Intervention de Jean-Pierre Sueur

Réunion du 21 novembre 2013 à 9h30
Application de l'article 11 de la constitution — Adoption des conclusions de deux commissions mixtes paritaires

Photo de Jean-Pierre SueurJean-Pierre Sueur :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici réunis pour examiner les conclusions des commissions mixtes paritaires sur le projet de loi organique et le projet de loi portant application de l’article 11 de la Constitution.

Vous me permettrez de faire une nouvelle fois quelques remarques sur cet article 11. J’ai déjà dit à plusieurs reprises que l’instauration du référendum d’initiative partagée par l’article 11 de la Constitution était en quelque sorte un faux-semblant. Pourquoi ? Beaucoup de personnes, éminentes pour certaines, ont pu penser que cette procédure s’apparentait au référendum d’initiative populaire, c’est-à-dire que le souhait d’un certain nombre de citoyens entraînerait derechef l’organisation d’une consultation. Mais tel n’est pas le cas.

Je ne dis pas que le référendum d’initiative populaire soit forcément la panacée ; il est permis d’avoir des réserves à ce sujet. Pour ma part, j’en ai ! À cet égard, il me semble que les référendums locaux, par exemple, mériteraient une analyse précise. Très souvent, en effet, on sollicite l’organisation d’une telle consultation pour défendre tel ou tel intérêt, souvent collectif, mais parfois partiel, voire partial.

En ce qui me concerne, je pense, s’agissant des sujets tant locaux que nationaux, mis à part les cas où le référendum existe depuis déjà de nombreuses années dans notre Constitution, que le travail des assemblées, qu’elles soient locales ou parlementaires, est le plus à même d’apporter des réponses suffisamment débattues et adaptées à des questions complexes. Il y a finalement peu de questions auxquelles on ne peut répondre que par oui ou par non.

En l’occurrence, le sujet qui nous intéresse n’est pas le référendum d’initiative populaire ; il s’agit d’un référendum d’initiative partagée. Or, mes chers collègues, pour que ce dernier puisse exister, en vertu des termes de l’article 11 de la Constitution, il faut remplir tellement de conditions que la mise en œuvre de cette procédure ressemble à un véritable parcours du combattant. C’est pourquoi je me suis permis de parler, selon les jours, de « faux-semblant » ou de « trompe-l’œil ».

Il faut tout d’abord qu’une proposition de loi soit signée par un cinquième des membres du Parlement. Je note à ce sujet que la position que j’ai défendue au Sénat a été reprise par l’Assemblée nationale avant même la réunion de la commission mixte paritaire. En effet, nous avions considéré que, dès lors que la Constitution évoquait « une » proposition de loi, il ne pouvait y en avoir deux différentes, c’est-à-dire une dans chaque assemblée. C’est une évidence qui ressort de la lecture de la Constitution. Le Sénat a donc proposé de créer une proposition de loi d’un type particulier qui pourrait être signée à la fois par des députés et par des sénateurs. L’Assemblée nationale nous a suivis sur ce point, ce dont je me réjouis. En l’espèce, l’initiative revient donc au Parlement et non à un certain nombre de citoyens qui signeraient une déclaration, une pétition ou un texte.

Ensuite, le Conseil constitutionnel doit examiner la proposition de loi pour vérifier qu’elle est conforme à la Constitution et surtout qu’en l’occurrence l’article 11 s’applique. En effet, il n’aura échappé à personne que si tel groupe politique de l’une ou l’autre assemblée avait tout d’un coup trouvé opportun d’inscrire dans son temps réservé cette proposition de loi, c’était peut-être parce qu’il apparaissait utile de faire ressurgir dans l’actualité l’idée du référendum à la suite de l’adoption d’un texte voté – chacun s’en souvient, monsieur le ministre – dans des conditions assez bonnes, puisqu’il s’applique dans les différentes communes de France comme loi de la République.

Puis, il faut que 4, 5 millions de citoyens apportent leur soutien à ladite proposition de loi, ce qui est considérable. En effet, à l’occasion d’initiatives récentes, on a pu constater combien il était difficile de recueillir un tel nombre de signatures, qui seront bien entendu vérifiées, représentant 10 % du corps électoral français.

Enfin, en vertu d’une condition qui est souvent passée inaperçue, le Président de la République ne peut provoquer l’organisation du référendum que si le texte n’a été examiné ni à l’Assemblée nationale ni au Sénat pendant un délai de six mois. Nous avons beaucoup discuté, notamment lors de la réunion de la commission mixte paritaire, sur ce qu’il fallait entendre par le terme « examiné ». Je tiens à préciser – cela pourra éclairer l’interprétation du texte – que nous avons considéré qu’un texte est examiné dès lors qu’il est inscrit à l’ordre du jour et que la discussion a commencé avec la prise de parole du premier orateur en séance publique.

Je rappelle qu’il existe six groupes parlementaires au sein de chacune des deux assemblées. Or chacun d’entre eux dispose d’un temps réservé et peut donc inscrire ladite proposition de loi à l’ordre du jour en vertu de la Constitution, sans que le Gouvernement ait son mot à dire, monsieur le ministre. Un groupe peut choisir de la faire inscrire parce qu’il l’approuve, mais il peut aussi choisir de le faire pour qu’il n’y ait pas de référendum. Rendez-vous compte, mes chers collègues : un seul groupe parlementaire par assemblée peut donc stopper le processus et annihiler 4, 5 millions de signatures !

Je reprends le fil de la procédure : une fois que les signatures ont été obtenues, que les six mois sont passés et que le constat est fait que les deux assemblées n’ont pas examiné le texte, alors, le Président de la République doit organiser le référendum.

Mes chers collègues, pour ma part, je n’ai pas voté cette modification de la Constitution, mais je ne suis pas sûr que ceux qui l’ont votée ont bien perçu le caractère très particulier de ce dispositif. Après tout, on peut inscrire dans la Constitution un référendum d’initiative populaire – c’est un choix politique – ou un référendum d’initiative partagée, mais reconnaissez qu’il faut beaucoup d’imagination pour produire une procédure aussi compliquée qui, de ce fait, aura assez peu de chances d’être mise en œuvre.

Les remarques qui précèdent ne portent que sur le texte de la Constitution : elle est la Constitution de la République et nous la respectons. Je veux maintenant rappeler quelle a été la position de la commission des lois.

La commission des lois a été saisie à deux reprises par le groupe UMP de la loi organique et de la loi ordinaire. L’attitude de tous les membres de la commission des lois a été foncièrement républicaine, cela va de soi : il existe une Constitution, certains ont voté sa modification, d’autres non, mais cette Constitution est la nôtre. La Constitution enjoint au Parlement d’adopter une loi organique pour que son article 11 puisse être appliqué. Nous avons donc fait notre travail, sérieusement, avec une seule pensée : rester le plus fidèles possible à l’esprit et à la lettre de la Constitution. Monsieur le ministre, je tiens à souligner le soin particulier avec lequel vous avez suivi les travaux : vous êtes intervenu, aussi bien devant l’Assemblée nationale que devant le Sénat, avec le même état d’esprit – être fidèle à la Constitution –, parce que c’est l’état d’esprit républicain qui nous anime tous.

Des points de divergence existaient entre les deux assemblées. Je tiens à saluer le travail très constructif que les deux rapporteurs ont pu mener. Je souhaite également rendre un hommage particulier à notre collègue député Guy Geoffroy, rapporteur pour l’Assemblée nationale, et à mon homologue Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois de l’Assemblée nationale : l’un et l’autre ont fait preuve – je tiens à le souligner – d’une volonté d’aboutir qui a été extrêmement précieuse. De même, nos collègues qui se sont investis dans l’examen de ce texte, et tout particulièrement notre collègue Hugues Portelli, ont largement permis d’aboutir à l’élaboration d’une position commune que j’ai maintenant l’honneur d’exposer devant vous, mes chers collègues.

L’Assemblée nationale était particulièrement attachée à deux points, sur lesquels nous nous sommes ralliés à sa position lors de la réunion de la commission mixte paritaire – c’est le rôle des commissions mixtes paritaires de trouver un accord.

Le premier point concernait les règles relatives aux modalités de transmission de la proposition de loi initiale entre les deux assemblées. À cet égard, nous avons choisi de retenir la procédure définie par l’Assemblée nationale.

Le second point auquel tenait l’Assemblée nationale était le suivant : compte tenu de son caractère très particulier, la proposition de loi présentée en application de l’article 11 de la Constitution ne peut pas être soumise au Conseil d’État, contrairement à toutes les autres propositions de loi, puisqu’elle sera soumise de droit au Conseil constitutionnel avant que le processus ne se poursuive. Là aussi, nous nous sommes rangés au point de vue de l’Assemblée nationale et, si vous en décidez ainsi, mes chers collègues, cette disposition sera inscrite dans le texte de la loi ordinaire.

Sur quatre autres points, des divergences existaient entre nos deux assemblées et, sur trois d’entre eux, les représentants du Sénat à la commission mixte paritaire ont particulièrement tenu à être strictement fidèles à la lettre de la Constitution.

J’aborde immédiatement le quatrième point de divergence, relatif au recueil des soutiens. Lors des deux lectures qui ont eu lieu, notre assemblée a souhaité que les 4, 5 millions de soutiens puissent être exprimés par les électeurs soit par voie électronique, soit sur un formulaire sur support papier. Le Sénat est très sensible à la situation de nos concitoyens sur l’ensemble du territoire : on ne peut pas leur imposer d’avoir un ordinateur et d’utiliser uniquement la voie électronique pour manifester leur avis.

Nous avons retenu la situation suivante : la mairie de la commune la plus peuplée de chaque canton, qui jouera le rôle de mairie centralisatrice, enregistrera et transmettra les signatures par voie électronique. Toutefois, tout citoyen pourra apporter un formulaire papier à la mairie centralisatrice. Les agents de cette mairie seront habilités à prendre connaissance des formulaires et à transmettre par voie électronique le soutien du citoyen ou de la citoyenne concernés.

Notre proposition a été adoptée par la commission mixte paritaire et, avant-hier, par l’Assemblée nationale. Ce point, qui ne relève pas de la lettre de la Constitution, a pu faire l’objet d’un accord « simple et pratique », comme eût dit notre collègue Jean-Pierre Chevènement.

Restent donc trois points de divergence.

La question des délais nous a tout d’abord occupés : nous étions parvenus à un accord sur l’ensemble des délais. Toutefois, le texte adopté par l’Assemblée nationale comportait une disposition qui ne nous paraissait pas acceptable. En effet, dès lors que le recueil des signatures aurait eu lieu et dès lors qu’il était constaté que, dans un délai de six mois – les suspensions et interruptions de la session ne sont bien sûr pas décomptées –, la question n’aurait pas été examinée par les deux assemblées, l’Assemblée nationale avait décidé que le Président de la République disposait d’un délai de quatre mois pour organiser le référendum. Or un tel délai n’est aucunement prévu par le texte de la Constitution qui dispose que le Président de la République soumet la proposition de loi au référendum, sans poser aucune condition de délai.

Il nous est donc apparu que, si nous avions accepté la position de l’Assemblée nationale, le législateur organique eût outrepassé ses droits, car il doit naturellement être totalement fidèle aux choix du constituant. Par conséquent, nous avons plaidé devant la commission mixte paritaire pour la suppression de ce délai et un accord a été obtenu sur ce point.

J’ai déjà évoqué l’un des deux derniers points de désaccord subsistant, à savoir celui de l’examen du texte par les deux assemblées. L’Assemblée nationale avait décidé que le texte de la proposition de loi devait être « voté » par les deux assemblées pour que le Président de la République ne soit pas contraint d’organiser un référendum. Nous avons considéré que l’obligation d’un vote outrepassait, encore une fois, les compétences du législateur organique. Dès lors que l’article 11 de la Constitution – et je ne doute pas que ceux qui ont voté sa modification n’aient réfléchi à la portée des mots – contient le terme « examinée » et non le terme « votée », il faut que la loi organique reprenne le terme « examinée ». Sur ce point encore, la commission mixte paritaire a bien voulu se ranger à notre interprétation.

J’ai précisé tout à l’heure qu’une proposition de loi est considérée comme ayant été « examinée » dès lors qu’elle a été inscrite à l’ordre du jour et que le débat a commencé en séance publique dans l’une des assemblées. Ce débat peut se conclure de toutes les manières possibles : par un vote, par l’adoption d’une motion de procédure, etc., car l’examen d’un texte peut toujours aboutir à diverses conclusions.

Restait un ultime point de désaccord qui nous a longuement retenus. Il s’agit du rôle du Conseil constitutionnel dans le contrôle des 4, 5 millions de signatures. L’Assemblée nationale avait imaginé que cette mission pût être dévolue à une commission.

Nous concevons bien la difficulté que représente un tel contrôle pour les neuf membres éminents du Conseil constitutionnel, voire plus, si leur effectif est complété par d’anciens présidents de la République – encore que je sois toujours partisan de la suppression de la disposition créant ces membres de droit.

D’une part, nous avons pu faire observer que, l’Assemblée nationale ayant proposé que cette commission fût composée de six membres – deux membres du Conseil d’État, deux membres de la Cour de cassation et deux membres de la Cour des comptes –, ces six personnes eussent été dans une situation également difficile, voire plus difficile puisqu’elles eussent été encore moins nombreuses.

D’autre part, le Sénat a considéré qu’il fallait, là encore, respecter la lettre et l’esprit de la Constitution. Or celle-ci, telle qu’elle a été écrite et votée, dispose que « le Conseil constitutionnel contrôle le respect des dispositions de l’alinéa précédent ». C’est donc bien au Conseil constitutionnel lui-même qu’appartient ce contrôle.

Nous avons pensé qu’il fallait respecter l’esprit et la lettre de la Constitution, mais qu’il fallait bien entendu prendre en compte la situation pratique. C’est pourquoi nous avons écrit dans la loi organique que le Conseil constitutionnel pouvait d’abord disposer de tous les services de l’État et, en particulier, de ceux du ministère de l’intérieur. Nous avons précisé qu’il pouvait nommer des rapporteurs adjoints et désigner des délégués dans tous les départements – c’est le bon sens même. Nous avons également prévu toute une série de clauses qui permettront au Conseil constitutionnel d’accomplir son office.

Restait enfin une question à régler : nous avons pensé qu’il était possible de créer une « formation » chargée d’examiner les recours. Nous avons proposé que cette formation fût présidée par un membre du Conseil constitutionnel et comprenne deux autres de ses membres, et la commission mixte paritaire a adopté cette disposition. Je me fais donc le porte-parole des défenseurs de ce point de vue.

Depuis, la réflexion a progressé – l’esprit souffle toujours, monsieur le ministre ! –, et il est apparu qu’un risque de conflit pouvait exister entre cette formation et la formation plénière du Conseil constitutionnel qui, de toute façon, devra statuer en dernier ressort sur les recours qui surgiraient. Il me semble qu’une solution peut être trouvée à ce problème. Tel est en tout cas notre état d’esprit.

Je pense avoir ainsi évoqué l’ensemble des points de divergence qui existaient entre les deux assemblées.

J’ai voulu vous expliquer ce que nous avons fait pour défendre notre conception, qui prône le respect absolu de la lettre et de l’esprit de la Constitution, et comment, grâce au travail commun au sein des commissions mixtes paritaires, nous avons réussi à trouver l’accord que j’ai le grand plaisir de vous soumettre et que je vous incite bien entendu, mes chers collègues, à approuver.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion