Intervention de Jean-Pierre Leleux

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 20 novembre 2013 : 2ème réunion
Loi de finances pour 2014 — Mission « culture » - examen des rapports pour avis

Photo de Jean-Pierre LeleuxJean-Pierre Leleux, rapporteur pour avis des crédits consacrés au « Cinéma » au sein de la mission « Culture :

Si le budget global de la culture m'inquiète, je suis soulagé par celui du cinéma. Le financement du cinéma par l'État passe aujourd'hui par le Centre national de la cinématographie et de l'image animée (CNC). Les dotations budgétaires dans la mission culture sont en effet de 5 millions d'euros, et correspondent à des crédits entièrement déconcentrés : 2,8 millions d'euros pour des actions d'éducation à l'image conduites par les DRAC, par exemple dans le cadre des opérations « collèges au cinéma » et 2,6 millions pour soutenir des festivals ou des actions locales favorisant la découverte d'oeuvres cinématographiques.

En face de ces sommes, le CNC devrait, quant à lui, disposer de 700 millions d'euros de recettes réinjectées dans le cinéma français, soit le même montant qu'en 2013. La taxe sur les entrées en salle de cinéma est stable. La fréquentation est en très légère baisse depuis deux ans, après plusieurs années exceptionnelles liées au développement de la 3D et au succès de quelques films très porteurs. La prévision est de 195 millions d'entrées : c'est moins que les 200 millions constatées certaines années mais cela reste encore assez élevé. Le produit de la taxe serait de 134,2 millions d'euros.

La taxe sur les éditeurs de services de télévision, due par les chaines (TST-éditeurs), aurait quant à elle un produit de 267 millions d'euros, soit une baisse de 24 millions d'euros. En effet, une dégradation du marché publicitaire est encore anticipée en 2014, avec en conséquence un recul de l'assiette imposable des grandes chaines historiques. Le rapport Lescure, devant le constat d'un rendement de la TST éditeurs menacé par le morcellement du paysage audiovisuel, proposait dans un premier temps, afin de prendre en compte les effets du numérique, un assujettissement sans ambigüité à la TST-éditeurs des recettes de publicité issues de la télévision de rattrapage, pour un rendement de 2,5 millions d'euros, compensant en partie le recul du rendement de la taxe. C'est notamment ce qui est proposé par l'article 16 du projet de loi de finances rectificative pour 2013, ce dont nous pouvons nous féliciter.

L'assiette actuelle de la taxe sur les distributeurs de services de télévision, dite TST-D, a été mise en place en 2011, mais est largement contournée par certains opérateurs. Elle a donc été réformée par la loi de finances pour 2012 ; son entrée en vigueur est cependant conditionnée à une autorisation par la Commission européenne, qui devrait rapidement venir après la validation par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) de la taxe télécoms, similaire dans son principe. C'est évidemment une excellente nouvelle puisqu'elle représente aujourd'hui la principale source de financement du CNC, et donc du cinéma français. Le produit attendu serait ainsi de 270,7 millions d'euros en 2014, contre 214,2 millions en 2013. Le CNC nous a prévenu que sans l'adoption d'une mesure transitoire prévoyant que les acomptes versés par les redevables en 2014 seraient calculés sur la base d'une assiette actualisée, les effets de la réforme seraient reportés à 2015, avec un surcoût en outre pour les redevables, qui devraient alors payer double en 2015. Le dispositif transitoire inscrit à l'article 16 du projet de loi de finances rectificative semble donner satisfaction. Je n'ai aucun doute sur la pleine légitimité de la TST-D, dans la mesure où le succès des services de télécommunication s'appuie largement sur les contenus audiovisuels et cinématographiques. Une étude de l'Institut de l'audiovisuel et des télécommunications en Europe (Idate) de 2012 montrait ainsi que la vidéo professionnelle représenterait 83,6 % du trafic total sur les réseaux fixes de télécommunications, ce qui s'expliquerait par la consommation de télévision par ADSL, ou plus largement sur IP (câble, fibre).

Le montant du produit de la taxe sur les ventes et locations de vidéogrammes, enfin, est estimé à 28 millions d'euros en 2013, soit 5 % de moins qu'en 2013, du fait du recul du marché de la vidéo physique, non intégralement compensé par la croissance de la vidéo à la demande. Là encore, le rapport Lescure pointait les insuffisances de l'assiette de la taxe qui n'appréhende notamment pas les acteurs établis à l'étranger, non soumis à la taxe, alors que vendant des vidéos dédiées au public français. Le dernier point de l'article 16 du PLFR vise précisément à étendre ladite taxe aux entreprises qui ne sont pas établies sur le territoire français, mais qui proposent, depuis l'étranger, des ventes ou locations de vidéogrammes physiques ou sous forme dématérialisée à des consommateurs français. Cette mesure permet selon le projet de loi de rétablir l'égalité fiscale et « de mettre fin à l'asymétrie qui place certains opérateurs nationaux dans une situation moins favorable que leurs concurrents étrangers ». Je suis, comme nous tous, sur cette ligne. Il nous restera cependant à demander à la ministre des éclaircissements sur les modalités pratiques du recouvrement d'une telle taxe ainsi que sur son éventuel rendement.

Les taxes que je viens d'évoquer sont évidemment affectées au CNC. Le principe du financement du cinéma français est à la fois extrêmement simple et extrêmement vertueux. Il s'agit de financer l'amont de la filière, c'est-à-dire la création, la production et son rayonnement, par son aval, c'est-à-dire les diffuseurs : exploitants de salles, chaines de télévision, vendeurs de DVD et aujourd'hui gestionnaires de réseaux de télécommunication. Le principe n'est donc pas d'organiser une collecte fiscale pour l'État mais bien de redistribuer et faire circuler les sommes issues d'un secteur économique. C'est la raison pour laquelle nous avions contesté l'année dernière un prélèvement exceptionnel de 150 millions d'euros sur le fonds de roulement du CNC. Et l'exceptionnel devient aujourd'hui durable, puisque ce sont 90 millions d'euros qui seraient à nouveau prélevés sur le fonds de roulement du Centre, en application de l'article 33 du projet de loi de finances. Certes les dépenses du Centre se maintiendront à hauteur de 700 millions d'euros, mais je considère qu'un tel prélèvement s'oppose à la logique propre du financement du CNC par l'amont de la filière. Espérons à tout le moins que l'exceptionnel ne sera pas prolongé pour une troisième année en 2015, même si un prélèvement présenté comme exceptionnel est toujours préférable à un plafonnement des recettes, comme il en avait été question.

S'agissant des dépenses, vous savez qu'un débat très important se déroulait jusqu'à récemment au niveau européen sur la réforme de la communication de la commission européenne sur les aides d'État en faveur des oeuvres cinématographiques, dite Communication cinéma. Or le nouveau texte, qui se substitue à celui en vigueur depuis 2001, marque incontestablement une victoire pour les positions françaises, avec une validation des aides sélectives et du soutien automatique.

La politique fiscale en faveur du cinéma - fait plutôt exceptionnel - amène son lot de bonnes nouvelles. J'ai personnellement déposé des amendements pour soumettre l'ensemble des produits culturels, dont les billets de cinéma, au même taux réduit de TVA. L'article 7 du présent projet de loi va dans ce sens avec un alignement de la TVA sur les droits d'entrée dans les salles de spectacle cinématographiques sur le taux réduit applicable au livre ou au spectacle vivant. L'unité des biens culturels est intrinsèque à la vision française, puisqu'elle nous permet d'intégrer la télévision ou le cinéma dans la défense globale de l'exception culturelle, autre victoire datant de juin dernier. La cession des droits d'auteur se verra quant à elle appliquer un taux intermédiaire de TVA de 10 %. Selon certains courriers envoyés aux parlementaires, l'effet d'une telle mesure serait de désavantager les festivals et ciné-clubs qui se verraient appliquer ce taux pour la location des droits de diffusion des films, contrairement aux salles commerciales qui bénéficieraient encore d'un taux réduit au titre de l'acquisition des droits d'exploitation. La direction de la législation fiscale, que j'ai interrogée sur ce point, conteste cette analyse et estime que le traitement sera totalement égalitaire. La ministre pourra peut-être éclaircir ce point en séance, sous réserve que la deuxième partie de la loi de finances soit examinée par le Sénat.

J'explique année après année qu'en matière au cinéma, la concurrence européenne est assez importante et que la dépense fiscale que constituent les crédits d'impôt est économiquement pertinente. Le dispositif du crédit d'impôt national a été réformé dans le cadre de la loi de finances rectificative pour 2012, à la fin de l'année dernière, et entrera en vigueur le 1er janvier prochain. Une première analyse de l'efficacité de la mesure devrait ainsi pouvoir être effectuée dès l'année prochaine. Le crédit d'impôt international avait également été modernisé en loi de finances rectificatives pour 2012, avec un coût fiscal estimé à 12 millions d'euros pour 2014. Un amendement parlementaire a été adopté à l'Assemblée nationale relevant le plafond de ce crédit d'impôt de 10 millions d'euros à 20 millions d'euros par oeuvre, afin d'attirer de très grandes productions, notamment américaines, qui ont plutôt tendance à choisir aujourd'hui l'Angleterre, la Belgique ou d'autres pays européens. Cette stratégie aura à mon sens des effets positifs, non seulement sur les industries techniques du cinéma, mais aussi, au final, sur les comptes de l'État. Toutes les études montrent que le manque à gagner fiscal serait largement compensé par les effets du surcroît d'activité en termes de recettes fiscales et de cotisations sociales. Mais Bercy a parfois du mal à le comprendre...

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