Intervention de Françoise Férat

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 19 novembre 2013 : 1ère réunion
Loi de finances pour 2014 — Mission « enseignement scolaire » - examen des rapports pour avis

Photo de Françoise FératFrançoise Férat, rapporteur pour avis sur les crédits du programme « Enseignement technique agricole » :

Vous savez que j'ai toujours porté un regard impartial sur les budgets de l'enseignement agricole que j'ai eu l'honneur de rapporter depuis quatorze ans. Lorsqu'il a fallu défendre les moyens confiés à cet enseignement d'excellence, je n'ai pas hésité à contester les arbitrages du ministre, quel qu'il soit. Cette année encore, j'ai examiné le budget sans esprit partisan et dans le seul souci de soutenir le développement harmonieux et équilibré des trois familles de l'enseignement agricole. Avant d'entrer dans le détail, j'aimerais préciser immédiatement qu'il s'agit d'un budget solide qui respecte les engagements pris par les différents partenaires. Cependant, j'ai relevé plusieurs signes de fragilité auxquels nous devrons être très attentifs dans les années à venir, si nous voulons que le réseau de l'enseignement agricole continue à se développer.

Les crédits consacrés à l'enseignement technique agricole connaissent une hausse de 20 millions d'euros dans le projet de loi de finances pour 2014 par rapport au budget précédent, soit une hausse de 1,7 %.

Il faut souligner que l'enseignement agricole est mieux traité que l'éducation nationale. Ce rééquilibrage est particulièrement bienvenu, dans la mesure où les années précédentes, l'enseignement agricole a payé un lourd écot à la révision générale des politiques publiques. Je souhaite que soit préservée sur le long terme l'équité de traitement entre l'enseignement agricole et l'éducation nationale.

Je tiens à souligner les efforts faits en matière d'aide sociale aux élèves :

- une hausse de 14,7 % des dotations du fonds social lycéen permettant le recrutement de 30 AVS-i à la rentrée 2014 pour faciliter l'accueil des élèves handicapés scolarisés dans l'enseignement agricole. Cependant, cette hausse est entièrement absorbée par l'accélération des prescriptions des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) ;

- une hausse de 2,85 % du financement des bourses sur critères sociaux afin de tenir compte de l'augmentation du nombre de boursiers sous l'effet de la crise économique et de l'accroissement du taux de poursuite d'études vers le BTS.

Lors de l'examen du budget 2013, je m'étais inquiétée de la carence de l'État, résolu à ne pas appliquer les protocoles Barnier de 2009 qui réglaient le calcul des dotations aux établissements privés. De fait, l'État ne semblait pas en mesure de remplir ses obligations légales, réglementaires et conventionnelles, en raison des contraintes pesant sur les finances publiques. Le risque d'un contentieux avec les établissements privés ne pouvait être écarté après la saisie de la commission de conciliation.

Étant donné le contexte budgétaire très tendu, j'avais plaidé pour l'ouverture de négociations afin de définir une nouvelle trajectoire financière, non seulement soutenable pour l'État mais aussi viable pour les établissements privés. La conclusion de nouveaux accords, remplaçant les protocoles de 2009 qui eux-mêmes se substituaient aux accords Gaymard-Forissier de 2004, paraissait inévitable pour trouver une solution pérenne et lisible.

L'année 2013 a été précisément marquée par la signature de deux protocoles d'accord avec les fédérations du temps plein et du rythme approprié. Dans le PLF 2014, les dotations aux établissements d'enseignement privé ont été calibrées afin de les prendre en compte.

Le protocole d'accord signé le 11 mars 2013 encadre le montant de la subvention de fonctionnement allouée aux établissements du temps plein en instaurant une enveloppe de crédits de 127 millions d'euros par an sur la durée du protocole (2013-2016). De ce point de vue, le PLF 2014 avec l'accord du Conseil national de l'enseignement agricole privé (CNEAP) acte une baisse de crédits de 0,3 %.

Dans un contexte de probable baisse des effectifs à la suite de l'achèvement de la rénovation de la voie professionnelle dans la filière des services, sont ainsi sanctuarisées l'enveloppe budgétaire et les créations de postes à des niveaux convenables.

De même, le protocole d'accord signé le 19 juillet 2013 avec l'Union nationale des maisons familiales rurales encadre le montant de l'aide financière versée aux établissements du rythme approprié. Il instaure une enveloppe de crédits de 205 millions d'euros par an sur la période 2013-2016.

Il convient de rappeler que le montant de la subvention pour les établissements du rythme approprié dépend de deux paramètres : les effectifs d'élèves et le coût du formateur. Le protocole prévoit de mettre fin à la différence entre les plafonds d'élèves financés et non financés. Dès 2015, les effectifs financés convergeront vers les effectifs maxima inscrits aux contrats des maisons familiales rurales (MFR), soit 49 762 élèves. Parallèlement, il est prévu une augmentation d'un point par an du coût du formateur. Un dispositif d'écrêtement de la subvention permet enfin d'éviter tout dépassement de l'enveloppe.

La signature de protocoles d'accord permet de clore les risques contentieux avec les aléas juridiques et financiers qu'ils entraînent. Elle donne à tous les acteurs une lisibilité et une prévisibilité très appréciables des enveloppes budgétaires jusqu'en 2016. C'est ce qui a contrebalancé les concessions non négligeables des fédérations du privé.

Dans le PLF 2014, le plafond d'emplois du programme 143 est fixé à 14 819 ETPT dont 12 064 ETPT d'enseignants. Le plafond d'emplois progresse de 222 ETPT par rapport au budget 2013.

Cette évolution positive résulte :

- de l'extension en année pleine des 200 créations d'emplois de la rentrée 2013, ce qui représente 153 ETPT selon une répartition 70/30 entre l'enseignement public et l'enseignement privé du temps plein ;

- de 150 créations de postes prévues à la rentrée 2014, ce qui représente 50 ETPT selon la même répartition.

Une partie de la hausse est cependant en trompe-l'oeil puisqu'elle intègre une « correction technique ». En effet, l'extension en année pleine des 50 créations de postes de la rentrée 2012 n'avait pas été prise en compte dans la loi de finances pour 2013. Cette erreur comptable représente 19 ETPT dans l'enseignement public.

Les créations nouvelles de postes doivent être décomptées des 1 000 postes supplémentaires prévus sur cinq ans par la loi de refondation de l'école. Le ministère de l'agriculture préfère phaser les créations de postes sans s'astreindre à la création automatique de 200 postes par an pour atteindre en cinq ans l'objectif programmé.

J'émettrais quelques remarques sur la prise en charge du handicap. Le ministère intègre les créations de postes d'AVS-i parmi les 1 000 postes à créer sur cinq ans. Pourtant, les AVS-i sont rémunérés sur des crédits de titre 6 et non des crédits de personnel et ne sont donc pas intégrés au plafond d'emplois, ce qui introduit une certaine ambiguïté comptable. L'éducation nationale, suivant les recommandations de la Cour des comptes, a au contraire intégré les AVS au plafond d'emplois.

Même si les créations nouvelles de postes d'AVS-i sont bienvenues, elles ne suffisent pas de loin à couvrir les besoins, puisqu'entre 2013 et 2014 moins d'un poste par département est créé. La grande disparité des prescriptions des MDPH, ne laisse pas de surprendre. Il faut aussi regretter les différences de traitement des AVS-i, non seulement entre les régions mais aussi entre l'enseignement agricole et l'éducation nationale, les termes des contrats n'étant pas unifiés et standardisés. À cet égard, la définition de normes communes nationales serait souhaitable pour freiner les inégalités entre territoires.

Enfin, je déplore que le recrutement d'AVS sur des contrats aidés réponde plus à une logique de traitement social du chômage des salariés peu qualifiés que d'accompagnement éducatif stable des élèves handicapés.

Au titre des fragilités de l'enseignement agricole, je citerai la baisse des effectifs scolarisés, la chute des résultats au baccalauréat et l'effondrement cette année des résultats au concours des écoles vétérinaires et agronomiques. Il est fort probable que la mise en place de la rénovation de la voie professionnelle ait entraîné des difficultés de façon purement transitoire. Il me semble néanmoins que nous devons faire preuve d'une grande vigilance pour préserver les capacités d'insertion professionnelle et de poursuites d'études des élèves de l'enseignement agricole. Je dispose des données chiffrées et je pourrais vous apporter des précisions si vous le souhaitez.

Pour conclure, j'aimerais évoquer le mouvement de régionalisation des formations professionnelles. La loi de refondation de l'école a confié aux régions l'élaboration de la carte des formations, en concertation avec les autorités académiques. Cette élaboration nécessitera un dialogue approfondi entre les recteurs et les directions régionales de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (DRAAF) pour arbitrer les ouvertures et les fermetures de filières. Il faut garantir la complémentarité des réseaux sans concurrence et dans le respect des spécificités de chacun.

Je suis personnellement favorable à l'implication des régions dans l'enseignement agricole. Cependant, je remarque aussi les disparités importantes qui existent entre les territoires. Dès lors, quel cadre national et quel mode de gouvernance devrions-nous retenir pour assurer un traitement équitable de toutes les régions ?

Cette question est particulièrement importante dans l'enseignement agricole dont le réseau est beaucoup plus mince et disséminé que celui de l'éducation nationale. À défaut d'une régulation nationale, certaines formations ou certaines familles de l'enseignement agricole risquent de pâtir de la régionalisation, dès lors que les DRAAF et les structures privées n'ont pas le même pouvoir de négociation que les recteurs.

Hors de la refonte des cartes régionales de formation, je recommande plus généralement que les DRAAF concluent des partenariats formalisés par des conventions avec les conseils régionaux d'une part et les recteurs d'autre part.

La formalisation des partenariats est essentielle pour s'inscrire dans la durée et ne pas dépendre de la bonne volonté ponctuelle de tel ou tel acteur, bientôt remplacé par un successeur moins attentif. La généralisation de ces conventionnements permettrait de mettre fin aux différences flagrantes d'une région à l'autre et d'une académie à l'autre en matière de prise en compte de l'enseignement agricole.

Mes chers collègues, s'agissant des crédits du programme « Enseignement technique agricole », je souhaiterais innover en vous proposant un avis favorable assortis de guillemets ; ceci pour signifier que, si nous constatons que les trois familles de cette filière d'enseignement sont relativement bien traitées, nous restons préoccupés par des inquiétudes persistantes sur les sujets tels que :

- l'éventuel décompte des AVS-i dans les 1 000 recrutements envisagés, ainsi que les incertitudes liées à l'étalement de ces recrutements sur plusieurs années ;

- le risque de voir les effectifs accueillis déterminés en fonction des moyens disponibles et non l'inverse ;

- l'insuffisante visibilité des filières agricoles, qui devraient être plus systématiquement proposées aux élèves en difficulté, orientés - souvent contre leur gré - vers l'enseignement professionnel en fin de 3e ;

- enfin, la régionalisation des cartes de formation, dont la mise en oeuvre, qui implique la coordination de deux ministères, doit absolument viser l'équité entre les régions.

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