Intervention de Pierre Hérisson

Commission des affaires économiques — Réunion du 20 novembre 2013 : 1ère réunion
Loi de finances pour 2014 — Mission « économie » - examen du rapport pour avis

Photo de Pierre HérissonPierre Hérisson, rapporteur pour avis :

Effectivement Monsieur le Président, et je le ferai en deux temps : tout d'abord, une analyse des évolutions budgétaires pour 2014, puis quelques développements sur les problématiques actuelles du secteur des communications électroniques, à savoir le déploiement de la fibre et de la 4G.

Mais je voudrais en introduction souligner que nous allons vivre, l'année prochaine, un bouleversement des secteurs des télécommunications et de la poste. Certains opérateurs sont à bout de souffle, d'autres profitent d'un marché très changeant. L'insuffisance de règles d'encadrement européennes en ce domaine se fait sentir.

Je porte à votre connaissance le fait que le gouvernement australien vient de céder l'intégralité de ses participations dans l'opérateur historique des communications électroniques, afin de financer le déploiement de la fibre sur l'ensemble du territoire. Et que la Nouvelle-Zélande et le Canada ont mis fin à la distribution du courrier à domicile, les usagers devant désormais aller le chercher au bureau de poste le plus proche ...

J'en reviens à l'analyse budgétaire, qui porte tout d'abord sur les actions 0 et 13 du programme 134. Elles correspondent à des sommes relativement faibles - 215 millions d'euros - au regard du poids du secteur dans la richesse nationale.

L'action 04 « Développement des télécommunications, des postes et de la société de l'information », qui voit ses crédits reculer de 33,7 %, à 194,8 millions d'euros, finance plusieurs dépenses :

- une dotation de 33,8 millions d'euros à l'Agence nationale des fréquences (ANFR). Cette enveloppe est en baisse de 2,8 % cette année, après avoir déjà diminué de 3 % l'an passé. Cela est préoccupant à l'heure où les missions de l'ANFR se diversifient : l'Agence doit notamment gérer les problèmes de réception de la télévision numérique terrestre (TNT) dus à la proximité de fréquence de la 4 G ; elle doit par ailleurs intégrer, au 1er janvier, la mission « très haut débit » supervisant le déploiement de la fibre ;

- la compensation par l'État des surcoûts liés à la mission de service public de transport postal de La Poste, qui s'élève à 150,1 millions d'euros. Cette compensation avait été transférée, l'an passé, à la mission « Médias » ; elle est aujourd'hui réintégrée dans la mission « Économie », dans cette action 04 ;

- le remboursement de La Poste pour l'acheminement réalisé en franchise postale, pour 1,5 millions d'euros ;

- des subventions attribuées par la France à divers organismes internationaux, dont l'Union postale universelle et la Conférence européenne des postes et télécommunications, pour 9,5 millions d'euros.

L'action 13 « Régulation des communications électroniques et des postes » est quasi stable, à 22,9 millions d'euros ; elle finance l'ARCEP. Hors dépenses de personnel, les crédits de l'Autorité ont diminué de 15 % au cours des cinq dernières années. Et le cycle budgétaire 2013-2015 programme une baisse significative de ses crédits de fonctionnement sur l'exercice, conformément à l'effort demandé à toutes les administrations de l'État.

Comme l'année passée, nous attirons à nouveau l'attention sur les limites d'une telle régulation. L'ARCEP a anticipé ces évolutions en réduisant de 21 % ses frais de fonctionnement depuis 2009. Mais elle arrive aujourd'hui « dans le dur », comme nous l'avait déjà dit son président, M. Jean-Ludovic Silicani, l'année dernière. Les budgets d'étude et ceux affectés aux enquête de vérification de la couverture mobile risquent fort d'être diminués. Ce sont donc les capacités du régulateur à connaître le marché, et par conséquent à y intervenir en encadrant ses acteurs, qui sont désormais remises en cause.

Enfin, pour en finir avec l'analyse budgétaire, quelques mots du programme n° 407, « Économie numérique », qui est un « nouveau venu » dans cette mission. Bénéficiant d'une enveloppe importante de 565 millions d'euros, il met en oeuvre des crédits mobilisés au titre du « PIA ». Il comporte deux actions :

- la première, dotée de 215 millions d'euros, vise au développement de « quartiers numériques ». Elle est portée par la Caisse des dépôts et consignations ;

- la seconde, à hauteur de 350 millions d'euros, tend à soutenir, plus largement, les « usages et technologies du numérique ». Elle est prise en charge par la BPI.

Je voudrais à présent vous dire quelques mots du déploiement des réseaux de communications électroniques du futur : fibre pour le fixe, 4G pour le mobile. En sachant qu'un « mix technologique », intégrant d'autres supports de transmission, sera indispensable pour obtenir une couverture satisfaisante du territoire dans des délais raisonnables. La ministre en charge de l'économie numérique, Mme Fleur Pellerin, semble l'avoir compris, et je m'en réjouis.

S'agissant de la fibre, pour commencer, je vous rappelle que l'ancien plan national très haut débit, le PNTHD, a été remplacé au printemps par un plan France très haut débit (PFTHD).Très ambitieux, il vise une couverture intégrale du territoire en très haut débit d'ici une dizaine d'années.

Avec notre collègue Yves Rome, de la commission du développement durable, nous avions remis au mois de mars un rapport plaidant pour un « triple play » gagnant du très haut débit. Certaines de nos orientations ont été suivies dans le nouveau plan, et nous nous en félicitons, même si des zones d'incertitude demeurent encore.

Les schémas directeurs territoriaux d'aménagement numérique, les fameux SDANT, sont désormais bien lancés, après des débuts difficiles. Sur les 98 départements qui se sont engagés dans leur élaboration, 80 les ont même achevés aujourd'hui. Je tiens à citer à cet égard l'exemple emblématique du département de la Haute-Marne, présidé par notre collègue Bruno Sido, qui procède à une expérimentation en recourant à une mise en régie de la desserte en fibre optique.

Le cadre règlementaire a été arrêté par l'ARCEP. Si les contraintes qu'il a fait peser sur les opérateurs en termes de mutualisation ont retardé leur déploiement, ces derniers n'en ont pas moins conclu des accords de cofinancement.

Certes, les Français sont encore loin d'être tous raccordés, mais les taux de souscription au très haut débit progressent sensiblement : + 22 % sur un an, avec 1,8 millions d'abonnés au deuxième semestre.

Pourtant, des interrogations demeurent sur le financement du dispositif, notamment. Interrogations que nous avions soulevées dans notre rapport précité.

La « feuille de route » présentée par le Gouvernement au printemps table sur un besoin total de financement de 20 milliards d'euros ; or, cela constitue la fourchette basse des projections réalisées par les spécialistes, qui vont jusqu'à 37 milliards. Ensuite, le Gouvernement annonce une taxe sur les communications électroniques qui n'apparaît pas dans le projet de loi de finances ; or, elle est censée représenter la majeure source de financement provenant de l'État. Enfin, il reste elliptique sur les moyens de financement des collectivités, dont 3 milliards d'euros sont attendus ; notamment, il ne clarifie pas la façon dont serait alimenté le Fonds d'aménagement numérique des territoires (FANT), fonds spécialement créé par la loi du 17 décembre 2009 relative à la lutte contre la fracture numérique, dite « loi Pintat », en vue de soutenir l'intervention des collectivités pour le financement des réseaux numériques à très haut débit.

Quelques mots pour finir sur le déploiement du réseau très haut débit mobile, cette fois : la 4G. Le groupe d'études « communications électroniques et poste », que je copréside avec notre collègue Michel Teston, a auditionné les quatre opérateurs nationaux au mois de septembre dernier. Ces derniers investissent fortement depuis 2012 dans le déploiement de leurs réseaux mobiles 4G. Ils ont, à l'exception de Free Mobile, déjà ouvert commercialement leurs services 4G, pour 35 à 60 % de la population. Et Free déploie son réseau intégré de sites 3G/4G, sans donner de date de commercialisation. On peut toutefois s'attendre à ce que l'opérateur propose à nouveau une offre fracassante, ce qui devrait reposer la question de l'équilibre entre l'intérêt des consommateurs à bénéficier de tarifs bas et celui des opérateurs à pouvoir investir.

Vous avez sûrement vu les publicités pour la 4G, et peut-être certains d'entre vous y sont déjà abonnés ? Ce réseau très haut débit mobile, c'est une qualité de service inégalée pour les usages nomades. Et ce, à terme, sur une majeure partie du territoire. La bande des 800 MHz, ou « fréquence en or », possède en effet des propriétés de propagation exceptionnelles. De plus, et du fait de la « loi Pintat », le déploiement doit avoir lieu concurremment en zones denses et en zones peu denses, grâce notamment à des accords de mutualisation. Ce principe, toutefois, n'est pas respecté, ce qui a été signalé à la ministre ; les contrôles doivent être plus stricts sur ce point.

Certains obstacles à un déploiement massif et rapide de la 4G devront être surmontés.

Les opérateurs devront amortir les 3,6 milliards d'euros qu'ils ont déboursés pour obtenir les fréquences 4G. Et ce alors que l'arrivée de Free leur a « fait beaucoup de mal », en tirant les marges vers le bas. Et alors, surtout, qu'ils devront à nouveau réinvestir des montants très importants pour le « deuxième dividende numérique », la bande des 700 MHz. Une problématique que connaît bien notre collègue Bruno Retailleau.

Par ailleurs, les problèmes de brouillage sur la bande des 800 MHz, proche de la TNT, devront être résolus. Toutefois, l'expérimentation menée à Saint-Etienne semble plutôt rassurante sur ce point.

Enfin, la demande devra suivre pour tirer le marché. Comme pour la fibre, restent encore à inventer les nouveaux usages, les « killing applications » de demain, qui rendront indispensables d'être connecté en permanence à 100 Mbit/s.

Pour conclure, et en revenant à La Poste, je tiens à souligner l'importance d'une pérennisation de la dotation du fonds postal national de péréquation territoriale, qui s'élève à 170 millions d'euros, et ce alors que l'ARCEP a chiffré à 250 milliards d'euros le coût de la couverture du territoire par le groupe.

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