Séance en hémicycle du 22 novembre 2013 à 10h30

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

  • conservation
  • conserver
  • scellé
  • vérité

La séance

Source

La séance est ouverte à dix heures trente.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Carle

Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Carle

L’ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat n° 7 de M. Jean-Patrick Courtois à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, sur la gestion et la conservation des scellés judiciaires.

Cette question est ainsi libellée :

« M. Jean-Patrick Courtois attire l’attention de Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, sur la gestion et la conservation des scellés judiciaires et, en particulier, sur la conservation des scellés constitués à l’occasion d’affaires criminelles.

« La conservation des scellés réalisés à l’occasion de crimes, dont la nature peut être très diverse, est essentielle pour permettre l’élucidation de ces affaires, mais la nature très hétérogène des scellés rend parfois extrêmement compliquée leur conservation. Il arrive ainsi que des scellés soient perdus ou introuvables, rendant très difficile la progression de l’enquête, ce qui engendre une très grande incompréhension des victimes ou de leurs ayants droit.

« En outre, la conservation de certains scellés suppose leur stockage dans des milieux protégés, pour éviter une pollution de l’acide désoxyribonucléique, ou ADN, par exemple.

« Enfin, plusieurs affaires très anciennes, datant parfois de plusieurs dizaines d’années, ont connu, au cours de l’été de 2013, des avancées très significatives grâce à l’analyse de certains scellés. Or, si certains scellés ont été perdus, il arrive aussi que des scellés ne soient plus exploitables ou qu’ils aient été régulièrement détruits.

« En conséquence, il souhaiterait savoir, en premier lieu, quelles sont les mesures qui ont été prises pour assurer une conservation optimale de ces scellés et s’il ne conviendrait pas d’opérer des distinctions plus précises en matière de conservation des scellés, selon leur nature d’objet ou de prélèvement biologique. Il souhaiterait savoir comment la conservation de ces scellés est effectuée, et selon quels critères certains scellés font l’objet d’une conservation dans des milieux permettant de les protéger contre d’éventuelles pollutions. Il souhaiterait également savoir de quelle manière les scellés de prélèvements biologiques sont conservés et selon quelles règles ils sont, le cas échéant, détruits.

« Enfin, il souhaiterait savoir si la réglementation en la matière ne devrait pas connaître des évolutions, afin de permettre une conservation plus longue de certains scellés, leur exploitation pouvant parfois s’effectuer sur plusieurs années, notamment en ce qui concerne les scellés biologiques, en raison des progrès techniques attendus. »

La parole est à M. Jean-Patrick Courtois, auteur de la question.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Patrick Courtois

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, dans son rapport annuel pour l’année 2006, la Cour de cassation constatait que « la non-conservation, de plus en plus fréquente et de plus en plus rapide, des pièces à conviction, après décision définitive, en application des dispositions de l’article 41-4 du code de procédure pénale, interdisant toute expertise complémentaire qui aurait pourtant pu être utile en raison des progrès scientifiques, est de nature à entraver la recherche de la vérité ». La Cour de cassation a réitéré ce constat à plusieurs reprises.

Les scellés jouent en effet un rôle essentiel dans la détermination de la vérité, aussi bien dans le cadre de la révision d’un procès que pour permettre d’identifier l’auteur d’un crime ou d’un délit.

Pourtant, la remarque précitée de la Cour de cassation n’a jamais été suivie d’effets. Des circulaires ont bien recommandé, en 1999 puis en 2011, d’allonger les délais de conservation des scellés, en tant que de besoin, mais les faits montrent que ces dispositions sont restées largement insuffisantes.

Le sujet n’est pas nouveau. Le Parlement n’est pas resté inactif ; j’ai relevé que plusieurs questions écrites ont été posées au Gouvernement pour connaître les solutions apportées à cette question de la conservation des scellés. La dernière initiative en date est celle de mon collègue Jean-Pierre Michel, dont la proposition de loi vise à conserver pendant trente années les objets placés sous main de justice en cas de condamnation, afin de permettre, le cas échéant, de mener de nouvelles investigations en cas de recours en révision.

Je remarque aussi que notre collègue Catherine Tasca a consacré plusieurs développements à la question des scellés dans son rapport pour avis sur le budget de la justice judiciaire pour l’année 2014.

Cette question est en effet fondamentale. Il m’a semblé opportun d’ouvrir ce débat parce que la bonne gestion des scellés conditionne en grande partie la qualité de la justice elle-même ; les avancées technologiques ont en effet permis de faire des scellés de véritables éléments de preuve.

Je souhaiterais tout d’abord rappeler brièvement les règles relatives à la conservation des scellés.

Le code de procédure pénale ne définit pas juridiquement le scellé et utilise indifféremment des expressions équivalentes telles que « objets placés sous main de justice » ou « objets placés sous scellés ». Le terme de « scellé » est donc un raccourci : le scellé n’est pas l’objet en lui-même, mais le procédé utilisé pour garantir que l’objet, pièce à conviction, est bien celui qui a été saisi.

Le placement sous scellés a une double fonction : assurer l’authenticité de l’objet saisi, mais aussi garantir son intégrité. Cet objet peut présenter, le cas échéant, le caractère d’une preuve plus ou moins essentielle à un double titre, en tant que tel, mais désormais surtout en raison des traces diverses qu’il peut recéler : ADN, sang, etc.

Le principe est par conséquent que les objets placés sous scellés doivent être conservés tant qu’ils sont utiles à la manifestation de la vérité.

Dans le cadre d’une enquête en cours, le code de procédure pénale prévoit que des objets qui ne sont pas utiles à la manifestation de la vérité peuvent être restitués, mais il faut l’accord de l’autorité judiciaire compétente. La question de la conservation des scellés ne se pose pas réellement à ce stade.

La question se pose, en revanche, quand la procédure s’achève par un classement, par exemple, ou après une décision définitive : dans ce cas, ces objets ne bénéficient plus de cette protection. Les règles de conservation des scellés sont alors fixées par l’article 41-4 du code de procédure pénale. Cet article prévoit que, six mois à compter de la décision de classement ou six mois après le prononcé de la décision par la dernière juridiction saisie, les objets deviennent propriété de l’État.

Après cette présentation rapide des règles applicables aux scellés, plusieurs constats peuvent être faits.

La durée incompressible de conservation des scellés imposée à l’État après la fin d’une procédure est particulièrement faible, puisqu’elle n’est que de six mois. Après cette période, l’État étant devenu propriétaire des objets, rien ne l’empêche d’en disposer librement : il peut les conserver, les vendre, mais aussi les détruire, ce qu’il fait le plus souvent. Le choix de conserver ou de faire détruire les objets dépend des magistrats du parquet. Pour des raisons d’organisation, la conservation des scellés pouvant être particulièrement lourde et très coûteuse, des destructions de scellés sont régulièrement opérées.

Ce délai de six mois résulte d’une modification introduite par la loi du 23 juin 1999 renforçant l’efficacité de la procédure pénale. Auparavant, la durée de conservation était de trois ans avant que les scellés ne deviennent propriété de l’État. L’État était donc tenu de les conserver au moins pendant cette durée avant de pouvoir procéder à leur destruction.

En 1999, la principale raison avancée pour réduire de trois ans à six mois le délai au-delà duquel l’État devient propriétaire des objets, et peut donc en disposer librement, était une raison de gestion : la conservation des scellés était à l’époque jugée très coûteuse. Dans son rapport sur le projet de loi, notre ancien collègue Pierre Fauchon observait ainsi : « Le projet de loi propose de ramener la durée légale de garde des objets à six mois, ce qui paraît être une mesure d’économie heureuse qui ne devrait pas nuire aux intérêts des propriétaires, la période de six mois étant suffisante lorsqu’un propriétaire souhaite la restitution de son bien. »

J’observe que la question d’un risque de destruction trop rapide des scellés n’avait pas été envisagée à l’époque. Cette mesure n’a cependant pas réduit les coûts ; elle n’a pas non plus résolu le problème de la mauvaise gestion des scellés, qui est resté récurrent.

Des scellés sont souvent perdus, éparpillés entre plusieurs tribunaux, nécessitant parfois des recherches longues et coûteuses pour les retrouver. Au-delà du gâchis d’énergie et de temps, c’est une source de très grande incompréhension, de colère aussi, pour les familles des victimes, pour lesquelles il est très difficile d’admettre que les recherches ne peuvent pas être relancées ou qu’une procédure ne peut pas aboutir parce que les scellés ont disparu ou ont été perdus.

La mauvaise gestion des scellés dépend donc, à mon sens, non pas de la durée pendant laquelle l’État est tenu de conserver les objets, mais bien plutôt de l’absence de véritables choix dans la gestion des scellés. Une politique mieux raisonnée qui viserait à déterminer les scellés devant être conservés permettrait probablement d’améliorer les conditions de leur conservation.

En effet, si conserver un scellé est important, le conserver dans de bonnes conditions est indispensable, car des évolutions techniques permettront à l’avenir de l’exploiter le cas échéant. Les progrès en la matière ont été importants, le plus connu étant la possibilité d’effectuer des analyses d’ADN.

Mais la manipulation sans précaution des scellés ainsi que leur conservation sans soin particulier obèrent les possibilités de mettre en œuvre de nouvelles techniques, ou fragilisent les résultats qui seront obtenus.

Dans le même ordre d’idées, en détruisant des scellés dont il est devenu propriétaire, l’État se prive plus radicalement de la possibilité d’utiliser les techniques nouvelles qui permettront demain d’exploiter des scellés aujourd’hui inutilisables. Plusieurs exemples récents ont montré que cette possibilité n’était pas théorique.

Dans mon propre département, l’association Christelle, dont je tiens ici à saluer le travail et la constance, m’a sensibilisé sur ce problème particulier des scellés, faisant état de plusieurs situations que je trouve particulièrement révoltantes.

Ainsi, les scellés relatifs à une affaire d’homicide survenue en 1986 ont été détruits en 2001, alors que la prescription n’était pas encore acquise, que l’affaire n’était pas résolue et qu’aucune analyse génétique n’avait été réalisée. Dans d’autres affaires, les scellés ont été pollués, ou perdus, ou n’ont jamais fait l’objet d’examen. Dans une affaire survenue en 1990, certains scellés ont même été renvoyés par erreur à la famille !

Je souligne que ce n’est pas un problème ancien qui affecterait des scellés recueillis à propos de vieilles affaires. J’ai des exemples datant de 1997, de 1999, et plus récents, même, de scellés tout aussi mal conservés, perdus, ou n’ayant pas fait l’objet d’analyse, ce qui a retardé les recherches, y faisant parfois même obstacle.

Des scellés mal conservés, perdus par les laboratoires, mais aussi inexploités, alors qu’ils pourraient fournir de précieux indices sont des obstacles parfois insurmontables et, en tout état de cause, ralentissent très fortement les enquêtes.

A contrario, des scellés conservés depuis de nombreuses années ont finalement pu être exploités, soit qu’ils aient été retrouvés, soit que les techniques nouvelles aient rendu possible leur analyse. Leur exploitation a alors permis des avancées très substantielles dans des dossiers parfois très anciens.

Cet été, les meurtres de deux fillettes à Voreppe, dans l’Isère, qui remontaient respectivement à 1991 et à 1996, ont connu une avancée significative grâce à l’exploitation de scellés prélevés à l’époque sur les lieux.

J’ai cité cet exemple, car il est parlant, mais de nombreuses autres affaires ont connu des avancées essentielles. Ces résultats n’ont été toutefois possibles que parce que la conservation des scellés avait été effectuée dans de bonnes conditions.

Je me demande si le fait que la plupart des scellés sont désormais susceptibles de prélèvements biologiques a bien été intégré par les services chargés de leur conservation…

Plus largement, je me suis interrogé aussi sur les modalités de conservation des scellés de prélèvements biologiques, qui nécessite la mise en place de protocoles coûteux et compliqués. Ce sont cependant des éléments essentiels pour élucider des affaires. Le recueil de ce type de scellés est-il développé ? Certains prélèvements biologiques nécessitent-ils des règles de conservation différentes ?

J’ajoute qu’une meilleure conservation des scellés résoudrait un paradoxe que je trouve assez frappant : les techniques de recueil des preuves sur les lieux d’une infraction se sont très fortement développées ; elles sont devenues très coûteuses, aussi. Mais le luxe de précautions déployé est inutile si, en aval, les scellés font l’objet d’une gestion défectueuse.

En dernier lieu, je souhaite revenir sur quelques pistes d’amélioration possibles, car il s’agit aussi et surtout d’un sujet pratique, lié aux contraintes inhérentes à la conservation des objets. Il me semble en effet que l’exercice consistant à dénoncer une situation sans proposer de solutions serait un peu vain.

Il me paraît tout d’abord important de réfléchir à la possibilité de ne conserver qu’une partie des scellés, ceux qui sont liés directement à la commission des infractions les plus graves ou à des infractions moins graves, mais dont l’élucidation permettrait des avancées dans une affaire criminelle, par exemple. La possibilité, déjà expérimentée en matière de trafic de drogue, consistant à ne conserver qu’une partie de l’objet saisi me semble aussi être une piste pouvant être étudiée.

Cette politique de conservation et de gestion des scellés pourrait être définie au niveau national, mais pourquoi ne pas mutualiser la gestion des scellés entre plusieurs tribunaux, à l’échelle, par exemple, d’un ressort de cour d’appel ? Cela serait pertinent pour les scellés dont la conservation est externalisée, c’est-à-dire réalisée en dehors du tribunal, par exemple, pour les véhicules.

Je remarque, par ailleurs, que les scellés de nature biologique font l’objet d’une conservation dans un lieu unique, le Service central de préservation des prélèvements biologiques, implanté à Pontoise depuis 2006 et placé sous la responsabilité de la gendarmerie nationale. J’observe qu’il s’agit d’un cas assez rare de mutualisation des moyens entre police et gendarmerie, la gendarmerie assurant la gestion de ces scellés également pour le compte de la police.

J’observe que la circulaire du 13 décembre 2011 relative à la conservation des scellés rappelle que le procureur de la République peut décider de conserver les scellés au-delà de la durée de six mois, notamment s’il n’exclut pas l’ouverture d’une nouvelle information avant l’expiration du délai de prescription.

Eu égard aux nombreuses circulaires prises pour assurer une gestion efficace des scellés, mais dont l’effectivité, au regard de l’expérience, a été très relative, il me paraît nécessaire d’opérer une réforme en profondeur du cadre juridique actuellement applicable, c’est-à-dire l’article 41-4, du code de procédure pénale, afin de mieux préciser les règles de conservation des scellés après qu’une décision définitive a été rendue.

Sans revenir sur la durée de six mois à l’issue de laquelle l’État devient propriétaire des scellés – ce mécanisme permet en effet de détruire rapidement les objets ne présentant pas d’intérêt –, on pourrait envisager une obligation de conservation des scellés alignée sur la durée de prescription applicable en matière de crime quand les objets placés sous scellés sont en lien direct avec la commission d’actes criminels.

Cela permettrait de mettre fin au décalage, que je trouve assez choquant, entre une durée de prescription de dix ans et la possibilité de détruire dans les six mois d’une décision définitive des éléments pouvant permettre de relancer l’enquête.

En contrepartie d’une conservation non seulement plus longue, mais aussi mieux effectuée de ces scellés bien précis, tous les autres pourraient faire l’objet d’une destruction ou d’une aliénation quasi systématique, dès que le transfert de propriété à l’État serait intervenu.

Je pense enfin qu’il est illusoire de prétendre améliorer la gestion des scellés sans augmenter les ressources qui y sont dédiées. Toutefois, une gestion améliorée via la sélection plus fine des scellés devant être conservés et la destruction ou l’aliénation plus rapides des autres scellés, devrait sans doute permettre de dégager des marges de manœuvre non négligeables, susceptibles d’améliorer la gestion globale.

Je vous remercie, madame la ministre, d’avoir accepté de répondre à ma question.

Mme Hélène Lipietz applaudit.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Michel

Madame la ministre, je tiens tout d’abord à m’associer aux propos de notre collègue Jean-Patrick Courtois, dont la question, tout à fait opportune, méritait une réponse de votre part dans cet hémicycle. Je vous remercie à mon tour d’être parmi nous ce matin.

Comme vous l’avez rappelé, mon cher collègue, cette question fait suite à d’autres initiatives parlementaires, notamment à des questions écrites, parmi lesquelles je retiendrai celle du président Warsmann, en date du 13 juillet 2010, ainsi que celle, plus récente, de votre collègue députée de Saône-et-Loire, Cécile Untermaier, du 4 décembre 2012.

Chaque année, environ 500 000 pièces de toute nature sont placées sous main de justice. Or un certain nombre de scandales répétés ont amené les autorités judiciaires à s’inquiéter de la façon dont les scellés étaient conservés. À titre d’exemple, j’évoquerai la retentissante arrestation, en 2009, du concierge du tribunal de grande instance de Saintes, qui arrondissait ses fins de mois en revendant des scellés…

Plus grave encore à mes yeux, quelques mois plus tard, on constatait que des pièces à conviction très importantes avaient été subtilisées – ou n’existaient plus – dans le dossier Robert Boulin. Comment, s’il n’y a plus de pièces dans le dossier, les héritiers de Robert Boulin ont-ils la moindre chance de faire reconnaître ce qui n’est encore que leur vérité, à savoir que le ministre ne s’est pas suicidé ?

La Cour de cassation, comme vous l’avez dit, a dénoncé à plusieurs reprises les conditions de gestion des scellés et relevé que la non-conservation de plus en plus fréquente, voire de plus en plus rapide, des pièces à conviction après la décision définitive risquait d’entraver la recherche de la vérité.

L’Inspection générale des services judiciaires, notamment après les scandales de 2009, a rendu un rapport absolument confondant et sans appel à la suite de déplacements dans une dizaine de tribunaux : les juridictions ne seraient pas en mesure de connaître avec précision leur stock de scellés, ni de faire des recherches ou d’éditer un inventaire par type ou par dossier, et 50 % des tribunaux seraient dans l’incapacité de chiffrer les armes qu’ils détiennent… Cela peut donc constituer non seulement une entrave à la justice, mais aussi une menace pour la sécurité publique.

Cette question est toutefois moins simple qu’il n’y paraît au premier abord. En effet, les scellés peuvent être de nature très différente, allant du mouchoir de poche à de grosses cylindrées, en passant par de l’argent liquide ou des quantités importantes de stupéfiants, notamment d’héroïne…

La conservation, qui recouvre de multiples aspects, touche à la détermination des pièces à conserver, à leur enregistrement, à leur stockage, à leur restitution éventuelle, à leur aliénation et à leur destruction. Elle suppose également que la traçabilité, le contrôle ainsi que la sécurisation des scellés soient assurés et que les conditions soient adaptées.

Par ailleurs, la gestion des scellés doit répondre à un certain nombre d’objectifs qui, il faut le reconnaître, sont souvent contradictoires et dont la conciliation est une source de difficulté : contrôler et maîtriser les saisies d’objets sous l’autorité et sur la seule décision du parquet ou du juge chargé de l’enquête ; devoir allonger, dans certaines hypothèses, les délais de conservation des objets afin de prendre en compte la possibilité d’évolutions scientifiques et techniques susceptibles de contribuer à la manifestation de la vérité ; mettre à exécution les peines de confiscation tout en assurant la protection du droit de propriété et, enfin, conserver les biens sous la responsabilité du directeur du greffe – on a vu ce qui s’est passé à Saintes ! – dans des conditions optimales de sécurité, le tout en garantissant la maîtrise des dépenses publiques…

Il est indéniable que l’interdépendance de tous ces intérêts, ainsi que le nombre et la diversité des acteurs intervenant dans le processus de conservation et de gestion des scellés, complique l’application du droit positif et la pratique de la gestion en la matière.

En effet, la chaîne de traitement des scellés n’inclut pas uniquement le directeur du greffe et les fonctionnaires du service des scellés, mais la gestion intéresse également le procureur général ou le procureur de la République, en particulier pour autoriser ou contrôler la saisie et le dépôt ou la sortie du bien, l’ensemble des services du parquet et de la chaîne pénale, pour assurer l’enregistrement des différents événements afférents à la vie des scellés aux fins de traçabilité et de suivi – bureau d’ordre, service de l’audiencement, greffe correctionnel, service de l’exécution des peines… –, l’ensemble des magistrats du siège – juges d’instruction, juridictions de jugement telles que la cour d’assises, le tribunal correctionnel, le tribunal pour enfants, le juge des enfants ou encore le tribunal de police – pour statuer sur le sort des scellés, le premier président et le président du tribunal de grande instance en tant que chefs d’établissement.

La gestion des scellés nécessite par ailleurs de nombreuses relations avec des partenaires institutionnels, soit en amont de la chaîne de traitement, je pense aux services enquêteurs ou à la Caisse des dépôts et consignations, soit en aval, je songe à France Domaine, singulièrement à la Direction nationale d’interventions domaniales, au ministère de la défense, aux services spécialisés de la police et de la gendarmerie, ainsi qu’à la Direction de la sécurité civile.

Tous ces éléments expliquent en partie l’aspect quelque peu brouillon que revêt la question des scellés au sein du ministère de la justice. Cependant, les difficultés ont été dénoncées à plusieurs reprises, notamment par l’Inspection générale des services judiciaires, qu’il s’agisse de l’afflux croissant de dépôts, de la hausse des frais de justice, de l’encombrement des locaux de scellés, ou des risques en termes de sûreté, d’hygiène et de sécurité.

Jean-Patrick Courtois estimera sans doute comme moi que, depuis votre nomination à la tête du ministère de la justice, vous apportez des solutions à bien des problèmes restés pendants ou mal traités. Nous espérons donc que vous saurez apporter également une solution à cette très importante question.

C’est en ce sens que j’ai déposé, avec un certain nombre de mes collègues, une proposition de loi – elle-même reprise d’une proposition de loi antérieure – sans doute incomplète et méritant d’être affinée.

En effet, le perfectionnement permanent des techniques d’analyse, notamment de l’ADN, montre que l’on ne peut exclure de résoudre à l’avenir des affaires non élucidées, ni même d’innocenter des condamnés bien après le prononcé d’un verdict. Toutes ces raisons me font dire qu’il s’agit d’une question très importante.

Mme la garde des sceaux opine.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Michel

Madame la garde des sceaux, vous allez répondre à ces interrogations dans quelques instants et nous donner votre position. J’ai tendance à penser, comme la Cour de cassation l’a relevé dans ses rapports en 2006 et en 2007, qu’une mesure de nature législative est absolument indispensable. Si le Gouvernement ne prend pas d’initiative à cet égard ou si le calendrier parlementaire ne le lui permet pas, je crois que nous aurons bientôt l’occasion, lors de l’examen d’un texte sur la procédure pénale, de procéder par amendement afin de régler cette question.

Mme Hélène Lipietz applaudit, ainsi que M. Jean-Patrick Courtois.

Debut de section - PermalienPhoto de Yvon Collin

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, d’un abord assez austère, la question de la gestion des scellés judiciaires revêt en réalité une importance fondamentale pour la justice, puisqu’elle donne son effectivité au droit de la preuve sur lequel repose, en droit civil comme en droit pénal, l’office du juge, la manifestation de la vérité et la confiance des justiciables.

La preuve est ainsi l’une des pierres angulaires de tout système juridique, puisqu’elle permet d’accueillir les prétentions d’une partie en vertu de l’adage selon lequel « la charge de la preuve incombe au demandeur », mais aussi de fonder la défense de la partie adverse en application de l’autre principe selon lequel « celui qui allègue une exception en défense doit la prouver ».

La preuve est naturellement un élément cardinal du procès pénal, où s’impose le principe de la présomption d’innocence. De l’appréciation de la preuve va directement dépendre le sort des personnes mises en causes et poursuivies. L’intégrité de la preuve, et donc celle des scellés judiciaires, est essentielle au regard de l’exercice des droits fondamentaux.

Nous avons aujourd’hui l’occasion de nous intéresser à cette question d’importance pour le travail des magistrats et la confiance des justiciables envers leur justice.

L’article 427 du code de procédure pénale pose le principe de la liberté de la preuve en matière pénale, la Cour de cassation l’ayant même érigé en principe général du droit. Cette liberté induit la recevabilité d’une multitude de moyens de preuve et, par conséquent, la nécessité d’une gestion rigoureuse par les greffes.

Or, madame la ministre, l’augmentation des poursuites pénales et les progrès de la police scientifique ont conduit à une augmentation sensible des saisies dans le cadre des procédures judiciaires, provoquant l’engorgement des services des scellés de certaines juridictions.

Le code de procédure pénale ne donne aucune définition juridique des termes « scellés » ou « objets placés sous main de justice ». Néanmoins, chaque année, ce sont plus de 500 000 pièces qui se trouvent sous main de justice, allant du simple mouchoir à la carcasse de véhicule, mais aussi des prélèvements biologiques aux stupéfiants, toutes les pièces devant être conservées dans l’attente d’une décision judiciaire définitive.

Nous connaissons tous, à cet égard, les lenteurs de la justice, même si les magistrats ne sont bien sûr pas en cause, pas plus que les greffiers, auxquels je tiens ici à rendre un hommage appuyé pour leur indispensable travail, trop souvent méconnu.

À ce flux ininterrompu des scellés qui s’accumulent, il faut ajouter le flux, beaucoup plus lent, des destructions, une fois les procédures achevées. Or les procédures de destruction sont le plus souvent lourdes et complexes, ce qui soulève naturellement la question, aujourd’hui critique, des conditions de stockage, qui doivent garantir l’intégrité absolue des scellés.

Comme le relevait l’Union syndicale des magistrats dans son livre blanc sur l’état de la justice en France, paru en 2010, les moyens immobiliers de la justice n’ont pas évolué en même temps que les contentieux. Il en résulte une gestion matérielle des scellés souvent très difficile et faite de débrouillardise, si je puis dire, les fonctionnaires étant confrontés à des problèmes très concrets, qui en disent long sur l’état de l’institution.

Ainsi, il était relevé que les scellés du TGI d’Avesnes-sur-Helpe étaient « stockés dans un immeuble à l’hygiène particulièrement déplorable : rats, humidité, problèmes d’éclairage… les fonctionnaires ayant même fait valoir leur droit de retrait ». L’absence de gestion sécurisée a conduit à la disparition d’une arme à feu à Boulogne-sur-Mer et d’un couteau à Dunkerque. Les contraintes budgétaires conduisent même, parfois, à faire des choix ubuesques. Faute de crédits, le véhicule dans lequel Michel Fourniret a séquestré et tué plusieurs jeunes filles a dû être entreposé dans le parking du TGI de Charleville-Mézières, … au milieu des voitures du personnel !

Ce constat, alarmant et déjà connu, avait conduit, en 2009, à la création d’une mission d’inspection des services judiciaires sur cette question, dont les conclusions, terribles et implacables, énonçaient que « la conservation des scellés est gérée comme on met au rebut un bric-à-brac dont on ne veut ni se préoccuper, ni se séparer ». L’incapacité à connaître les stocks de scellés, voire de recenser le nombre d’armes entreposées, était ainsi pointée du doigt.

Madame la garde des sceaux, ces faits ne sont évidemment pas acceptables dans un État de droit comme le nôtre. Ils ternissent gravement l’image de la justice auprès de nos concitoyens comme ils bafouent l’honneur des fonctionnaires qui la servent avec un grand mérite. Ils risquent, en outre, d’empêcher que l’on identifie les coupables, ou, pire encore, que l’on prouve l’innocence de prévenus.

N’oublions pas non plus que les progrès continus des techniques de la police scientifique pourraient à l’avenir permettre de résoudre des affaires non élucidées, voire d’innocenter un condamné des années après le verdict.

L’un de vos prédécesseurs avait engagé un « plan national d’apurement des scellés judiciaires » afin de rationaliser la gestion des scellés et de réduire les coûts liés à leur conservation. La circulaire du 13 décembre 2011 avait, en outre, fixé les principes généraux de la gestion du scellé judiciaire, déclinés autour des étapes de sa chaîne de traitement. Bien évidemment, nous souhaiterions, madame le garde des sceaux, que vous puissiez éclairer le Sénat sur le bilan que vous dressez de ce plan d’apurement et de l’application de cette circulaire. Quelles sont, par ailleurs, vos propres orientations ?

Parallèlement, les crédits des frais de justice, dont font partie les transports des scellés judiciaires, ont fait l’objet depuis 1999 d’une sous-budgétisation chronique, comme l’a souligné la Cour des comptes dans son rapport de septembre 2012, réalisé à la demande de la commission des finances du Sénat. Cette contrainte budgétaire, couplée à la baisse du ratio magistrats/greffiers entre 2004 et 2010, qui avait atteint le chiffre inquiétant de 0, 86, a nécessairement contribué à fragiliser encore plus le financement de la gestion des scellés judiciaires.

Par conséquent, madame la garde des sceaux, quelles sont vos intentions pour doter enfin les greffes d’une assise budgétaire acceptable et pérenne ?

Nous vous remercions par avance des réponses que vous voudrez bien nous apporter.

M. Jean-Patrick Courtois et Mme Hélène Lipietz applaudissent.

Debut de section - PermalienPhoto de Hélène Lipietz

Monsieur le président, madame le garde des sceaux – et garde des scellés ! –, mes chers collègues, le coût de la conservation des scellés est estimé à 13 millions d’euros. Le nombre des scellés, lui, est inconnu !

L’absence de gestion cohérente, sûre et unifiée des scellés est dénoncée de toutes parts, comme en témoignent les associations de victimes et les avocats, les missions de l’Inspection générale des services judiciaires, les rapports pour avis et les questions écrites des parlementaires, ou encore la proposition de loi sénatoriale dont on a parlé.

On le sait, les scellés peuvent susciter des convoitises : un conservateur des scellés judiciaires n’en est pas moins un homme… Des cas d’appropriation de scellés, notamment des drogues dites « douces », par des fonctionnaires, ont fait scandale. La destruction des joints, barrettes et autres fifrelins saisis fait parfois l’objet d’une simple indication de destruction par la police, sans plus de vérification.

Il arrive également que de grosses cylindrées, véhicules empruntés par les filières mafieuses, soient saisies, au titre d’une peine complémentaire. Elles peuvent même être confisquées de manière définitive et permettre ainsi à la police de rouler aussi vite que les délinquants. Dans cet objectif, elles doivent donc être gardées, ce qui coûte cher.

En outre, comme il est indiqué dans le blog du Monde « Vu de l’intérieur », sous le titre L’Insaisissable circulaire sur l’utilisation des véhicules saisis, la circulaire du 11 septembre 2013, notamment son schéma récapitulatif, ne va pas dans le sens d’une grande simplicité. À l’instar du dessinateur des Indégivrables, dans le même quotidien, j’aimerais vous demander, madame la garde des sceaux, si vous avez un schéma simplifié pour expliquer ce schéma de simplification

Sourires.

Mme Hélène Lipietz brandit le document.

Debut de section - PermalienPhoto de Hélène Lipietz

Surtout, si l’affaire n’entraîne pas de condamnation finale, les éventuelles réparations sont à la charge des services utilisateurs. Cette disposition constitue certainement un frein à l’application de cette mesure, prévue pourtant depuis la loi de 2011.

L’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués, l’AGRASC, pourrait peut-être jouer un rôle plus important, centralisateur, dans l’utilisation de ces saisies.

Reste que les scellés sont parfois le seul moyen, et pour les personnes poursuivies de pouvoir un jour faire la preuve de leur innocence, et pour les victimes et leur famille de connaître enfin la vérité.

Aux États-Unis, les analyses ADN permettent d’innocenter des condamnés à mort. En France, elles autorisent l’espoir de retrouver les coupables de crimes non encore élucidés.

Les méthodologies scientifiques évoluant sans cesse, on peut s’attendre à encore mieux : faire « avouer » les objets, à défaut de faire avouer les humains. La destruction de scellés pour faire de la place peut donc empêcher la révélation parfois tardive de la vérité.

Madame la garde des sceaux, je connais votre dynamisme et votre souci d’une justice qui soit la plus efficace possible. Quand entendez-vous lancer le grand chantier des scellés, qui porterait sur l’établissement d’une liste informatisée des biens saisis – et donc sur leur suivi –, sur les modalités de leur conservation, de leur utilisation puis de leur destruction, mais aussi, lorsque leur nature le permet, sur leur confiscation et leur utilisation ab initio par les forces de l’ordre ou les douanes, sous réserve, bien sûr, d’une indemnisation en cas d’erreur ?

Applaudissements.

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira

Monsieur le président, madame, messieurs les sénateurs, je tiens à saluer l’excellente qualité de vos interventions, qui démontre votre connaissance et même votre maîtrise de ces sujets. Cela laisse supposer le temps que vous y avez consacré, notamment, en votre qualité de parlementaires, pour aller à la rencontre des magistrats et des greffiers des juridictions des départements dont vous êtes les élus. De ces visites, de vos réflexions et de ces échanges, vous avez tiré une connaissance presque physique de la question des scellés.

Je voudrais nuancer vos propos, madame Lipietz, même si j’ai compris qu’il s’agissait d’un clin d’œil : nous ne parlons pas, ce matin, des objets conservés par la police, qui sont du ressort souverain du ministère de l’intérieur. Pour ce qui concerne la justice, la conservation des scellés est confiée par la loi au greffier en chef. C’est de cela, et uniquement de cela, que nous parlons aujourd’hui.

Je veux vous remercier, monsieur Courtois, d’avoir pris l’initiative de ce débat, qui est d’une extrême importance, vous l’avez souligné, pour les parlementaires. J’ai pu constater, en effet, la mobilisation de députés et de sénateurs de Saône-et-Loire en particulier, mais également d’autres parties du territoire, sur ce sujet. Depuis plusieurs années, les parlementaires posent des questions, notamment écrites, et font part de leur préoccupation sur la conservation des scellés.

Les visites que vous avez effectuées dans les juridictions, de manière spontanée ou sur sollicitation de magistrats ou de greffiers, vous ont permis de constater que la conservation des scellés consomme de l’espace, et parfois beaucoup d’espace, certains objets saisis étant volumineux.

Vous l’avez dit, monsieur Courtois, il y a lieu de réfléchir à la sélection des objets à conserver sous scellés. En effet, l’accumulation d’avoirs dont l’utilité n’est pas nécessairement avérée nuit à la conservation durable et de qualité des objets, eux, indispensables à la manifestation de la vérité.

Je veux prendre le temps d’exprimer ici mon profond respect aux victimes, et à leur famille, dont la souffrance reste grande aussi parce que les procédures judiciaires ne leur ont pas apporté les réponses qu’elles attendaient. Ma qualité de garde des sceaux m’interdit de m’exprimer sur des affaires particulières, mais elle ne m’empêche pas de comprendre la souffrance de ces personnes, et de leur rendre hommage.

Cette même qualité m’oblige à veiller à ce que la justice ait les moyens d’accomplir correctement ses missions. Je le sais, monsieur le sénateur, le département de Saône-et-Loire, et notamment le tribunal de grande instance de Chalon-sur-Saône, ont connu des affaires en 1986, en 1990, en 1999, et au début des années 2000, qui témoignent d’un véritable problème d’organisation pour la conservation des scellés, essentiellement, d’ailleurs, s’agissant de prélèvements organiques ou d’objets sensibles à la moisissure.

Cela pouvait s’expliquer par la méconnaissance des techniques et de leur évolution possible. Aujourd’hui, grâce aux procédés de recherche sur l’ADN, nous savons que des objets inutilisables il y a une vingtaine d’années peuvent constituer une preuve essentielle pour la manifestation de la vérité aujourd’hui ou demain. Outre la méconnaissance de ces potentialités, je dois ajouter que des inondations ont affecté l’ancien palais de justice, ce qui a nui à la conservation des objets placés sous main de justice.

Depuis, les choses se sont améliorées. Nous devons rendre hommage au personnel de justice, aux magistrats, aux greffiers et aux fonctionnaires. Le recensement de ces objets est désormais détaillé. Plus aucun scellé relevant d’une procédure criminelle non close n’est détruit. C’est un réel progrès, même si nous pouvons encore faire mieux !

Je vais m’attacher à vous exposer, madame, messieurs les sénateurs, les dispositions que nous avons prises depuis que nous sommes en responsabilité pour améliorer les conditions de conservation des objets placés sous main de justice.

Il me revient de veiller à ce que les règles soient suffisantes, cohérentes et générales, c’est-à-dire qu’elles soient les mêmes sur l’ensemble du territoire.

Je veux absolument que les juridictions aient les moyens d’améliorer la qualité des enquêtes. Je tiens également à ce que nous puissions améliorer le taux d’élucidation des délits et des crimes. Je souhaite que nous puissions mesurer, par ce taux, les progrès que nous aurons accomplis, du fait, notamment, de l’amélioration des conditions de conservation des objets placés sous la responsabilité du ministère de la justice.

Il faut reconnaître que cela suppose de concilier certaines contraintes.

Tout d’abord, nous devons être capables d’anticiper l’évolution des techniques et des sciences, et de comprendre que, grâce à elle, des éléments de preuve qui, aujourd’hui, ne sont pas de nature à permettre la manifestation de la vérité, pourront l’être demain. Il nous faut donc veiller à rationaliser et à sécuriser la conservation de ces objets, sans pour autant que cela conduise à l’explosion des frais de justice. Voilà une vraie contrainte, en effet !

Nous ne voulons pas plafonner les frais de justice - même si nous sommes obligés de définir un budget -, car nous souhaitons que les magistrats aient les moyens de commander toutes les expertises et toutes les enquêtes nécessaires à l’élucidation des différentes affaires dont ils sont saisis. En même temps, nous ne pouvons pas courir le risque de fragiliser une telle capacité en général, car cela fragiliserait aussi l’ensemble des procédures menées sur une année.

Nous devons donc concilier ces contraintes et tenir compte, je le disais, de l’évolution possible des techniques et des sciences.

Permettez-moi de rappeler le cadre juridique qui fixe les conditions dans lesquelles les objets sont conservés.

La durée de conservation, qui est définie par les articles 56 et 99 du code de procédure pénale, est passée, depuis la loi de 1999, de trois ans à six mois. Comme vous l’avez souligné, monsieur le sénateur, la durée n’est pas absurde « à condition que »…

Nous allons le voir, il y a effectivement un certain nombre d’exceptions.

Je pense d’abord à la faculté de porter la durée de conservation au-delà de six mois. C’est le cas dans des procédures qui aboutissent soit à un non-lieu, soit à un classement sans suite, soit à une relaxe soit à un acquittement. Cela concerne également les hypothèses où, compte tenu des décisions de justice, un réexamen ou une réouverture de la procédure sont probables.

En outre, un certain nombre de mesures spécifiques sont prévues pour certaines catégories d’objets, notamment les armes, les véhicules et les stupéfiants.

Mais il y a surtout trois exceptions majeures à l’obligation de conservation de six mois.

Premièrement, les enregistrements d’auditions de mineurs victimes d’infraction doivent être conservés durant cinq années.

Deuxièmement, les enregistrements de correspondance par voie de télécommunications ne peuvent être détruits qu’à l’expiration de la prescription de l’action publique, c'est-à-dire trois années pour les délits et dix années pour les crimes.

Troisièmement, lorsque des profils génétiques ont été inscrits au Fichier national automatisé des empreintes génétiques, le FNAEG, sur des individus non identifiés, il est possible de les conserver pendant quarante ans.

En revanche, nous avons un souci avec les extraits d’ADN, qui ne sont pas systématiquement conservés. Les laboratoires ont des doctrines différenciées : certains les conservent, d’autres non. Mon ministère travaille actuellement avec le ministère de l’intérieur à une solution applicable sur l’ensemble du territoire qui permette de conserver ces extraits, parce qu’ils font partie des éléments susceptibles de participer à la manifestation de la vérité. Un décret est en cours de préparation ; il sera soumis au Conseil d'État très prochainement et sera publié sans doute peu après.

J’en viens à la situation que l’auteur de la question et les différents orateurs ont abordée. La Cour de cassation s’en est elle-même inquiétée en 2007, en évoquant des affaires criminelles, celle de Dany Leprince et celle de Patrick Dils, dans lesquelles des objets placés sous scellés avaient été détruits.

La réflexion est donc en cours. Elle a donné lieu à des initiatives parlementaires, dont la proposition de loi signée par le sénateur Jean-Pierre Michel visant à porter la durée de conservation des objets placés sous scellés à trente années après le jugement.

J’ai noté que la Commission nationale consultative des droits de l’homme proposait les mêmes mesures et la même durée.

En outre, je ne saurais omettre la mission d’information sur la révision des condamnations pénales conduite par les députés Alain Tourret et Georges Fenech : certes, leur réflexion dépasse la seule question de la conservation des scellés, mais, comme la Cour de cassation l’a souligné, la révision est objectivement empêchée lorsque les éléments de preuve sous forme d’objets placés sous scellés ne sont plus disponibles.

La mission prévoit des dispositifs un peu plus souples que ceux que vous envisagez, monsieur le sénateur. Elle travaille, j’y ai veillé, en étroite coopération avec les services du ministère de la justice.

Nous faisons procéder actuellement à une étude d’impact pour éclairer les choix du ministère et du Parlement et déterminer laquelle des deux formules – la vôtre, monsieur le sénateur, ou celle de vos deux collègues députés – est la plus pertinente.

Nous poursuivons ce travail, mais sans oublier les réponses budgétaires. Nous ne sous-estimons pas leur importance, comme le prouvent les crédits consacrés à la conservation des scellés : s’élevant à 18 millions d’euros en 2012, ils ont déjà atteint 11 millions d’euros sur le premier semestre de l’année 2013.

La conservation des scellés fait partie des frais de justice. En exécution, ces frais se sont élevés à 447 millions d’euros en 2012, et nous avons prévu 476 millions d’euros pour l’année suivante.

Vous le voyez, nous faisons en sorte de donner à nos juridictions les moyens de conserver les objets placés sous scellés.

Bien entendu, cela laisse ouverte la question de la sélection. Il faut conserver les scellés, mais mieux conserver et, peut-être, moins conserver. Et nous devons utiliser les technologies actuelles de manière à réduire autant que possible le stockage physique lorsqu’il n’est pas indispensable.

C’est pourquoi nous réfléchissons depuis un an et demi à la rationalisation de la conservation de ces objets, indépendamment du cadre légal, notamment les six mois de durée de conservation et les exceptions que j’ai rappelées. Nous travaillons sur l’utilisation de nouvelles techniques, ce qui pose évidemment un certain nombre de problèmes.

Je viens de donner quelques chiffres relatifs aux frais de justice et au budget afférent. Mais il faut savoir que le ministère, n’étant pas en capacité de conserver lui-même certains objets placés sous scellés, est obligé de recourir à des prestataires extérieurs. C’est le cas, vous vous en doutez, pour les prélèvements biologiques. En l’occurrence, on fait appel soit à des laboratoires, soit à des établissements de santé. Ces prestations sont évidemment rémunérées.

Nous savons cependant à quel point ces objets sont utiles, voire nécessaires : c’est qu’ils peuvent être éloquents, parlants, révélateurs, et il nous faut pouvoir leur arracher les nombreux secrets qu’ils recèlent. D’où la nécessité de nous doter des moyens de les conserver.

Un certain nombre de propositions ont été émises ; vous les avez rappelées. Il y a eu deux missions de l’Inspection générale des services judiciaires, une en 2007, l’autre en 2009. À la suite de ces missions, un plan d’apurement des scellés a effectivement été mis en place.

L’Agence publique pour l’immobilier de la justice, l’APIJ, a depuis élaboré un guide de programmation de la conservation des scellés ; nous faisons une articulation avec l’application informatique CASSIOPEE, la chaîne applicative supportant le système d'information opérationnel pour le pénal et les enfants, qui contient un module spécifique « scellés ».

Ce guide de programmation rappelle les conditions de sûreté, d’hygiène et de sécurité indispensables pour la conservation des scellés dans des locaux particuliers.

Pour ma part, j’ai lancé une enquête afin de connaître le nombre et la nature des objets conservés sous scellés dans nos juridictions. J’en aurai les résultats à la mi-décembre. Je vous les ferai parvenir, compte tenu de l’intérêt que vous portez au sujet.

Comme je l’indiquais, nous devons utiliser les nouvelles technologies, notamment la dématérialisation.

Vous le savez, nous sommes en cours de finalisation d’une plateforme nationale des interceptions judiciaires. Elle nous permettra d’abord de réaliser des économies budgétaires sérieuses du fait notamment de la dématérialisation des échanges. Je vous en tiendrai informés. J’ai en tête le chiffre de 17 millions d’euros d’économies par rapport au volume actuel des interceptions judiciaires.

Surtout, cette plateforme nous permettra de régler les problèmes de sécurité que posent les interceptions. Bien entendu, nous serons vigilants quant au respect des libertés individuelles. Nous n’allons évidemment pas connecter la plateforme informatique avec l’application CASSIOPEE, c'est-à-dire donner une place considérable à la numérisation dans la conservation des correspondances interceptées, au risque de négliger nos obligations constitutionnelles et légales en la matière.

Des dispositions ont été prises en ce sens ; le respect des libertés individuelles sera évidemment garanti par les techniques employées elles-mêmes, mais également par la mise en place d’un comité d’éthique et de déontologie.

Grâce à la dématérialisation, nous éviterons le stockage physique inutile. En même temps, nous sécuriserons la conservation sur de longues périodes, car les scellés seront moins encombrants que tous les supports physiques que sont les actuels disques durs, CD-ROM et autres qui, à la longue, finissent par prendre de la place.

Nous pourrons donc à la fois disposer d’informations accessibles tout en sécurisant leur conservation. Il s’agira d’un vrai progrès, à condition, je le répète, que nous soyons vigilants quant au respect des libertés individuelles.

Un processus de sélection de tous les éléments de preuve pouvant être dématérialisés a déjà été engagé. Nous avons commencé l’échantillonnage, vous le rappeliez, monsieur le sénateur, notamment en ce qui concerne les produits stupéfiants, dont les juridictions ne conservent dorénavant plus que les quantités nécessaires, en cas de saisies importantes, ce qui permet aussi d’éviter certaines tentations…

Par ailleurs, lorsqu’un examen technique ultérieur n’est pas nécessaire, nous procédons à la photographie de certains objets volumineux, afin qu’ils soient éventuellement utilisés plus tard comme preuve. Encore faut-il pour cela que le recours à la preuve dématérialisée dans une procédure soit autorisé, et nous travaillons à une circulaire en ce sens.

Voilà, en termes budgétaires, réglementaires et techniques, les actions que nous avons déjà engagées pour améliorer la conservation des objets placés aujourd’hui sous scellés.

Pour la conservation des nouveaux scellés, les dispositions sont satisfaisantes, compte tenu du guide édité par l’Agence publique pour l’immobilier de la justice, dont j’ai parlé, ainsi que du plan d’apurement et des consignes relatives aux conditions techniques de conservation, sans oublier l’application CASSIOPEE.

En ce qui concerne le stock, c’est incontestablement plus compliqué, mais nous y travaillons. Dès que j’aurai reçu les résultats de cette enquête, nous y verrons plus clair et nous pourrons prendre les dispositions optimales pour conserver ce qui mérite d’être conservé et, surtout, dans des conditions qui permettraient, éventuellement, en cas notamment de réouverture d’une procédure, la manifestation de la vérité.

Voilà quelles sont les dispositions déjà prises. Compte tenu de l’intérêt que vous manifestez pour le sujet, madame, messieurs les sénateurs, je veillerai à ce que mon cabinet comme mes services vous fassent parvenir à vous quatre, en particulier, mais également aux autres parlementaires intéressés, tous les éléments précis qui vous permettront d’apprécier les améliorations que nous avons d’ores et déjà apportées au processus de conservation, de gestion et de restitution des nouveaux scellés, mais aussi de savoir comment nous comptons travailler sur le stock existant.

Vous m’avez interrogée sur le sort des objets placés sous scellés dans certaines juridictions. Sachez qu’un regroupement des scellés constitués à l’occasion de procédures criminelles est déjà prévu au niveau de la cour d’appel, pour le ressort.

Quant à l’éventualité de nouvelles dispositions législatives, monsieur Collin, nous verrons à l’issue des travaux de la mission d’information de l’Assemblée nationale conduite par deux de vos collègues députés, Alain Tourret, appartenant au groupe équivalent au RDSE, et Georges Fenech. Nous tiendrons également compte des éléments que vous avez fournis et des observations que vous avez formulées.

Je veux encore une fois vous remercier, et très chaleureusement, de la qualité de vos interventions. Vous avez su donner à une question extrêmement technique, de prime abord plutôt rébarbative, le relief que méritent ses enjeux procéduraux : parce que les scellés participent à la manifestation de la vérité, ils font justice aux victimes et à leur famille comme ils font parfois justice aux innocents injustement accusés ou condamnés. Le sujet est majeur, vous l’avez démontré, soyez-en remerciés, madame, messieurs les sénateurs !

Applaudissements.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Carle

Nous en avons terminé avec cette question orale avec débat sur la gestion et la conservation des scellés judiciaires.

Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à onze heures trente, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de Mme Bariza Khiari.