Au cours d'une troisième réunion tenue dans l'après-midi, sous la présidence de Mme Annie David, présidente, la commission procède à l'audition de M. Didier Houssin, candidat pressenti à la présidence du conseil d'administration de l'Agence nationale chargée de la sécurité sanitaire, de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), en application de l'article L. 1451-1 du code de la santé publique.
L'article L. 1451-1 du code de la santé publique prévoit l'audition préalable par les commissions concernées, avant leur nomination ou leur reconduction, des présidents ou directeurs d'une dizaine d'agence sanitaires. C'est pourquoi nous recevons ce soir M. Didier Houssin, auquel le Gouvernement souhaite confier la présidence du conseil d'administration de l'Anses.
Cette procédure, je le rappelle, est bien distincte de celle prévue par l'article 13 de la Constitution qui prévoit, pour certaines fonctions, un vote de la commission.
Au mois de juin dernier, nous avions auditionné M. Marc Mortureux, directeur général de l'Anses, préalablement au renouvellement de son mandat.
Nous avions alors pu effectuer avec lui un bilan de la mise en place de l'Anses, créée en 2010 par fusion de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) et de l'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail (Afsset).
Nous avions évoqué les priorités de l'Agence, mais aussi plusieurs questions spécifiques telles que l'organisation de sa tutelle ou les dispositifs mis en place pour garantir l'indépendance de l'expertise et la prévention des conflits d'intérêts.
A la différence du directeur général, le président du conseil d'administration n'est pas investi de fonctions exécutives. Il supervise néanmoins le fonctionnement d'une instance de gouvernance composée de cinq collèges, qui statue sur l'organisation de l'Agence et sur ses orientations générales, notamment ses axes de travail et son contrat avec l'État.
Le premier président du conseil d'administration, notre collègue Philippe Bas, n'avait été nommé qu'au début de l'année 2011, six mois après la création officielle de l'Anses. Depuis son élection au Sénat, en octobre 2011, le poste est vacant, situation dont la Cour des comptes a relevé le caractère anormal dans un récent référé, même si en pratique un vice-président assure l'intérim depuis maintenant plus de deux ans.
Il est donc heureux qu'avec la nomination prochaine envisagée par le Gouvernement, le conseil d'administration de l'Anses puisse retrouver un fonctionnement conforme aux textes.
M. Didier Houssin est actuellement président de l'Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (Aeres). Notre commission avait eu plusieurs occasions de le rencontrer en tant que directeur général de la santé, fonction qu'il a exercée durant six ans, de 2005 à 2011.
Je le remercie de m'avoir fait parvenir sa biographie, qui vous a été distribuée, ainsi que sa déclaration publique d'intérêts que je tiens à votre disposition.
Je lui propose d'évoquer dans un premier temps son parcours professionnel et la façon dont il aborde la fonction que le Gouvernement souhaite lui confier.
Il répondra ensuite à nos questions éventuelles.
candidat pressenti à la présidence du Conseil d'administration de l'Agence nationale chargée de la sécurité sanitaire, de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses). - Mesdames les sénatrices et Messieurs les sénateurs, permettez-moi tout d'abord de vous remercier d'avoir accepté de m'auditionner en aménageant un agenda que je sais fort chargé.
Dans ce bref exposé introductif, avant de répondre à vos questions, j'évoquerai deux points : tout d'abord, des éléments vous permettant de juger de mon aptitude à devenir président du conseil d'administration de l'Anses et ce, autour de trois aspects - les métiers de l'Anses, la sécurité sanitaire et l'impartialité - et de deux principaux critères que sont la recherche et l'évaluation.
J'ai fait de la recherche, en tant que chargé de recherche à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) durant six ans, puis comme professeur d'université en chirurgie spécialisé dans le domaine de la greffe du foie, en particulier chez l'enfant. Par goût pour les sciences humaines et sociales, j'ai accepté d'en coordonner l'enseignement durant plusieurs années pour les étudiants de première année en médecine.
Ma production scientifique se compose, à ce jour, de plus de trois cents articles originaux dans des revues scientifiques entre 1974 et 1997 et de deux ouvrages : « l'aventure de la greffe », en 2001, « Maintenant ou trop tard. Essai sur le phénomène des urgences », en 2003, les deux aux éditions Denoël.
J'ai eu aussi une expérience en termes de politique de recherche : en tant que directeur de la politique médicale pilotant la délégation à la recherche clinique de l'Assistance Publique - Hôpitaux de Paris, puis comme directeur général de la santé, par la création puis l'animation du comité d'orientation de la recherche du ministère chargé de la santé.
Mon expérience dans le domaine de l'évaluation est diversifiée et concerne, d'une part, les personnels chercheurs et enseignants-chercheurs, dans le cadre d'une commission spécialisée de l'Inserm, puis du Conseil national des universités et les politiques publiques. Comme directeur général de la santé, délégué interministériel à la lutte contre la grippe aviaire et coordonnateur interministériel du plan chlordécone, j'ai ainsi préparé de nombreuses évaluations de politiques publiques dans le champ de la santé (ex ante, formative ou ex post). Mon expérience d'évaluateur concerne enfin et surtout les programmes de formation de l'enseignement supérieur, des unités de recherche, des organismes de recherche et des établissements d'enseignement supérieur et de recherche en France dans le cadre de mes fonctions de président de l'Aeres depuis deux ans et demi.
Je veux souligner qu'en tant que directeur général de la santé, j'ai organisé des travaux en vue de valoriser l'expertise en santé publique, travaux auxquels j'ai pu donner une orientation concrète dans le cadre de l'Aeres.
J'en viens à présent à mon expérience de terrain et de pilotage interministériel dans le champ de la sécurité sanitaire
J'ai eu en effet un rôle d'acteur direct de la sécurité sanitaire en tant que chirurgien, puis chef de service en chirurgie, dans le domaine de la sécurité des patients, ensuite à un échelon de pilotage national comme directeur général de la santé. J'ai alors exercé une tutelle sur l'ensemble des agences nationales de sécurité sanitaire, dont l'Anses, et appris aussi à partager cette tutelle avec d'autres ministères, notamment concernant l'Anses ou l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (Irsn), qui ont chacun cinq tutelles.
En tant que délégué interministériel à la lutte contre la grippe aviaire et que coordonnateur du plan chlordécone aux Antilles, j'ai pu me familiariser avec la coordination interministérielle, notamment entre les ministères chargés de l'agriculture, du travail, de l'environnement et de la consommation et de la santé qui ont la tutelle sur l'Anses.
Permettez-moi un petit mot sur l'impartialité.
La tutelle que j'ai exercée sur l'Anses en tant que directeur général de la santé est déjà ancienne : j'avais déjà quitté la direction générale de la santé lorsque le contrat d'objectifs et de moyens entre l'Etat et l'Anses a été signé.
Je n'ai pas de lien d'intérêt avec les acteurs économiques, ni avec les parties prenantes du secteur associatif, dans les domaines de l'Anses. Je tiens à signaler toutefois qu'une de mes enfants est employée par un Think Tank, l'Institut Veolia, où elle organise des conférences internationales sur des thèmes scientifiques relevant de ce secteur et qui associent cet institut et des partenaires académiques étrangers.
J'en viens à présent à l'Anses et à son conseil d'administration.
L'Agence a su, au cours des trois dernières années, se positionner en tant qu'instance de référence tant au plan national qu'international par la qualité de son expertise mais aussi par sa capacité à intégrer les questionnements, qu'ils proviennent de la sphère scientifique ou de la société.
Cette capacité résulte des conditions mêmes de sa naissance. Avec l'Anses, le vote du Parlement a fait naître un nouveau modèle d'agence sanitaire permettant une évaluation transversale des risques.
L'Agence a engagé depuis plusieurs années déjà des efforts en matière d'organisation et d'optimisation des ressources. Néanmoins, pour préserver ses capacités à anticiper les risques émergents et à faire face à une crise sanitaire, elle doit maintenir ses capacités de surveillance et de vigilance. Elle doit également poursuivre ses efforts de recherche. Tout comme elle doit sans cesse, évaluer ou réévaluer les risques et rester active sur la scène scientifique internationale.
Le conseil d'administration de l'Agence est le premier des éléments fondant le socle de l'ouverture à la société. Il se compose des cinq collèges du Grenelle de l'environnement : représentants de l'Etat et du personnel de l'Agence, représentants d'associations agréées de protection de l'environnement, ayant une activité dans le domaine de la qualité de la santé et de la prise en charge des malades, de défense des consommateurs, représentants d'associations nationales de victimes d'accidents du travail et de maladies professionnelles, représentants d'organisations et de fédérations professionnelles, des organisations syndicales représentatives et enfin d'élus représentés par l'Autorité des marchés français (AMF) et l'Assemblée des départements de France (ADF).
Le mandat de président est un poste non exécutif, au sens que l'Agence est dirigée par son directeur général. L'activité du président n'est pas rémunérée. Il a toutefois la charge importante de coordonner et d'animer le conseil d'administration de l'Agence. J'ai pu constater que le mode de gouvernance de l'Agence est très ouvert. Le conseil d'administration est une instance vivante dont les membres sont très impliqués et attachés à garantir le maintien de standards élevés en termes d'excellence scientifique et d'indépendance. Je tiens d'ailleurs à saluer le travail des précédents présidents et en particulier de celui qui a bien voulu jouer le rôle d'intérim.
Le conseil d'administration discute et vote les orientations générales de l'Agence, et notamment sa stratégie pluriannuelle, son programme de travail annuel et son contrat de performance conclu avec l'Etat. Il délibère sur l'organisation générale de l'Agence, notamment la création de comités d'experts spécialisés, l'établissement de conventions avec des organismes extérieurs et intervient dans la fixation des règles de déontologie.
Dans un contexte de contraintes budgétaires pesant sur l'ensemble des opérateurs, le conseil d'administration sera d'autant plus vigilant que les attentes vis-à-vis de l'Anses sont de plus en plus fortes, qu'il s'agisse de celles des ministères de tutelles ou des acteurs de la société.
Pour conclure, je tiens à vous évoquer les défis auxquels sont confrontés l'Anses et son conseil d'administration.
En effet, l'Anses est confrontée à des défis importants, tant d'un point de vue scientifique que sociétal : par la diversité et la complexité des sujets dont elle a la charge, et par les attentes grandissantes de la société en termes de transparence et d'indépendance de l'expertise.
Je n'aurai pas la prétention de vous livrer une vision toute faite sur l'avenir de l'Anses, mais je voudrais, alors que ma candidature au poste de Président du conseil d'administration de l'Anses est agréée par ses cinq ministères de tutelle - santé, agriculture, environnement, travail et consommation -, évoquer les quatre défis majeurs qui m'apparaissent pour le conseil d'administration :
Le premier, assurer l'indépendance et la crédibilité des travaux de l'Agence. Si l'Anses a su devenir, en trois ans, une voix respectée et écoutée, en particulier grâce à la mise en oeuvre d'un cadre de déontologie et d'expertise particulièrement rigoureux, rien n'est jamais acquis. Les standards doivent pouvoir être questionnés et évalués, de même qu'ils doivent pouvoirs être confrontés aux meilleurs standards y compris internationaux. Le comité de déontologie et de prévention des conflits d'intérêts qui a été mis en place dès 2010 est une instance dont les travaux, indépendants, sont, et resteront particulièrement précieux pour le conseil d'administration.
Maintenir un haut niveau d'exigence scientifique passe également par la capacité de l'Agence à mobiliser les meilleurs experts scientifiques, qu'ils soient français ou étrangers, ainsi qu'à assurer les conditions d'une expertise collective et contradictoire. Le conseil scientifique de l'Agence, récemment renouvelé, sera un partenaire essentiel du conseil d'administration.
Second défi : favoriser une coordination fructueuse avec les ministères de tutelles. En raison de son large champ de compétences, l'Agence est placée sous la tutelle de cinq ministères : l'agriculture, l'écologie, la santé, le travail et la consommation. Lors de la création de l'Anses, certaines voix s'en étaient inquiétées, craignant des difficultés d'arbitrages et de décisions. Force est de constater que le choix d'instituer un système tournant de chef de file tous les six mois a jusqu'ici plutôt bien fonctionné. Néanmoins, la vitalité des relations concernant l'Agence à un niveau interministériel pourrait sans doute être renforcée et le conseil d'administration y contribuera autant que possible.
Troisième défi : la communication et l'ouverture à la société. Les attentes de la population en termes de maîtrise et d'anticipation des risques sont aujourd'hui accompagnées d'une exigence croissante de transparence et de participation à l'élaboration des processus de décision. En ce sens, le conseil d'administration de l'Anses, par sa forme originale est le garant de son ouverture à la société. Bien entendu, cette garantie n'est pas la seule. L'Anses a développé une approche globale alliant ouverture, dialogue, transparence et communication proactive dans le respect du rôle des différents acteurs, et dans le cadre d'une grande rigueur dans la mise en oeuvre de l'expertise qui doit rester protégée de toute influence.
Grâce à une fonction de « veille sociétale », à l'entretien de contacts permanents avec ces parties prenantes, et à l'apport des sciences humaines et sociales dans le cadre de l'évaluation des risques, l'agence dispose des capacités de mieux contextualiser les travaux d'expertise et d'en cerner les enjeux et les attentes le plus en amont possible.
Il n'en reste pas moins que l'Anses est particulièrement attendue sur le terrain de la communication et se doit de délivrer une information scientifique de référence y compris en s'appuyant sur les données récentes des sciences de la communication en termes de communication sur les risques. Elle se doit également de la mettre en perspective pour assurer la meilleure compréhension de ses messages de santé publique. Le conseil d'administration délibère sur la stratégie d'ouverture et de communication de l'Agence, et je serai particulièrement vigilant.
Quatrième défi enfin: le positionnement européen et international de l'Agence. La dimension européenne et internationale des activités de l'agence a été placée au rang de priorité dès la création de l'Anses, qui est désormais la plus grande agence de sécurité sanitaire en Europe par la largeur de son champ de compétences. Cette forte présence doit être encore développée. A l'échelle européenne, c'est d'abord un impératif pour peser sur les décisions communautaires, sachant qu'une part importante de l'action de l'Agence s'inscrit dans le cadre de réglementations européennes, au sein du marché unique européen. Mais la collaboration de l'Anses avec ses principaux homologues dans le monde et son ouverture à la communauté scientifique internationale contribuent également à promouvoir les standards d'excellence français et donc à améliorer la prévention et la maîtrise des risques sanitaires en France. Autre objectif important : elle permet enfin d'éviter des duplications inutiles de travaux que ce soit avec l'échelon européen ou les agences homologues.
Madame la présidente, Mesdames les sénatrices et Messieurs les sénateurs, vous l'avez compris, je serai plein d'ardeur, heureux et fier de présider le conseil d'administration de l'Anses.
Merci de votre attention.
Je vous remercie de votre présentation qui revient sur votre parcours et présente, de manière exhaustive, vos projets pour l'Anses confrontée à d'importants défis. Je passe maintenant la parole à mes collègues.
J'aurai deux questions. La première sera d'ordre pratique : pourrez-vous concilier les fonctions auxquelles vous aspirez avec celle que vous assumez à présent à la tête de l'Aeres ? Par ailleurs, à l'occasion de l'examen de la mission santé du projet de loi de finances, nous avons eu l'impression d'un nombre conséquent d'agences aux compétences qui semblent, parfois, se chevaucher. Quels sont donc les liens entre elles et comment se répartissent leurs différents rôles ?
Votre expérience, que nous connaissons, est le gage de votre compétence. Maintenir l'indépendance de l'expertise de l'agence, qui est notamment appelée à se prononcer dans diverses instances internationales, est certainement un défi car les experts sont souvent accusés d'entretenir des relations privilégiées avec les industriels au point de susciter la controverse quant à l'objectivité de leur appréciation du bénéfice-risque des produits qui leur sont soumis. Mais comment est-il possible de devenir expert sans avoir acquis, au préalable, une capacité d'expertise au sein de l'industrie ?
Pour compléter l'interrogation de notre collègue Catherine Deroche sur l'ampleur des domaines de compétence de l'Anses, serait-il envisageable, sur des sujets transversaux comme l'évaluation du médicament pour l'homme et l'animal, qui incombe pour le moment à l'ANSM et à l'Anses respectivement, d'aller au-delà du croisement de leurs compétences ?
Le Parlement se saisit de nombreux sujets relevant de la compétence des agences comme la vôtre et produit des rapports thématiques destinés à être pris en compte notamment par le Gouvernement. Comment l'Anses peut-elle exploiter nos travaux dans ses activités ?
Je me souviens que vous avez été référent national lors de l'épidémie de chikungunya survenue à la Réunion en 2005 et que vous avez eu l'expérience de la gestion de catastrophes sanitaires qui ont frappé la France. J'ai encore en mémoire la canicule estivale de 2003 et la désorganisation des services, notamment ceux de l'Institut nationale de veille sanitaire (INVS), qui n'ont pas su y faire face. Comment un grand pays comme la France a-t-il pu être démuni face à un tel phénomène? Malgré l'existence d'agences spécialisées qui se sont avérées incapables de les juguler, de tels fléaux ont pu survenir et occasionner un grand nombre de victimes. Pensez-vous que nous sommes prémunis contre la probable résurgence de telles catastrophes?
Je trouve votre curriculum vitae intéressant pour quelqu'un qui doit assumer d'importantes responsabilités à la tête d'une agence d'expertise. En effet vous savez également faire preuve d'éclectisme, dans le domaine musical notamment ! Je pense que c'est un facteur d'équilibre que d'avoir d'autres intérêts.
Une audition comme la vôtre ne relève pas d'un exercice obligé prescrit par le code de la santé publique, mais permet à notre commission d'aborder des problèmes de fond, comme le nombre et le périmètre de compétences des agences. Une telle question ne peut que resurgir lorsque nous sommes confrontés à des pandémies ou des catastrophes sanitaires, comme l'a rappelé notre collègue Michel Vergoz. L'Anses couvre notamment les domaines de l'alimentation et de la sécurité sanitaire et, ayant siégé à l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (Anact), je me demande si nous ne sommes pas exposés à des risques de doublons susceptibles de générer des contradictions et de restreindre votre influence. À titre d'exemples, les polémiques suscitées par la dangerosité potentielle des radiofréquences et l'exposition aux nanoparticules dans certaines entreprises suscitent le doute parmi nos concitoyens quant à l'intérêt des travaux conduits par les agences. C'est pourquoi je trouve essentiel que vous releviez votre troisième défi en matière de communication. Néanmoins, la réussite de cet objectif implique que vous parveniez, à titre liminaire, à consolider l'indépendance et la crédibilité des travaux de votre agence.
Tout d'abord, le Gouvernement a estimé que mon mandat en cours de président de l'Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur était compatible avec les fonctions de président d'un conseil d'administration que je brigue. D'un point de vue institutionnel, l'Aeres n'évalue pas l'Anses et le fonctionnement des laboratoires propres de l'Anses n'est pas évalué par l'Aeres ; seuls trois laboratoires de l'Anses ont des liens avec des organismes extérieurs, comme l'École nationale vétérinaire, qui sont eux-mêmes évalués par l'Aeres. Comme président de l'Aeres, je ne pratique pas directement l'évaluation qui ressort du conseil scientifique de l'agence.
Le système national d'agences, dont j'ai étudié la configuration alors que j'assumais les fonctions de directeur général de la santé pendant sept ans, résulte d'une construction empirique opérée sur le long terme, parfois à la suite de crises. Un tel système, pour ses observateurs extérieurs, semble présenter un déficit de lisibilité qu'entretiennent une certaine proximité des acronymes et l'apparente confusion des métiers qui y sont représentés. En revanche, pour le praticien, une telle structure manifeste une réelle logique et au-delà, une forme de coordination avérée. Pour preuve, la réunion hebdomadaire de sécurité sanitaire qui rassemble, autour du directeur général de la santé, l'ensemble des directeurs d'agence et des administrations centrales ainsi que le comité d'animation du système d'agences, dont j'ai proposé la création comme directeur général de la santé à la ministre d'alors et qui permet aux différents responsables de débattre de questions stratégiques et de coordonner les travaux conduits par les différentes entités qui composent ce système. Certes, ces dispositifs, qui sont avant tout opérationnels, ne sont peut-être pas assez mis en lumière et le Parlement pourrait sans doute s'en saisir. À titre d'information, je peux vous adresser un article, que j'ai commis pour l'Académie de médecine et qui concerne l'avenir du système d'agences.
Les réflexions abondent quant à la réorganisation du dispositif actuel à des fins notamment budgétaires, à l'instar de la mission de révision générale des finances publiques qui s'est notamment interrogée sur d'éventuelles fusions. D'ailleurs, l'Anses elle-même résulte d'une fusion réussie entre l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) et l'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail (Afsset). En revanche, même s'il y a une logique incontestable à rapprocher l'étude du médicament humain et du médicament vétérinaire sur certains points comme l'antibioresistance je pense qu'une fusion de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé avec l'Anses risquerait de se heurter aux différences de culture et d'objectifs de ces deux entités. Fort de l'exemple des États-Unis où la Federal Drug Administration s'occupe autant de l'alimentation que du médicament, un tel rapprochement mériterait cependant d'être étudié.
Autre exemple : le rapprochement de l'Anses avec l'Institut national de veille sanitaire (InVS) dont le rapprochement a parfois été évoqué. Ces deux agences exercent, à mon sens, deux métiers radicalement différents et ont chacune leur culture spécifique : l'InVS s'occupe d'épidémiologie et concerne avant tout les populations, tandis que l'Anses travaille sur des produits, même si certaines problématiques, comme la pharmacovigilance, peuvent contribuer à leur rapprochement. Certaines logiques en vertu desquelles des rapprochements sont évoqués peuvent certes s'avérer partielles, mais il faut demeurer ouvert à toute opportunité dans ce domaine. D'ailleurs, le système actuel est appelé à évoluer et le Parlement a toute latitude pour jeter les bases de sa prochaine évolution !
Nous avons érigé l'indépendance et la crédibilité des travaux de l'agence au premier rang de nos préoccupations. Les liens d'intérêt, qui ne sont pas seulement économiques, ont également une incidence sur les travaux d'évaluation. Mais l'expert est confronté à un dilemme : il doit acquérir une compétence actualisée en participant aux activités de recherche conduites par le secteur privé et est encouragé, dans cette démarche, par les pouvoirs publics, tandis que sa stricte neutralité et son indépendance, lorsqu'il s'agit d'intervenir en soutien à la définition de politiques publiques, sont exigées. Même si la compétence scientifique ne peut que bénéficier de l'interaction avec le secteur privé, il faut ainsi faire oeuvre d'imagination pour concilier compétence et indépendance en allant au-delà des procédures actuelles, qui accordent déjà une place importante à la transparence, en imaginant, sur le long terme, de nouveaux moyens pour concilier ces objectifs et instaurer durablement la confiance.
L'objectif d'une seule santé (« One health ») commune à l'homme et à l'animal peut d'ailleurs nous conduire à rapprocher certaines structures.
Les rapports parlementaires, dont je connais la richesse et qui contribue à la diffusion de la connaissance scientifique dont ils évaluent, de manière large et rigoureuse, les retombées sociétales, fournissent une source précieuse d'information pour une agence comme l'Anses qui doit s'ouvrir à la société. Ces rapports débouchent souvent sur une modification de la norme et anticipent ainsi l'évolution du contexte dans lequel les agences sont appelées à intervenir.
Mon expérience sur l'Ile de la Réunion, où des arboviroses de grande ampleur avaient déjà sévi dans un passé proche et parmi lesquelles la crise du Chikungunya s'inscrivait, m'a conduit à m'interroger sur les raisons de l'ampleur de cette épidémie. L'oubli des catastrophes naturelles contribue à leur résurgence et leur souvenir doit être maintenu, notamment à la Réunion où les moustiques présentent de réelles capacités d'adaptation et où de prochaines arboviroses sont par conséquent prévisibles. Il faut donc demeurer vigilant.
S'agissant de la canicule de l'été 2003, l'InVS a manifestement été pris de cours et ne disposait pas de la latitude d'actions nécessaire à l'adaptation à une situation qui n'était pourtant pas inédite, puisque d'autres vagues de chaleur analogues venaient de survenir à Chicago et à Athènes. Avec le plan canicule depuis lors élaboré, une telle désorganisation me paraît peu probable. Il faut cependant demeurer conscient que se produiront, à l'avenir, des catastrophes sanitaires qu'elles soient récurrentes, comme les épidémies ou les aléas climatiques de grande ampleur ou inédites, du fait des activités humaines et des risques technologiques qu'elles induisent.
En réponse à l'interrogation de Mme la présidente David, qui relaie d'ailleurs un article paru dans le quotidien Le Monde sur l'objectivité de l'expertise, l'Anses veille tout particulièrement à définir les modalités nécessaires à l'instauration de la confiance qui peut conduire à alourdir les procédures d'expertise en vigueur.
Je vous remercie pour la franchise dont vous avez preuve dans vos réponses à nos questions.