Intervention de Didier Houssin

Commission des affaires sociales — Réunion du 20 novembre 2013 : 4ème réunion
Conseil d'administration de l'agence nationale chargée de la sécurité sanitaire de l'alimentation de l'environnement et du travail anses — Audition de M. Didier Houssin candidat pressenti à la présidence

Didier Houssin, de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) :

Tout d'abord, le Gouvernement a estimé que mon mandat en cours de président de l'Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur était compatible avec les fonctions de président d'un conseil d'administration que je brigue. D'un point de vue institutionnel, l'Aeres n'évalue pas l'Anses et le fonctionnement des laboratoires propres de l'Anses n'est pas évalué par l'Aeres ; seuls trois laboratoires de l'Anses ont des liens avec des organismes extérieurs, comme l'École nationale vétérinaire, qui sont eux-mêmes évalués par l'Aeres. Comme président de l'Aeres, je ne pratique pas directement l'évaluation qui ressort du conseil scientifique de l'agence.

Le système national d'agences, dont j'ai étudié la configuration alors que j'assumais les fonctions de directeur général de la santé pendant sept ans, résulte d'une construction empirique opérée sur le long terme, parfois à la suite de crises. Un tel système, pour ses observateurs extérieurs, semble présenter un déficit de lisibilité qu'entretiennent une certaine proximité des acronymes et l'apparente confusion des métiers qui y sont représentés. En revanche, pour le praticien, une telle structure manifeste une réelle logique et au-delà, une forme de coordination avérée. Pour preuve, la réunion hebdomadaire de sécurité sanitaire qui rassemble, autour du directeur général de la santé, l'ensemble des directeurs d'agence et des administrations centrales ainsi que le comité d'animation du système d'agences, dont j'ai proposé la création comme directeur général de la santé à la ministre d'alors et qui permet aux différents responsables de débattre de questions stratégiques et de coordonner les travaux conduits par les différentes entités qui composent ce système. Certes, ces dispositifs, qui sont avant tout opérationnels, ne sont peut-être pas assez mis en lumière et le Parlement pourrait sans doute s'en saisir. À titre d'information, je peux vous adresser un article, que j'ai commis pour l'Académie de médecine et qui concerne l'avenir du système d'agences.

Les réflexions abondent quant à la réorganisation du dispositif actuel à des fins notamment budgétaires, à l'instar de la mission de révision générale des finances publiques qui s'est notamment interrogée sur d'éventuelles fusions. D'ailleurs, l'Anses elle-même résulte d'une fusion réussie entre l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) et l'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail (Afsset). En revanche, même s'il y a une logique incontestable à rapprocher l'étude du médicament humain et du médicament vétérinaire sur certains points comme l'antibioresistance je pense qu'une fusion de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé avec l'Anses risquerait de se heurter aux différences de culture et d'objectifs de ces deux entités. Fort de l'exemple des États-Unis où la Federal Drug Administration s'occupe autant de l'alimentation que du médicament, un tel rapprochement mériterait cependant d'être étudié.

Autre exemple : le rapprochement de l'Anses avec l'Institut national de veille sanitaire (InVS) dont le rapprochement a parfois été évoqué. Ces deux agences exercent, à mon sens, deux métiers radicalement différents et ont chacune leur culture spécifique : l'InVS s'occupe d'épidémiologie et concerne avant tout les populations, tandis que l'Anses travaille sur des produits, même si certaines problématiques, comme la pharmacovigilance, peuvent contribuer à leur rapprochement. Certaines logiques en vertu desquelles des rapprochements sont évoqués peuvent certes s'avérer partielles, mais il faut demeurer ouvert à toute opportunité dans ce domaine. D'ailleurs, le système actuel est appelé à évoluer et le Parlement a toute latitude pour jeter les bases de sa prochaine évolution !

Nous avons érigé l'indépendance et la crédibilité des travaux de l'agence au premier rang de nos préoccupations. Les liens d'intérêt, qui ne sont pas seulement économiques, ont également une incidence sur les travaux d'évaluation. Mais l'expert est confronté à un dilemme : il doit acquérir une compétence actualisée en participant aux activités de recherche conduites par le secteur privé et est encouragé, dans cette démarche, par les pouvoirs publics, tandis que sa stricte neutralité et son indépendance, lorsqu'il s'agit d'intervenir en soutien à la définition de politiques publiques, sont exigées. Même si la compétence scientifique ne peut que bénéficier de l'interaction avec le secteur privé, il faut ainsi faire oeuvre d'imagination pour concilier compétence et indépendance en allant au-delà des procédures actuelles, qui accordent déjà une place importante à la transparence, en imaginant, sur le long terme, de nouveaux moyens pour concilier ces objectifs et instaurer durablement la confiance.

L'objectif d'une seule santé (« One health ») commune à l'homme et à l'animal peut d'ailleurs nous conduire à rapprocher certaines structures.

Les rapports parlementaires, dont je connais la richesse et qui contribue à la diffusion de la connaissance scientifique dont ils évaluent, de manière large et rigoureuse, les retombées sociétales, fournissent une source précieuse d'information pour une agence comme l'Anses qui doit s'ouvrir à la société. Ces rapports débouchent souvent sur une modification de la norme et anticipent ainsi l'évolution du contexte dans lequel les agences sont appelées à intervenir.

Mon expérience sur l'Ile de la Réunion, où des arboviroses de grande ampleur avaient déjà sévi dans un passé proche et parmi lesquelles la crise du Chikungunya s'inscrivait, m'a conduit à m'interroger sur les raisons de l'ampleur de cette épidémie. L'oubli des catastrophes naturelles contribue à leur résurgence et leur souvenir doit être maintenu, notamment à la Réunion où les moustiques présentent de réelles capacités d'adaptation et où de prochaines arboviroses sont par conséquent prévisibles. Il faut donc demeurer vigilant.

S'agissant de la canicule de l'été 2003, l'InVS a manifestement été pris de cours et ne disposait pas de la latitude d'actions nécessaire à l'adaptation à une situation qui n'était pourtant pas inédite, puisque d'autres vagues de chaleur analogues venaient de survenir à Chicago et à Athènes. Avec le plan canicule depuis lors élaboré, une telle désorganisation me paraît peu probable. Il faut cependant demeurer conscient que se produiront, à l'avenir, des catastrophes sanitaires qu'elles soient récurrentes, comme les épidémies ou les aléas climatiques de grande ampleur ou inédites, du fait des activités humaines et des risques technologiques qu'elles induisent.

En réponse à l'interrogation de Mme la présidente David, qui relaie d'ailleurs un article paru dans le quotidien Le Monde sur l'objectivité de l'expertise, l'Anses veille tout particulièrement à définir les modalités nécessaires à l'instauration de la confiance qui peut conduire à alourdir les procédures d'expertise en vigueur.

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