je serai d'autant plus bref que mon collègue M. Jeanny Lorgeoux a rappelé la physionomie du programme qui comporte 1,9 milliard de crédits, 1,8 milliard en réalité si on fait abstraction des crédits de pension.
Au sein de cet ensemble, la prospective de défense représente cette année 1,1 milliard en crédits de paiement - hors pensions toujours - soit 61% des crédits du programme et autant en autorisations d'engagement.
Je vous présenterai cette année cinq observations sur ces crédits :
La première, sur le fond, est que le programme 144, et plus encore la partie « prospective de défense », continue, comme l'année dernière à augmenter de façon significative.
Les crédits de paiement - hors pension - passent ainsi de 1 060 millions d'euros à 1 096, ce qui représente une augmentation de 3,4%.
Cette augmentation est encore plus importante : 6,2%, si l'on considère de façon spécifique la sous-action « études amont » dont les crédits de paiement passent de 702 millions d'euros à 746 millions.
Il ne s'agit pas de bouder son plaisir, mais cette augmentation n'est qu'à moitié satisfaisante.
Premièrement parce que le fait que les crédits d'études augmentent dans une enveloppe de défense qui diminue doit être pris avec satisfaction, certes, mais de façon néanmoins modérée - et même très modérée. En effet, nous le savons tous ici : notre effort de défense va passer sous le seuil de 1,5% du PIB dès 2014 et, si tout se passe bien, atteindre à 1,3% du PIB en 2019.
Deuxièmement, cette augmentation n'est pas un signe de vitalité. J'ai déjà eu l'occasion de le dire l'an dernier, mais l'observation vaut davantage encore pour l'année qui vient : dans une séquence de diminution globale des crédits de la défense - c'est ce que prévoit la loi de programmation militaire pour 2014-2019 - concentrer des crédits sur la prospective de défense et en particulier les études amont traduit tout simplement le fait que l'on essaie de préserver l'essentiel. Si vous me passez l'expression, on « sauve les meubles ».
De fait, on augmente les études pour faire tourner les bureaux du même nom, mais on réduit la cible des programmes et on étale leur calendrier. Bref, on réduit la production. Ce faisant, on sauvegarde l'essentiel, les emplois les plus qualifiés, ceux des ingénieurs. C'est bien. Mais on ne peut se satisfaire de cette situation. On ne gardera pas éternellement les talents, on ne motivera pas les équipes, on ne saura pas tirer des leçons de nos expériences et en définitive on ne sera pas progresser sans véritables programmes menés de bout en bout et conduisant à des équipements militaires utilisés sur le terrain. M. Marwan Lahoud, le directeur de la stratégie d'EADS, va beaucoup plus loin que moi, puisqu'il affirmait dans un colloque récent que la conservation des compétences n'est pas un objectif en soi. Ce qu'il faut c'est garder les compétences critiques, c'est-à-dire celles utiles pour dessiner l'outil de défense dont nos forces ont besoin. Encore faut-il que nous soyons capables de nous payer un outil de défense.
Deuxième observation : la maquette budgétaire du programme 144 a été substantiellement remaniée il y a deux ans et sa nouvelle présentation - est beaucoup plus lisible, cohérente que celle qui prévalait auparavant. Dont acte. Pour autant, sa gouvernance est restée inchangée.
Or je m'interroge : le fait de confier la gestion de ce programme au directeur des affaires stratégiques, alors que son contrôle effectif ne porte que sur 6 millions d'euros sur un total de 1,8 milliard, n'est-il pas curieux ?
Ne pourrait-on pas envisager pour ce programme un co-pilotage du CEMA et du DGA, comme c'est le cas pour le programme 146 « équipement des forces » et comme pour le programme 402 « excellence technologique de l'industrie de défense » qui vient d'être créé.
Ce n'est pas une question de personne, mais force est de constater que le DAS quel qu'il soit n'a aucun mot à dire - et c'est bien ainsi - ni sur la gestion du renseignement qui relève soit du DGSE soit du CEMA, ni sur la définition des études amont, qui relèvent du DGA. Dans ces conditions pourquoi lui confier le pilotage de ce programme ?
Ce qui m'emmène à ma troisième observation : nous attendons toujours avec impatience une authentique réforme de la démarche stratégique française.
Comme vous le savez Monsieur le Président, notre commission a beaucoup travaillé sur le sujet. D'abord avec le rapport de M. del Picchia sur l'analyse stratégique, puis avec celui de MM. Reiner et Gautier sur les « capacités industrielles militaires critiques ».
Plus récemment, mon collègue Jacques Gautier a eu l'occasion - dans un article de la revue de défense nationale - de formuler un certain nombre de critiques - constructives il va de soi - sur la façon dont la commission du Livre blanc avait fonctionné, ce qui avait été satisfaisant et ce qui ne l'avait pas été.
Il me semble que, dans l'intérêt bien compris de tous et en particulier de nos forces armées, il faudrait en tenir compte et peut-être pourriez-vous, Monsieur le Président, vous faire le porte-parole de notre commission auprès du ministre afin que notre commission soit consultée sur la réforme de l'analyse stratégique qui se prépare et ne la découvre pas, comme à l'accoutumée, par voie de presse.
Pour ce qui est de la diplomatie de défense, une nouvelle direction générale chargée des affaires stratégiques, de la prospective et des relations internationales, qui serait rattachée directement au ministre de la défense, devrait reprendre une partie ou la totalité des attributions et des moyens de la délégation aux affaires stratégiques, de la sous-chefferie « relations internationales » de l'état-major des armées et de la direction du développement international de la direction générale de l'armement, avec peut-être aussi le réseau des attachés de défense.
Or, cette réforme majeure, qui aboutirait à retirer en tout ou partie la responsabilité de la coopération en matière militaire à l'état-major des armées, avec le risque d'une déconnexion avec les armées, se fait dans la discrétion la plus complète et sans que le Parlement soit réellement consulté ou même informé.
De plus cette réforme pourrait s'accompagner d'une réduction des effectifs et des moyens consacrés à la coopération européenne et internationale en matière de défense, dans un contexte général de déflation des effectifs et de dépyramidage. Ainsi, le nombre d'officiers français insérés au sein des structures de commandement de l'OTAN pourrait diminuer à l'avenir, ce qui serait contradictoire avec la volonté affichée de renforcer notre place et notre influence au sein de l'Alliance atlantique.
Je dois quand même vous dire un mot d'un amendement qui a été adopté par l'Assemblée nationale et qui vise à retirer 500 000 euros sur les crédits de l'école polytechnique afin de la sanctionner en quelque sorte du non remboursement - dans certains cas précis - de ce que l'on appelle la « pantoufle ».
Le détail de cette opération est exposé dans notre rapport écrit. A titre personnel, je ne pense pas que l'amendement de nos collègues députés soit justifié, ni sur le fond, ni sur la forme. Du reste, nos collègues MM. Yves Krattinger et Dominique de Legge, au nom de la commission des finances, ont déposé un amendement destiné à rétablir ces crédits.
Très sincèrement, compte tenu des difficultés budgétaires auxquelles est confrontée la défense en ce moment, du fait de la réduction des crédits, je crois que ces querelles ne sont pas à la mesure des enjeux et risquent d'être mal comprises par nos forces armées. C'est pourquoi je n'ai pas retenu nécessaire de vous présenter un amendement qui serait identique à celui de la commission des finances, même si j'en partage l'orientation et me contenterai, le cas échéant, de le voter, le moment venu.
Sur cette dernière observation je conclus mon intervention, un peu forcé, en ma qualité de co-rapporteur du programme 144, de vous recommander l'adoption des crédits de la mission défense, puisque le vote porte sur l'ensemble de la mission et non pas sur les programmes.
Néanmoins vous le savez bien, mes chers collègues, je considère que le projet qui nous est proposé pour la mission défense n'est pas du tout satisfaisant et réserve des lendemains difficiles voire très difficiles pour notre défense. Personnellement je m'abstiendrai sur l'ensemble de la mission défense de ce projet de loi de finances pour 2014.