Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, d’un abord assez austère, la question de la gestion des scellés judiciaires revêt en réalité une importance fondamentale pour la justice, puisqu’elle donne son effectivité au droit de la preuve sur lequel repose, en droit civil comme en droit pénal, l’office du juge, la manifestation de la vérité et la confiance des justiciables.
La preuve est ainsi l’une des pierres angulaires de tout système juridique, puisqu’elle permet d’accueillir les prétentions d’une partie en vertu de l’adage selon lequel « la charge de la preuve incombe au demandeur », mais aussi de fonder la défense de la partie adverse en application de l’autre principe selon lequel « celui qui allègue une exception en défense doit la prouver ».
La preuve est naturellement un élément cardinal du procès pénal, où s’impose le principe de la présomption d’innocence. De l’appréciation de la preuve va directement dépendre le sort des personnes mises en causes et poursuivies. L’intégrité de la preuve, et donc celle des scellés judiciaires, est essentielle au regard de l’exercice des droits fondamentaux.
Nous avons aujourd’hui l’occasion de nous intéresser à cette question d’importance pour le travail des magistrats et la confiance des justiciables envers leur justice.
L’article 427 du code de procédure pénale pose le principe de la liberté de la preuve en matière pénale, la Cour de cassation l’ayant même érigé en principe général du droit. Cette liberté induit la recevabilité d’une multitude de moyens de preuve et, par conséquent, la nécessité d’une gestion rigoureuse par les greffes.
Or, madame la ministre, l’augmentation des poursuites pénales et les progrès de la police scientifique ont conduit à une augmentation sensible des saisies dans le cadre des procédures judiciaires, provoquant l’engorgement des services des scellés de certaines juridictions.
Le code de procédure pénale ne donne aucune définition juridique des termes « scellés » ou « objets placés sous main de justice ». Néanmoins, chaque année, ce sont plus de 500 000 pièces qui se trouvent sous main de justice, allant du simple mouchoir à la carcasse de véhicule, mais aussi des prélèvements biologiques aux stupéfiants, toutes les pièces devant être conservées dans l’attente d’une décision judiciaire définitive.
Nous connaissons tous, à cet égard, les lenteurs de la justice, même si les magistrats ne sont bien sûr pas en cause, pas plus que les greffiers, auxquels je tiens ici à rendre un hommage appuyé pour leur indispensable travail, trop souvent méconnu.
À ce flux ininterrompu des scellés qui s’accumulent, il faut ajouter le flux, beaucoup plus lent, des destructions, une fois les procédures achevées. Or les procédures de destruction sont le plus souvent lourdes et complexes, ce qui soulève naturellement la question, aujourd’hui critique, des conditions de stockage, qui doivent garantir l’intégrité absolue des scellés.
Comme le relevait l’Union syndicale des magistrats dans son livre blanc sur l’état de la justice en France, paru en 2010, les moyens immobiliers de la justice n’ont pas évolué en même temps que les contentieux. Il en résulte une gestion matérielle des scellés souvent très difficile et faite de débrouillardise, si je puis dire, les fonctionnaires étant confrontés à des problèmes très concrets, qui en disent long sur l’état de l’institution.
Ainsi, il était relevé que les scellés du TGI d’Avesnes-sur-Helpe étaient « stockés dans un immeuble à l’hygiène particulièrement déplorable : rats, humidité, problèmes d’éclairage… les fonctionnaires ayant même fait valoir leur droit de retrait ». L’absence de gestion sécurisée a conduit à la disparition d’une arme à feu à Boulogne-sur-Mer et d’un couteau à Dunkerque. Les contraintes budgétaires conduisent même, parfois, à faire des choix ubuesques. Faute de crédits, le véhicule dans lequel Michel Fourniret a séquestré et tué plusieurs jeunes filles a dû être entreposé dans le parking du TGI de Charleville-Mézières, … au milieu des voitures du personnel !
Ce constat, alarmant et déjà connu, avait conduit, en 2009, à la création d’une mission d’inspection des services judiciaires sur cette question, dont les conclusions, terribles et implacables, énonçaient que « la conservation des scellés est gérée comme on met au rebut un bric-à-brac dont on ne veut ni se préoccuper, ni se séparer ». L’incapacité à connaître les stocks de scellés, voire de recenser le nombre d’armes entreposées, était ainsi pointée du doigt.
Madame la garde des sceaux, ces faits ne sont évidemment pas acceptables dans un État de droit comme le nôtre. Ils ternissent gravement l’image de la justice auprès de nos concitoyens comme ils bafouent l’honneur des fonctionnaires qui la servent avec un grand mérite. Ils risquent, en outre, d’empêcher que l’on identifie les coupables, ou, pire encore, que l’on prouve l’innocence de prévenus.
N’oublions pas non plus que les progrès continus des techniques de la police scientifique pourraient à l’avenir permettre de résoudre des affaires non élucidées, voire d’innocenter un condamné des années après le verdict.
L’un de vos prédécesseurs avait engagé un « plan national d’apurement des scellés judiciaires » afin de rationaliser la gestion des scellés et de réduire les coûts liés à leur conservation. La circulaire du 13 décembre 2011 avait, en outre, fixé les principes généraux de la gestion du scellé judiciaire, déclinés autour des étapes de sa chaîne de traitement. Bien évidemment, nous souhaiterions, madame le garde des sceaux, que vous puissiez éclairer le Sénat sur le bilan que vous dressez de ce plan d’apurement et de l’application de cette circulaire. Quelles sont, par ailleurs, vos propres orientations ?
Parallèlement, les crédits des frais de justice, dont font partie les transports des scellés judiciaires, ont fait l’objet depuis 1999 d’une sous-budgétisation chronique, comme l’a souligné la Cour des comptes dans son rapport de septembre 2012, réalisé à la demande de la commission des finances du Sénat. Cette contrainte budgétaire, couplée à la baisse du ratio magistrats/greffiers entre 2004 et 2010, qui avait atteint le chiffre inquiétant de 0, 86, a nécessairement contribué à fragiliser encore plus le financement de la gestion des scellés judiciaires.
Par conséquent, madame la garde des sceaux, quelles sont vos intentions pour doter enfin les greffes d’une assise budgétaire acceptable et pérenne ?
Nous vous remercions par avance des réponses que vous voudrez bien nous apporter.