Intervention de Éric Bocquet

Réunion du 22 novembre 2013 à 14h30
Loi de finances pour 2014 — Article 2, amendement 67

Photo de Éric BocquetÉric Bocquet :

Cette intervention vaudra également défense de notre amendement n° I-67.

L’article 2, relatif au barème de l’impôt sur le revenu et à la définition des seuils de plafonnement et d’exonération des impositions directes locales, s’inscrit évidemment dans une perspective tout à fait nouvelle, à la suite de l’annonce par le Premier ministre d’un « grand soir fiscal » pour 2015.

Je ne sais si cette « remise à plat » sera de la même ampleur que celle qui a affecté le portefeuille d’un grand nombre de contribuables, victimes du gel du barème de l’impôt sur le revenu décidé sous le précédent gouvernement. Ce gel, à revenu égal, aura rendu un certain nombre de nos concitoyens imposables alors qu’ils ne l’étaient pas jusqu’à présent, tandis que beaucoup d’autres sont désormais redevables d’un impôt majoré…

La grande affaire de la remise à plat à venir de notre système de prélèvements obligatoires, ce sera, incontestablement, la fusion programmée de la contribution sociale généralisée, la CSG, et de l’impôt sur le revenu.

La CSG, dont l’assiette est large et le rendement progresse chaque année de manière « tranquille », constitue, avec un total de recettes attendues de plus de 93 milliards d'euros en 2014, le premier impôt direct du pays. Cet impôt est d’autant plus rentable qu’il est faiblement affecté par la dépense fiscale, puisqu’il ne connaît que peu de correctifs d’assiette.

La CSG a d’autres caractéristiques tout à fait essentielles : elle est proportionnelle, prélevée à la source et ignore superbement la situation familiale des redevables ; elle frappe au premier euro, n’étant pour l’heure assortie d’aucune forme de barème comprenant une tranche non imposable.

L’impôt sur le revenu, pour sa part, devrait produire en 2014 une recette bien plus importante que les années précédentes, d’un montant global de 75, 304 milliards d'euros, soit environ 80 % du produit attendu de la CSG.

Mais, à la vérité, à y regarder de plus près, la CSG apparaît comme le premier étage de la fusée, si l’on peut dire, le « socle d’imposition », et l’impôt sur le revenu comme le second étage, à l’instar de ce que nous connûmes avant la grande réforme de 1970, avec l’impôt général sur le revenu, d’un côté, et ce que l’on appelait la surtaxe progressive, de l’autre.

Un petit calcul simple montre que si l’assiette de l’impôt sur le revenu était similaire à celle de la contribution sociale généralisée, elle se trouverait accrue de 50 milliards à 55 milliards d’euros, montant considérable et aisément manipulable pour « ajuster », par exemple, les tranches du barème…

Du point de vue de l’État, la fusion a cependant plusieurs avantages.

Le premier, théorique, est que la perception à la source, mensualisée, de l’impôt favoriserait la régularité du flux des recettes fiscales, gommant en partie les décalages de trésorerie nés de versements de contributions fiscales séparés dans le temps. Ce serait un gain de trésorerie, en quelque sorte, pouvant permettre, par exemple, de se dispenser d’une levée mensuelle de bons du Trésor de court terme.

Deuxième avantage, tout aussi théorique : la fusion de la CSG et de l’impôt sur le revenu ferait des entreprises, plus encore qu’aujourd’hui, le principal agent du fisc, collectant à la fois la taxe sur la valeur ajoutée et le principal impôt direct.

Troisième avantage : il est évident que le produit de l’impôt serait, en quelque sorte, constitué de virements provisionnels en attente de régularisation, comme c’est le cas notamment en Allemagne. Cela ferait de la plupart des ménages salariés ou retraités les prêteurs de l’État, des prêteurs accommodants puisque ne percevant aucun intérêt.

Enfin, on ne peut manquer de souligner que la privatisation de la perception de l’impôt à l’échelon de chaque entreprise ou caisse de retraite ouvrirait la possibilité de supprimer plusieurs dizaines de milliers d’emplois dans les services de la Direction générale des finances publiques.

Cela étant, cette fusion présenterait, à notre avis, de nombreux inconvénients.

Ainsi, contrairement à bien des assertions entendues ici ou là, il n’y a aucune égalité de traitement entre revenus du capital et revenus du travail au regard de l’impôt sur le revenu. Il n’est pas pratiqué d’abattement sur le salaire de l’ouvrier ayant vingt-deux ans d’expérience dans la même entreprise, alors qu’il existe un abattement sur la plus-value réalisée lors de la vente d’un bien ayant été détenu pendant une durée équivalente.

La dépense fiscale de l’impôt sur le revenu devrait atteindre, en 2014, 30, 284 milliards d'euros, dont 12, 885 milliards d'euros pour les seules réductions ou crédits d’impôt et 10, 284 milliards d'euros de mesures incidentes des modalités de calcul de l’impôt. Mais elle comprendra aussi 16, 506 milliards d'euros de dépense fiscale partagée avec l’impôt sur les sociétés et une centaine de millions d’euros de mesures de calcul.

Si les traitements, salaires, pensions et retraites – qui représentent 85 %, ou peu s’en faut, de l’assiette de l’impôt sur le revenu – font l’objet de 9 924 millions d’euros de dépense fiscale, celle-ci mobilise encore 4 257 millions d’euros pour les revenus tirés de capitaux mobiliers. Encore faut-il souligner que la mesure du régime particulier d’imposition des plus-values, comme celle d’une bonne partie des revenus financiers, n’est pas véritablement chiffrée !

Commençons donc par mettre un terme à ces évidentes inégalités de traitement avant d’envisager la fusion de l’impôt sur le revenu et de la CSG. Une telle fusion n’aurait rien d’une mesure progressiste, d’autant que, outre quelques défauts, elle s’apparente à une forme d’étatisation de la protection sociale.

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