Intervention de Jean-Paul Fournier

Réunion du 20 novembre 2013 à 21h30
Prévention des inondations — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Jean-Paul FournierJean-Paul Fournier :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, si le mot « inondation » est, pour beaucoup, associé aux adjectifs « subite », « ponctuelle » et « aléatoire», il est inscrit, pour d’autres, en filigrane de la plupart des volets de la vie publique locale.

Les travaux de la mission commune d’information ont permis de le souligner : eu égard à l’ampleur et à la récurrence de l’aléa, les habitants du département du Gard, du représentant de l’État au citoyen, de l’élu local à l’entrepreneur, se sont forgés depuis un quart de siècle une culture du risque.

Cette culture a en quelque sorte permis de pousser jusqu’à ses limites vertueuses un modèle empirique. Mais l’expérience et le retour d’expérience trouvent leurs limites en l’absence d’environnement législatif et réglementaire adapté.

Cette culture s’est imposée par la force des réalités. Non seulement les collectivités touchées ont de facto la charge d’inventer la prévention et la protection, mais elles ont aussi celle de frapper à toutes les portes pour tenter de les financer.

Dans ces conditions, comment s’étonner que beaucoup voient en l’État non plus le grand aménageur du territoire qu’il fut, mais un simple service administratif censeur, au mieux un « contrôleur des travaux finis » ? Si bien que, dans chaque commune de France concernée, le document des documents en la matière, le PPRI, a pris le statut de « livre maudit ». La protection et la prévention des risques devraient repousser les frontières pour les hommes, pour l’économie ; au lieu de cela, elles les figent. Aujourd’hui, l’administration, se fondant sur le principe de précaution, ouvre – soit dit sans jeu de mots – un parapluie tellement grand qu’il ne pousse plus rien sur nos territoires…

S’il est un domaine où l’existence de cet état d’esprit apparaît en pleine lumière, c’est bien celui qui est abordé au travers de cette proposition de loi. La mission commune d’information l’a souligné, nous sommes bien loin des Pays-Bas, en termes non seulement de méthode, d’investissements et de moyens mobilisés, mais aussi et surtout de philosophie et d’objectifs.

Protéger pour mieux vivre, protéger pour développer l’activité : voilà ce qu’il faudrait faire. Quand, aux Pays-Bas, on construit la croissance à l’abri des digues et des polders, nous décrétons le désert !

Nos PPRI font fi des investissements réalisés. Ils ne semblent avoir d’autre objet que de garantir leurs auteurs contre toute mésaventure judiciaire. Ce n’est pas comme cela que l’on mobilise les énergies.

Le pire, c’est qu’avec ces postures systématiques de précaution mal évaluées, on n’encourage pas l’investissement pour la protection. En revanche, on en rajoute à l’atonie d’un pays sans envie, sans projet.

Ce constat amène à poser un problème de fond. Je regrette que l’on légifère pour attribuer formellement, au plus tard le 1er janvier 2016, aux intercommunalités la responsabilité en matière de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations, comme prévu aux feus articles 1er et 5, intégrés à la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, mais que, par ailleurs, nous maintenions la prééminence étatique en matière d’urbanisme, ou plutôt d’interdictions urbanistiques, donc économiques.

D’un côté, on fait confiance aux élus pour sauver le vivant et la richesse ; de l’autre, on leur refuse tous les moyens de développer celle-ci. On leur donne des véhicules juridiques intéressants pour agir, comme aux feus articles 3 et 4, on va même jusqu’à leur permettre de lever une taxe dédiée, « la taxe pour la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations ».

À cet égard, je me demande si cette taxe, même plafonnée à 40 euros par foyer ou par entreprise et hypothétiquement compensée par la baisse des primes d’assurance, n’est pas un cadeau empoisonné en cette période. Mais soit, si c’est pour un gain d’efficacité et un surcroît de financement de travaux colossaux qui ne peuvent être envisagés qu’au travers d’un plan pluriannuel d’investissement ; soit, si effectivement le fonds de prévention des risques naturels majeurs demeure une ressource accessible aux élus pour le financement des études et, accessoirement, des travaux.

Pour autant, pour faire pendant à cette confiance placée en les élus pour agir, édifier, protéger, il faudrait leur faire confiance en matière de droit des sols. Or je crains que les dispositions de l’article 7 associant les collectivités territoriales et les EPCI à l’élaboration du PPRI, aussi louables soient-elles, ne restent vaines en termes de résultats. Pas un maire de mon département n’a échappé aux affres de l’élaboration de son PLU, alors que c’est le maire, dans ce cas, qui est censé avoir la main.

Alors, ne parlons pas d’une procédure strictement étatique comme l’élaboration du PPRI. D’ailleurs, sur un plan plus formel, voilà vingt ans, le décret du 5 octobre 1995 définissant la procédure d’élaboration des plans de prévention des risques formalisait déjà la consultation des collectivités par avis du conseil municipal et celle des populations par enquête publique. On sait ce qu’il en est ! Dans l’immense majorité des cas, en vérité, l’amélioration concrète et réelle de la situation due aux investissements lourds n’est pas prise en compte in fine par les préfets lors de la signature de l’arrêté, quel que soit le niveau de concertation tout au long de la procédure d’élaboration. On retrouve grand ouvert le fameux parapluie ! Il y a donc un chemin à parcourir pour que la peur des uns ne pétrifie pas le territoire des autres.

Dans nos communes, nos départements et nos régions, pour la prévention comme pour la protection, il y a des actes, beaucoup d’actes. Il en est ainsi en tout cas dans le Gard, à Nîmes, à Alès, à Beaucaire, à Sommières, dans le Gard rhodanien, dans les Cévennes ou la Petite Camargue : on s’y livre à de vrais sprints tant l’énergie des équipes et la mobilisation des finances sont fortes, à des courses contre la montre aussi, parce que chaque année pèse sur nos communes la récurrence de l’aléa. Mais ces sprints se disputent sur des distances marathoniennes, et ces contre-la-montre sur le long terme. Des œuvres de grande ampleur sont menées, comme à Nîmes depuis vingt ans, comme dans le Gard rhodanien et la Petite Camargue depuis dix ans, mais il n’existe aucune perspective pour repousser les frontières.

Il y a des démarches expérimentales, il y a un creuset de réflexion au sein des collectivités, il y a même des comités de pilotage, mais notre République cartésienne peine à élaborer une politique générale.

La diversité des traitements appropriés aux différents types de bassins, de submersions ou d’aléas ne change rien à la nécessité, pour ceux qui en ont la charge, de s’appuyer sur un corpus commun. Pour autant, l’absence de politique générale pourrait très bien trouver un terme non pas du fait de l’État, mais de l’Europe. La directive « inondation » trace une voie commune en termes de méthode et d’outils ; on peut la critiquer, elle perturbe parfois les dispositifs locaux en place, mais elle a au moins le mérite d’obliger la France, comme les autres pays, à s’organiser partout sur son territoire, à partir d’une cartographie établie. Le présent texte la complète opportunément.

S’agissant de la seconde partie de la proposition de loi, relative au traitement des crises, je suis bien placé pour vous dire que, dans mon département, l’organisation est bien rodée. Il est proposé d’inscrire dans la loi que le maire est l’interlocuteur des services de l’État, devant être informé en temps et en heure des moyens mis en œuvre : c’est une mécanique qui, lorsqu’elle est pratiquée régulièrement, comme c’est le cas dans le Gard, entre naturellement dans les habitudes de tous les protagonistes ayant à gérer ces événements exceptionnels.

Tels sont les éléments que je souhaitais apporter à la discussion du texte. Les collectivités dont le territoire est exposé au risque d’inondation ont des responsabilités particulières, certes, mais elles doivent conserver toute latitude pour organiser leur développement, en contrepartie des efforts qu’elles consentent pour mettre à l’abri les biens et les personnes.

Au-delà du texte de loi – ou en deçà, devrais-je plutôt dire –, nombre des vingt-deux propositions de la mission commune d’information relèvent d’actes réglementaires, parfois de simples comportements de l’administration à l’égard des acteurs de terrain : ces maires, ces conseillers généraux, ces présidents d’EPCI qui attendent avec impatience une évolution de la perception par l’État du risque, l’apparition d’une autre culture du risque.

En conclusion, je ne peux qu’être favorable à ce texte, qui va vraiment dans le bon sens.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion