Intervention de Jean-Pierre Leleux

Réunion du 19 novembre 2013 à 14h30
Formation aux gestes de premiers secours et permis de conduire — Discussion d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Jean-Pierre LeleuxJean-Pierre Leleux, auteur de la proposition de loi :

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, madame le rapporteur, mes chers collègues, les accidents de la route demeurent, en France, une préoccupation, même si la mortalité routière a connu, ces quarante dernières années, une forte et progressive diminution.

J’en veux pour preuve quelques chiffres assez éloquents. Si en 1972, année qui détient en ce domaine un triste record, on dénombrait encore 18 000 tués, les décennies qui suivirent ont vu ce nombre décroître à 9 000 dans les années quatre-vingt-dix, pour passer sous la barre symbolique des 5 000 morts à partir de 2006.

De 2009 à aujourd'hui, ce chiffre tend à se stabiliser à un peu moins de 4 000 tués par an. Ainsi l’évolution constatée depuis 1972 correspond-elle à un nombre de tués sur les routes divisé par plus de quatre, alors que, sur la même période, le parc roulant et le trafic ont été multipliés par plus de deux. Cette tendance doit être soutenue.

Ces résultats, certes, traduisent l’évolution des comportements des conducteurs, plus respectueux, dans leur ensemble, des règles du code de la route, mais ils sont également, et en très grande partie, la conséquence des nombreuses actions des pouvoirs publics visant non seulement à améliorer l’état du réseau routier, mais aussi à mettre en œuvre diverses mesures d’ordre technique et juridique constitutives de la politique de sécurité routière menée dans notre pays.

Il en est ainsi de la détermination de seuils de taux d’alcoolémie, de l’instauration de limitations de vitesse ou du port obligatoire de la ceinture de sécurité et du casque, de la création d’un bonus-malus dans le domaine des assurances ou du permis à points et du contrôle technique des véhicules.

Je retiendrai également, sur le plan législatif, l’adoption par le Parlement de la loi du 12 juin 2003 renforçant la lutte contre la violence routière, qui a prévu, notamment, l’alourdissement des sanctions dans les cas d’accidents graves ou un permis probatoire instauré pour les nouveaux conducteurs.

Toutefois, malgré ces outils et les progrès qu’ils ont pu induire, la situation pourrait être encore améliorée en accentuant les politiques en direction des premiers secours apportés aux accidentés et plus particulièrement aux blessés en détresse.

En la matière, plusieurs formations ou sensibilisations aux gestes de survie existent en France, mais elles présentent la caractéristique d’être généralistes et l’inconvénient d’être insuffisantes quant à l’étendue des publics bénéficiaires.

C’est ainsi le cas des formations en direction de nos concitoyens leur permettant, pour ceux qui le souhaitent, de concourir aux missions de sécurité civile. À l’issue de ces formations leur sont délivrées les attestations de « prévention et secours civique de niveau 1 », ou PSC1, après environ huit à neuf heures d’enseignement, et de « premiers secours en équipe de niveau 1 et de niveau 2 », ou PSE1 et PSE2, qui sanctionnent, pour les personnes désireuses de s’orienter vers le secourisme, trente-cinq heures d’enseignement, ou bien encore le dispositif organisé de manière obligatoire dans le cadre scolaire concernant la formation PSC1 et les attestations de sécurité routière de niveau 1 et de niveau 2.

Malheureusement, force est de constater que, malgré les efforts entrepris, dans les deux cas, le nombre de personnes bénéficiaires est loin d’atteindre les objectifs visés : 220 000 au titre de la sécurité civile pour 2011 et de l’ordre de 120 000 annuellement au sein de l’éducation nationale.

Il n’est dès lors pas étonnant d’apprendre par un récent sondage Opinion Way, réalisé en septembre dernier pour la Croix-Rouge française, que 98 % des Français interrogés se disent favorables à la perspective d’une formation aux gestes de premiers secours lors du passage du permis de conduire.

Plus que le citoyen ou l’élève, c’est l’usager de la route qui se sent alors concerné, car plusieurs victimes d’accidents décèdent sur place avant l’arrivée du SAMU ou des pompiers, laquelle peut nécessiter un délai incompressible de quelques minutes à plusieurs dizaines de minutes, selon l’éloignement du lieu de l’accident.

Or dans les cas de détresses graves, tout se joue dans les instants qui suivent l’accident. Les premiers témoins sont souvent les seuls à pouvoir intervenir de manière décisive. Ainsi, il est permis d’estimer qu’entre 250 et 350 vies par an pourraient être sauvées sur les routes de France, des chiffres confirmés par l’Académie nationale de médecine.

Par quel moyen ? En passant d’une formation pratique qui est presque confidentielle, comme nous venons de le voir, à une formation de masse ciblée sur les candidats au permis de conduire, soit environ 700 000 personnes par an, si l’on tient compte de celles qui pourraient en être dispensées, car elles sont déjà titulaires d’une attestation de formation. Cette démarche s’apparenterait à celle qui est menée dans le domaine de l’urgence cardiaque avec les « trois gestes qui sauvent » mis en place par la Fédération française de cardiologie. Il s’agit donc d’introduire un enseignement pratique en quatre heures, limité à l’urgence vitale et assimilable par le plus grand nombre.

Ce constat avait déjà conduit, dès 1967, à l’élaboration d’un programme d’enseignement de cinq gestes de survie, simples et élémentaires : alerter, baliser, pour l’alerte, ventiler, comprimer et sauvegarder, pour la survie.

Puis, un comité interministériel de la sécurité routière, en novembre 1974, avait approuvé le projet d’une telle formation pour les candidats aux permis de conduire, mais sans pour autant qu’elle soit mise en œuvre, et ce malgré un large consensus des médecins de premiers secours, des professionnels et des enseignants du secourisme.

Pour sa part, le législateur s’est saisi de cette question par le biais de diverses propositions de loi, déposées de 1997 à 2012 par des parlementaires de tous bords politiques, preuve supplémentaire d’un large consensus. Dans l’ensemble de ces propositions était prévue une formation aux gestes de premiers secours lors de l’examen du permis de conduire. Malheureusement, ces initiatives n’ont jamais abouti.

Dans le même esprit, la loi du 12 juin 2003 renforçant la lutte contre la violence routière avait prévu que les candidats au permis de conduire soient sensibilisés, dans le cadre de leur formation, aux notions élémentaires de premiers secours, tout en renvoyant à un décret en Conseil d’État le soin de fixer ses modalités d’application de cette mesure. Or ce texte ne fut jamais publié !

Vous le voyez, mes chers collègues, d’un point de vue tant législatif que réglementaire, depuis maintenant plus d’une quarantaine d’années, rien d’efficace n’a pu prospérer.

Aussi, je ne puis que me réjouir de l’examen, ce jour, en séance publique, de ce texte qui, dans sa rédaction issue des travaux de la commission des lois, constitue une avancée notable en la matière.

J’en rappelle le dispositif : « Les candidats à l'examen du permis de conduire sont formés aux notions élémentaires de premiers secours en cas d'accident de la circulation. Cette formation est sanctionnée dans le cadre de l'examen du permis de conduire. Le contenu de cette formation et les modalités de vérification de son assimilation par les candidats sont fixés par voie réglementaire. »

Avant de développer le contenu de cette proposition, je voudrais féliciter et remercier la commission des lois, son président, Jean-Pierre Sueur, le rapporteur du texte, notre collègue Catherine Troendlé, et nombre de ses membres qui, tout en conservant l’esprit du dispositif prévu par la proposition initiale que j’ai eu l’honneur de déposer avec Jean-René Lecerf, ont pour autant souhaité le simplifier.

Tout d’abord, la commission a fait le choix de ne pas retenir une épreuve supplémentaire au permis de conduire, qui aurait eu pour conséquence, j’en conviens, d’alourdir l’existant.

Ensuite, elle a opté pour le caractère réglementaire de la définition des épreuves concernées, permettant ainsi de supprimer un obstacle majeur à son adoption, qui avait déjà été soulevé à l’Assemblée nationale, voilà un peu plus d’un an, lors de l’examen de la proposition de loi du député Bernard Gérard.

Pour autant, il ne me paraîtrait pas contraire au principe de séparation des pouvoirs que nos débats viennent enrichir le dispositif de quelques précisions sur ce que recouvre exactement une formation « aux gestes de survie », ou mieux encore « aux gestes de survie comprenant, outre l’alerte des secours et la protection des lieux, ceux pour faire face à la détresse respiratoire et aux hémorragies externes ». Il me semble qu’en clarifiant ainsi le cadre général de la formation, nous n’empiéterions pas sur la compétence réglementaire.

Lors de la discussion de l’article unique de ce texte, j’aurai l’honneur de présenter deux amendements en ce sens, complétés par un troisième visant à introduire un alinéa additionnel afin d’instituer un comité de suivi chargé d’évaluer l’application de la présente loi, tout en s’assurant du contenu et de l’efficience de la formation dispensée.

Cette création me semble justifiée par les difficultés rencontrées depuis une quarantaine d’années, comme il nous a été donné de le constater, pour faire reconnaître les cinq gestes.

Au-delà de la discussion des amendements, mon souhait est que puisse s’engager devant la représentation nationale un débat de nature à faire progresser un secteur délaissé de notre politique en matière de protection civile. Toutefois, je souhaite également donner des pistes de réflexion au Gouvernement dans la mise en œuvre des modalités d’organisation de la formation.

Je sais, à ce sujet, que trois des gestes préconisés peuvent susciter quelques interrogations, voire des réticences qu’il y a lieu, à mon sens, de dépasser.

Tout d’abord, il faut savoir que la ventilation a pour but, jusqu’à l’arrivée des secours, de s’assurer simplement que le blessé inconscient respire correctement et de pratiquer une LVA, c'est-à-dire une libération des voies aériennes, simple geste qui consiste à relever le menton pour éviter que la trachée ne se bouche et empêche l’arrivée de l’air. Il ne s’agit nullement de pratiquer la respiration artificielle, telle que beaucoup d’entre nous l’ont apprise voilà quarante ans dans les cours de secourisme. Les techniques ont en effet beaucoup évolué en la matière.

En revanche, si la respiration ne se fait pas, ce qui arrive dans 20 % des cas au maximum, il faut alors procéder au bouche-à-bouche ou au bouche-à-nez afin d’éviter tout arrêt respiratoire. En effet, dans un moment comme celui-là, la fonction respiratoire ne peut se rétablir seule. Toutefois, il n’est pas question non plus de pratiquer une respiration artificielle par une quelconque méthode manuelle. Il s’agit d’un geste simple et élémentaire.

Ensuite, la position latérale de sécurité, la PLS, dont on parle aussi beaucoup, qualifiée de position « de sauvegarde » par son initiateur, le professeur Marcel Arnaud, fondateur du secourisme routier, vise à empêcher le blessé inconscient sur le sol de s’étouffer de par sa position, en évitant soit une inondation pulmonaire en cas de régurgitations ou de vomissements, soit que la chute de sa langue en arrière ne vienne obstruer les voies aériennes. Ce sont des choses très faciles à comprendre.

Enfin, comprimer consiste non pas à poser un garrot ou à faire un point de compression, comme nous l’apprenions voilà cinquante ou soixante ans, mais simplement à appuyer directement sur une plaie en cas d’hémorragies externes exclusivement.

Ce sont là des gestes de survie, dont on ne rappellera jamais assez la simplicité et le caractère élémentaire. Ils se retrouvent dans tous les programmes de formation, en France et dans le monde, car ce sont des gestes universels devant être pratiqués avec des précautions apprises et répétées lors des enseignements.

Quelle différence y aurait-il entre une ventilation et une sauvegarde assimilées lors de la préparation au permis de conduire et les mêmes gestes dont la maîtrise serait acquise, notamment, au cours des formations de la protection civile ?

J’ai ici un ouvrage

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