La commission examine le rapport pour avis de MM. Alain Néri et Raymond Couderc sur le programme 303 - Immigration et Asile - de la mission Immigration, Asile et Développement du projet de loi de finances pour 2014.
La mission « Immigration, asile et intégration » a été créée en 2007 et comprend deux programmes : le programme 303 porte sur « l'immigration et l'asile », le programme 104 sur « l'intégration et l'accès à la nationalité française ». Depuis cette création, votre commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées se saisit pour avis sur le programme 303. Seule l'action 2 « garantie de l'exercice du droit d'asile » fait l'objet d'un examen par la Commission.
Cette action a pour objectif de garantir aux demandeurs d'asile un traitement optimal de leur demande, ainsi qu'une bonne prise en charge en termes de conditions matérielles d'accueil et d'accès aux soins pendant la durée d'instruction de leur demande. L'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) puis, en cas de recours, la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) qui relève du programme Conseil d'État et autres juridictions administratives, instruisent les demandes d'asile.
Je vais tout d'abord vous présenter les grandes lignes du projet de loi de finances pour 2014 concernant ce programme. L'action « garantie de l'exercice du droit d'asile » (action 02) reste la plus importante en volume. Elle absorbe 85,11% des autorisations d'engagement, avec 503,73 millions d'euros, et 83,59% des crédits de paiement, avec le même montant, du programme 303. Ces crédits sont en légère augmentation par rapport à la loi de finances pour 2013 (+0,5%), qui les avait elle-même accrus de 22,6%.
Les dépenses de fonctionnement regroupent les dotations versées à l'OFPRA. En 2013, les effectifs ont été renforcés, puisque le plafond d'emplois de l'établissement a été relevé de dix équivalents temps plein, et il en est de même dans la loi de finances initiale pour 2014. Les dotations de la LFI 2014 sont en augmentation de 2,2 millions par rapport à 2013, pour pouvoir permettre ce recrutement et améliorer le délai de traitement des demandes. Également, les coûts d'interprétariat sont inclus dans ces dépenses.
Les dépenses d'intervention concernent la prise en charge sociale des demandeurs d'asile pendant toute la durée d'instruction de leur dossier et regroupent :
- les dotations liées aux centres d'accueil des demandeurs d'asile (CADA). L'État finance un dispositif national d'accueil des demandeurs d'asile, pérenne, et qui comporte 270 CADA, deux centres de transit et un centre d'accueil et d'orientation des mineurs isolés demandeurs d'asile ;
- les dispositifs d'hébergement d'urgence, qui complètent le parc des places en CADA, insuffisant. La prévision de crédits au titre du PLF 2014 est en baisse de près de 10 millions par rapport à la LFI 2013 ;
- l'allocation temporaire d'attente, ATA, qui est versée aux demandeurs d'asile pendant la durée d'instruction de leur dossier, y compris en cas de recours devant la CNDA, s'ils ne sont pas hébergés en CADA. La prévision de crédits pour 2014 connaît une baisse de 5 millions par rapport à la LFI 2013, qui s'explique en particulier par la suppression d'ATA indues suite à l'audit de l'IGF et l'IGA, sur la gestion de cette allocation ;
Cette année, la baisse des dotations liées à l'hébergement d'urgence et l'ATA s'expliquent aussi par la création de places en CADA. En effet, le Gouvernement a décidé de créer 4 000 places supplémentaires sur le territoire, entre 2013 et 2015.
69 projets ont été retenus pour un total de 2 047 places, augmentant ainsi le parc national de 9,7%. L'un des critères ayant primé dans le cadre de la sélection des projets est la déconcentration du parc existant, de manière à rééquilibrer l'offre d'hébergement sur le territoire.
Les 1 000 places suivantes doivent être ouvertes en avril 2014. Enfin, les 1 000 dernières places devront être créées fin 2014. Ainsi, avec la création de 4 000 places supplémentaires, ce sont au total 25 689 places qui composeront le parc. L'objectif cible est de tendre vers 92% d'occupation des places de CADA par des demandeurs d'asile et autres personnes autorisées.
Il est une notion importante lorsque l'on parle de droit d'asile, c'est celle de « pays sûr ». Est considéré comme tel un pays qui « veille au respect des principes de liberté, de la démocratie et de l'état de droit, ainsi que des droits de l'homme et des libertés fondamentales ». La liste est établie par le Conseil d'administration de l'OFPRA, elle est régulièrement actualisée, soit volontairement par l'ajout ou le retrait de certains pays suite à des changements internes, soit par décision du Conseil d'État qui peut demander le retrait de pays.
Ces modifications ont une influence forte sur l'évolution de la demande d'asile. Ainsi, l'inscription du Bangladesh et de l'Arménie en décembre 2011 a entraîné une baisse respective de 71% et de 42% de ces flux en 2012. A contrario, le retrait de l'Albanie et du Kosovo a entraîné une reprise de ces demandes dès le second semestre 2012.
En 2012, la République démocratique du Congo reste le premier pays d'origine des demandeurs, suivie par la Russie, le Sri Lanka, le Kosovo et la Chine. Le taux d'acceptation à l'OFPRA est de 9,4% des demandes d'asile en 2012 contre 11% en 2011. Si l'on ajoute les recours déposés ensuite devant la CNDA et accordés, le taux d'accord global est d'environ 21%.
Pays des droits de l'homme et fidèle à ses valeurs de protection des personnes dont la liberté et la sécurité sont en danger dans leur pays d'origine, la France est un des premiers pays receveurs de demandes d'asile. En 2012, 61 468 demandes ont été déposées, confirmant ainsi la hausse continue des demandes depuis plusieurs années. Au premier semestre 2013, le rythme s'est encore accéléré, avec une progression d'environ 10%. Les projections pour 2013 laissent penser que près de 70 000 demandes devraient être déposées.
Ceci conduit à nous interroger sur l'efficacité des mesures mises en oeuvre et des crédits budgétaires. Malgré des progrès notables, cette situation entraine encore trop souvent des délais trop longs de traitement des dossiers. Les demandeurs d'asile sont alors dans une situation précaire psychologique et sociale défavorable à leur intégration, et qui ne participe pas au respect de leur dignité d'homme. Cependant, en raison des efforts prévus dans ce budget pour améliorer la situation, je vous demande de donner un avis favorable aux crédits inscrits au programme 303.
J'en viens à la deuxième partie de notre présentation, qui est la nécessaire réforme de ce droit fondamental. Actuellement, cela ressemble au tonneau des Danaïdes !
Tout d'abord, il est une limite que nous pointons depuis plusieurs années : le délai de traitement des demandes. A l'OFPRA, malgré un important plan de recrutement visant à résorber le stock de dossiers, et une productivité pourtant importante, le stock de dossiers ne se résorbe pas, et devient de plus en plus critique : 186 jours en réalisation 2012, auxquels il faut rajouter l'éventuel recours devant la CNDA. Au premier semestre 2013, la situation s'est encore détériorée, atteignant 204 jours pour le seul examen OFPRA ! A l'inverse la situation s'est améliorée à la CNDA, le délai d'instruction des recours a été quasiment réduit de moitié en 3 ans, passant de 15 mois à 8 mois environ aujourd'hui. Nous nous en félicitons.
Rappelons que le contrat d'objectifs et de performance de l'OFPRA, signé en septembre dernier, fixe un objectif de traitement global de 9 mois, recours devant la CNDA inclus ! Soit 3 mois pour traiter le dossier à l'OFPRA. Cet objectif est à horizon 2015, pour une prévision de croissance de la demande comprise entre 5% et 10%. Néanmoins, compte-tenu du flux actuel de dépôt des demandes, du stock de dossier en instance, et surtout de la transposition en droit français de la directive dite « procédure » qui aura nécessairement des répercussions sur le traitement des dossiers, j'y reviendrai un peu plus tard, cet objectif parait difficilement réalisable !
Une autre limite est celle de l'hébergement des demandeurs d'asile : nous nous réjouissons de la création de 4 000 places en CADA, néanmoins il est un problème sur lequel on ne peut fermer les yeux plus longtemps : celui des places de CADA occupées par des personnes déboutées ayant épuisé toutes les voies de recours. Elles représentent 10% des places de CADA, ce qui pourrait paraître peu, mais je vous rappelle que le parc n'est pas si important que ça, et toute place occupée indument l'est au détriment d'un demandeur d'asile en cours de procédure qui pourrait légitimement y prétendre !
Nous nous réjouissons que le gouvernement ait enfin pris la mesure des problèmes liés à l'asile, car il s'agit d'un principe sacré de notre République qui ne doit pas être galvaudé. La concertation annoncée par le Ministre de l'Intérieur en mai dernier, et lancée en juillet, sous le pilotage de nos collègues Jean-Louis Touraine et Valérie Létard, a justement intégré dans ses thèmes de réflexion les deux limites que je viens de vous énoncer. Les conclusions seront remises sous peu, néanmoins on en connaît déjà les axes principaux :
- La réduction des délais de traitement des dossiers ;
- Une détermination dès l'arrivée, de l'éligibilité de la demande d'asile avec un traitement accéléré des demandes dont le fondement est de toute évidence infondé. Il ne faut pas confondre asile et immigration économique, je le répète, ce serait au détriment de ce principe fondamental ;
- Un pilotage plus directif des hébergements : des équilibres entre territoires doivent être recherchés. Les demandeurs d'asile doivent être dirigés vers des hébergements en fonction des places disponibles ;
- Une territorialisation plus importante de toute la procédure : un dispositif efficace est un dispositif au plus près des réalités locales ;
Sur ces deux derniers points, je vous rappelle que nous avions souligné lors de l'examen de la LFI 2013 que 68% des demandes déposées étaient concentrées dans 5 régions, créant ainsi un déséquilibre géographique considérable. La création de 4 000 places en CADA, dont Alain Néri vous a parlé tout à l'heure, cherche justement à remédier à ceci en privilégiant des régions traditionnellement non soumises aux pressions des flux, comme la Basse-Normandie, la Champagne-Ardenne, le Limousin, et la région Poitou-Charentes ;
- L'éloignement des déboutés du droit d'asile qui engorgent les hébergements. Les indicateurs de performance sont significatifs, je vous le disais, 10% des places en CADA sont occupées par des personnes n'étant plus censées y avoir accès.
Bien sûr il faut désormais que la réforme suive, et rapidement. Le calendrier présenté par le Ministre indique un projet de loi en 2014. C'est d'autant plus urgent que nous sommes également soumis, en matière de droit d'asile, aux réformes européennes intervenues dernièrement : révision des règlements Dublin II (devenu Dublin III) et Eurodac, directives « accueil », « qualification » et « procédure » ... Nous devons en tenir compte ! En particulier, et sans vouloir détailler précisément le contenu de ces directives, il en est une qui aura des conséquences substantielles dans les faits, et risque d'entraver les objectifs qui sont les nôtres à l'heure actuelle : la directive procédure. En prévoyant la présence d'un tiers auprès du demandeur lors de son examen, elle va jouer à la baisse sur la capacité d'instruction des dossiers par les agents de l'OFPRA. Mécaniquement, on peut attendre une hausse des délais déjà critiques ! Ce qui, également, est loin de l'objectif recherché de réduction à 90 jours du délai de traitement des demandes à l'OFPRA.
En conclusion, j'exprime mon inquiétude quant à la diminution des budgets de l'Allocation Temporaire d'Attente (ATA) et de l'hébergement d'urgence, alors que les nouvelles places en CADA ne seront manifestement pas suffisantes. Mais plus que tout, nous devons redouter le détournement du droit d'asile par des personnes qui comptent sur les délais d'examen des dossiers, sur les recours à répétition et sur la non-exécution de la reconduite à la frontière pour en faire une porte d'entrée vers l'immigration économique. C'est le concept même du droit d'asile auquel nous sommes tant attachés qui serait remis en cause : nous avons l'ardente obligation de trouver des solutions avec humanisme certes, mais avec fermeté.
Je proposerai l'abstention sur ce budget, en attendant de voir si les mesures de réforme du système d'asile annoncées par le Ministre de l'Intérieur, en audition le 13 novembre dernier, sont réellement appliquées l'année prochaine.
Je partage l'avis des deux rapporteurs. L'affaire dite « Leonarda » a mis en lumière l'exaspération des Français devant ces délais. Pendant ce temps, les familles trouvent un logement, s'intègrent, il est humainement difficile de les faire partir ensuite s'ils sont déboutés. Les Conseils Généraux sont eux-aussi sollicités, car s'il y a des enfants de moins de 3 ans, les déboutés du droit d'asile sont à leur charge.
Sur la répartition géographique des demandeurs d'asile, certaines régions, comme Mulhouse, connaissent un afflux de demandeurs, auquel il faut faire face en mettant en place une capacité d'accueil qui, de fait, provoque un flux supplémentaire. C'est sans fin ! Cela crée un contrecoup, et seule l'autorité de l'État pour faire cette répartition sur le territoire que nous appelons tous de nos voeux. Elle sera difficile à réaliser, mais nécessaire.
Pouvez-vous rappeler les moyens supplémentaires dont disposera l'OFPRA ?
L'effort à l'OFPRA est engagé depuis plusieurs années. Déjà l'an dernier, 10 postes équivalent temps plein ont été créés, et ce sera la même chose en 2014. Financièrement, l'effort est de 2,2 millions d'euros supplémentaires.
Cette situation tendue n'est dans l'intérêt de personne, et comme le rappelait André Vallini, les Conseils Généraux sont dans une situation financière difficile, et lorsqu'il y a des enfants en bas âge, l'hébergement reste un problème car très précaire. Il faut avoir le courage politique de prendre ses responsabilités.
La création de 4 000 places supplémentaires et la meilleure dispersion sur le territoire vont désengorger le dispositif. Il faut jouer sur tous les leviers, avec humanité, et faire en sorte de mettre un terme à l'utilisation abusive des places de CADA. Les crédits vont visiblement dans le bon sens.
Puis, la commission donne un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration », les groupes UMP et UDI-UC s'abstenant.