Intervention de Thierry Foucaud

Réunion du 21 novembre 2013 à 15h00
Loi de finances pour 2014 — Discussion générale

Photo de Thierry FoucaudThierry Foucaud :

Monsieur le rapporteur général, je suis tout disposé à débattre de ce sujet avec vous !

Notre fiscalité a besoin d’un sérieux coup de balai, tant elle est devenue opaque et surtout injuste.

Monsieur le ministre, voilà quelque temps, vous avez exprimé le souhait de vous attaquer aux niches fiscales de l’impôt sur le revenu, dont le coût s’élèverait à 33 milliards d’euros, dont 13 milliards d’euros pour le seul quotient familial. Mais c’est là oublier qu’il en existe beaucoup d’autres, autrement plus substantielles.

Comment résumer, en définitive, la fiscalité dans notre législation ? Le présent projet de loi de finances indique, grosso modo, que l’État va disposer de 285 milliards d’euros de recettes fiscales nettes pour faire face à ses obligations. Ces ressources seront majoritairement assurées par la TVA et la TICPE, la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques, bien que cette dernière soit de plus en plus partagée entre l’État et les administrations publiques territoriales. On le constate clairement avec les articles du texte que nous examinons relatifs aux collectivités.

L’impôt sur le revenu se révèle dynamique. Désormais, il dépasse largement les 70 milliards d’euros du fait, notamment, de l’intégration dans l’assiette des revenus soumis au barème progressif d’une bonne partie des revenus de capitaux mobiliers jusqu’à présent soumis à prélèvement libératoire.

L’impôt sur les sociétés, en revanche, se porte nettement moins bien avec un peu plus de 36 milliards d’euros, soit le niveau très faible de 1, 8 % du PIB. Mes chers collègues, songez qu’une entreprise moyenne de notre pays sera libérée en six jours d’activité du poids de son impôt sur les sociétés !

Toutefois, ce n’est là qu’une partie du sujet qui nous préoccupe : au hasard des documents budgétaires – au demeurant toujours aussi complets et complexes –, nous apprenons qu’un certain nombre d’organismes divers et variés, allant de la Caisse nationale d’assurance vieillesse à l’Office français de l’immigration en passant par le centre technique des industries de la maille, percevront, en 2014, quelque 245 milliards d’euros – rien que cela ! – de produits de fiscalité affectée.

De fait, depuis 2007 et l’arrivée au pouvoir de Nicolas Sarkozy, cette somme a progressé de 70 milliards d’euros, soit une augmentation quatre fois plus rapide que celle des ressources budgétaires nettes. En tête du hit-parade de cette fiscalité dédiée figure la CSG, avec ses 93 milliards d’euros. Il s’agit là d’une ressource fiscale majeure. Cet impôt modèle par excellence est suivi, à faible distance, des droits sur le tabac et les alcools, dont le produit a été versé au compte de la sécurité sociale.

La CSG, c’est l’impôt sur le revenu imposé aux plus modestes, c’est-à-dire aux travailleurs pauvres et aux retraités dotés de petites pensions. C’est aussi l’instrument qui, depuis vingt-cinq ans, justifie que l’on n’accroisse pas la contribution des entreprises au financement de la sécurité sociale ! C’est si facile de tirer parti d’un impôt dont le produit augmente sans douleur tous les ans…

Au reste, l’étatisation de la sécurité sociale est une réalité, avec plus de 156, 4 milliards d’euros de recettes fiscales dédiées, soit une somme supérieure au montant de la TVA.

S’y ajoutent encore les niches fiscales et les modalités particulières de calcul de l’impôt, les remboursements et dégrèvements. La première mission budgétaire représente près de 102 milliards d’euros pour 2014. L’ensemble atteint la somme considérable de 230 milliards d’euros d’impôts et taxes, dont plus de 165 milliards d’euros au seul bénéfice des entreprises !

Songez, mes chers collègues, que, dans cet étrange pays, l’impôt sur les sociétés rapportera l’an prochain autour de 36 milliards d’euros, alors que nous allons, sous une forme ou sous une autre, rendre aux entreprises plus de 165 milliards d’euros, sans compter les exonérations de cotisations sociales, les interventions budgétaires directes sous forme de subventions, les allégements de fiscalité locale et l’acquis de trente années, ou peu s’en faut, de réduction des impôts.

Je ne sais plus qui parlait voilà encore peu de temps d’« assistanat ». Je nourris le sentiment que le secteur productif marchand de ce pays est très largement assisté : nous ne consacrons pas moins de 10 % du produit intérieur brut de la France à l’allégement de ses impôts et de ses obligations sociales ! À cette fin, il faut bien prélever ces 10 % ou, point encore plus discutable, les ponctionner sur les marchés, accroissant ainsi dette et déficit.

Et pour compléter ce tableau, n’oublions pas le manque à gagner considérable pour la France caché dans un coin sombre, lié à la fraude fiscale et s’élevant entre 60 et 80 milliards d’euros. Mon ami et collègue Éric Bocquet a largement évoqué ce sujet brûlant et coûteux.

En bref, 285 milliards d’euros de recettes fiscales nettes, 245 milliards d’euros de fiscalité dédiée, 230 milliards d’euros de dépenses fiscales et de remboursements divers, 80 milliards d’euros de fraude fiscale : voilà qui suffit amplement, selon moi, à déterminer l’ordre des priorités et à reconsidérer l’action que nous devons engager au plan budgétaire, afin de prendre les décisions susceptibles de restituer à la fiscalité d’État justice et équité, de réduire la fiscalité dédiée, d’alléger le poids des cadeaux fiscaux et de mener la lutte résolue et déterminée contre la fraude fiscale qui est indispensable. Ainsi, les dépenses publiques permettront de satisfaire les besoins de nos concitoyens.

Il est temps de passer de la résignation, qu’exhale le présent projet de loi de finances sans relief particulier, lequel s’inscrit dans le droit fil du traité budgétaire européen et de la loi de programmation des finances publiques, à l’audace et à l’initiative.

Au demeurant, le fait de prendre dans la poche des élus locaux 1, 5 milliard d’euros pour réduire les déficits est parfaitement inutile, car cette somme, au lieu d’être inscrite en négatif dans les comptes de l’État le sera dans ceux des collectivités locales. Pour les comptables bruxellois, cela ne fait guère de différence dans le calcul du niveau de nos déficits publics : ces docteurs en austérité budgétaire confondent déjà besoin de financement des collectivités locales et endettement public !

Par ailleurs, alors même que l’austérité semble imprimer sa marque au projet de loi de finances, je me permets de faire observer que, eu égard aux dépenses d’investissement public des collectivités territoriales supérieures à 50 milliards d’euros en 2012 et en 2013, la situation des comptes publics est loin d’être aussi désastreuse que cela.

Si nous devions condamner par avance les mesures visant à réduire les dotations aux collectivités locales, nous relèverions que ce milliard et demi d’euros que l’on s’apprête à leur retirer aura une incidence non seulement sur la croissance et l’emploi, mais aussi sur l’investissement public. Ainsi, quand le Gouvernement décide, par exemple, de mettre à contribution France Télévisions pour réduire les déficits publics, ce groupe arrête un plan social mettant un terme à l’activité de plus de 360 personnes dans ses différentes sociétés !

Pour le reste, que dire ?

Solliciter encore les ménages et leur demander de payer plus d’impôt – le dégel du barème de l’impôt sur le revenu est littéralement annulé par les mesures concernant les mutuelles ou les majorations de pensions et n’oublions pas la dose de fiscalité écologique punitive contenue dans la révision des tarifs de la TICPE – revient à s’engager dans une impasse !

Par ailleurs, il y a du grain à moudre du côté des entreprises.

Cela étant, même si nous sommes convaincus que la fiscalité ne peut pas tout, nous pouvons cependant lui faire jouer un rôle incitatif à une juste et efficace allocation du capital, notamment en pénalisant les comportements spéculatifs des entreprises non financières et, a fortiori, des banques et des compagnies d’assurance. Nous formulerons des propositions en ce sens.

Tel est, pour l’heure, l’apport que nous entendons défendre durant la discussion de la partie relative aux recettes du projet de loi de finances pour 2014.

Si ce texte est profondément modifié, tous les efforts de la majorité de gauche de cette assemblée convergeront pour soutenir un budget de courage et de combat contre la crise et le chômage. Si tel n’est pas le cas, nous serons amenés à le rejeter sans ambages. §

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