Intervention de Jacques Chiron

Réunion du 18 novembre 2013 à 21h30
Accord avec l'italie pour la réalisation et l'exploitation d'une nouvelle ligne ferroviaire lyon-turin — Adoption définitive en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Jacques ChironJacques Chiron :

Madame la présidente, monsieur le ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, en novembre 2012, dans ce même hémicycle, nous avons su nous réunir et dépasser les clivages politiques pour lancer « l’appel des parlementaires » en faveur de la réalisation du Lyon-Turin. Certains de mes collègues s’en souviennent, une députée européenne espagnole était présente, un député italien, ainsi que les anciens ministres Louis Besson et Claude Gayssot, et de nombreuses autres personnalités représentant notamment le monde syndical et économique pour témoigner de leur engagement en faveur de cette réalisation.

Ce projet a été porté par tous les Présidents de la République successifs depuis François Mitterrand. Le Président François Hollande nous propose, un an après notre appel, de concrétiser ce projet européen majeur, majeur pour l’environnement, la sécurité et l’activité économique, majeur pour l’Europe et pour ses habitants.

Monsieur le ministre, merci d’avoir œuvré avec votre collègue ministre des transports, Frédéric Cuvillier, pour faire avancer ce projet résolument européen.

Comme tous les projets d’investissement structurants, il suscite des interrogations, voire des controverses, parfois légitimes, auxquelles il faut alors répondre, mais malheureusement trop souvent idéologiques.

À ceux qui jugent ce projet d’un autre temps et qui s’enferment dans des postures, je réponds en deux mots : réalisme et pragmatisme. En 2012, les échanges entre la France et l’Italie ont été 1, 3 fois supérieurs aux échanges entre la France et la Chine, et 90 % de ces échanges s’effectuent par la route. Ces chiffres sont sans équivoque.

Nous connaissons tous, nous, les élus des Alpes, les conséquences de ces échanges dans nos vallées en matière de qualité de l’air et de qualité de vie. Chaque année, ce sont 2, 7 ou 3 millions de poids lourds qui franchissent les passages franco-italiens. C’est dire les nuisances subies par les habitants de nos vallées alpines.

Il est donc urgent de désengorger les Alpes, mais aussi l’autoroute du littoral entre Nice et Marseille, en proposant une solution alternative à la route. Le Lyon-Turin constitue l’une des réponses, car c’est avant tout un projet de fret ferroviaire qui va permettre le report des poids lourds vers le rail, tout en assurant une meilleure sécurité – d’autres l’ont rappelé avant moi.

Tandis que certains parlent d’écologie, nous nous proposons, bien modestement, d’agir pour l’écologie. Dès la mise en service du tunnel de base de cinquante-sept kilomètres au départ de Saint-Jean-de-Maurienne, on estime le nombre de poids lourds dont le chargement serait susceptible de se reporter vers le rail à 1 million par an. Cela permettra d’économiser entre 530 000 et 700 000 tonnes de CO2 par an, sans compter le transport des voyageurs. Cette économie est considérable et d’une importance majeure pour les habitants de nos territoires.

Ce projet est une véritable chance pour aménager plus durablement le territoire en veillant à la qualité de l’air et à l’environnement. Évidemment, nous devrons assurer – nous y sommes déjà attentifs – le maintien de la surface de nos terres agricoles cultivées. Sur ce point, je sais que le président de la région Rhône-Alpes, Jean-Jack Queyranne, est en relation permanente avec la profession agricole, dont je comprends l’inquiétude.

Certains pensent que ce projet est devenu inutile parce que l’évolution des trafics est moins rapide que prévu et que la ligne existante n’est pas saturée. Je leur réponds qu’en effet la ligne actuelle est sous-utilisée ; d’ailleurs, personne ne le conteste. Mais allons jusqu’au bout et rappelons pourquoi : si cette ligne n’est pas utilisée à plein, c’est peut-être en partie à cause de la crise économique, mais c’est surtout parce que la ligne actuelle, inaugurée en 1871, est vétuste ; elle est d’ailleurs classée monument historique… Son vieux tunnel, qui culmine à 1 300 mètres d’altitude, rend son utilisation très coûteuse et lui retire toute compétitivité, sans parler de ses accès à voie unique sur quarante-trois kilomètres et du fait qu’elle surplombe du lac du Bourget.

La ligne historique est donc loin des capacités potentielles d’une nouvelle ligne qui sera, de fait, une infrastructure performante.

Sur la période 2010-2030, la Suisse prévoit une croissance de 3 % par an du fret ferroviaire, ce qui signifie son doublement d’ici à 2035. Pour la Suisse, il s’agit non pas forcément d’augmenter le volume global des échanges qui passent par son territoire, mais de prendre des mesures autoritaires pour que tous les échanges ou presque utilisent le fret ferroviaire, alternative crédible à la route.

Si nous ne réagissons pas, si nous ne sommes ni attractifs ni compétitifs sur le fret ferroviaire, cela pourrait avoir des répercussions fortes sur l’utilisation de nos autoroutes en France. À cet égard, monsieur le ministre, il faudrait envisager, concomitamment à la mise en service du Lyon-Turin, une augmentation du coût des autoroutes pour les poids lourds qui n’emprunteraient pas, dans ce secteur, le fret ferroviaire. Notre collègue André Vairetto l’a envisagé, et je le soutiens naturellement sur ce point.

Les Suisses, eux, ont bien compris les enjeux. Ainsi, alors même que nous discutons, ils sont en train de réaliser les investissements nécessaires pour améliorer encore leurs lignes de fret ferroviaire, en creusant des tunnels de plaine comme ceux du Lötschberg et du Saint-Gothard.

Dans ce contexte, serait-il opportun de renoncer au Lyon-Turin et à son tunnel de base ?

Serait-il raisonnable de renoncer à un projet permettant de faire de la haute capacité ?

Serait-il souhaitable de renoncer à un projet rééquilibrant les échanges européens est-ouest à travers les Alpes ?

Car ce projet dépasse largement les frontières franco-italiennes ! Le Lyon-Turin est en effet le maillon central qui va parachever la liaison est-ouest européenne, permettant de relier Lisbonne à la frontière ukrainienne, en passant par l’Espagne, notamment Barcelone, et en allant vers la Slovénie.

Comme vous l’avez souligné, monsieur le ministre, il permettra de mettre en réseau 5 000 kilomètres de lignes ferroviaires à travers l’Europe, de desservir 350 millions d’habitants et de nous relier à des pays dotés de réels potentiels économiques, dont certains frappent d’ailleurs à la porte de l’Europe. Nul doute que cette nouvelle liaison aura des retombées positives sur l’activité économique, l’emploi, mais aussi sur les échanges humains et culturels.

Dans un contexte où elle est souvent perçue comme une source de contraintes supplémentaires suscitant la défiance, le projet Lyon-Turin donne à l’Europe une dimension extrêmement concrète, au service de l’environnement et de nos populations.

Grâce à votre engagement, monsieur le ministre, la Commission européenne a d’ailleurs reconnu tout l’intérêt de ce projet, en confirmant que la réalisation du tunnel de base serait éligible à une subvention européenne à hauteur de 40 % des dépenses.

Avec l’engagement de l’Union européenne, et compte tenu de la clé de répartition des financements décidée par la France et l’Italie, la France ne paiera que 25 % de la réalisation de cette infrastructure, soit 2, 2 milliards d’euros ! C’est un élément tout à fait déterminant, qui me semble en partie répondre à la Cour des comptes quand elle s’interroge sur la possibilité d’un financement européen.

Alors, nous pouvons toujours douter ; nous pouvons discuter encore, et tergiverser à l’infini. Oui, nous pouvons « regarder passer les trains », et voir ainsi les investissements, l’activité économique et les emplois qui vont avec quitter la France. Nous pouvons ne pas répondre aux populations de nos vallées alpines, dont les attentes sont fortes en termes de santé publique.

Mais nous pouvons au contraire prendre nos responsabilités en soutenant la réalisation de cet investissement résolument européen. Comme nos prédécesseurs ont su le faire avant nous, sachons préparer l’avenir. Gardons confiance dans le futur. Osons poser dès aujourd’hui les conditions qui seront nécessaires demain pour maintenir l’activité économique dans nos régions et les emplois en Europe, tout en œuvrant pour le développement durable.

Le groupe socialiste, vous l’avez compris, apportera avec détermination sa voix à ce projet ferroviaire Lyon-Turin.

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