Intervention de Raymond Couderc

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 21 novembre 2013 : 1ère réunion
Loi de finances pour 2014 — Mission « immigration asile et développement » programme « immigration et asile » - examen du rapport pour avis

Photo de Raymond CoudercRaymond Couderc, rapporteur pour avis :

J'en viens à la deuxième partie de notre présentation, qui est la nécessaire réforme de ce droit fondamental. Actuellement, cela ressemble au tonneau des Danaïdes !

Tout d'abord, il est une limite que nous pointons depuis plusieurs années : le délai de traitement des demandes. A l'OFPRA, malgré un important plan de recrutement visant à résorber le stock de dossiers, et une productivité pourtant importante, le stock de dossiers ne se résorbe pas, et devient de plus en plus critique : 186 jours en réalisation 2012, auxquels il faut rajouter l'éventuel recours devant la CNDA. Au premier semestre 2013, la situation s'est encore détériorée, atteignant 204 jours pour le seul examen OFPRA ! A l'inverse la situation s'est améliorée à la CNDA, le délai d'instruction des recours a été quasiment réduit de moitié en 3 ans, passant de 15 mois à 8 mois environ aujourd'hui. Nous nous en félicitons.

Rappelons que le contrat d'objectifs et de performance de l'OFPRA, signé en septembre dernier, fixe un objectif de traitement global de 9 mois, recours devant la CNDA inclus ! Soit 3 mois pour traiter le dossier à l'OFPRA. Cet objectif est à horizon 2015, pour une prévision de croissance de la demande comprise entre 5% et 10%. Néanmoins, compte-tenu du flux actuel de dépôt des demandes, du stock de dossier en instance, et surtout de la transposition en droit français de la directive dite « procédure » qui aura nécessairement des répercussions sur le traitement des dossiers, j'y reviendrai un peu plus tard, cet objectif parait difficilement réalisable !

Une autre limite est celle de l'hébergement des demandeurs d'asile : nous nous réjouissons de la création de 4 000 places en CADA, néanmoins il est un problème sur lequel on ne peut fermer les yeux plus longtemps : celui des places de CADA occupées par des personnes déboutées ayant épuisé toutes les voies de recours. Elles représentent 10% des places de CADA, ce qui pourrait paraître peu, mais je vous rappelle que le parc n'est pas si important que ça, et toute place occupée indument l'est au détriment d'un demandeur d'asile en cours de procédure qui pourrait légitimement y prétendre !

Nous nous réjouissons que le gouvernement ait enfin pris la mesure des problèmes liés à l'asile, car il s'agit d'un principe sacré de notre République qui ne doit pas être galvaudé. La concertation annoncée par le Ministre de l'Intérieur en mai dernier, et lancée en juillet, sous le pilotage de nos collègues Jean-Louis Touraine et Valérie Létard, a justement intégré dans ses thèmes de réflexion les deux limites que je viens de vous énoncer. Les conclusions seront remises sous peu, néanmoins on en connaît déjà les axes principaux :

- La réduction des délais de traitement des dossiers ;

- Une détermination dès l'arrivée, de l'éligibilité de la demande d'asile avec un traitement accéléré des demandes dont le fondement est de toute évidence infondé. Il ne faut pas confondre asile et immigration économique, je le répète, ce serait au détriment de ce principe fondamental ;

- Un pilotage plus directif des hébergements : des équilibres entre territoires doivent être recherchés. Les demandeurs d'asile doivent être dirigés vers des hébergements en fonction des places disponibles ;

- Une territorialisation plus importante de toute la procédure : un dispositif efficace est un dispositif au plus près des réalités locales ;

Sur ces deux derniers points, je vous rappelle que nous avions souligné lors de l'examen de la LFI 2013 que 68% des demandes déposées étaient concentrées dans 5 régions, créant ainsi un déséquilibre géographique considérable. La création de 4 000 places en CADA, dont Alain Néri vous a parlé tout à l'heure, cherche justement à remédier à ceci en privilégiant des régions traditionnellement non soumises aux pressions des flux, comme la Basse-Normandie, la Champagne-Ardenne, le Limousin, et la région Poitou-Charentes ;

- L'éloignement des déboutés du droit d'asile qui engorgent les hébergements. Les indicateurs de performance sont significatifs, je vous le disais, 10% des places en CADA sont occupées par des personnes n'étant plus censées y avoir accès.

Bien sûr il faut désormais que la réforme suive, et rapidement. Le calendrier présenté par le Ministre indique un projet de loi en 2014. C'est d'autant plus urgent que nous sommes également soumis, en matière de droit d'asile, aux réformes européennes intervenues dernièrement : révision des règlements Dublin II (devenu Dublin III) et Eurodac, directives « accueil », « qualification » et « procédure » ... Nous devons en tenir compte ! En particulier, et sans vouloir détailler précisément le contenu de ces directives, il en est une qui aura des conséquences substantielles dans les faits, et risque d'entraver les objectifs qui sont les nôtres à l'heure actuelle : la directive procédure. En prévoyant la présence d'un tiers auprès du demandeur lors de son examen, elle va jouer à la baisse sur la capacité d'instruction des dossiers par les agents de l'OFPRA. Mécaniquement, on peut attendre une hausse des délais déjà critiques ! Ce qui, également, est loin de l'objectif recherché de réduction à 90 jours du délai de traitement des demandes à l'OFPRA.

En conclusion, j'exprime mon inquiétude quant à la diminution des budgets de l'Allocation Temporaire d'Attente (ATA) et de l'hébergement d'urgence, alors que les nouvelles places en CADA ne seront manifestement pas suffisantes. Mais plus que tout, nous devons redouter le détournement du droit d'asile par des personnes qui comptent sur les délais d'examen des dossiers, sur les recours à répétition et sur la non-exécution de la reconduite à la frontière pour en faire une porte d'entrée vers l'immigration économique. C'est le concept même du droit d'asile auquel nous sommes tant attachés qui serait remis en cause : nous avons l'ardente obligation de trouver des solutions avec humanisme certes, mais avec fermeté.

Je proposerai l'abstention sur ce budget, en attendant de voir si les mesures de réforme du système d'asile annoncées par le Ministre de l'Intérieur, en audition le 13 novembre dernier, sont réellement appliquées l'année prochaine.

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