Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en l’état actuel du droit, la connaissance des gestes de premiers secours n’est ni enseignée ni sanctionnée lors de l’examen du permis de conduire, même professionnel. C’est pour répondre à cette carence que la présente proposition de loi a pour objet de rendre obligatoire une formation aux premiers secours dans le cadre du permis de conduire.
Lors d’un accident de la circulation, les premières minutes sont vitales pour la survie des blessés : la moitié de ces derniers décèdent à ce moment. J’ajouterai que la survie des blessés les plus gravement atteints est liée à leur prise en charge précoce par les services de secours.
L’Organisation mondiale de la santé remarque ainsi, en 2005, que « même les systèmes de secours les plus sophistiqués et les mieux équipés ne peuvent pas grand-chose si les témoins sont incapables d’analyser le degré de gravité de la situation, n’appellent pas à l’aide et ne pratiquent pas les soins de base avant que les services de secours n’arrivent sur place. C’est encore plus manifeste dans les zones rurales. »
Le lien entre témoins de l’accident et services de secours est donc essentiel, mais l’état de panique que peut susciter la survenance d’un accident conduit certains témoins à oublier les gestes essentiels consistant tout simplement à alerter les secours ou à protéger le lieu de l’accident.
J’articulerai mon propos en trois temps : je montrerai tout d’abord que les dispositifs généraux de formation aux premiers secours ne permettent pas de former les conducteurs et qu’une formation spécifique leur est nécessaire ; je présenterai ensuite la proposition de loi, telle qu’elle résulte des travaux de la commission ; enfin, je répondrai à l’objection majeure, qui ne manquera pas d’être soulevée, relative au caractère réglementaire de cette proposition de loi.
En France, le niveau de formation aux premiers secours est faible et les dispositifs généraux de formation ne permettent pas de former efficacement les conducteurs. En effet, il n’existe qu’un dispositif général obligatoire de formation aux gestes de premiers secours : celui qui est organisé au bénéfice des élèves du premier et du second degré par la loi du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique et par la loi du 13 août 2004 de modernisation de la sécurité civile. Ces dispositions imposent de former les élèves à l’attestation de prévention et secours civiques de niveau 1. Cependant, 20 % seulement des élèves de troisième sont formés chaque année.
Dans le cadre du permis de conduire, aucune exigence de connaissance des gestes de secourisme n’est imposée aux candidats, même pour les permis de conduire professionnels. Il existe bien un référentiel, à destination des enseignants de la route ; ce « cahier des charges » impose aux enseignants d’apprendre aux candidats un certain nombre de comportements et de réflexes à avoir en cas d’accident de la circulation, mais aucune question à l’examen théorique ou pratique ne vient sanctionner cet enseignement.
Pour les permis de conduire poids lourds et de transport de personnes, des connaissances théoriques sont dispensées en matière de conduite à tenir en cas d’accident, pendant la formation initiale et professionnelle, là encore sans sanction.
Face à ce constat, de nombreuses initiatives parlementaires ont tenté de conforter l’état du droit existant.
La loi du 12 juin 2003 renforçant la lutte contre la violence routière a ainsi créé une obligation de sensibilisation des candidats aux permis de conduire à la formation aux premiers secours. Toutefois, en l’absence de décret d’application, cette obligation est restée lettre morte.
Plusieurs propositions de loi ont été déposées afin d’imposer une formation pratique aux gestes de premiers secours lors du passage du permis de conduire. Certaines, comme celle que notre collègue Jean-Pierre Sueur a déposée le 2 août 2007, ont eu pour objet d’intégrer une formation obligatoire aux premiers secours dans l’examen des permis de conduire de transport de personnes. D’autres propositions de loi ont eu pour objet d’instaurer cette obligation de formation pratique dans les épreuves du permis de conduire de catégorie B. La dernière en date a été déposée à l’Assemblée nationale par M. Bernard Gérard et plusieurs de ses collègues, le 23 août 2012. Elle a toutefois été rejetée le 11 octobre 2012.
J’observe que, dans de nombreux pays européens, une formation en matière de secourisme est un préalable obligatoire à l’obtention du permis de conduire. Cependant, ces formations ne sont jamais sanctionnées par un contrôle des connaissances intervenant à l’occasion du passage du permis de conduire. Il est simplement imposé aux candidats au permis de conduire de suivre une formation aux premiers secours, d’une durée variable, généralement de six heures à huit heures, comme en Allemagne ou en Autriche, ainsi que l’a rappelé M. Leleux.
J’en viens à la présentation de la proposition de loi, telle qu’elle a été amendée par la commission des lois.
La proposition de loi visait initialement à instaurer une troisième épreuve au permis de conduire pour sanctionner une formation aux « notions élémentaires de premiers secours », définies par le texte comme étant l’apprentissage de cinq gestes fondamentaux. Cette formulation posait deux types de difficultés pratiques.
En premier lieu, la création d’une épreuve supplémentaire spécifique est rapidement apparue comme un obstacle. En effet, créer une épreuve supplémentaire entraîne nécessairement un surcoût, même faible, qui pèsera in fine sur les candidats au permis de conduire. Or le coût de la formation au permis de conduire est évalué en France à près de 1 500 euros, un montant qui se situe certes dans la moyenne européenne, mais qui reste très élevé. Il semble difficile d’imposer une charge aux enseignants des auto-écoles sans que ceux-ci répercutent ce coût sur la formation dispensée. Si les candidats se forment auprès d’associations agréées, la formation leur sera également facturée.
Si la formation ne s’effectue pas au sein de l’auto-école, mais par le biais d’une association de secourisme, un nombre important de moniteurs de secourisme sera nécessaire pour former les candidats au permis de conduire.
Or, au regard des 900 000 candidats annuels au permis de conduire, imposer une formation supplémentaire entraînerait nécessairement un allongement très important des délais de passage du permis de conduire et saturerait les associations et les structures capables de délivrer cette formation.
En outre, on observe déjà une tendance à l’allongement des délais pour passer le permis de conduire : de 86 jours d’attente en moyenne en 2012, ce délai est d’environ 90 jours à 95 jours pour l’année 2013. Je souligne que l’obtention du permis de conduire est souvent une condition d’accès à l’emploi.
En second lieu, préciser dans la loi le contenu de la formation aux premiers secours pose des difficultés.
Les « cinq gestes qui sauvent » ont pu faire consensus au moment du lancement de ce programme dans les années 1970, mais, aujourd’hui, ventiler, c’est-à-dire pratiquer la respiration artificielle sur les blessés, est un geste plus contesté en cas d’accident de la circulation. Il est donc préférable de laisser au pouvoir réglementaire le soin de définir cette formation, de la faire évoluer aussi, en fonction des connaissances et des techniques nouvelles.
La commission des lois a par conséquent adopté un amendement visant à reformuler l’article unique de la proposition de loi pour imposer non plus une épreuve spécifique, mais une formation obligatoire aux notions élémentaires de premiers secours en cas d’accident de la circulation. J’insiste cependant sur un point : la connaissance des notions élémentaires aux premiers secours sera bien sanctionnée, mais elle le sera dans le cadre des épreuves existantes : lors de l’examen théorique, des questions pourront être posées et, lors de l’épreuve pratique, une mise en situation pourra permettre de vérifier les connaissances du candidat en la matière.
Je voudrais répondre maintenant à l’objection essentielle qui ne manquera pas d’être formulée, selon laquelle cette proposition de loi relève de la compétence du pouvoir réglementaire.
D’une part, le Conseil constitutionnel admet depuis sa décision du 30 juillet 1982 relative à la loi sur les prix et les revenus que la loi peut empiéter sur le domaine du règlement, sans être inconstitutionnelle. D’autre part, il arrive que le législateur intervienne dans le domaine réglementaire en toute connaissance de cause, en raison du caractère tout à fait politique ou symbolique de la disposition en cause.
Par exemple, la durée d’assurance requise pour pouvoir bénéficier d’une pension à taux plein est en principe de la compétence du règlement. Elle a été fixée par un décret du 27 août 1993 relatif au calcul des pensions de retraite, mais dans le cadre du projet de loi garantissant l’avenir et la justice du système de retraites, que le Sénat a examiné ces derniers jours, le Gouvernement a fait le choix de définir cette durée à l’article 2 de la loi. Ce choix se justifiait par la portée de cette disposition et par la nécessité d’un débat sur la question.
Sans présenter une telle portée, le principe général de formation aux notions élémentaires de premiers secours à l’occasion du permis de conduire pourrait être intégré dans la partie législative du code de la route, compétence étant laissée au pouvoir réglementaire pour définir le contenu de cette obligation.
Dans d’autres domaines, ayant trait eux aussi à la sécurité des personnes, la loi est intervenue pour faire respecter une obligation essentielle de sécurité : la nécessité d’équiper les logements d’un détecteur de fumées, par exemple, résulte de la loi du 9 mars 2010 visant à rendre obligatoire l’installation de détecteurs de fumée dans tous les lieux d’habitation ; les obligations en matière de sécurisation des piscines privées relèvent de la loi du 3 janvier 2003 relative à la sécurité des piscines.
Il existe donc plusieurs précédents et la présente proposition de loi s’inscrit dans la même logique : imposer une obligation dans la loi, afin de sauver des vies.