Intervention de Charles Revet

Commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire — Réunion du 20 novembre 2013 : 1ère réunion
Loi de finances pour 2014 — Crédits « transports maritimes » - examen du rapport pour avis

Photo de Charles RevetCharles Revet, rapporteur :

Il me revient de vous présenter cette année encore les crédits relatifs aux transports maritimes.

En guise d'introduction, je souhaiterais vous rappeler quelques grandes tendances de l'année 2013 dans le domaine maritime.

Il s'agit tout d'abord de la première année véritablement « post-réforme » concernant les grands ports métropolitains. Cette réforme, introduite par la loi du 4 juillet 2008, visait à recentrer les sept « grands ports maritimes » sur la gestion des infrastructures et la promotion de la place portuaire, moderniser leur gouvernance, renforcer leur rôle d'aménageur, et unifier la manutention portuaire en transférant l'outillage et le personnel grutier à des opérateurs privés de manutention. Ces objectifs se sont appuyés sur l'élaboration, pour chaque grand port maritime, d'un projet stratégique et d'un plan d'investissement sur cinq ans. Aujourd'hui, je crois que l'on peut dire qu'il y a bien sur le terrain une appropriation de la réforme par les personnels, comme en témoigne la baisse régulière du taux de conflictualité.

Au 1er janvier 2013 est également entrée en vigueur la réforme des grands ports d'outre-mer, engagée par la loi du 22 février 2012. Au cours de cette année, la gouvernance et le budget ont été mis en place. Les transferts de personnels des CCI ont quant à eux peu progressé.

Un autre fait marquant de l'année 2013 est la publication de la loi du 16 juillet 2013 portant diverses dispositions d'adaptation du droit de l'Union européenne dans le domaine du développement durable, que nous avons examinée au printemps dernier. Celle-ci fait suite à la ratification par la France de la Convention du travail maritime, le 28 février dernier, et modernise substantiellement le droit social des gens de mer. Elle prévoit notamment l'application de la législation sociale maritime à toute personne employée à bord, y compris les travailleurs indépendants ; une définition précise des obligations et responsabilités de l'armateur, en particulier en matière de normes sociales ; la clarification des règles relatives à la durée du travail et aux repos ; un principe de certification sociale des navires ; une meilleure prise en compte des situations de rapatriement et d'abandon des gens de mer ; et l'encadrement des activités de placement des gens de mer. Au-delà du seul respect de nos obligations européennes et internationales, il s'agit là d'une réelle avancée pour les professions maritimes, dont nous connaissons tous la pénibilité et la précarité des conditions de travail. Les décrets d'application prévus, 33 concernant la direction des affaires maritimes, seront tous publiés avant le mois de septembre 2014, d'après les informations transmises par le Secrétariat général du Gouvernement.

Enfin, l'année 2013 est également celle de l'installation du Conseil national de la mer et du littoral et de la conduite des premières Assises de la mer et du littoral. Celles-ci ont vocation à alimenter la future stratégie nationale pour la mer et le littoral, que le Gouvernement adoptera par décret en 2014. Les enjeux maritimes et la croissance bleue sont en effet au coeur des préoccupations européenne et nationale, à juste titre. Je ne reviens par une énième fois sur l'importance de ce secteur. Je vous rappelle simplement que la France possède le deuxième domaine maritime au monde, presque au même niveau que les États-Unis, et que le transport maritime achemine 90 % des marchandises que nous consommons. Or, plus l'enjeu est important, plus la déception est grande, lorsqu'apparaît le décalage entre la parole et les actes.

Les crédits budgétaires affectés aux transports maritimes relèvent de deux programmes de la mission « Écologie ».

Les crédits du volet « sécurité et affaires maritimes » du programme 205 sont globalement stables, avec 143,59 millions d'euros en autorisations d'engagement et 144,54 millions d'euros en crédits de paiement pour 2014. Par rapport à la loi de finances initiale pour 2013, cela correspond à une légère augmentation, de 1 % en autorisations d'engagement et de 2 % en crédits de paiement. On reste néanmoins en retrait, de l'ordre de deux millions d'euros, par rapport à ce qui avait été annoncé dans la programmation budgétaire pluriannuelle 2013-2015.

Les principaux points à retenir sont les suivants. La phase d'investissement dans la modernisation des systèmes d'information des centres régionaux opérationnels de sauvetage et de surveillance (CROSS) et de la signalisation maritime est en voie d'achèvement. Le développement de l'École nationale supérieure maritime (ENSM) franchit une nouvelle étape. Trois millions d'euros d'investissement sont prévus pour financer le transfert de l'un des sites de l'école vers le Grand port maritime du Havre. Il s'agit de la deuxième tranche sur les 10 millions d'euros prévus au total dans le cadre de ce chantier, qui devrait être achevé au printemps 2015. Enfin, la direction des affaires maritimes continue à mobiliser ses crédits pour améliorer, de façon transversale, l'architecture de son système d'information. Ce ne sont pas moins de 31 applications, 9 Systèmes d'Information Décisionnel (SID) et 6 interfaces d'Échange de Données (ED) qui sont hébergés au centre serveur de Saint Malo, pour la surveillance maritime, comme pour la gestion des marins et des navires, en interface avec de nombreux partenaires, tels la Marine nationale, le Trésor public ou les Douanes.

Pour le reste, la structure des dépenses reste globalement identique à celle des années précédentes. Afin de soutenir la compétitivité du pavillon français, 50 % des crédits compensent les exonérations de charges patronales pour l'emploi de marins français sur les navires inscrits au registre international français, le RIF ; 20% des crédits sont affectés aux moyens techniques de la sécurité maritime, 20 % à la formation et au soutien à l'emploi, et les 10% restants alimentent des mesures techniques de soutien au programme.

La seconde tranche des crédits relatifs aux transports maritimes est inscrite au programme 203 relatif aux « infrastructures et services de transport ». De façon schématique, il s'agit, pour une grosse moitié des crédits, de financer l'entretien des grands ports maritimes, à hauteur de 53,5 millions d'euros en 2014. L'autre moitié sert au développement des infrastructures, avec notamment 36 millions d'euros de fonds de concours de l'AFITF en autorisations d'engagement, contre 45 millions d'euros en loi de finances pour 2013.

Comme l'année dernière, je déplore le tarissement progressif de la dynamique d'investissement dans nos ports. La baisse de 20 % des autorisations d'engagement prolonge celle de 39 % observée l'année passée. Le maintien relatif des crédits de paiement ne sert qu'à financer des programmes déjà engagés.

À cela s'ajoute le fait que la remise en cause de l'écotaxe par le Gouvernement, ne prévoit pas de dotations de remplacement pour équilibrer le budget de l'AFITF. Ce signal ne manque pas d'inquiéter les grands ports maritimes, largement tributaires de ces recettes pour moderniser leurs installations.

En définitive, il s'agit, une fois encore, d'un budget de gestion. Il n'y a aucune vision stratégique à long terme. On se contente de sauvegarder, tant bien que mal dans le contexte actuel, l'essentiel des missions régaliennes, rien de plus. Pour cette raison, je vous proposerai, mes chers collègues, et croyez bien que c'est par dépit, un avis négatif à ces crédits décevants.

Nous ne pouvons en effet pas prétendre que les investissements de ces dernières années ont été suffisants. Ils nous ont certes permis de rattraper notre retard, mais ce n'est pas le moment pour marquer une pause, qui mettrait à mal les efforts accomplis jusqu'ici. L'économie française doit poursuivre son adaptation au poids toujours croissant du commerce maritime. Une stratégie budgétaire qui vise la seule préservation de l'existant et s'interdit toute innovation n'est pas digne des ambitions affichées.

Le ministre des transports a présenté la stratégie nationale de relance portuaire au cours d'un déplacement à Rouen et au Havre le 24 mai 2013. Il affirme lui-même son ambition de donner à la France une place de premier rang dans le commerce international comme point d'entrée ou hub de l'Europe et de contribuer au développement industriel et économique du pays. Je partage ces objectifs, mais on ne peut raisonnablement pas dire que les crédits figurant dans ce budget 2014 soient en adéquation avec les propos tenus.

Je veux bien comprendre l'attitude de l'administration, qui se contente de poursuivre les projets déjà amorcés, prétendant que ce ne sont pas les infrastructures portuaires qui sont déficientes. Leur modernisation ne sert de fait à rien sans leur désenclavement ; il faut dépenser aussi hors de la circonscription portuaire. Nous savons aujourd'hui que nos ports sont mal reliés au chemin de fer et aux voies navigables, ce qui en bride le développement, alors même que les ports européens concurrents sont saturés.

Le chantier multimodal du Havre ne permettra pas à lui seul de rattraper les ports d'Anvers ou de Rotterdam, alors même qu'il est le mieux placé géographiquement. Il faut ouvrir d'autres débats, comme celui de l'automatisation, que l'on évoque à peine, quand le port d'Hambourg ou les ports chinois investissement massivement.

Il faut également revoir le projet stratégique de nos ports. Pendant des années, on s'est focalisé sur les aspects mécaniques de la gouvernance, car il y avait beaucoup de choses à revoir. Il est temps désormais de se concentrer sur la pratique. Nous restons encore dans une logique de ports gestionnaires, avec dans les faits une autonomie toute relative des responsables des ports vis-à-vis de l'administration centrale. Nos ports doivent développer une véritable politique commerciale, avec par exemple du démarchage ou une politique de prix. Nous avons des infrastructures à fort potentiel, que nous ne savons culturellement pas valoriser. Sans doute faudra-t-il réfléchir à recruter davantage sur des compétences que sur des profils de carrière, à la fois pour se détacher réellement d'une tutelle administrative et pour développer cette fibre commerciale.

Un autre sujet d'inquiétude porte sur l'avenir du pavillon français. Celui-ci est aujourd'hui en danger de mort. Il n'est pas sûr que demain, nous ayons encore des entreprises sous pavillon français. Car on n'enregistre actuellement que des sorties, et aucune entrée. Les armateurs ne viennent plus s'immatriculer en France. C'est toute une filière qui se déconstruit peu-à-peu. Le financement n'est plus là, même la BPI refuse d'apporter son soutien. Les chantiers disparaissent, et avec eux le savoir-faire en matière de construction de navires. Le Gouvernement a beaucoup de mal à appréhender les difficultés du secteur.

Le coût du pavillon français reste trop élevé. Les exonérations de charges sont insuffisantes par rapport à l'agressivité de nos concurrents britanniques ou danois, qui ont mis en place des exonérations totales. L'organisation du temps de travail et des congés ne nous avantage pas non plus, puisqu'il faut en France trois équipages pour faire tourner un navire, contre deux au Danemark. Quant au crédit d'impôt compétitivité emploi, on est dans un véritable déni de réalité, puisqu'il ne s'applique pas aux entreprises maritimes !

Pour finir sur une note plus positive, voici quelques éléments prospectifs. D'abord, certains chantiers, dont nous avions parlé l'année dernière, progressent.

La question de la piraterie maritime et de la présence de gardes armés à bord des navires est actuellement en phase d'arbitrages interministériels. Un projet de loi devrait nous être soumis prochainement. Pour rappel, la France est, avec les Pays-Bas, le dernier pays d'Europe qui n'autorise pas la présence de gardes armés sur ses navires. Pourtant, il y a urgence à agir dans ce domaine. Le recours à la Marine nationale n'est possible que dans les deux tiers des cas, faute de moyens. Or, sans protection, les navires quittent le pavillon français, car les assurances comme les clients ne sont plus prêts à courir le risque de la piraterie.

L'actualisation de la loi de 1992 sur la sécurité des approvisionnements énergétiques est en cours mais progresse modestement. Cette loi impose que les navires français transportent au moins 5% du pétrole brut que nous raffinons, afin de sécuriser nos approvisionnements énergétiques. Mais nos raffineries ferment et cette obligation perd sa raison d'être. Il devient nécessaire d'étendre cette mesure aux produits raffinés, comme le préconise le rapport du député Arnaud Leroy sur la compétitivité des services et transports maritimes. Nous risquons fort, dans les prochaines semaines, de perdre définitivement la société Maers Tankers France, qui n'a déjà plus que six navires en flotte et est au bord de la faillite.

Enfin, je souhaiterais attirer votre attention sur l'un des gros enjeux des années à venir, le passage au gaz naturel liquifié (GNL), en remplacement du fioul lourd, qui concerne aussi bien nos navires que nos ports. En effet, le taux de soufre va être fortement limité dans les rejets, et les navires sous pavillon français vont devoir globalement adapter leur motorisation. L'option du GNL est plus intéressante que l'installation de filtres sur les cheminées des navires à fioul lourd, en raison de l'âge relativement jeune du pavillon français, 8 ans contre 16 ans en moyenne dans l'Union européenne. Mais elle nécessite un certain nombre d'adaptations dans nos ports, afin que les navires puissent souter rapidement. En outre, la police portuaire devra être révisée pour s'adapter aux évolutions de sécurité nécessaires. Il s'agit donc d'une affaire à suivre attentivement.

Au cours des auditions, j'ai été surpris du décalage entre le discours du ministère et la réalité. Je crains vraiment que la situation ne s'aggrave très rapidement. Le Havre et Marseille bénéficient d'une situation géographique idéale, et pourtant, faute d'investissements, le premier port de France est Anvers ! Je suis également inquiet pour le pavillon français, autant pour des questions de coût que pour des impératifs de sécurité, qui sont la préoccupation majeure des armateurs. La direction des affaires maritimes est optimiste sur l'aboutissement de la réforme sur l'embarquement des gardes armés, attendons de voir ce qui sera proposé concrètement dans le projet de loi. Pour l'heure, j'exprime mon inquiétude en rappelant que je tiens le même discours depuis des années, quelle que soit la majorité en place ! Je propose un avis défavorable à l'adoption de ces crédits.

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