Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le texte dont nous débattons aujourd’hui intéresse les Français à un double titre.
Il les intéresse tout d’abord parce qu’il concerne le permis de conduire. En tant que ministre de la jeunesse, je sais l’importance de cette épreuve. Pour beaucoup de jeunes, le permis n’est pas une simple autorisation administrative ; il représente l’accès à l’indépendance, à la mobilité, à l’emploi. Finalement, le permis symbolise le passage à l’âge adulte.
Ce texte intéresse également nos concitoyens à un autre titre, plus tragique : il vise à sauver des vies qui, trop souvent encore, sont perdues dans des accidents de la circulation routière.
Je profite d’ailleurs de cette intervention, et le ministre de l’intérieur se joint à moi sur ce point, pour adresser un message de prudence, notamment aux jeunes conducteurs. En effet, 20 % des tués sur la route ont entre 18 ans et 24 ans.
En dix ans, vous l’avez dit, monsieur le sénateur, le nombre de morts sur la route a été divisé par deux : 3 653 personnes ont trouvé la mort sur la route en 2012, contre 7 242 en 2002. Le progrès est considérable, mais nous savons tous que nous ne devons pas relâcher nos efforts, que nous ne devons jamais baisser la garde.
Sauver des vies sur la route suppose bien sûr de prévenir et de réprimer les comportements dangereux au volant, qu’ils soient liés à la vitesse, à l’alcool ou à la drogue. Sauver des vies exige aussi, lors d’un accident, d’intervenir à temps, de connaître les bons gestes et d’avoir les bons réflexes.
Tel est précisément l’objectif du texte que vous avez présenté, monsieur Leleux. Sachez que le Gouvernement vise le même objectif que vous. En revanche, nous divergeons sur la façon d’y parvenir. Vous le savez, un texte très proche du vôtre a été examiné l’an passé par l’Assemblée nationale – j’avais d’ailleurs déjà eu l’occasion d’y travailler avec le ministre de l’intérieur. Les objections que je formulerai seront donc très proches de celles que nous avions opposées au député Bernard Gérard.
Je ferai tout d’abord une remarque juridique, revenant sur la conclusion de l’intervention de Mme la rapporteur : la proposition de loi initiale, avant qu’elle ait été amendée par la commission des lois, relève du domaine réglementaire, non du domaine législatif. Nous savons bien que cette limite entre les deux est parfois ténue et qu’elle est parfois difficilement compréhensible au regard de l’importance des enjeux. Elle est néanmoins constitutionnelle, et je sais que le Sénat est attaché à produire des lois qui respectent pleinement notre hiérarchie des normes.
Avec cet argument juridique, le Gouvernement ne cherche nullement à se défausser. Bien au contraire, il a pleinement conscience que les progrès, en la matière, relèvent de son entière responsabilité. Cette responsabilité est assumée et des progrès ont été accomplis, j’y reviendrai.
Sur le fond, le texte qui avait initialement été proposé à votre assemblée comportait également un certain flou quant aux modalités de mise en œuvre. S’il s’agissait réellement de créer une troisième épreuve de l’examen du permis de conduire, la surcharge de travail pour les inspecteurs du permis de conduire serait considérable et difficilement envisageable.
Je rappelle pour mémoire que l’allongement, en 2004, de la durée d’épreuve de la catégorie B du permis – on l’avait fait passer de vingt-deux à trente-cinq minutes – avait nécessité le recrutement de 195 inspecteurs supplémentaires.
Une troisième épreuve représenterait également un coût supplémentaire pour les candidats au permis ; or il est clair que l’accès à la conduite est financièrement difficile pour de nombreux jeunes.
L’exposé des motifs du présent texte précise que cette formation serait assurée par des associations de secourisme agréées, ce qui soulève au moins une autre interrogation : ces associations pourront-elles faire face à la masse que constituent les 900 000 candidats annuels au permis de catégorie B ?
Nous savons combien les délais d’attente au permis de conduire sont parfois pesants pour les candidats ; les nombreuses questions de parlementaires posées au ministre de l’intérieur sur ce sujet en témoignent. Il serait, me semble-t-il, inutile d’aggraver cet engorgement en créant une nouvelle file d’attente pour une troisième épreuve. En pratique, cet engorgement serait inévitable, les associations de secourisme agréées ne disposant pas aujourd’hui du maillage territorial suffisant pour assurer ces formations pour tous.
L’accès à la conduite est un enjeu essentiel pour de nombreux jeunes, je l’ai dit. Or des inégalités entre les candidats existent déjà, malheureusement, en raison du coût de la formation à la conduite ou des déplacements à effectuer pour aller passer les épreuves du permis ; inutile d’y ajouter des inégalités territoriales !
Une dernière objection peut être opposée à votre proposition de loi, monsieur Leleux. Elle concerne le contenu même de la formation que vous appelez de vos vœux. Certes, l’intitulé de cette proposition n’évoque plus les « cinq gestes qui sauvent », mais ceux-ci sont expressément mentionnés dans l’exposé des motifs. Or, comme l’a noté fort justement Mme la rapporteur, cette formation ne fait plus consensus. Les « cinq gestes qui sauvent » regroupent des actes de nature très différente : d’un côté, des actes faciles à réaliser sans compétence particulière, comme « alerter les secours, baliser les lieux et protéger les victimes, sauvegarder les blessés de la route en détresse » ; de l’autre, des actes de secourisme tels que « ventiler par bouche à bouche » ou « comprimer une hémorragie externe ». Le médecin que je suis aussi sait bien que ces gestes ne peuvent être mis sur le même plan.
Comme l’ont rappelé les professionnels de la sécurité civile lors des auditions auxquelles Mme la rapporteur a procédé, la ventilation par le bouche-à-bouche peut, par exemple, entraîner des manœuvres préjudiciables dans le cas de victimes chez qui on est en droit de suspecter un traumatisme du rachis. Quant aux hémorragies, on constate, depuis la mise en place des « cinq gestes », qu’elles se révèlent le plus souvent internes, du fait même de l’amélioration des mesures de sécurité et de sûreté des véhicules, notamment l’installation des airbags.
Bref, nous devons évidemment prendre en compte la réalité des blessures causées par les accidents de la circulation.
Ces objections de fond avaient conduit le Gouvernement à s’opposer à la proposition de loi du député Bernard Gérard. Pour les mêmes raisons, il émet de semblables réserves sur le dispositif initialement proposé par le sénateur Jean-Pierre Leleux.
Néanmoins, le ministre de l’intérieur s’était engagé devant les députés à prendre des mesures concrètes pour faire progresser la sensibilisation à ces problématiques. Ces engagements ont été tenus.
Pour ce qui concerne la formation, tout d’abord, le programme national de formation à la conduite, destiné aux enseignants du permis, sera revu en 2014. Dans ce cadre, la formation aux comportements à adopter en cas d’accident doit être renforcée. Ainsi, l’arrêté du 13 mai 2013 relatif au référentiel pour l’éducation à une mobilité citoyenne, qui entrera en vigueur le 1er juillet 2014, développe et renforce le contenu de cette sensibilisation. Le nouveau livret d’apprentissage pour la catégorie B, qui entrera en vigueur à la même date, va également dans ce sens.
Pour ce qui concerne les candidats au permis de conduire, ensuite, vous avez rappelé, madame le rapporteur, que certains députés s’étaient interrogés sur l’absence de décret d’application de l’article 16 de la loi du 12 juin 2003 – votée voilà tout de même dix ans, donc ! – renforçant la lutte contre la violence routière. Cet article dispose que les « candidats au permis de conduire sont sensibilisés dans le cadre de leur formation aux notions élémentaires de premiers secours ».
La mesure réglementaire en question, qui doit modifier l’article R. 213-4 du code de la route, figure dans un projet de décret portant diverses dispositions en matière de sécurité routière qui est actuellement soumis à la concertation. Ce décret devrait être transmis au Conseil d’État d’ici à la fin de l’année.
Enfin, des questions du type « que faire en cas d’accident ? » sont déjà présentes dans la banque de questions de l’épreuve théorique que l’on appelle couramment « le code ». Il s’agit désormais de renforcer ce thème : ce sera fait dans le cadre de la rénovation de cette banque de questions, à laquelle il sera procédé dans le courant de l’année 2014.
Madame la rapporteur, vous partagez, je crois, l’essentiel des objections que j’ai formulées dans la première partie de mon propos. Vous reconnaissez aussi les progrès accomplis. Il vous a néanmoins semblé nécessaire d’aller plus loin. Le dispositif que vous nous présentez aujourd’hui a le mérite d’éviter l’écueil d’une troisième épreuve du permis de conduire.
Il s’agit, plus simplement, d’instituer une obligation de formation aux notions élémentaires de premiers secours. La commission des lois s’est rangée à l’unanimité à cette proposition. J’en reconnais la simplicité. L’article unique que vous proposez n’entre pas dans les détails de cette formation, dont votre rapport écrit esquisse les grands traits.
Vos objectifs, madame la rapporteur, sont également ceux du Gouvernement. Au demeurant, ils sont déjà partiellement satisfaits : je pense au programme de formation à la conduite pour les enseignants ou à l’inclusion de questions sur ce thème dans l’épreuve théorique. Bien sûr, ces mesures peuvent encore être renforcées et les dispositions pratiques que vous proposez devront être étudiées sérieusement.
Pour autant, la difficulté juridique demeure, ce que vous admettez d’ailleurs dans votre rapport. La détermination du contenu de la formation à la conduite reste une compétence réglementaire. Mais le Gouvernement prend note de la volonté unanime de la commission des lois du Sénat de voir cette obligation inscrite dans la loi. Il en comprend d’autant mieux les motivations que nous les partageons tous puisqu’il s’agit de sauver des vies. Il s’en remettra donc à la sagesse de votre assemblée. §