Intervention de Élisabeth Lamure

Commission des affaires économiques — Réunion du 20 novembre 2013 : 1ère réunion
Loi de finances pour 2014 — Mission « économie » - examen du rapport pour avis

Photo de Élisabeth LamureÉlisabeth Lamure, rapporteur pour avis :

Je vous présente les crédits de la mission économie consacrés au commerce extérieur dans le projet de lois de finances pour 2014. J'articulerai mon exposé en deux temps. Tout d'abord, il s'agit d'analyser ces crédits de façon précise et réaliste tout en essayant de mieux cadrer leurs enjeux et leurs limites. Cela débouche sur un premier constat : au moment où notre appareil de soutien aux exportateurs fait l'objet de critiques assez sévères, en réalité il se réforme pour optimiser ses moyens en sévère contraction.

En second lieu, et comme de coutume, le commentaire de ces crédits s'accompagne d'un diagnostic sur notre commerce extérieur et de recommandations. Je souligne d'emblée une évidence qui ne se dégage pas clairement dans le flot des documents et informations budgétaires : les quelques 100 millions de crédits que nous examinons représentent à peine deux millièmes de notre déficit extérieur, qui s'élève à 67 milliards d'euros (soit environ 3,5 % du PIB) et de l'ordre du dix millième du volume des exportations (environ 20 % de notre PIB). Il ne faut donc pas surestimer l'impact de ces crédits mais, en même temps, l'accompagnement qui est ainsi financé a une importance humaine fondamentale : au cours des auditions, on nous a cité l'exemple de dirigeants de PME dont le moral est peu à peu miné parce qu'ils sont entrés en relation, dans certains pays, avec des clients ou des correspondants peu recommandables.

Par ailleurs, les périodes de restriction budgétaire ont le mérite de stimuler la réflexion sur les moyens pour la France d'anticiper la nouvelle donne économique mondiale qui se profile dans les années à venir. C'est le principal message de la seconde partie du rapport qui dresse un bilan de l'évolution de notre déficit et des stratégies pour mieux anticiper les mutations de l'économie mondiale. L'État doit ici pleinement jouer un rôle de stratège et de soutien : je signale, par exemple, que nos entrepreneurs confrontés à la concurrence chinoise en Afrique témoignent qu'ils ont eu l'impression de lutter non pas seulement contre d'autres entreprises mais contre le déploiement de toute la puissance du Gouvernement Chinois.

Première question : que représentent et à quoi servent les 100 millions de crédits que nous examinons ? Le rapport répond en trois temps à cette interrogation.

Tout d'abord, il constate la contraction générale des crédits de soutien à l'exportation pour 2014. Vous trouverez au rapport écrit une vue générale des outils et des crédits d'État. Ces derniers s'élèvent à 342 millions d'euros pour 2014, contre 354 en 2013, ce qui correspond à une baisse de 3,5 %. Par ailleurs, les régions consacrent à ce même objectif environ 65 millions d'euros chaque année. Cette dépense reste globalement maîtrisée puisque, comme l'ont confirmé à votre rapporteure les représentants de la Coface, ce coût est plus que compensé par des recettes non fiscales, à hauteur de 650 millions d'euros, correspondant à la récupération des créances détenues par la Coface et Natixis.

Dans cet ensemble, les crédits de la mission « Économie » consacrés au commerce extérieur, qui font, stricto sensu, l'objet du présent rapport, se limitent à deux actions du programme 134 intitulé « Développement des entreprises et du tourisme ». Leur montant total - identique en autorisations d'engagement et en crédits de paiement - s'élève, dans le projet de loi de finances pour 2014, à 124 millions d'euros qui se décomposent en :

- 98 millions d'euros, contre 103,9 en 2013 - en diminution de 6 % - au titre de l'action 07 « Développement international des entreprises », qui couvre les dépenses de l'Agence française pour le développement international des entreprises, Ubifrance ;

- et, pour le reste, soit 26 millions d'euros en diverses lignes de crédits rassemblés dans l'action 20 intitulée Financement des entreprises et de l'attractivité du territoire. Ces sommes financent essentiellement l'Agence française pour les investissements internationaux, mais également des bonifications accordées à des prêts en faveur des PME.

Comme vous le savez, il n'est pas simple de comparer les chiffres d'une année sur l'autre car le périmètre des actions est souvent modifié, et on voit apparaitre des dotations ponctuelles : ainsi, pour 2014, les crédits de l'action 20 incorporent une dotation du budget général d'un montant de 25 millions d'euros pour abonder les fonds de garantie gérés par Bpifrance financement.

Deux principales observations peuvent être faites sur ces crédits pour 2014. D'une part, on constate donc une contraction des crédits de ces actions à périmètre constant, alors même que la priorité affichée pour le commerce extérieur dans le projet de loi de finances pour 2013 n'était pas aisément démontrable en raison d'un certain éparpillement des crédits budgétaires. D'autre part, dans le bleu budgétaire pour 2014, l'« efficience du dispositif d'Ubifrance » de soutien aux entreprises à l'exportation est mesuré par un indicateur qui a décliné : de 19 en 2011, à 13,6 en 2013, les prévisions pour 2014 s'établissant à ce même niveau. Or on constate que cet indicateur d'efficacité se définit essentiellement comme le ratio du nombre annuel d'interventions d'Ubifrance sous forme d'accompagnements rapporté au nombre d'agents d'Ubifrance. Un tel système de mesure est critiquable : il suffit de faire observer qu'une explosion du nombre de réunions ferait mécaniquement grimper l'indicateur vers des sommets, quelqu'en soit l'efficacité ultérieure en matière économique. Je m'interroge sur cette méthode et l'audition des représentants d'Ubifrance a permis de préciser que des sondages réalisés par des organismes indépendants permettent également de mesurer si, selon l'entreprise, l'accompagnement par Ubifrance a déclenché ou favorisé un courant d'affaires nouveau. Je vous propose donc de suggérer qu'il est peu cohérent de maintenir un indicateur qui pourrait favoriser la « réunionite » au moment même où les entreprises ont fait savoir qu'elles attendent des dispositifs publics des résultats et pas seulement un déploiement de moyens. Par ailleurs, Ubifrance, conformément à l'objectif qui consiste à faire émerger 1 000 nouveaux acteurs de l'exportation, est incité par le Gouvernement non pas à multiplier ou à « saupoudrer » les accompagnements mais à les cibler et à les concentrer de façon efficace.

Dans un second temps, je dresse un rapide bilan des critiques adressées aux dispositifs de soutien des exportations. La synthèse la plus récente de ces critiques a été établie en juillet 2013 par le rapport d'information de nos collègues députés MM. Jean-Christophe Fromantin et Patrice Prat, au nom du comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques sur l'évaluation du soutien public aux exportations. Seulement 10 % des entreprises exportatrices utilisent des mécanismes de soutien pilotés par l'État, ce ratio n'intègrant pas les dispositifs régionaux : il s'agit, pour l'essentiel des accompagnements Ubifrance, avec 9 295 nouvelles entreprises aidées en 2012, et du recours à l'assurance prospection, qui a également bénéficié à 1 873 nouvelle entreprises en 2012.

De son côté, le réseau CCI International revendique 20 000 contacts de PME différentes pour un appui à l'export en France en 2012 et l'accompagnement annuel de 3 000 primo exportateurs ainsi que 3 000 entreprises à fort potentiel qui font partiellement doublon avec les bénéficiaires des dispositifs étatiques.

En revanche, l'assurance-crédit ne concerne que quelques centaines d'entreprises par an et sa concentration financière est particulièrement élevée puisque trois entreprises mobilisent 46 % des encours, soit 27,6 milliards d'euros.

Cette proportion minime est d'autant plus notable que le nombre d'entreprises exportatrices françaises (119 000 en 2012) est faible par rapport à l'Allemagne (de l'ordre de 300 000) ou à l'Italie (200 000).

Interrogés sur les raisons de ce faible intérêt, par voie de sondage en février 2013, les chefs d'entreprise qui exportent répondent qu'ils jugent le système français de soutien à l'export peu ou pas efficace (61 %), peu ou pas compréhensible (66 %) et peu ou pas adapté au contexte économique actuel (67 %). En conséquence, 78 % d'entre eux se chargent eux-mêmes de la commercialisation de leurs produits à l'exportation. De même, les chefs d'entreprise estiment inefficace à 58 % le soutien à l'exportation dans une enquête d'Ernst Young de février 2013 consacrée aux aides publiques aux entreprises. En revanche, le soutien à l'innovation jugé efficace à 71 %, le soutien à l'investissement étant pour sa part jugé inefficace à 74 %.

Face à ce désaveu, la stratégie des pouvoirs publics ne doit vraisemblablement pas consister à faire du chiffre en s'évertuant à intégrer davantage de TPE ou PME, qui n'en ont pas les moyens, dans une démarche d'exportation. Au regard de la concentration des chiffres des exportations (2,5 % des entreprises sont à l'origine de 43 % des exportations et les ETI, c'est-à-dire, 8 % des entreprises représentent 30 % des exportations), il est préférable de se focaliser sur l'identification des entreprises à fort potentiel afin de les aider à mettre en place ou consolider une stratégie de moyen terme à l'exportation.

L'accompagnement des 1 000 ETI et PME de croissance identifié par le pacte de compétitivité correspond à cette orientation qui doit être assignée aux différents acteurs du soutien à l'export. La marge de progrès sur ce segment est importante car la moitié des ETI françaises ne sont pas exportatrices et, parmi les ETI exportatrices, 40 % réalisent moins de 10 % de leur chiffre d'affaires à l'export. Je souligne que ces sondages et ces diagnostics rejoignent les remontées de terrain que je constate, en particulier dans ma région.

Cependant, à la lumière des auditions, je crois utile de relativiser ces critiques. En particulier, j'ai longuement entendu les représentants d'Ubifrance et j'estime que nous devons rendre justice aux efforts consentis par cette agence. Deux remarques à ce sujet, en commençant par la plus générale : je l'ai dit en introduction, les quelques 400 millions d'euros de crédits de soutien en question représentent moins d'un millième de la valeur des exportations de notre pays et les montants les plus importants sont concentrés sur quelques opérations de grande ampleur. Dans ces conditions, rechercher ou suggérer une quelconque « responsabilité » d'Ubifrance dans l'aggravation de nos déficit serait particulièrement absurde puisque l'Agence accompagne des PME, qui nous l'avons vu, représentent une part infime des exportations. Notre déficit commercial est, en effet, avant tout le révélateur d'une compétitivité insuffisante, ce qui relève de facteurs bien plus puissants que les dispositifs spécifiques de soutien à l'exportation.

Ma seconde remarque porte sur la gestion et la réorganisation de l'Agence Ubifrance. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : sa dotation budgétaire a diminué de 10 % depuis 2012, ses frais de fonctionnement, hors personnel, ont été réduits de 30 % depuis 2009 et ses effectifs expatriés de droit français ont diminué du quart depuis deux ans. En particulier, le représentant d'Ubifrance a souligné que le nombre de cadres expatriés français avait été diminué de moitié et que les effectifs ont étés particulièrement réajustés dans les pays où le niveau de vie est le plus élevé, avec un redéploiement dans les pays émergents.

Je m'arrête un instant sur ce point : faute de moyens, il semble donc que la baisse du nombre de fonctionnaires a été compensée par des recrutements de contractuels locaux, rémunérés en devise locale et selon des standards locaux. Or il semblerait que ce recours à ces contractuels locaux très proches de la réalité de terrain permette à Ubifrance de détecter des signaux et des opportunités économiques, de manière encore plus efficace qu'avant. Sans en tirer de conclusions hâtives, il nous faudrait peut-être méditer sur cet exemple qui témoigne que l'augmentation des moyens n'est pas toujours l'alpha et l'oméga de l'efficacité et que la diminution du nombre de fonctionnaire réduit la dépense publique.

Malgré ce relatif désengagement de l'État, Ubifrance a maintenu ses missions. A mon sens, l'essentiel dont j'ai dit un mot en introduction, n'est pas mesurable : alors que les grandes entreprises disposent d'une logistique impressionnante à l'exportation, les ETI et les PME sont confrontés à des risques importants de désillusion et de chausse-trappe. Ubifrance peut ici jouer un rôle d'alerte et de mise en relation avec des correspondants fiables et c'est ce dont ont besoin nos entrepreneurs pour éviter les situations cauchemardesques dans les pays émergents ou ailleurs.

Ma conclusion est que tout en prenant acte des critiques justifiées de nos dispositifs de soutien trop souvent redondants, il nous faut éviter de saper le moral de nos opérateurs qui ont consenti des efforts considérables et qui ont une connaissance fine du terrain. Il faut, bien au contraire, utiliser leurs intuitions et leur vision de terrain pour anticiper les opportunités et les transformations rapides de l'économie mondiale.

Ce thème fait l'objet du second volet du rapport également consacré au suivi de notre commerce extérieur. Je me limiterai à trois rapides observations.

Tout d'abord, notre déficit commercial après un montant record de 73 milliards d'euros en 2011 a été réduit à 67 milliards en 2012 et avoisinera probablement 60 milliards en 2013. La séquence chiffrée est plutôt rassurante mais les mécanismes sous-jacents le sont moins : c'est, en effet, la contraction de la demande intérieure et de nos importations qui explique la réduction du déficit, et non pas la hausse de nos exportations. Un phénomène similaire est observé dans de nombreux pays : par exemple, au premier semestre 2013, l'Allemagne a enregistré l'un de ses plus importants excédents commerciaux semestriels de ces dix dernières années avec un recul plus prononcé de ses importations (-2 %) que des exportations (-1 %). D'ailleurs, le repli des exportations allemandes a été particulièrement prononcé en direction de la zone euro et surtout de la France (-5 %), ce qui confirme l'analyse précédente.

S'agissant des indicateurs de notre commerce extérieur, j'avais, l'an dernier, évoqué l'un des principaux « combats » de Pascal Lamy, ancien directeur général de l'OMC, pour une mesure plus intelligente du solde des échanges. Je rappelle, en effet, que l'achat d'un Iphone par un américain aggrave le déficit de son pays, car les douanes enregistrent un transfert entrant en provenance de la Chine où sont fabriqués ces objets. Pour autant, cet achat est bénéfique pour les entreprises américaines qui capturent la valeur ajoutée du produit. Je note que nos collègues députés ont placé cette suggestion à la première place de leurs recommandations en juillet dernier, en prenant l'exemple allemand de la Porsche Cayenne dont 90% des composants sont importés. Je vous suggère donc de renouveler notre souhait auprès du Gouvernement, même si cela vient nuancer ou contredire un certain nombre de postures prises par certains de ses membres, ce qui a d'ailleurs conduit ce même directeur général de l'OMC à se demander si le GPS de la France n'était pas un peu déréglé en matière économique. Les stratégies de progrès adaptées au monde d'aujourd'hui et de demain ne peuvent plus se contenter d'instruments de mesure du dix-neuvième siècle.

Quelques mots enfin sur les orientations stratégiques.

Tout d'abord, comme le souligne l'OMC dans son dernier rapport, en 2020, 30 % des classes moyennes seront issues des pays émergents. Or il s'agit là de nouveaux clients extrêmement séduits par la France et ses produits. On perçoit une immense attente, en particulier en Inde et au Brésil, qui contraste avec une certaine morosité ambiante dans notre pays qui a besoin de retrouver confiance en lui-même.

Ensuite, les exportateurs, à commencer par les PME, connaissent de sérieux obstacles pour l'accès au financement à l'exportation. A la lumière des auditions, je suis réservée sur la reconstitution d'un établissement financier spécifiquement axé sur le financement à l'exportation, tout simplement parce que ce modèle ne fonctionne à peu près dans aucun grand pays exportateur. Les solutions sont plutôt à rechercher du côté des garanties de refinancement qui permettent aux banques de réduire à zéro le risque de prêt à l'exportation. Cette garantie à 100 % de paiement inconditionnelle à première demande à l'organisme refinançant un crédit export assuré par la COFACE existe en Allemagne et est en cours d'adoption aux Pays-Bas. Elle a fait l'objet d'une disposition spécifique de la loi du 29 décembre 2012 de finances rectificative pour 2012, mais il a fallu attendre mai 2013 pour la publication du décret d'application. Nous suivrons attentivement l'utilisation de ce mécanisme, même si cela ne rentre pas directement dans le champ de nos investigations budgétaires.

Je termine en attirant votre attention sur les recompositions de l'économie mondiale. Comme le rappelle l'OMC, pour la première fois de l'histoire du monde, en 2012 la production des pays en développement a dépassé celle des pays développés « dits riches ».

Vous vous souvenez sans doute à quel point la thèse du déplacement du centre de gravité de l'économie-monde vers l'Asie-Pacifique avait marqué les esprits. Aujourd'hui, on nous annonce que « le 21e siècle sera africain ». La démographie va effectivement dans ce sens et les nouvelles technologies, en particulier le téléphone portable, doivent permettre à l'Afrique de bruler ce que l'on appelait les étapes du développement. Un des signes de cette évolution est, par exemple, qu'aujourd'hui, l'Angola serait le premier pays du monde en termes d'utilisation du téléphone mobile comme moyen de paiement. La France a cependant eu tendance à se désengager de l'Afrique au cours des vingt dernières années pour essayer, avec un succès limité, de conquérir les marchés asiatiques. Pendant ce temps, la Chine prenait pied en Afrique avec énergie. On nous indique qu'il y a aujourd'hui un créneau porteur pour la France : la Chine aurait, en effet, développé des infrastructures de façon très rapide en Afrique mais avec des normes de qualité parfois jugées insuffisantes. Il y a donc un relai possible pour l'économie française. Les stratèges du commerce extérieur ont, en même temps, souligné qu'il convenait de surveiller attentivement le moment où des pays comme l'Algérie s'ouvriraient. Vous trouverez sur ce point, au rapport écrit, quelques éléments sur ce pays très solide financièrement.

Notre ministre du commerce extérieur semble influencée par ces perspectives et il convient effectivement d'organiser une veille stratégique adaptée. Cependant, je rappelle que d'autres pays de la zone euro, comme l'Allemagne ou la Suède, donnent l'exemple de la voie royale de la compétitivité en réduisant à la fois la conflictualité des relations de travail et les dépenses publiques ainsi que les réglementations superfétatoires.

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