Il s’agit d’un problème particulièrement délicat. D’un côté, il y a la question de l’euro-compatibilité, qui n’a peut-être pas été traitée avec tout l’empirisme nécessaire au cours des années passées. De l’autre, il y a le retentissement d’une telle décision sur une filière dont les caractéristiques ont été très bien décrites.
Nombre d’entre vous, mes chers collègues, ont connu la filière équestre voilà vingt ou trente ans et peuvent faire la différence avec ce qu’elle est devenue, c'est-à-dire une très grande fédération sportive ; le milieu s’est beaucoup élargi, notamment en termes sociologiques.
Ce sujet ne fait pas seulement appel au rationnel. Il s’y mêle également beaucoup de ressenti. Mme Jouanno a parfaitement évoqué tous les aspects de cette pratique sportive qu’est l’équitation. Jean-Vincent Placé les a aussi abordés, mais en se plaçant sur le plan plus général du rapport à l’environnement et à la nature, sujet auquel il est très attaché.
Pour ma part, en ma qualité de rapporteur général, pendant une longue période, j’ai eu à travailler sur ces sujets et, comme vous l’avez dit vous-même, monsieur le ministre, en tant qu’élu d’un département dans lequel les activités équestres sont très importantes, je suis également saisi de toutes sortes de demandes que, jusqu’à présent, j’ai traitées avec beaucoup de modération. J’estime en effet que l’un de nos devoirs est de ne pas bercer d’illusions des personnes qui, de bonne foi, défendent une thèse mais s’autopersuadent peut-être un peu trop.
Dans un passé récent, nous avions, le plus largement possible, appliqué la fiscalité de l’agriculture à la filière équestre. C’était la volonté qui s’était exprimée en vue de donner une impulsion à cette dernière, ce qui a parfaitement réussi, puisque c’est bien ce qui a été fait, notamment dans la loi de finances pour 2004. Il faut se souvenir que, à cette époque, la taxe professionnelle s’appliquait, qu’elle était très lourde pour les centres équestres et que la seule façon d’alléger leurs charges était bien d’assimiler leurs services aux activités agricoles, ce qui avait des conséquences favorables en matière de TVA. Ce régime s’est appliqué de 2005 à 2012.
Dans la loi de finances pour 2012, vos prédécesseurs, monsieur le ministre, connaissant l’issue probable du contentieux communautaire déjà en cours, avaient cherché un autre fondement juridique permettant de maintenir le statu quo. Il a été considéré qu’il s’agissait de prestations correspondant au droit d’utilisation des animaux à des fins d’activités physiques et sportives et de toutes installations nécessaires à cet effet. Le taux réduit s’est donc appuyé sur le motif sportif.
Le contentieux communautaire a bien débouché sur un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne, mais celui-ci – comme vous l’avez d’ailleurs souligné, monsieur le ministre – porte sur l’ancien fondement, c’est-à-dire sur le fondement agricole, qui a été considéré, sans aucune ambiguïté et de manière définitive par la Cour de justice comme n’étant pas acceptable.
Plusieurs autres arrêts, concernant en particulier les Pays-Bas, l’Autriche et l’Allemagne, sont d’ailleurs intervenus pendant cette période. Les choses ont été jugées de la même façon, et ces États se sont mis en conformité.
S’agissant de l’utilisation d’installations sportives, le rapporteur général a très justement rappelé, et je n’y reviens pas, la procédure de mise en demeure et la menace d’un recours en manquement sur manquement.
La Commission européenne s’est crispée sur le sujet, estimant peut-être que la France avait fait preuve d’une certaine arrogance dans la gestion de cette procédure, ce qui n’est jamais une bonne chose en matière européenne et ce qui réserve souvent des désillusions.
Ce qui n’a pas été fait – et vous en avez certainement mesuré le risque, –, c’est de soumettre à la Cour de justice de l’Union européenne le fondement du droit d’utilisation d’installations sportives. Cela a sans doute choqué le milieu équestre et c’est un facteur d’incompréhension, notamment à l’égard du fonctionnement des institutions européennes. Que la Commission ait pu considérer que la filière équestre ne pouvait pas être assimilée à une activité sportive – alors que l’équitation est depuis toujours une grande discipline olympique – en récusant le fondement sportif pouvait difficilement être compréhensible pour les acteurs de cette filière.
Bref, monsieur le ministre, vous avez pris la décision – c’est une décision d’opportunité mais qui se fonde sans doute aussi sur la mesure des risques juridiques – de ne pas saisir la Cour de justice pour qu’elle juge du bien-fondé de l’argument « utilisation d’activités sportives ».
Bien sûr, dès lors que ce choix a été effectué, personne ne connaîtra la position de la Cour de justice de l’Union européenne sur cet aspect particulier du sujet.
Sur les amendements proposés, la prudence dans la gestion des finances publiques incite à donner raison au rapporteur général. Je regrette de le dire à un certain nombre de collègues membres de cette assemblée.
Pour autant, faut-il, dès 2014, poser ce problème au motif que nous procédons aujourd’hui à une révision des taux de TVA qui résulte des décisions fiscales prises l’année dernière ? N’est-il pas possible de nous donner encore une année de transition, d’une certaine façon ? Vous avez bien dit, monsieur le ministre, que vous acceptiez l’année de transition, qu’il n’y aurait pas de couperet au 1er janvier 2014.
En conclusion, je suis encore dans l’incertitude sur le sort à réserver à ces amendements.
Adopter des amendements tendant à assujettir la filière équestre au taux intermédiaire de 10 % pourrait être un signal montrant que le Sénat est sensible aux problèmes de cette filière. Dès lors que la durée de vie de ces amendements ne serait peut-être pas très longue, leur adoption pourrait ne pas créer de risques communautaires supplémentaires, mais elle témoignerait de l’intérêt des différents groupes de cette assemblée pour ce sujet.
Elle montrerait également notre volonté d’accompagner les efforts entrepris de manière que, si la hausse du taux jusqu’à 20 % est inéluctable, une compensation puisse être envisagée. Cet accompagnement permettrait d’éviter que ne se produisent toutes les catastrophes annoncées. Comme me le disait en aparté Chantal Jouanno, il ne doit pas y avoir une petite fille à qui l’on puisse dire que le poney qu’elle monte va être mis au couteau en raison d’une décision prise froidement à Bruxelles et relayée par le Gouvernement !
C’est donc à un long travail complexe qu’il faut nous livrer. Peut-être passe-t-il psychologiquement par le vote d’amendements, mais j’en laisse naturellement juge chacun des membres de notre assemblée.