s’agit : la redynamisation de nos territoires et la nécessaire réindustrialisation ne peuvent être réussies en dehors de la présence et du maillage fin du territoire par les services publics.

Dans ce cadre, nous regrettons que les engagements financiers pour la couverture numérique ne soient pas à la hauteur des enjeux de cette révolution, pourvoyeuse de développement et source d’emplois, notamment pour les territoires les plus enclavés. L’enjeu numérique est du même ordre que la construction du rail hier : c’est fondamental !

À ce propos, j’ai entendu avec plaisir notre collègue Hervé Maurey fustiger l’attitude du privé, qui investit seulement là où c’est rentable. Mon cher collègue, vous me voyez ravie de constater que vous rejoignez nos positions !

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