Intervention de Thierry Repentin

Réunion du 18 novembre 2013 à 21h30
Accord avec l'italie pour la réalisation et l'exploitation d'une nouvelle ligne ferroviaire lyon-turin — Adoption définitive en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Thierry RepentinThierry Repentin :

Madame la présidente, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, monsieur le rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est un beau rendez-vous qui me permet de vous retrouver aujourd’hui, au Sénat, pour débattre de la nécessité de ratifier l’accord conclu le 30 janvier 2012 entre les gouvernements français et italien, en vue de la réalisation et l’exploitation d’une nouvelle ligne à grande vitesse pour le fret et les voyageurs dite « Lyon-Turin ».

La ratification de cet accord a une résonance particulière dans cet hémicycle. De fait, vous connaissez mieux que quiconque l’importance de tels projets en termes de développement et d’attractivité des territoires, dont les membres de la Haute Assemblée sont précisément les représentants.

Cette ratification est donc, je le répète, un beau rendez-vous parlementaire. Elle permet au Sénat de concourir à la construction européenne à travers une avancée importante, sur un projet de très grande envergure à l’échelle, avant tout, du continent européen.

Ne nous y trompons pas : il est bel et bien essentiel de mesurer la pertinence de cette nouvelle ligne ferroviaire au-delà de son seul impact régional. Pour être important, ce dernier ne suffirait pas à légitimer les efforts financiers considérables qui seront consentis au cours des décennies à venir.

Certes, pour les régions concernées en France et en Italie, une nouvelle infrastructure de cette qualité reliant des pôles économiques stratégiques et améliorant la mobilité des citoyens européens revêt un formidable intérêt. Toutefois, ce qui est en jeu aujourd’hui va bien au-delà.

Ce projet, pour lequel vous connaissez mon attachement, comme celui du ministre des transports et du Gouvernement tout entier, mérite d’être envisagé avec un peu de distance. Il convient en particulier d’examiner ses implications au regard de la structuration des échanges, à l’échelle du continent européen tout entier.

Observons la carte de l’Europe en considérant l’ensemble des réseaux européens qui se développent actuellement et, au cœur de ces réseaux, la place occupée par notre pays.

Aujourd’hui, une part de l’avenir de l’Europe se joue dans le développement des échanges transfrontaliers, comme l’illustre le tunnel du Lötschberg, reliant la Suisse et l’Italie, ou encore le tunnel du Brenner, qui entrera en service en 2025 entre l’Italie et l’Autriche. Ces proches pays investissent dans de grands chantiers, qui leur permettent d’ouvrir de nouveaux horizons pour leurs citoyens comme pour leurs entreprises, cependant qu’ils renforcent l’armature des échanges entre le nord et le sud de l’Europe.

À cet égard, le projet Lyon-Turin ne revient pas simplement à relier la France et l’Italie. Il permet également de relier la péninsule ibérique au sud-est de l’Europe, aux Balkans et aux pays dits du « partenariat oriental » jusqu’à Kiev. En pratique, cela signifie replacer la France au centre de gravité de l’Europe et des réseaux transeuropéens en abolissant cette frontière naturelle qu’est la chaîne des Alpes.

Nous devons faire preuve d’ambition pour l’avenir de notre pays et de nos concitoyens, pour la compétitivité de nos entreprises et pour la préservation de notre environnement naturel.

Mesdames, messieurs les sénateurs, en ratifiant cet accord, nous avons la possibilité de franchir une étape et d’accomplir une avancée pour l’avenir géographique, stratégique et économique de la France, au cœur du projet européen. Ce pas présente une importance toute particulière alors que nous sommes, comme vous le savez, engagés depuis maintenant dix-huit mois avec le Président de la République, dans une réorientation de l’action européenne.

Quel est le rapport, me direz-vous ? Il est on ne peut plus clair, et ce au regard d’au moins trois des objectifs que nous nous sommes fixés.

Le premier objectif, c’est la construction d’une France forte entretenant de solides relations avec ses plus proches partenaires européens.

Lorsque nous sommes arrivés aux responsabilités, notre but était clair. Il s’agissait de tout mettre en œuvre pour que la France soit à l’origine de la réorientation de l’Europe, qui n’avait jusqu’alors pour perspective que l’austérité à perte de vue. Il nous fallait donner une impulsion dans le sens d’une politique plus équilibrée, tournée vers la croissance et l’emploi.

Pour y parvenir, pour dessiner ce nouvel horizon, notre pays devait retrouver sa place au cœur de la construction européenne en lien, naturellement, avec l’Allemagne. Nous l’avons fait avec succès.

Parallèlement, il fallait rendre de leur vigueur aux relations privilégiées qui nous unissent à d’autres partenaires européens. L’Italie occupe, à cet égard, une place singulière. Elle est ainsi redevenue, depuis mai 2012 et encore davantage depuis l’arrivée d’Enrico Letta, un partenaire prioritaire et privilégié de la France. Sur de très nombreux sujets européens ou internationaux comme la réorientation en faveur de la croissance, le soutien aux initiatives accompagnant la jeunesse vers l’emploi, la construction d’une politique de voisinage Sud, la politique de sécurité et de défense commune, ou PSDC, nos deux pays ont des intérêts et des approches très similaires.

Notre partenariat avec Rome s’est donc renforcé, pour constituer un moyen de mieux défendre nos intérêts communs à l’échelle européenne.

Après une période durant laquelle nos deux pays ont connu des relations que je qualifierai diplomatiquement de « mouvementées », la France et l’Italie se sont retrouvées. Les changements politiques dans nos deux pays y ont fortement contribué. Ce rapprochement était une nécessité. Nous ne devons pas perdre de vue notre histoire commune : rares sont les pays qui, de par le monde, peuvent affirmer que leur amitié repose sur plus de deux millénaires d’échanges, d’apports mutuels, de destins communs et de croisements culturels aussi étroits et intenses que ceux qui existent entre nous.

Ce rapprochement s’explique par notre convergence sur de nombreux dossiers européens et par notre volonté de travailler ensemble. Il s’illustre au quotidien par les importants échanges commerciaux entre nos deux pays. N’oublions jamais que l’Italie est notre deuxième client et notre troisième fournisseur !

C’est dans ce contexte que s’ouvrira, après-demain à Rome, notre prochain sommet bilatéral. Le projet de liaison ferroviaire entre Lyon et Turin sera bien sûr présent à ce rendez-vous.

De son côté, l’Italie a déjà bien engagé le processus de ratification à la Chambre des députés. Il lui restera ensuite à obtenir l’accord du Sénat. Je peux témoigner de la motivation de nos voisins transalpins qui, à chacune de nos rencontres, me font part de leur volonté d’aboutir rapidement. Nous devons, de notre côté, prouver à l’Italie que la France s’investit et croit en notre avenir commun. Nous l’avons d’ailleurs déjà montré en août dernier, par la publication au Journal officiel de la déclaration d’utilité publique relative à cette future infrastructure ferroviaire, pour une partie de son tracé.

Les relations entre nos deux pays n’ont que rarement – peut-être même jamais – été aussi étroites et productives. La ratification de cet accord que vous allez décider, j’en suis sûr, constitue une pierre supplémentaire à l’édifice du partenariat franco-italien, traduisant notre vision commune de l’avenir de notre continent : celle d’une Europe ambitieuse, qui se projette vers le futur et qui se bâtit à travers de grands projets d’envergure transfrontalière.

Le deuxième objectif visé à travers cet accord, c’est notre investissement pour la croissance durable et pour l’emploi. À ce titre, cet accord pose un cadre : celui de la construction d’une liaison ferroviaire non seulement entre les agglomérations de Lyon et de Turin mais aussi entre celles de Paris et de Milan.

Ce projet recèle un fort potentiel en matière de développement économique, de croissance et d’emploi, lequel repose sur deux finalités : d’une part, basculer de la route vers le fret le trafic de marchandises traversant les Alpes franco-italiennes ; d’autre part, améliorer, pour les usagers de cette future ligne à grande vitesse, la liaison en termes d’accès comme de rapidité. L’une et l’autre de ces finalités méritent notre soutien, et aucune ne doit être minorée.

Dans les deux cas, ce projet présente un intérêt économique indéniable. Les régions Rhône-Alpes, Île-de-France, Piémont et Lombardie constituent des pôles économiques importants qui bénéficieront de l’effacement de la barrière des Alpes.

Le chantier lui-même offre déjà un potentiel important en termes de créations d’emplois, dont plus de la moitié seront créés en France.

Par ailleurs, nous savons tous ici que la mobilité est une des clefs de l’accès à l’emploi et à de nouveaux marchés. Ainsi, alors que l’on met sept heures pour rejoindre Paris depuis Milan, ce trajet sera ramené à près de quatre heures. Voilà une belle occasion de soutenir le train, plutôt que l’avion, pour les transports internationaux de voyageurs !

Nous savons tous aussi à quel point il est important pour les entreprises, dans nos territoires, d’acheminer leurs marchandises ou de recevoir leurs livraisons rapidement. Il s’agit également d’une donnée déterminante de la compétitivité de notre économie, à laquelle répond la création de ce corridor ambitieux prioritairement destiné au fret. Belle occasion, là aussi, de soutenir le train plutôt que les files de camions !

Ajoutons que ce projet aura également des effets en termes de développement durable. La France et les États de l’arc alpin se sont tous engagés, de manière concertée, dans une politique volontariste de report modal, visant à réduire la part de fret routier à longue distance et à favoriser les modes alternatifs. Si l’on en croit son promoteur, la réalisation de cette infrastructure permettra, à terme, d’augmenter sur ce corridor la part modale du transport ferroviaire de 20 % à 55 % et de reporter plus d’un million de poids lourds par an de la route vers le rail.

Combien d’entre nous ne se sont pas dit, en doublant des files entières de camions, qu’il suffirait d’un train pour éviter ces embouteillages, ces risques et cette pollution inutilement générés ainsi ?

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