Cet accord, sous forme de traité, a été signé à Rome au mois de janvier de l’année dernière. Il serait donc heureux et de bon augure que nous lui donnions notre approbation parlementaire, à la veille de la rencontre entre nos deux chefs d’État lors du prochain sommet franco-italien. Ce serait montrer la détermination de la représentation nationale à soutenir et à contrôler une réalisation qui va dans le sens de l’intérêt général.
Cela étant, pour se prononcer en toute connaissance de cause, il faut aussi avoir conscience des enjeux élevés et de toute la complexité de ce projet.
Tout d’abord un constat : aujourd’hui, l’essentiel du trafic transalpin passe par la route, que ce soit par les tunnels du Mont-Blanc ou du Fréjus ou bien par l’autoroute A8, qui longe la côte. Ces axes causent d’importantes nuisances à l’environnement et posent de réels problèmes de sécurité. Chacun se souvient des terribles accidents dans les deux tunnels, en 1999 et en 2005.
Ce constat parle de lui-même : les principaux axes qui relient notre pays à l’Italie sont saturés, obsolètes et dangereux. Près de 2, 7 millions de poids lourds franchissent annuellement les passages franco-italiens, soit 7 400 camions par jour environ.
En permettant de basculer de la route vers le fer le trafic de marchandises traversant les Alpes franco-italiennes, cette nouvelle liaison ferroviaire entre Lyon et Turin vise à résoudre ces difficultés. Par ailleurs, d’après les prévisions, vers 2035, la nouvelle ligne pourrait drainer 4, 5 millions de voyageurs par an, dont 1, 1 million transférés de l’avion vers le rail, avec un bénéfice environnemental évident.
Elle aurait également pour avantage non négligeable de réduire la durée des liaisons entre Lyon et Turin, bien sûr, mais aussi entre Paris et Milan, ce qui rapprocherait les deux régions.
L’accord comporte en outre un aspect financier considérable, puisque le coût total du percement du tunnel et de la construction de ses accès français et italiens, dans son évaluation actuelle, s’élèverait à 26 milliards d’euros.
Il faut également souligner la dimension européenne de cette initiative, qui a été très tôt inscrite parmi les dix-huit projets ferroviaires du réseau transeuropéen de transports.
Cette inscription dans le réseau est un atout déterminant. Il permet de prévoir dans le prochain cadre financier pluriannuel 2014–2020 de l’Union européenne une enveloppe importante pour les projets de transport, avec plus de 23 milliards d’euros qui devraient être alloués au mécanisme européen d’interconnexions.
C’est ainsi que l’Union européenne financera à hauteur de 40 % du coût les travaux du tunnel transfrontalier. Grâce à cet apport significatif, ainsi qu’à la clef de répartition du financement retenue par la France et l’Italie, notre pays ne paierait, au total, « que » 25 % du coût du tunnel transfrontalier, ainsi que le financement des infrastructures d’accès de notre côté et le contournement de Lyon.
Enfin, ce gigantesque ouvrage aurait un impact très positif en matière d’emplois dans la région. Dans sa phase « chantier », il pourrait induire environ 3 000 emplois directs dans la vallée de la Maurienne, dont plus de 2 000 sur les cinq années les plus importantes. Quant aux emplois pérennes liés à l’exploitation du tunnel de base, ils sont estimés à près de 300.
Tous ces aspects positifs font que ce projet a une cohérence globale qui paraît constituer une alternative crédible, pertinente et nécessaire pour réduire le trafic routier et ses nuisances, tout en renforçant la sécurité.
Pourtant, si la théorie paraît solide et logique, la mise en œuvre pratique se révèle complexe et peut-être incertaine.
Il faut mesurer que ce projet est aussi fortement contesté, des deux côtés des Alpes, par une partie des populations, diverses associations et quelques élus. Nous en avons eu l’illustration tout à l’heure.
Certains s’interrogent en effet sur l’utilité de cette nouvelle liaison, alors que le fret routier entre la France et l’Italie stagne voire diminue régulièrement depuis quinze ans. D’autres ont relevé le référé d’août 2012, par lequel la Cour des comptes avait signalé des coûts prévisionnels en forte augmentation ainsi que la faible rentabilité par rapport aux investissements consentis, et avait regretté « que d’autres solutions alternatives moins coûteuses aient été écartées sans avoir été explorées de façon approfondie ».
Il y a également ceux qui craignent un « désastre environnemental » faisant notamment disparaître des terres agricoles.
On le voit, ce projet comporte des avantages et des inconvénients sur le plan environnemental, mais, pour nous, le transfert modal est très important.
Reste que notre soutien raisonné à cette nouvelle liaison ferroviaire s’accompagne de quelques inquiétudes, sur les financements en particulier.
L’Union européenne parviendra-t-elle à financer ce projet comme prévu ? Nous en doutons.