On la doit également aux travaux de la mission sénatoriale présidée par Philippe Marini, travaux dont je veux saluer aujourd’hui la pertinence et la profondeur.
Le Sénat a depuis longtemps pris la mesure de l’enjeu que représente la perte d’autonomie des personnes âgées. En choisissant de créer une mission commune d’information sur la prise en charge de la dépendance et la création du cinquième risque, vous avez tous souligné l’importance de mener une réflexion profonde et collective sur ce thème d’envergure.
Au moment où le Gouvernement engage un grand débat national, votre rapport dresse un panorama complet des enjeux humains, organisationnels et financiers de la construction de ce cinquième risque et esquisse de nombreuses pistes de réformes. Soyez-en remerciés.
Beaucoup de choses très intéressantes ont été dites depuis le début de l’après-midi et je voudrais revenir sur certaines d’entre elles.
Le constat est unanime : le vieillissement de notre pays n’est pas un problème, mais au contraire une immense chance, celle de vivre plus longtemps en meilleure forme et de rester chez soi jusqu’à un âge avancé, comme Bernard Fournier, Bruno Sido et Valérie Létard l’ont très bien indiqué.
L’allongement de l’espérance de vie est l’un de nos plus spectaculaires et de nos plus extraordinaires acquis. Chaque année, nous gagnons un trimestre d’espérance de vie, et même quatre mois l’an dernier ! Ainsi, l’espérance de vie à la naissance est passée, pour les hommes, de 70, 2 ans en 1980 à 78, 1 ans en 2010 et, pour les femmes, de 78, 4 ans à 84, 8 ans.
Nous vivons non seulement de plus en plus longtemps, mais surtout de plus en plus longtemps en bonne santé. Les progrès de la médecine et l’amélioration de nos conditions de vie l’ont largement permis.
Ce vieillissement est une chance.
Une chance pour chacun de nous, car il nous offre la possibilité de réaliser plus longtemps nos désirs et nos projets : la possibilité d’être ce pivot familial autour duquel enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants se réunissent ; la possibilité d’observer le monde qui change et d’œuvrer à ces mutations.
Une chance pour notre société, car il implique plus de temps pour s’engager dans le tissu associatif ou pour aider, y compris financièrement, les enfants et petits-enfants.
Nous devons donc envisager le vieillissement de façon positive.
Je voudrais maintenant évoquer le champ de la réforme pour répondre à MM. Fischer et Daudigny, et peut-être d’autres encore, qui s’inquiétaient que la réforme ne prenne pas en compte l’autonomie des personnes handicapées.
La réforme vise bien la prise en compte de la dépendance des personnes âgées. Nous n’avons pas retenu à ce stade l’autonomie, très justement revendiquée, des personnes handicapées, car la dépendance des personnes âgées est structurellement et philosophiquement très différente de la recherche d’autonomie des personnes handicapées : confondre les deux questions présenterait des risques majeurs.
J’ai d’ailleurs rencontré les représentants de toutes les grandes institutions représentatives des personnes handicapées sur ce sujet. Je me suis notamment rendue devant le Conseil national consultatif des personnes handicapées. La grande majorité de ces institutions étaient très défiantes quant à une possible confusion des deux sujets dans le débat. Elles sont tout à fait d’accord pour que l’autonomie des personnes handicapées soit abordée dans d’autres enceintes, tout en restant bien évidemment extrêmement vigilantes quant à la défense de leurs droits.
J’ai néanmoins souhaité que les représentants du Conseil national consultatif des personnes handicapées participent à chacune des quatre commissions qui ont été instituées au sein du ministère. J’ai indiqué que, bien entendu, la problématique des personnes handicapées vieillissantes faisait partie intégrante de notre débat actuel.
À cet égard, nous menons un travail très important concernant l’accessibilité et l’évaluation des besoins, des structures et des services. Tous les progrès qu’enregistrera notre société en ces matières bénéficieront bien évidemment aux personnes en situation de handicap tout comme l’accessibilité de nos villes aux personnes en situation de handicap a participé à améliorer la vie de tous.
Je veux insister sur le fait que la dépendance n’est pas une fatalité et qu’une politique active de prévention peut la faire reculer. Bernard Fournier l’a d’ailleurs indiqué.
Le rapport de la mission sénatoriale fait sur ce sujet plusieurs propositions, comme l’avait fait auparavant le rapport de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale. Certains d’entre vous ont souligné à juste titre l’importance de cette dimension.
Je crois beaucoup au rôle de la prévention, trop souvent oublié. Lorsque j’étais ministre de la santé, j’ai veillé à ce que ce volet essentiel soit pris en compte dans les différents plans de santé publique que j’ai lancés tel le plan AVC ou le plan Alzheimer. Ainsi, j’ai souhaité que la prévention soit l’un des dispositifs cardinaux de la création des agences régionales de santé.
Tous les spécialistes en gérontologie l’affirment. Une étude menée aux États-Unis montre aujourd’hui que, si aucune mesure de prévention n’était mise en œuvre, le nombre des malades doublerait d’ici à 2050, alors que, si l’âge de début de la maladie pouvait être reculé de cinq ans, ce nombre serait réduit de moitié. Cela démontre bien l’enjeu de la prévention !
Essayons également de ne pas « fabriquer » des personnes dépendantes. Par exemple, aliter une personne âgée pendant dix jours peut lui faire perdre jusqu’à 20 % de sa masse musculaire, ce dont elle ne se remettra pas.
La prévention nécessite aussi une meilleure articulation de la prise en charge en institution – hôpital, EHPAD – et à domicile. À ce titre, nous savons bien qu’il y a des moments cruciaux dans la prévention de la perte d’autonomie. Un certain nombre d’entre vous sont des soignants et le savent. Vous connaissez, par exemple, ce moment du retour à domicile après une hospitalisation ou celui de l’entrée à l’hôpital. Il faut faire en sorte que les besoins de soutien ponctuels soient immédiatement satisfaits si l’on veut éviter une perte irréversible d’autonomie.
Au-delà de l’aspect médical, la prévention met en jeu d’autres facteurs de risques liés aussi bien aux comportements individuels qu’au cadre de vie et plus généralement à l’environnement urbain et social.
Plusieurs choses concrètes peuvent être faites : sensibiliser la personne âgée au risque de fragilité lié à une alimentation non équilibrée, au manque d’activité physique et cognitive, à l’isolement social ; mieux repérer les situations de risques imminents. Le médecin traitant, le pharmacien, l’infirmière et l’aide-soignante ont un rôle important à jouer, tout comme les aidants familiaux et professionnels, qui sont en contact quotidien avec la personne âgée.
On peut prévenir la fragilité, la traiter ou au moins la stabiliser avant qu’elle ne débouche sur la perte d’autonomie.
On peut aussi agir sur le cadre de vie des personnes âgées, à commencer par le logement, qui est le premier lieu de risque. Comme je l’ai déjà dit vendredi dernier en visitant un ensemble de logements dédiés aux personnes âgées en Meurthe-et-Moselle : les chutes provoquent chaque année 10 000 décès environ et des dizaines de milliers de cas de traumatismes et de lésions aux conséquences graves. C’est donc beaucoup plus que le nombre d’accidents de la route.
Pour cela, nous devons mener une véritable politique publique d’adaptation du logement. Vivre à domicile n’est pas synonyme de confinement. La mobilité et l’accessibilité en sont des vecteurs essentiels. C’est pourquoi il est nécessaire d’améliorer l’accessibilité des espaces privés et publics et, plus globalement, l’environnement socio-urbain : aménagements, mobilier urbain, déplacements, services de proximité.
Je souhaite que le débat national aborde aussi toutes ces questions.
Un constat partagé, une précision sur le champ de la réforme, l’importance de la prévention ne doivent pas nous faire occulter le fait que l’allongement de l’espérance de vie s’accompagne du spectre de l’accroissement du nombre des personnes âgées dépendantes et des maladies associées au grand âge.
Le vieillissement pose donc à notre société un défi et les enjeux en sont profondément humains.
Les premières difficultés sont celles que rencontrent les personnes dépendantes et leurs familles. Chacun imagine les bouleversements que représente la dépendance sur les vies et les liens affectifs.
Je ne suis donc pas d’accord avec vous, monsieur Desessard, lorsque vous dites que le problème est exclusivement financier. Quand on est confronté à la perte d’autonomie d’un proche – un père ou un mari, par exemple –, je peux vous garantir que la première chose que l’on a à affronter est la destruction du lien familial. C’est ce père ou cette mère qui ne vous reconnaît plus. C’est cet être que vous aimez qui ne vous distingue plus.