Intervention de Vincent Capo-Canellas

Commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire — Réunion du 20 novembre 2013 : 1ère réunion
Loi de finances pour 2014 — Crédits « transports aériens » - examen du rapport pour avis

Photo de Vincent Capo-CanellasVincent Capo-Canellas, rapporteur :

Il me revient à nouveau de vous présenter les crédits relatifs au transport aérien pour l'année 2014.

En guise d'introduction, voici quelques éléments de contexte. Après avoir connu en 2009 la plus grave crise de son histoire, le transport aérien a renoué avec la croissance. En 2012, le seuil des 3 milliards de passagers transportés a été atteint à l'échelle mondiale, ce qui représente une hausse de 4,7 % par rapport à 2011. Mais cette croissance n'est pas équitablement répartie, et profite surtout aux compagnies du Golfe et des pays émergents.

La situation française est, elle, relativement contrastée, comme en témoignent les fortunes diverses de nos champions nationaux.

D'un côté, l'industrie aéronautique poursuit sa trajectoire à succès. Le chiffre d'affaires d'EADS a bondi de 15% en 2012, pour atteindre 56,5 milliards d'euros. Airbus détient un carnet de commandes de 13 200 avions représentant 520 milliards d'euros et l'équivalent de 8 années de production. Comme son concurrent Boeing, le constructeur se trouve dans la situation enviée de ne pas produire assez pour des clients qui veulent être livrés rapidement.

De l'autre côté, la situation d'Air France reste préoccupante. Au cours des cinq dernières années, la compagnie n'a pas connu d'exercice bénéficiaire. L'année 2012 a été véritablement inquiétante avec une perte nette de près d'un milliard d'euros. L'endettement s'est fortement accru depuis 2008 et atteint environ 6 milliards d'euros au début 2013.

A un niveau intermédiaire se trouve Aéroports de Paris, qui enregistre un résultat net de 341 millions d'euros en 2012 malgré le faible dynamisme du trafic passager (+0,8%). Cette performance s'appuie notamment sur une hausse des redevances, effective au 1er avril 2012.

Air France comme ADP ont engagé des plans de départs volontaires et de réduction des coûts. Du côté d'ADP, 32 millions d'euros d'économies ont été décidés en 2013, avec pour objectif de réaliser 80 millions d'euros d'économies structurelles à horizon 2015. Les négociations en vue d'un plan de départs volontaires de 370 postes dès 2014 ont été ouvertes. Quant à Air France, la compagnie a besoin de compléter son plan Transform 2015 par un nouveau plan de départs volontaires de 1 826 postes.

Voilà pour le contexte, j'en viens à présent à la présentation des crédits 2014. Pour mémoire, les crédits budgétaires alloués aux transports aériens figurent, d'une part, au budget annexe « Contrôle et exploitation aériens » (BACEA) qui regroupe les crédits de la navigation aérienne et des opérations de contrôle et de sécurité, d'autre part, au programme 203 de la mission « Ecologie », dans les actions 11 et 14 relatives aux infrastructures de transport et au soutien des lignes pour l'aménagement du territoire.

En 2014, le budget annexe contrôle et exploitation aériens (BACEA) sera en hausse d'environ 2 % pour atteindre 2,37 milliards d'euros bruts. Par rapport aux prévisions antérieures, retenues dans le cadre de la programmation triennale, le BACEA anticipe une dégradation probable des recettes de navigation aérienne. Ce recul, déjà perceptible en 2013, a conduit la DGAC à mettre en place des mesures de régulation budgétaire : 75 millions d'euros ont été inscrits en réserve de crédits, répartis à parts égales sur les dépenses de fonctionnement et d'investissement.

Les efforts de maîtrise de la dépense se poursuivent, avec 5 millions d'euros d'économies sur les dépenses de fonctionnement et 10 millions d'euros d'économies sur les dépenses de personnel par rapport à la loi de programmation des finances publiques. Le schéma d'emploi pour l'année 2014 prévoit 100 nouvelles suppressions d'emplois, ce qui devrait porter le plafond théorique à 10 925 emplois, pour un niveau réel compris entre 10 700 et 10 800 agents.

Cet exercice est néanmoins chaque année de plus en plus difficile. En effet, les efforts de productivité ont déjà été faits et les marges d'action sont à rechercher désormais dans la rationalisation territoriale avec un recours important aux technologies de l'information et de la communication, mais celles-ci nécessitent des moyens financiers.

Pour cette raison, l'année 2014 est marquée par une volonté de relancer les investissements. Il est en effet apparu qu'un retard dans la mise en service d'opérations essentielles engendrerait des surcoûts qui ne feraient qu'aggraver la situation financière du budget annexe. Certaines opérations sont en effet liées à des engagements européens exposant à des sanctions comme le programme « Data Link ».

La DGAC bénéficiera d'une augmentation de 62 millions d'euros pour ses crédits d'investissement dans le PLF 2014 par rapport à la LFI 2013. Rapportée aux prévisions 2014 effectuées lors de la construction du triennal 2013-2015, l'augmentation s'élève à 42 millions d'euros financée à hauteur de 37 millions d'euros par l'emprunt.

Ce nouvel emprunt creusera un peu plus l'endettement du budget annexe qui atteindra un pic en 2014 : 1 282 millions d'euros, en hausse de 3,5 %. Nous sommes loin de la stabilisation annoncée dans le triennal 2013-2015.

Sans remettre en cause le bien-fondé de ces investissements, je m'interroge sur la réelle capacité de la DGAC à organiser son désendettement. Les exigences européennes ne sont pas une nouveauté. Chaque année. La DGAC demande des crédits supplémentaires, qui ont ensuite vocation à faciliter le désendettement. Mais ce désendettement peine à s'amorcer, alors que de nouvelles contraintes continuent à s'ajouter. Compte tenu de la faiblesse des perspectives économiques et du trafic, la crédibilité du scénario de désendettement de la DGAC me laisse de plus en plus perplexe.

Certes, l'affectation totale du produit de la taxe d'aviation civile (TAC) au budget annexe est peu envisageable à court terme, ne serait-ce qu'en raison de la difficulté à trouver un gage au niveau du budget général. Mais sans doute faudra-t-il tout de même réfléchir à une approche structurelle de ce type, par paliers, si l'on espère un jour juguler la spirale de l'endettement. Car il faut se réjouir pour l'heure que les charges financières diminuent, compte tenu du niveau des taux d'intérêts. Elles baissent de 38,1 millions d'euros en LFI 2013 à 36,6 millions d'euros dans le PLF 2014. Mais cette situation ne se prolongera pas indéfiniment.

En ce qui concerne le programme 203 relatif aux infrastructures et services de transports, il est dans la continuité des budgets précédents. À noter tout de même que le financement des lignes d'aménagement du territoire (LAT) se veut de plus en plus sélectif depuis deux ans. Les crédits sont recentrés sur les liaisons vers les collectivités les plus enclavées et celles pour lesquelles une desserte aérienne est critique pour le maintien de l'activité économique.

Mais en matière d'aménagement du territoire, le sujet va bien au-delà de ces seules lignes. Les aides des collectivités aux aéroports régionaux sont en suspens à Bruxelles. Le Sénat a adopté, le 3 novembre dernier, une résolution européenne sur ce point, dont j'ai été le rapporteur pour la commission du développement durable. Cette résolution appuie la position du gouvernement en faveur de l'introduction d'une nouvelle catégorie pour les petits aéroports, qui pourraient ainsi bénéficier d'un régime d'aides plus souple. Nous devons suivre ce débat car il n'est pas assuré que la position défendue par la France soit entendue par la Commission, et plusieurs aéroports régionaux sont potentiellement menacés de fermeture en l'état actuel du droit.

Les petits aéroports ne sont pas l'unique sujet d'inquiétude. L'enlisement du projet d'aéroport Grand Ouest n'est pas de nature rassurante pour les finances publiques, et il ne faudrait pas que Notre-Dame-des-Landes devienne synonyme de gouffre financier. L'absence de perspectives claires, jusqu'au plus haut niveau de l'État, n'est pas vraiment tenable à terme.

Je souhaite attirer votre attention sur un point qui me paraît crucial et que nous avons plusieurs fois évoqué. La France est, avec l'Allemagne, le pays qui comporte le plus d'infrastructures aéroportuaires. Elle hérite d'un maillage historique particulièrement dense, avec de nombreuses petites plateformes peu rentables, qui assurent l'accessibilité de certaines régions moyennant des subventions à destination de certaines lignes ou de certaines infrastructures. Il est bien entendu nécessaire de rationaliser l'organisation géographique de nos infrastructures aéroportuaires. Mais ce travail doit se faire dans le cadre d'une réflexion à l'échelle nationale sur une véritable stratégie d'aménagement, et non dans l'urgence liée à des impératifs purement financiers.

L'équilibre des relations entre ADP et Air France est déterminé dans le cadre du contrat de régulation économique (CRE) d'ADP. Ce contrat permet de définir les objectifs de performance et d'investissement de l'entreprise et a notamment pour vocation de définir le plafond d'évolution des tarifs des redevances aéroportuaires les plus significatives. Il fixe le niveau des redevances que les compagnies aériennes paient à ADP. Or il ne faut pas oublier qu'Air France représente plus de 50 % du trafic d'ADP. Des redevances élevées pèsent sur la compétitivité de la compagnie française, qui est déjà dans une situation difficile.

Le problème est qu'avec 50,6 % du capital d'ADP, l'État peine à définir une stratégie claire. L'Agence des participations de l'État (APE) tient un discours purement financier. Sous la contrainte budgétaire, elle pousse à la rentabilité d'ADP, ce qui signifie des redevances élevées et une baisse de l'investissement. L'objectif d'une rentabilité des capitaux investis égale au coût moyen pondéré du capital est certes louable sur le plan financier, mais n'inclut pas l'ensemble de la chaîne de valeur à long terme. Il ne faut pas qu'ADP ajoute aux difficultés de son principal fournisseur. En tant qu'arbitre du CRE, l'État doit se positionner. Le 2ème CRE est défini pour la période 2011-2015, le 3ème CRE est déjà en négociation pour la période 2016-2020. Il faudra veiller à ce que la chaîne de valeur dans son ensemble reste équilibrée.

Deux éléments plus positifs sur ADP. La stratégie de croissance externe en Turquie se révèle payante pour le moment. Pour rappel, ADP a investi en 2012 plus de 700 millions d'euros dans le rachat de 38 % du groupe aéroportuaire TAV, concessionnaire jusqu'en 2021 du principal aéroport d'Istanbul, Atatürk. Malheureusement, cette opération est intervenue juste avant la décision du gouvernement turc au mois de mai 2013 de construire un nouvel aéroport international à Istanbul, confié à un autre consortium turc. Mais ce projet semble prendre quelques retards, et en attendant, ADP bénéficie à plein de la forte croissance de l'aéroport Atatürk, 15 % en 2013 selon les prévisions.

L'autre élément positif est qu'ADP souhaite s'impliquer plus nettement dans le projet CDG Express, dont la mise en service est envisagée à horizon 2023. Toutes les questions ne sont pas réglées, notamment la contribution des passagers au financement de cette desserte directe et dédiée. Saluons néanmoins les efforts fournis pour avancer sur ce projet, qui permettra d'élever Paris-Charles de Gaulle au même niveau que la plupart des grands aéroports internationaux.

L'échec de la tentative de fusion entre EADS et BAE Systems en 2012, s'est traduit par une profonde remise à plat de la gouvernance et de la stratégie du groupe. L'objectif 50-50 entre le civil et le militaire a été abandonné, au profit d'un équilibre 80-20 au bénéfice du civil et de nouvelles cibles de rentabilité. En d'autres termes, EADS se « normalise » et adopte de plus en plus un comportement d'entreprise privée. Cela se traduit par une évolution du pacte d'actionnaires, qui voit les parts des États français et allemand chuter à 12 %, ces derniers n'ayant plus de représentant direct au conseil d'administration. Le groupe connaît une profonde restructuration interne, et abandonne d'ailleurs, à partir de l'année prochaine, son nom, au profit de celui de sa principale filiale, Airbus. Derrière ce changement cosmétique se dessine surtout une perspective nouvelle.

Au-delà du discours nécessairement rassurant du groupe sur la solidité de son enracinement européen, EADS envisage son avenir sur notre territoire mais aussi de plus en plus à l'international. Les relais de croissance se situent en Asie et au Proche Orient. Le chiffre d'affaires du groupe a bondi de 7 à 25 % entre 2002 et 2011 en Asie, contre une baisse de 40 à 13 % en Amérique et de 48 à 46 % en Europe. Aujourd'hui, la majeure partie du carnet de commandes d'Airbus se trouve à l'Est. Et on observe bien que le groupe dessine peu à peu la carte de son implantation en Chine, qui va bien au-delà de la seule chaîne d'assemblage d'A320 à Tianjin. Des partenariats se tissent avec des entreprises d'Harbin, Chengdu, Xi'an, Shenyang, Shanghai. Un centre d'ingénierie est implanté à Pékin, et le groupe se rapproche de centres de formation et de recherche coopérative. Des lots entiers du nouvel A350XWB seront confiés à l'industrie chinoise, comme les gouvernes de direction et de profondeur, ou les panneaux sandwich du carénage ventral.

Il est de bon sens qu'une entreprise cherche à se rapprocher de son marché cible et qu'elle élabore un tissu industriel dans cette perspective. Mais il y a lieu de veiller à ce que cela ne se traduise pas par moins d'activité sur notre territoire. La croissance globale des commandes nous prémunit pour l'instant contre ce risque. Plus largement, c'est toute la question de la stratégie de l'État actionnaire qui est posée.

L'année 2013 n'aura pas manqué d'actualité sur ce point. L'État vient encore il y a quelques jours de céder 4,7% de Safran, après une première cession de 3,12 % en mars dernier. Outre EADS, l'État a également cédé 9,5 % d'ADP l'été dernier, au profit du groupe de BTP Vinci et de l'assureur Prédica. Ces opérations sont rentables : les cessions Safran rapporteront 1,3 milliard d'euros à l'État, celle d'EADS 1,2 milliard et ADP 740 millions. Mais elles ne sont dictées que par la seule urgence budgétaire. Or nous arrivons aujourd'hui à un stade où les cessions n'ont pas seulement des conséquences financières. Le poids de l'État au conseil d'administration de ces entreprises est en jeu, et, derrière, notre capacité à conserver des orientations stratégiques à long terme. Le rôle de garant des orientations à long terme que l'État remplit est donc menacé. Le secteur aérien est un secteur de long terme, dans lequel le moindre investissement se calcule à horizon 20 ou 30 ans. Si l'État se dépossède de tous ses leviers d'action dans ce domaine, cela ne sera pas sans conséquence.

La France est actuellement le seul pays au monde avec les États-Unis à disposer d'une industrie complète, constructeurs et équipementiers, maîtrisant l'ensemble des compétences nécessaires à la définition et à la construction d'un aéronef. L'industrie nationale est présente dans tous les segments de marché (avions de transport, avions d'affaires, hélicoptères, moteurs, systèmes) en y occupant souvent une place de leader. Nous sommes à la veille de brader ces leviers d'action, d'aucuns diront ces bijoux de famille, et cela ne sera pas sans conséquence pour l'avenir. Nous basculons vers un autre modèle, dans débat et sans volonté industrielle assumée. Surtout, sans vision de ce que le nouveau modèle doit être.

Tout cela n'est pas sans lien avec la perte de visibilité dans le domaine de la recherche aéronautique. Pour l'heure, le secteur salue les engagements du programme Investissements d'avenir 2 (PIA 2) de l'ordre de 1,3 milliard d'euros, qui vont notamment permettre le développement tant attendu de trois démonstrateurs technologiques, dont la finalité est la préparation du successeur à l'A320. Mais ce PIA 2 a le même défaut que son prédécesseur. Il fournit du financement à court terme, tout en ne proposant aucune trajectoire pour un secteur qui a plus que tout besoin de visibilité à long terme. Sans cela, les entreprises ne prennent pas les risques nécessaires au développement de tels projets. Ajoutons-y l'effet de signal négatif de la loi de programmation militaire (LPM), qui préserve les grands programmes en jouant sur la cadence et les cibles, mais demeure à la merci de ressources extrabudgétaires. Il est impératif que nous cessions cette dynamique de précarisation de nos investisseurs, sous peine de perdre toute capacité à engager des projets ambitieux de long terme, qui tirent la compétitivité et la croissance de notre économie.

En matière environnementale, l'actualité est dominée par la décision de l'OACI du 4 octobre dernier. Celle-ci écarte définitivement l'application du système ETS au secteur aérien, telle que voulue par la Commission européenne. En revanche, l'accord prévoit de plafonner les émissions de gaz à effet de serre dans le transport aérien pour atteindre une croissance neutre du secteur à partir de 2020 et l'OACI s'est engagée à mettre en place des mesures de marché lors de sa prochaine réunion en 2016.

En attendant d'y voir plus clair sur le contenu de ces mesures, j'attire votre attention sur la continuation de l'initiative de recherche conjointe Clean Sky, dont notre commission a visité le stand au dernier salon du Bourget. Pour rappel, il s'agit d'un partenariat européen de coopération, à parts égales entre le secteur public et le secteur privé, 800 millions d'euros chacun, dont le but est de développer un ensemble de technologies nécessaires pour « un système aérien propre, innovant et concurrentiel ». Clean Sky joue le rôle d'un programme « aval » : lorsque la technologie est mature, il permet aux parties prenantes de se regrouper afin de financer des démonstrateurs intégrés pour des essais au sol ou en vol. De l'aveu général, ce programme est un succès. Mais certains pays comme l'Allemagne ou les Pays-Bas demandent une révision à la baisse du budget pour Clean Sky 2 après 2017, au motif que les universités et centres de recherche ne seraient pas suffisamment inclus dans le programme. La France, première bénéficiaire du programme, a tout intérêt à défendre avec fermeté le budget public de 1,8 milliard d'euros actuellement envisagé.

Au vu des éléments que je viens de vous présenter, je vous propose un avis de sagesse sur ces crédits.

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