Le marché du livre demeure stable, enregistrant en 2012 un chiffre d'affaires de 4,1 milliards d'euros correspondant à 441 millions d'ouvrages vendus.
De fait, si la proportion de « grands » lecteurs, c'est-à-dire qui lisent plus de vingt ouvrages par an, au sein de la population diminue progressivement au gré des évolutions démographiques et sociologiques de notre pays, les Français sont chaque année plus nombreux à lire et à se procurer des ouvrages, en bibliothèque comme à l'achat.
L'attachement de nos concitoyens à l'objet « livre » ne se dément pas : les ventes de livres numériques, malgré une offre chaque année plus abondante, demeurent marginales, à seulement 3 % du chiffre d'affaires des éditeurs, ce malgré l'application au 1er janvier 2012 d'un taux de TVA réduit identique à celui applicable au livre papier.
Pourtant, la situation économique des librairies indépendantes ne cesse de se détériorer sous l'effet de la concurrence des grandes plateformes de vente en ligne et de l'augmentation continue de leurs charges. Privées des capacités d'investissement nécessaires à leur modernisation, elles constituent aujourd'hui le « maillon faible » du marché du livre, dont il convient tout particulièrement de se préoccuper.
Elles représentent, à cet égard, un axe prioritaire des politiques publiques en faveur du livre et de la lecture. Plus largement, celles-ci visent à favoriser le développement de la création littéraire, ainsi que la diffusion du livre et des pratiques de lecture à travers divers instruments : la valorisation des collections nationales, la protection des auteurs par une réglementation favorable en matière de propriété intellectuelle, ainsi qu'une régulation économique spécifique, comme des actions de soutien ponctuelles ou pérennes, au secteur.
Traduction budgétaire de ces politiques publiques, le programme 334 « Livre et industries culturelles » de la mission « Médias, livre et industries culturelles » est doté, dans le projet de loi de finances pour 2014, de 262,2 millions d'euros en crédits de paiement, ce qui correspond à une diminution de 2 % par rapport à 2013. Au regard de l'effort de maîtrise des dépenses demandé à la majorité des ministères, la contraction budgétaire raisonnable imposée au programme préserve, malgré tout, les politiques publiques en faveur du livre et des industries culturelles.
Toutefois, cet élément de relative satisfaction -ou, à tout le moins, de moindre crainte- cache une grande disparité de situation entre les deux actions du programme en termes tant de périmètre que de moyens.
Ainsi, l'action n° 1 « Livre et lecture », qui regroupe la quasi-totalité des crédits du programme (96,7 %), n'est affectée que d'une diminution de 1,45 %, laissant ainsi aux opérateurs, en échange d'ajustements sur leur fonctionnement, la marge nécessaire à la réalisation des objectifs fixés en 2014 par le ministère de la culture et de la communication, notamment la mise en oeuvre des préconisations du « plan librairies » annoncé le 25 mars 2013 en faveur des librairies indépendantes et la poursuite de l'adaptation aux enjeux du numérique du cadre normatif applicable au livre.
Ces crédits sont répartis en quatre sous-actions d'importance inégale :
- la subvention pour charge de service public de la Bibliothèque nationale de France (BnF) pour 203,5 millions d'euros ;
- le financement des travaux du Quadrilatère Richelieu pour 10,2 millions d'euros ;
- les crédits destinés au développement de la lecture et des collections pour 19,4 millions d'euros, dont 7,1 millions d'euros correspondent à la subvention pour charge de service public versée à la Bibliothèque publique d'information (BPI) ;
- enfin, les aides à l'édition, à la librairie et aux professions du livre pour 18,7 millions d'euros.
Si je salue la quasi stabilité de ce budget, je souhaite attirer votre attention sur les difficultés d'application de la loi du 1er mars 2012 relative à l'exploitation numérique des livres indisponibles du XXIe siècle à laquelle je suis particulièrement attaché, dont l'objectif est de rendre accessibles au public, sous forme numérique, environ 200 000 livres anciens mais toujours sous droits.
La nécessité de contacter individuellement les auteurs ou leurs ayants droit et de négocier des contrats pour l'utilisation numérique des oeuvres rendant l'entreprise fort coûteuse au regard des opportunités commerciales que les éditeurs peuvent espérer en tirer, les pouvoirs publics se sont engagés à y apporter une contribution financière par le biais du Commissariat général à l'investissement (CGI). Les délais contraints d'éligibilité aux projets bénéficiant d'un financement du CGI nous avaient d'ailleurs incité à adopter rapidement ce texte.
Certes, une première liste de 60 000 titres a été rendue publique par la BnF le 21 mars dernier, tandis que, six mois plus tard, les droits d'exploitation numérique sont entrés en gestion collective, mais l'opération de numérisation n'a pas commencé. À l'origine de ce retard fâcheux, le financement est déficitaire de 700 000 euros, que ni les éditeurs ni le CGI ne souhaitent à ce jour combler.
L'enjeu est de taille, mes chers collègues : lorsque le livre numérique entrera véritablement dans les habitudes des Français, ce qui arrivera tôt ou tard, est-il envisageable qu'ils ne disposent alors que d'une offre de livres anciens numérisées sur fonds publics et de livres du XXIe siècle pour lesquels la commercialisation sous forme numérique figurait déjà au contrat d'édition ? Je ne le crois pas.
J'appelle donc de mes voeux un dépassement de ce blocage et, notamment, une prise de conscience des éditeurs en faveur de l'utilité sociale et culturelle de l'application de la loi du 1er mars 2012 précitée.
Par ailleurs, si les ambitions affichées en matière de soutien au livre et à la lecture sont généreuses, il convient de rappeler que la subvention pour charge de service public de la BnF capte près de 82 % des crédits destinés au livre et à la lecture, ce qui ne laisse que peu de ressources pour d'autres interventions.
Dans ce contexte, il convient de saluer les efforts de rationalisation réalisés par l'opérateur pour diminuer ses coûts de fonctionnement et la priorité donnée, en conséquence, à l'investissement. Le succès de la bibliothèque en ligne Gallica et les avancées réalisées en matière de numérisation d'ouvrages, mais également d'oeuvres musicales, en constituent la traduction.
Afin de permettre à la BnF de poursuivre ses ambitions, il conviendra de faire aboutir sans retard le coûteux chantier du Quadrilatère Richelieu, dont les délais d'achèvement et le budget de travaux ne cessent de déborder du cadre fixé initialement, en raison notamment de la découverte de plomb et d'amiante dans le bâtiment. Lors d'une visite effectuée par notre commission, il y a quelques années, sous la conduite de Jacques Valade, nous avions été frappé de l'état de vétusté du lieu, qui contient pourtant des « trésors » tout aussi précieux que ceux de l'Institut national de l'audiovisuel (INA) qu'il convient de protéger.
La situation budgétaire est, en revanche, bien plus critique s'agissant de l'action n° 2 « Industries culturelles », qui, non seulement n'est destinataire, en 2014, que de 10,5 millions d'euros, soit 3,3 % des moyens du programme, mais accuse, de plus, une baisse de 16,2 % par rapport à 2013.
Les aides en faveur de la musique enregistrée et du cinéma (4,4 millions d'euros au total) sont reconduites au sein du programme ; la Haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi) subit l'intégralité de cette restriction budgétaire.
Je suis, mes chers collègues, particulièrement soucieux de l'avenir de la Hadopi et du maintien, dans des conditions budgétaires convenables, de ses différentes missions. Il apparaît, en effet, que les actions menées ont permis de réduire sensiblement le piratage de pair à pair et de développer l'offre légale de produits culturels, même si des efforts demeurent encore à faire dans ce domaine.
Je serai donc particulièrement attentif, dans les mois à venir, au sort qui sera fait à l'opérateur. Seules deux voies s'offrent désormais aux pouvoirs publics : la revalorisation de son budget en 2015 pour faire face à l'épuisement de son fonds de roulement ou le transfert des missions qu'il remplit à un autre opérateur. Sur ce point, nous sommes jusqu'à ce jour demeurés sceptiques quant à la possibilité, pour le CSA, de se charger de ces missions.
En conclusion d'un budget stable mais sans guère d'ambition nouvelle, mes chers collègues, je m'en remets à la sagesse de notre commission s'agissant de l'avis à apporter aux crédits du programme 334 « Livre et industries culturelles » au sein de la mission « Médias, livre et industries culturelles ».