Je vais vous présenter, pour le deuxième exercice, les crédits de la MIRES, la mission interministérielle « recherche et enseignement supérieur ».
Je me propose de vous exposer les grandes orientations du budget pour 2014, puis d'approfondir deux sujets sur lesquels j'ai fait porter mes auditions : l'Agence nationale de la recherche et le crédit d'impôt recherche, notamment pour ce qui est de ses modalités de contrôle.
Le budget de la MIRES atteint pour la première fois les 26 milliards d'euros. C'est un budget de consolidation, en hausse très légère de 0,44 %. Dans le contexte actuel de contrainte des finances publiques, et de recul de la majorité des autres budgets ministériels, cette stabilisation est à souligner. Ainsi, la MIRES constitue toujours le troisième budget de l'Etat, derrière l'enseignement scolaire et la défense.
Ce constat plutôt rassurant, à première vue, doit toutefois être relativisé à plusieurs égards.
Tout d'abord, la part consacrée à la recherche, qui intéresse notre commission, n'est pas la mieux lotie : avec presque 14 milliards d'euros, elle est en baisse de 0,55 % par rapport à l'exercice précédent. C'est en fait, comme l'année passée, la réussite étudiante qui est la grande priorité.
Cette contraction de l'enveloppe « recherche » se retrouve, logiquement, dans les subventions allouées aux grands organismes. Ceux que j'ai pu auditionner ou questionner m'ont fait part de la situation « limite » dans laquelle ils se trouvaient. Leur dotation d'État est en recul : - 0,2 % pour l'Institut national de recherche agronomique (INRA), - 0,4 % pour le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), - 0,64 % pour l'Institut national de recherche en informatique et en automatique (INRIA), - 1,1 % pour le Centre national d'études spatiales (CNES) ... Le problème est que ces baisses, certes limitées, se rajoutent aux autres baisses des années précédentes pour constituer finalement des « coupes » sensibles. L'IFP - Énergies nouvelles (IFP-EN), par exemple, a vu ainsi sa dotation reculer de 34 % depuis une dizaine d'années ; il est aujourd'hui « à l'os », pour reprendre son expression. Comme par ailleurs l'Institut français des sciences et technologies des transports, de l'aménagement et des réseaux (IFSTTAR), qui craint même de se retrouver en cessation de paiement si cette tendance se poursuit !
Or, la situation de ces organismes risque de s'aggraver, du fait des mises en réserve demandées à l'ensemble des opérateurs de l'État, au nom de la maitrise des finances publiques. D'une part, ces taux ont augmenté cette année : stables pour la masse salariale, à 0,5 %, ils passent de 6 à 7 % pour les autres dépenses. Si leur réduction de moitié avait été finalement décidée l'année passée, l'arbitrage n'a pas encore été rendu pour cet exercice. Aussi plusieurs organismes - IFP-EN et IFSTTAR, mais aussi Institut national de l'environnement industriel et des risques (INERIS) et Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) - ont-ils demandé conjointement au Gouvernement de prendre des résolutions en ce sens. Sachant qu'ils ne seront pas à l'abri d'un gel supplémentaire en cours d'exercice, comme cela est arrivé à l'IFSTTAR en 2013, ce qui les mettrait alors dans une situation budgétaire plus que délicate.
Comment les organismes gèrent-ils ce retrait des dotations d'État ? Ceux qui le peuvent s'adaptent et tentent de diversifier leurs moyens de financement. Soit en augmentant leurs ressources propres : dividendes versés par les filiales, prestations réalisées auprès des industriels, redevances issues de la valorisation de la recherche ... Les ressources propres de l'IFP-EN ont ainsi presque doublé en 10 ans, représentant plus de 50 % de son budget.
L'autre solution est de se tourner vers les appels à projet, qu'ils soient issus du programme d'investissements d'avenir (PIA) ou de l'Europe. C'est ce que fait l'INRIA, qui cette année voit encore ce type de ressources augmenter, de 2,7 %.
Ces solutions sont à encourager, car il est certain que la tendance sera au désengagement progressif de l'État dans le financement de ces structures. Cependant, elle a ses limites, et ces organismes sont contraints aujourd'hui de réaliser de nouvelles économies. Ce peut être sur le budget de fonctionnement, en se « serrant la ceinture » un peu plus. Ce peut être sur les emplois, ce qui remet en cause la transmission du savoir au sein de la structure : recul de 479 équivalents temps plein (ETP) au CNRS en 2014, suppression de 150 emplois depuis 2011 à l'IFP-EN...
Ce peut être enfin, dans le pire des cas, sur les capacités d'intervention : plusieurs organismes (IFP-EN, INRIA ...) nous ont ainsi indiqué avoir arrêté ou suspendu, au moins en partie, certains programmes de recherche. Dans une économie où la connaissance et l'innovation seront, demain plus que jamais, la source de toute valeur ajoutée, on mesure les conséquences désastreuses d'une telle évolution pour notre pays.
J'en viens à présent à l'Agence nationale de la recherche, l'ANR. La mise en place de cette agence de moyens, en 2006, a considérablement modifié le financement de la recherche en France, qui consistait jusqu'alors à subventionner chaque année de grands organismes. Elle l'a en effet réorienté vers le financement de projets précisément définis et correspondant à des thématiques jugées essentielles, comme c'est le cas dans les autres grands pays de recherche. Cela a permis de mettre en concurrence les équipes, de sélectionner les meilleures et de définir de grandes priorités nationales. Tout en conservant des financements pour des projets originaux, en rupture avec les itinéraires de recherche traditionnels, dits aussi « programmes blancs ».
L'ANR n'a pas été remise en cause par la dernière loi relative à l'enseignement supérieur et à la recherche, que j'ai rapportée pour avis au nom de la commission il y a quelques mois. Mais ses capacités d'action se trouvent aujourd'hui limitées de façon inquiétante.
Le budget de l'Agence, tout d'abord, est réduit cette année de 81 millions d'euros avant mise en réserve, soit - 12,3 % ! Cette diminution n'est pas ponctuelle : elle correspond à un recentrage délibéré du financement de la recherche vers les « crédits récurrents », octroyés aux grands organismes nationaux. Depuis la création de l'agence, sa subvention a baissé de 30 %, alors que le budget global de la MIRES progressait de 24 % ! Ils ne représentent plus désormais que 2,2 % des crédits de la MIRES, soit une enveloppe très insuffisante pour une agence à laquelle est censée être déléguée la majeure partie du financement de la recherche dans notre pays.
Cette évolution a des conséquences dramatiques sur le paysage de la recherche. La baisse des moyens de l'ANR, alors que les dossiers qui lui sont soumis augmentent fortement, aboutit à un fort recul du taux de succès aux appels à projet. Il est passé de plus de 25 % il y a quelques années à 16/17 % cette année, soit un des taux les plus bas d'Europe. Et bien inférieur à celui du 7ème programme cadre de recherche et développement (PCRD), qui est de 24 %.
À ce niveau-là, et vu la baisse des crédits qu'elles peuvent subir, les équipes de recherche risquent d'être découragées et ne plus soumissionner, surtout lorsque l'on connaît la complexité du montage des dossiers. L'ANR pourrait ainsi perdre de son influence au profit d'autres sources de financement, que ce soit le programme « investissements d'avenir », dont une nouvelle tranche vient d'être annoncée, ou les appels à projet européens.
Devant ce risque, l'Agence n'est pas restée inactive. Elle a en effet profondément modifié sa procédure d'appel à projets, qui aura lieu désormais en deux temps : l'examen de pré-propositions sous un format allégé, puis l'analyse de dossiers détaillés parmi celles sélectionnées. Cette procédure révisée devrait permettre de réduire le nombre de projets examinés, et donc d'augmenter mécaniquement le taux de succès, pour le porter à 40 % environ. Espérons qu'elle redonnera un second souffle à l'Agence, et que celle-ci sera davantage prise en compte dans le prochain budget, car il en va de sa crédibilité auprès de la communauté scientifique, et même de sa pérennité.
Quelques mots pour finir sur le crédit d'impôt recherche (CIR), élément incontournable du budget de la recherche. Avec 5,8 milliards d'euros inscrits au projet de loi de finances pour 2014, contre 4,05 milliards en 2013, il représente en effet 41,5 % de la part « recherche » des crédits de la MIRES !
Je ne reviens pas sur son historique, mais je vous rappelle que son enveloppe a été multipliée par plus de 13 depuis son instauration en 2003, au gré de ses diverses réformes, et qu'il représente désormais l'aide fiscale à la recherche et développement (R&D) la plus avantageuse des pays membres de l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), avec 0,26 % du produit intérieur brut (PIB).
L'efficacité du CIR, certes délicate à mesurer, semble cependant acquise sur le principe. Le rapport de la Cour des comptes de juillet dernier sur ce dispositif fiscal souligne ainsi son intérêt en termes de développement de la recherche privée, d'attractivité territoriale et de baisse des charges des entreprises.
Dans ces conditions, la pérennisation du dispositif pour 2014 est une bonne chose. Cependant, du point de vue des entreprises, et notamment des plus petites, son régime reste source de difficultés et d'incertitudes :
- le montage des dossiers s'est complexifié de façon considérable. Les entreprises doivent réunir des compétences pluridisciplinaires, tandis que la détermination de l'éligibilité des projets repose sur un jugement difficile à objectiver. L'administration s'appuie sur la réalisation d'états de l'art que les petites et moyennes entreprises (PME) sont souvent peu armées pour réaliser. Et la mise en oeuvre du crédit d'impôt innovation (CII), instauré l'an dernier, ne contribue pas à éclaircir les choses : malgré l'instruction fiscale parue début octobre, la différenciation d'avec le CIR semble déjà très délicate, et l'enveloppe prévue sous-dimensionnée. Aussi l'élaboration d'un référentiel clair et stable sur le périmètre des dépenses éligibles, pour le CIR comme pour le CII, ainsi que de « bonnes pratiques » dans la conduite des contrôles, permettraient aux entreprises de mieux affecter fiscalement leurs dépenses et d'en préparer la justification en amont ;
- cela serait également de nature à réduire le recours aux cabinets de conseil, qui a explosé ces dernières années, avec la complexification du dispositif, et qui pose problème. Leur taux moyen de rémunération est en effet de 20 %, et peut atteindre jusqu'à 40 %. Or, leur intervention massive, notamment auprès des PME, n'a pas permis d'endiguer l'augmentation des rectifications, particulièrement sensible en 2012.
Plutôt qu'un agrément de ces cabinets qui, pour certains, entérinerait leur existence et leur recours, il semblerait préférable de favoriser l'autonomie des entreprises : il importe en effet que les dossiers soient bien rédigés par les responsables en charge des projets en interne, eux seuls étant capables d'exposer les raisons de leur éligibilité, en cas de contrôle. Aussi faut-il davantage les former - et les informer - aux techniques du CIR. Le réseau public ou consulaire, via les conseilleurs innovation, semble tout indiqué à cet égard ;
- enfin, dernière problématique relative au CIR, celle des procédures de contrôle. Elles sont en effet, elles aussi, très incertaines, car elles dépendent pour beaucoup de l'expert qui a été désigné par le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche pour assister les services fiscaux : un même dossier peut être tranché de façon diamétralement opposée selon son interprétation de règles par ailleurs - comme je le disais tout à l'heure - peu claires.
De plus, ces experts sont souvent des universitaires qui, s'ils ont de solides connaissances théoriques, ne sont pas au fait du fonctionnement concret des entreprises. Ils demandent des bibliographies particulièrement fournies, qu'elles n'ont pas les moyens de réunir. Et le dialogue contradictoire entre entreprises et experts est souvent inexistant, malgré la parution d'un décret en début d'année sur ce point.
Des pistes d'amélioration restent pourtant envisageables : mieux former les experts aux particularités de la recherche en entreprise ; encourager à un contrôle « sur place », accompagné d'un débat oral et contradictoire avec les responsables de l'entreprise ; prévoir une contre-expertise « à l'aveugle », avec un second expert différent du premier ; informer les entreprises du stade d'examen de leur dossier lors d'un contrôle fiscal...
Voilà, Monsieur le Président, mes chers collègues, les analyses et propositions que m'ont inspirées cet avis « recherche ». Pour conclure, il me reste à donner mon avis sur les crédits de la MIRES pour 2014.
À titre d'élément positif, figure la préservation des crédits de la MIRES, dans un contexte budgétaire difficile, ainsi que la pérennisation du CIR et du dispositif de la Jeune entreprise innovante (JEI).
Mais d'un autre côté, la baisse importante de crédits de l'ANR interpelle quant à l'avenir du financement sur projet. De plus, certains organismes de recherche se trouvent dans une situation budgétaire extrêmement délicate du fait de la stagnation ou de la baisse de leurs dotations publiques.
Dans ces conditions, je m'abstiendrai sur les crédits de la mission.