Le Gouvernement a déposé, le 4 septembre 2013, un projet de loi d'habilitation à prendre par ordonnances diverses mesures de simplification et de sécurisation de la vie des entreprises, qui a été débattu par l'Assemblée nationale au début du mois d'octobre et devrait être examiné par le Sénat dans le courant du mois de décembre. En mai dernier, le chef de l'État a souhaité que soit engagé un choc de simplification. Dès juillet, le Comité interministériel pour la modernisation de l'action publique entérinait un programme triennal de simplification comprenant 200 mesures, concernant les citoyens comme les entreprises. Notre collègue député Thierry Mandon a également été chargé d'une mission sur la question du fardeau administratif des entreprises.
Le Gouvernement a déposé deux projets de loi. L'un, récemment promulgué, concerne les citoyens ; l'autre, que nous examinons aujourd'hui, les entreprises. J'entends déjà les critiques sur le fait que le Gouvernement choisisse de recourir à la procédure des ordonnances. En tant que parlementaires, nous pouvons bien sûr le regretter. En l'espèce, cela me semble inévitable pour deux raisons. La rapidité, d'abord : plusieurs ordonnances sont en cours de rédaction, parallèlement à l'examen au Parlement du projet de loi, afin qu'elles puissent être publiées dès la promulgation. Puis, plusieurs mesures envisagées, essentiellement de nature technique, n'ont qu'une portée politique réduite. Quoi qu'il en soit, le recours aux ordonnances n'est pas un blanc-seing. Aussi me suis-je attaché à comprendre les intentions exactes du Gouvernement pour chaque demande d'habilitation, afin d'éclairer et de délimiter l'intervention du pouvoir exécutif.
Le projet de loi comporte, après examen à l'Assemblée nationale, 21 articles. Les dispositions proposées peuvent être regroupées en quatre catégories : simplification de certaines démarches administratives ou comptables des entreprises, par exemple en développant l'usage de la facture électronique ; encouragement de nouvelles formes de financement des entreprises, notamment lorsqu'elles rencontrent des difficultés ; facilitation des relations entre les entreprises et les pouvoirs publics, par exemple dans le cadre du plan très haut débit ; facilitation du développement de certains secteurs ou professions, notamment libérales, puisque plusieurs articles concernent les notaires et les experts comptables. La commission des finances s'est saisie pour avis de huit articles, la plupart dans le domaine du droit bancaire et financier. La commission des lois nous a délégué l'examen au fond des articles 11, 12, 15 et 21.
L'article 1er prévoit une habilitation donnant un cadre juridique au « financement participatif ». Il s'agit d'un nouveau mode de levée de fonds sur Internet, qui a débuté il y a quelques années pour les sociétés de production de musique. Concrètement, l'entrepreneur présente son projet sur une plateforme Internet. Si un nombre suffisamment grand d'internautes décident de le financer, le projet peut débuter. D'abord utilisé pour des projets humanitaires ou artistiques, ce mode de financement s'oriente désormais vers des projets d'entreprises. Ce secteur se professionnalise, donc. Les chiffres sur les fonds ainsi levés sont encore imprécis : pour 2013, en France, ils varient entre 40 millions d'euros et 200 millions d'euros. Aux États-Unis, l'objectif est de lever 1 milliard de dollars par ce mode d'ici à 2015. Une certitude : ce secteur est en croissance et une quarantaine de plateformes sont actives en France.
Les financements peuvent prendre plusieurs formes. Dans le cas de projets humanitaires, par exemple, ce sont des dons. Il existe également des possibilités de prêts, avec ou sans intérêts, ou encore d'investissement en fonds propres en acquérant des parts de l'entreprise, qui posent des problèmes spécifiques au regard du droit financier existant : le code monétaire et financier prévoit un monopole bancaire pour l'activité de prêts, ou encore l'obligation de rédiger un prospectus très détaillé dans le cas d'un investissement en capital. Si l'on veut encourager le financement participatif dans un cadre régulé, il faut donc adapter notre législation à cette activité. C'est l'objet des 3° et 4° de l'article 1er qui créent un nouveau statut de « conseiller en financement participatif », assouplissent le monopole bancaire et les règles de placement de titres financiers. La France pourra utiliser une option offerte par la directive sur les établissements de paiement afin que les plateformes Internet puissent choisir ce statut à moindre coûts. En vue de la rédaction de l'ordonnance, le Gouvernement et les régulateurs ont procédé à une consultation publique, qui s'est clôturée il y a quelques jours. Le dialogue avec la profession devrait se poursuivre dans les semaines à venir.
L'article 3 comporte plusieurs mesures relatives à la vie juridique des entreprises. En particulier son 3° prévoit de modifier le régime juridique des valeurs mobilières dites complexes. Je n'entrerai pas dans les subtilités du régime juridique des certificats de valeur garantie ou des obligations remboursables en actions. Les juristes se perdant eux-mêmes dans le régime actuel, le Gouvernement étudie, suite à la remise d'un rapport élaboré par deux professeurs de droit et en lien avec les différents acteurs concernés, y compris l'Autorité des marchés financiers, la possibilité de clarifier le droit applicable à ces titres financiers. S'agissant de titres complexes, je souhaite qu'ils ne puissent être souscrits que par des investisseurs professionnels ou que le régime de protection soit encadré par la loi.
L'article 9 aligne les obligations des mutuelles et des établissements de crédit en matière d'information sociale et environnementale sur le droit commun. Il s'agit notamment de rétablir des conditions de seuil qui ont été supprimées par erreur à l'occasion d'une mesure de coordination.
L'article 10 concerne la modernisation de l'État actionnaire. En effet, les textes relatifs à l'État actionnaire se sont sédimentés depuis maintenant trente ans. Le Gouvernement souhaite donc rétablir la cohérence entre les différentes dispositions, par exemple en ce qui concerne sa capacité de nomination au sein des conseils d'administration. Il souhaiterait également étendre le rôle de conseil de la Commission des participations et des transferts aux cas où l'État réalise des acquisitions, car la Commission n'émet un avis que sur les cessions.
L'article 11 vise à habiliter le Gouvernement à transposer par ordonnances le paquet législatif de réglementation bancaire dit CRD 4, qui transpose lui-même en droit européen les recommandations prudentielles de Bâle III. Le paquet CRD 4, qui comprend une directive et un règlement, a été adopté en juin 2013. La commission des finances a déjà eu de nombreuses fois l'occasion de débattre sur cette réforme majeure qui, avec la loi de séparation des activités bancaires promulguée en juillet, renforce la solidité, la résistance aux crises, mais aussi l'orientation vers l'économie réelle de notre système bancaire. L'Union européenne est allée plus loin que les recommandations de Bâle III en intégrant un volet de gouvernance, de transparence pays par pays, ainsi que d'encadrement des rémunérations variables. Le Gouvernement m'a assuré qu'il appliquerait cet encadrement aux groupes bancaires français pour l'ensemble de leurs filiales réalisant des activités financières, même celles établies à l'étranger. L'un des points essentiels de la transposition concerne le régime transitoire qui sera choisi avant l'application progressive des normes européennes harmonisées. À cet égard, la France ne devrait pas accélérer la phase de transition, notamment pour laisser aux banques françaises, dont nous connaissons le déséquilibre entre les dépôts et les crédits, le temps de s'adapter aux nouvelles règles de liquidité. Je ne propose pas d'amendement sur cet article.
L'article 12 habilite le Gouvernement à transposer par ordonnances les textes européens, adoptés le mois dernier, relatifs à la mise en place du superviseur unique européen au sein de la Banque centrale européenne. Il s'agit du premier pilier de l'union bancaire, dont nous avions déjà discuté il y a un an à l'occasion de l'examen d'une proposition de résolution européenne déposée par Richard Yung. La négociation européenne a été rapide et a abouti à un compromis qui correspond aux positions soutenues par la France : 85 % du système bancaire de la zone euro sera surveillé directement par la Banque centrale européenne (BCE) à partir de la fin de l'année prochaine. Même si les opérations quotidiennes de supervision resteront assurées par les autorités nationales - en France, l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) - le fait que les décisions soient, en dernière instance, prises par la BCE, représente un important changement de paradigme, notamment pour le secteur bancaire français dont environ 90 % à 95 % devrait passer sous supervision européenne. L'ordonnance aura pour objet d'adapter la législation française à la compétence de la BCE en matière de supervision et de délivrance des agréments et de permettre à l'ACPR de réaliser certaines opérations, notamment de procédure disciplinaire, à la demande de la BCE. Je vous proposerai deux amendements sur cette habilitation : l'un pour préciser les textes européens concernés, et l'autre pour réduire le délai d'habilitation de quinze à huit mois.
L'article 15 ratifie l'ordonnance du 27 juin 2013, pour laquelle le Gouvernement avait reçu une habilitation dans le cadre de la loi relative à la Banque publique d'investissement (BPI). Cette ordonnance a créé un nouveau statut de société de financement pour les sociétés financières spécialisées, qui ne collectent pas de dépôt et qui réalisent des activités de crédit-bail, d'affacturage, de cautionnement ou encore de crédit à la consommation. En effet, ces établissements étaient auparavant des établissements de crédit. Or, la règlementation européenne issue de CRD 4 a modifié la définition des établissements de crédit, qui devront désormais avoir une activité de collecte de dépôts. C'est pourquoi il était nécessaire de créer une nouvelle catégorie, associée à un agrément spécifique, pour ces sociétés de financement. La plupart des interrogations qui entouraient la création de ce statut ont été levées. En particulier, leur réglementation prudentielle restera, sur la plupart des aspects, aussi contraignante que celle des établissements de crédit. Par ailleurs, leur capacité de refinancement sera assurée puisqu'il leur sera permis d'émettre, sous conditions, des titres de créances négociables. Je vous proposerai toutefois deux amendements rédactionnels, l'un portant sur le texte de l'ordonnance elle-même, l'autre portant sur certains des articles du code monétaire et financier qu'elle modifie.
Enfin, l'article 21 ratifie l'ordonnance du 26 juillet 2013, qui procède à la transposition de la directive européenne du 8 juin 2011 sur les gestionnaires de fonds d'investissement alternatifs, dite directive AIFM. Celle-ci a pour objet de mieux réguler ces fonds d'investissements, parmi lesquels on compte les fameux hedge funds mais également, par exemple, les fonds de capital-investissement ou les SCPI, afin de limiter les risques qu'ils sont autorisés à prendre et donc à faire courir au reste du système financier. Il s'agit également de protéger les investisseurs, en particulier le grand public, ainsi que les entreprises dont ces fonds prennent le contrôle. Dans ce cadre règlementaire harmonisé, est créé un système de passeport destiné à faciliter la commercialisation des fonds dans l'Union européenne. Les nouvelles exigences sont assez proches des règles françaises et vont même plus loin sur certains points. La directive AIFM rétablit ainsi l'égalité des armes entre les fonds d'investissement français, déjà strictement supervisés, et ceux établis dans d'autres pays européens, qui faisaient parfois argument commercial d'une régulation plus souple. L'ordonnance accompagne la transposition de diverses mesures destinées à clarifier la gamme des fonds français et à améliorer leur cadre de gestion, afin d'accroître leur attractivité. Je vous proposerai un amendement visant à rectifier des erreurs matérielles et à apporter des précisions rédactionnelles.
Sous la réserve des amendements que je vous propose, je suis favorable à l'adoption de l'ensemble de ces articles, qui agiront rapidement sur la vie des entreprises et transposeront les directives européennes qui doivent l'être.