Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées

Réunion du 26 novembre 2013 : 1ère réunion

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • DGSE
  • LPM
  • militaire

La réunion

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La commission examine le rapport pour avis de Mme Michelle Demessine et M. Joël Guerriau sur le programme 212 - Soutien de la politique de défense - de la mission Défense du projet de loi de finances pour 2014.

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Demessine

La première partie de notre intervention portera sur la présentation générale, sur la politique immobilière et sur l'accompagnement économique des restructurations.

Dans le cadre d'un budget de la mission défense qui est stable en valeur, les crédits de paiement hors pensions du programme 212 augmentent de 6,6% passant de 2,789 à 2,974 milliards d'euros. Les autorisations d'engagement ne progressent que de 3,2%. Pour mieux situer leur ordre de grandeur, je rappellerai que les crédits du programme 212 représentent moins de 10% de ceux de la mission « défense ».

Globalement, ce programme apparaît bien traité au cours de cet exercice, mais cette augmentation recouvre des évolutions différentes qu'il convient d'exposer action par action.

Préalablement, je souhaiterais indiquer que les dépenses de personnel sont en légère diminution (-0,6%), traduction d'une baisse du nombre d'emplois de 307 équivalents temps plein travaillés en 2014 sur 12 853, d'une légère baisse de la contribution au compte d'affectation spéciale (CAS) pensions qui résulte de l'évolution de la répartition des personnels entre civils et militaires et d'une progression des charges de prestations sociales notamment des allocations pour perte d'emploi.

S'agissant de la politique immobilière, le budget 2014 consacré à l'infrastructure présente un niveau de crédits de paiement, 1,15 milliard d'euros, auxquels s'ajoutent 206 millions de ressources exceptionnelles attendus de la cession d'emprises du ministère de la défense, en progression de 145,5 millions d'euros par rapport à 2013, alors qu'il diminue légèrement en autorisations d'engagement, en raison d'une moindre dotation de l'opération « restructurations » qui achève le cycle des réorganisations de la précédente loi de programmation militaire (LPM). Celles de la prochaine LPM devraient a priori être de moindre ampleur en termes de transferts d'implantations, lesquels génèrent des coûts importants de dépenses d'infrastructure. Dans un souci d'économies, il est préférable de procéder par des fermetures pures et simples d'implantations.

S'agissant des ressources exceptionnelles, nous avons peu d'inquiétudes sur leur réalisation pour 2014, compte tenu du niveau du CAS immobilier et de l'engagement de cessions d'immeubles parisiens dès le début de l'exercice, lesquelles portent sur des immeubles de bureaux. La suite de l'exercice sera plus difficile avec la cession de l'emprise de l'îlot Saint-Germain à l'horizon 2015 et la cession des emprises en province. Néanmoins, la cible envisagée pour la construction de la LPM, 674 millions d'euros (dont 530 au titre des emprises parisiennes) d'ici 2016, n'est pas hors d'atteinte.

S'agissant des crédits affectés aux opérations, je voudrais faire deux remarques.

La première pour souligner que ce budget permet de poursuivre les actions en cours pour accueillir les nouveaux matériels dont sont dotées les forces. En termes de masse, les efforts principaux portent sur l'adaptation des installations portuaires de Toulon, de Brest, de l'île Longue et marginalement de Cherbourg pour permettre l'accueil des sous-marins Barracuda (220 millions d'euros en AE) d'une part, la rénovation électrique des bases navales de Toulon et de Brest, d'autre part. Il permet également le lancement de l'accueil des MRTT (139 millions en AE) sur la base d'Istres.

La deuxième remarque sera de souligner l'effort fait, cette année, en matière d'adaptations des capacités d'infrastructure existantes, qu'il s'agisse des infrastructures technico-opérationnelles ou des infrastructures non technico-opérationnelles (NTO), de la maintenance lourde ou du maintien en condition. Ces actions, et notamment le NTO, ont souvent fait les frais des annulations d'engagement destinés à équilibrer le budget de la défense, ce qui a conduit à de nombreux retards avec une dégradation des conditions de travail et de vie des militaires. Je pense particulièrement aux logements des hommes du rang et des sous-officiers célibataires. Le plan VIVIEN dont l'objectif était de loger 80% des militaires du rang et 25% des sous-officiers, soit 53 000 militaires en 2012, n'a atteint, fin 2013, que 85% des objectifs. Des efforts sont également réalisés pour l'entretien courant des logements domaniaux et pour la réalisation de logements familiaux. Une priorité est donc donnée à la remise à niveau des conditions de travail et de vie des militaires. En revanche, des économies sont réalisées en matière de location de logements de fonction, d'infrastructures et de bureaux.

Enfin, je terminerai cette intervention, en soulignant que la réalisation du projet Balard prend forme. Je vous rappelle qu'il s'agit d'une opération de partenariat public-privé dont le montant est estimé à 3,5 milliard d'euros qui se traduira par le versement d'une redevance annuelle de 154 millions durant 27 ans, comprenant l'amortissement de la construction et des prestations de service. Les immeubles devraient être livrés au premier semestre 2015. Les crédits affectés au projet sont répartis dans différentes rubriques, dans un souci de clarté, il serait souhaitable qu'une rubrique particulière des programmes et des rapports annuels de performance, les regroupent, ce qui donnerait une meilleure visibilité. Le fait important pour 2014 est la montée en charge au sein de l'action « pilotage, soutien et communication » dans laquelle sont, dès cette année, inscrits des montants significatifs (104,5 millions d'euros en AE et 49,6 en CP), auxquels on peut rattacher 4,7 millions en AE et 12,4 en CP au titre de travaux préparatoires d'infrastructures, et les crédits destinés à la préparation du déménagement, 4 millions en AE et 5,9 en CP au titre du système d'information et quelques centaines de milliers d'euros d'assistance à maîtrise d'ouvrage. La progression du programme 212 en AE résulte pour les 2/3 de la montée en charge du projet Balard.

Je n'aborderai que très brièvement la question de l'accompagnement économique des restructurations car nous avons assez largement développé cette question lors de l'examen de la loi de programmation militaire, si ce n'est pour retenir deux points. 90% des contrats prévus en 2008 avec les collectivités locales impactées par des fermetures de sites ont été signés, mais ces signatures sont intervenues tardivement, certaines en 2013 (7 sur 52). Dès lors les décaissements du fonds de restructuration de la défense au titre de la LPM 2009-2014 vont s'étaler jusqu'en 2018. Une grande partie du dispositif en place va être reconduit pour la durée de la loi de programmation militaire 2014-2019, il faudra néanmoins tirer les leçons des expériences précédentes pour essayer d'accélérer la redynamisation des territoires. Il nous semble également qu'il serait de l'intérêt de tous les acteurs (forces armées, personnels civils et militaires, collectivités) si les restructurations pouvaient être annoncées jusqu'à la fin de la loi de programmation, afin de sortir de périodes d'incertitudes et de préparer l'avenir.

Debut de section - PermalienPhoto de Joël Guerriau

S'agissant des autres actions du programme 212 et sans vouloir être exhaustif, je voudrais mettre en relief quelques points saillants.

En premier lieu, je souhaiterais attirer votre attention sur quelques éléments concernant les systèmes d'information, d'administration et de gestion dont les crédits progressent de 24,4% en CP et 11,70 % en AE.

Nous avions eu l'occasion, l'année dernière, de vous faire part de notre inquiétude sur la dégradation des performances de ce secteur, soulignant d'ailleurs qu'au-delà de LOUVOIS, nous observions des dérives en termes de calendrier et de coûts sur nombre de programmes. Nous nous interrogions sur l'opportunité de réduire les crédits de paiements sur cette action en cette période difficile. Nos observations, à l'épreuve des faits, hélas, semblent prises en considération s'agissant des crédits.

Il reste que la situation s'est dégradée. Je ne reviens pas en détail sur LOUVOIS car la question a été abordée largement au cours des auditions, si ce n'est pour souligner ses conséquences :

1/ Des versements excédentaires de soldes dont les évaluations sont fluctuantes - la Cour des comptes avance 133 millions d'euros pour 2012, le ministère 65 à 70 millions d'euros pour 2013, sur les crédits du programme 178, entraînant le recrutement d'une centaine de vacataires pour leur recouvrement, auxquels il faut ajouter la surconsommation des crédits au titre des avances, et des acomptes versés au titre du plan d'urgence ministériel destinés à aider les familles affectées par les dysfonctionnements de LOUVOIS ;

2/ L'engagement de mesures correctrices pour près de 9 millions d'euros d'expertise et d'assistance à maîtrise d'ouvrage ;

3/ Les conséquences du maintien obligé d'applications anciennes qu'il faut continuer à maintenir en raison du moratoire sur le raccordement de l'Armée de l'air et de la Gendarmerie ;

4/ Le décalage en conséquence de certains programmes qui devaient être interfacés ou prendre la suite de LOUVOIS : SOURCE reporté à 2016 et le raccordement à l'Opérateur national de paie qui est repoussé à 2018.

LOUVOIS est donc un sinistre de grande ampleur. Nous avons encore peu de visibilité sur le chemin de sortie de crise. Le ministre a annoncé ce matin sur Europe 1 l'abandon de LOUVOIS et la mise en place « d'un dispositif plus robuste qui va être préparé avec beaucoup de vigilance, qui va être expérimenté et qui va se mettre en place dans les mois qui viennent » sans préciser pour le moment le calendrier, mais selon nombre d'experts, il faudra au moins 2 ans pour que tout rentre dans l'ordre. Un changement de système supposerait au préalable, une simplification des régimes indemnitaires des armées. La complexité est sans doute une des raisons des déboires de LOUVOIS et une cause de renchérissement des coûts.

Je voudrais surtout, et c'est plus inquiétant, faire observer que LOUVOIS est le révélateur de dysfonctionnements récurrents. D'autres programmes, SIGALE, COMPAS, SOURCE, affichent des retards conséquents. Ces décalages ont un impact financier (plus de 10 millions d'euros pour le décalage de SOURCE). Les défauts dans la programmation et les retards entraînent également des accumulations de travail en phase de vérification et d'admission des prestations et donc l'obligation de faire appel à des prestataires extérieurs. La réduction des effectifs a fait exploser les besoins d'assistance externe. On estime ce poste de dépenses à 10 à 20% du coût complet des programmes.

Les phénomènes s'enchaînent et s'entretiennent : complexité des règles et des procédures, mauvaises spécifications, défaut de programmation, retards dans la réalisation, précipitation dans la mise en service, pour déboucher sur des catastrophes de grande ampleur. LOUVOIS est révélateur d'une situation endémique. Le ministère doit s'attacher à traiter simultanément les causes, le mal et ses conséquences sur le terrain. Une réforme de la gouvernance a été mise en place en 2013. Il est trop tôt pour en mesurer les effets. Nous reconnaissons la complexité de la situation. Nous espérons que le renforcement des moyens et la réorganisation du pilotage permettra d'améliorer une situation inacceptable budgétairement, mais surtout en raison de son impact sur le moral des armées, nous craignons que le redressement soit long à produire ses effets.

S'agissant du soutien à la politique des ressources humaines, qui aborde à la fois la question de la reconversion et celle de l'aide sociale, les crédits progressent de 5,29%.

Le volet reconversion voit ses crédits augmenter de près de 11%. Chaque année, les forces armées organisent le retour à la vie civile de près de 23 000 militaires. La reconversion est donc un axe majeur de la politique des ressources humaines de la défense et un levier essentiel pour le recrutement et l'attractivité des armées. Cette augmentation résulte pour partie du transfert à l'Agence de reconversion de la défense (ARD) de crédits jusque-là gérés par la Délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (8,8 millions d'euros) destinés à la reconversion de publics sensibles, mais aussi, en titre 2, de l'augmentation de 17% des crédits dédiés aux indemnités de chômage des civils et des militaires, traduction de la dégradation de la situation de l'emploi et de la difficulté à offrir un débouché à tous les personnels qui quittent la défense, même si les résultats de l'ARD progressent, mais un certain nombre de militaires ne recourent pas à ces services.

Concernant le volet action sociale, nous nous inquiétions l'année dernière de la baisse des dotations et notamment de la subvention à l'IGeSA qui est l'établissement public gestionnaire en considérant que l'effet mécanique des baisses d'effectifs sur l'évolution du budget ne devait pas nécessairement être l'ultima ratio de la bonne gestion d'une politique d'action sociale. Les réorganisations suscitent des besoins supplémentaires et l'action sociale est souvent un moyen d'accompagner le changement. Le ministère de la défense, comme M. Bodin l'a confirmé devant votre commission, a été obligé de rectifier le tir en gestion. Le niveau de crédit est donc rétabli en 2014. L'IGeSA devra en contrepartie refondre la tarification et le fonctionnement de ses centres de vacances, réduire ses dépenses de fonctionnement et développer ses ressources propres. L'objectif est que les prestations soient d'abord servies à ceux qui en ont le plus besoin en évitant les effets d'aubaine et de développer des actions spécifiques notamment de soutien psychologique des familles des militaires et civils engagés sur les théâtres d'opérations extérieures et en faveur des blessés et de leurs familles.

Enfin, je conclurai sur la politique culturelle et éducative qui rassemble les crédits destinés aux archives historiques et aux musées des armées, les crédits progressent de plus de 4%, (8,5% hors les dépenses de personnel), en raison de travaux de rénovation et de remises aux normes dans les musées et du soutien aux célébrations des anniversaires des deux guerres mondiales.

Pour ce qui concerne les musées, je voudrais faire quelques observations. Ces établissements emploient 402 personnes et consomment 18,5 millions d'euros en crédits budgétaires. Ces financements budgétaires progressent. Les objectifs de développement des ressources propres sont loin d'être atteints, ils restent inférieurs à 50% pour le Musée de l'Air et de l'Espace et inférieurs à 40% pour le Musée de la Marine. Le nombre de visiteurs est en baisse et, au sein des visiteurs, les entrées gratuites progressent sensiblement.

Les contrats d'objectifs et de moyens des établissements doivent être renouvelés prochainement, peut-être faudrait-il s'interroger sur le mode de gestion de ces établissements. La défense, dont ce n'est pas le « coeur de métier », dispose-t-elle de toutes les compétences pour développer ces établissements ? Une gestion déléguée à des opérateurs publics ou privés spécialisés dans la gestion de musées à l'instar de ce qu'a fait le Sénat avec le musée du Luxembourg ne serait-elle pas plus économique et plus efficace, y compris pour la valorisation du patrimoine historique et de l'image de nos armées ?

Voici, en terminant sur ce questionnement un peu iconoclaste, les observations que nous souhaitions vous présenter après l'examen des crédits du programme 212 de la mission « Défense » sur lesquels nous portons un avis favorable.

La commission a donné un avis favorable sur les crédits du programme 212, les groupes CRC et UMP s'abstenant.

La commission examine le rapport pour avis de MM. Jeanny Lorgeoux et André Trillard sur le programme 144 - Environnement et prospective de la politique de défense - de la mission Défense du projet de loi de finances pour 2014.

Debut de section - PermalienPhoto de Jeanny Lorgeoux

Avec mon collègue M. André Trillard, nous souhaitons vous présenter les crédits du programme 144 « environnement et prospective de la politique de défense » de la mission « Défense ».

Le responsable de ce programme, M. Philippe Errera, directeur des affaires stratégiques au ministère de la défense, est venu devant la commission, le 24 octobre dernier, exposer dans le détail ce projet de budget.

Avec notre collègue M. André Trillard, nous avons également eu des entretiens avec le Directeur général de la sécurité extérieure, M. Bernard Bajolet, le Directeur de la protection et de la sécurité de la Défense, le général Jean-Pierre Bosser, ainsi qu'avec le sous-chef « relations internationales » de l'état-major des armées, le général Gratien Maire.

Je rappelle que ce programme 144 présente la particularité de regrouper des éléments très différents, puisqu'il comprend notamment :

- les crédits de deux des trois services de renseignement qui relèvent du ministère de la défense : la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) et la direction générale de la protection et de la sécurité de la défense (DPSD), le troisième, la Direction du renseignement militaire (DRM), relevant de la responsabilité du chef d'état-major des armées au sein du programme 178,

- une partie de l'effort de recherche et de prospective en matière de défense, avec en particulier les « études amont » ;

- des subventions aux opérateurs, comme l'école polytechnique ou l'ONERA ;

- les crédits consacrés à l'action internationale du ministère, à travers le soutien aux exportations d'armement et la diplomatie de défense ;

Je limiterai mon intervention aux crédits des services de renseignement, avant de laisser la parole à notre collègue M. André Trillard, qui traitera des aspects relatifs à la recherche, à la diplomatie de défense et au soutien aux exportations.

Globalement, le programme 144 « environnement et prospective de la politique de défense » voit ses crédits augmenter de 1% et ses effectifs de 22 postes supplémentaires en 2014. Il constitue à cet égard une originalité au sein du ministère de la défense.

Cette hausse est principalement due à l'augmentation des effectifs et des moyens des services de renseignement, notamment la DGSE. Je rappelle que la DGSE est le service de renseignement ayant pour mission de protéger les intérêts et les ressortissants français à l'étranger.

Pour 2014, le budget de la DGSE s'élèvera à 650 millions d'euros en crédits de paiement, soit une hausse de 8,5% par rapport à 2013 (+17% hors masse salariale). A cette dotation, il faut ajouter les crédits provenant des fonds spéciaux, dont le montant est de 50 millions d'euros, et qui bénéficient principalement à la DGSE.

Quelles sont les raisons qui expliquent l'augmentation de ses crédits ?

Premièrement, 65 emplois supplémentaires devraient être créés à la DGSE en 2014, ce qui est conforme au plan de recrutement prévu par le précédent Livre blanc de 2008 et la précédente LPM, qui ont prévu la création de 690 agents supplémentaires sur la période 2009-2014.

Les recrutements concernent exclusivement des personnels de haut niveau : deux tiers d'ingénieurs spécialisés dans le renseignement technique, un tiers sur des analystes et des linguistes pour l'exploitation du renseignement.

Un deuxième facteur d'augmentation des crédits est la poursuite de l'amélioration de la situation statutaire et indiciaire des fonctionnaires de la DGSE, avec notamment la création d'un corps d'administrateurs de la DGSE, en partie recruté à la sortie de l'ENA.

Le régime des primes des personnels civils de ce service serait, toutefois, moins favorable que celui en vigueur au sein des autres services du ministère de la défense, ce qui constitue à nos yeux une anomalie qu'il conviendrait de corriger.

Troisième facteur d'augmentation, les crédits d'équipement, avec une hausse de 60% des dépenses d'investissement. Il s'agit de renforcer les moyens d'écoute des télécommunications, afin de s'adapter à la croissance des flux, ainsi que les capacités de déchiffrement. Il faut préciser, à cet égard, qu'une partie des moyens font l'objet d'une mutualisation avec les autres services de renseignement, notamment la DRM.

En résumé, le projet de budget de la DGSE traduit l'accentuation des moyens humains et techniques prévue par le précédent Livre blanc de 2008.

Cet effort qui se chiffre en dizaines de millions - ce qui reste modeste par rapport à l'ensemble du budget de la défense (le budget total de la DGSE représente 1,3% du budget de la défense) - doit surtout être analysé comme un rattrapage nécessaire.

Dans le passé, les moyens de la DGSE n'avaient pas vraiment été augmentés à la hauteur des besoins.

Le service compte actuellement 5 100 agents, dont deux tiers de civils et un tiers de militaires.

A périmètre comparable, les services britanniques comptent un effectif pratiquement deux fois supérieur à celui de la DGSE. C'est aussi le cas des services allemands, qui ne remplissent pas les mêmes missions.

Par ailleurs, je regrette que malgré la priorité accordée au renseignement, les services de renseignement, dont la DGSE, ne soient pas épargnés par le « gel » et le « surgel » des crédits pour la mise en réserve de précaution. A ce titre, le budget de la DGSE a été amputé de 19 millions d'euros en AE et 16 millions d'euros en CP en 2013.

Toujours sur le renseignement, je voudrais dire un mot sur la DPSD, service moins connu que la DGSE et dont on parle peu.

La DPSD est en quelque sorte le service de sécurité interne du ministère de la défense. Elle est chargée de rendre des avis sur les demandes d'habilitation des militaires et elle assure la protection des installations, y compris sur les théâtres d'opérations extérieures, comme le Mali. Elle agit également au profit des entreprises liées à la défense, en matière de contre-ingérence et d'intelligence économique.

A l'exact opposé de la DGSE, la DPSD a perdu près d'un tiers de ses effectifs en dix ans, passant de 1 500 postes en 2003 à 1 100 actuellement. Cette diminution a porté essentiellement sur des personnels affectés à des tâches très administratives de gestion des procédures d'habilitation des personnels. Ces procédures vont être entièrement numérisées, grâce au projet SOPHIA.

Les gains obtenus ont été en partie redéployés pour renforcer le niveau de qualification, en recrutant davantage d'officiers brevetés et de personnels civils de catégorie A. Ainsi, la DPSD n'avait que 15 emplois civils de catégorie A en 2009. Elle en avait 33 en 2012. L'organisation territoriale du service, qui dispose d'antennes sur l'ensemble du territoire, a également été rationnalisée, afin d'être cohérente avec l'implantation des bases de défense.

En 2014, il est prévu une diminution de 4% du budget de fonctionnement la DPSD, mais aussi, ce qui est plus problématique, de 1,6% de la masse salariale, qui est susceptible de fragiliser la DPSD car celle-ci compte un effectif de 1 050 postes, soit une centaine de postes de moins que le plafond autorisé. En outre, comme la DGSE, la DPSD est impactée par le « gel » et le « surgel » des crédits liés à la réserve de précaution.

Comme vous le savez, le nouveau Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2013 et le projet de Loi de programmation militaire font du renseignement une priorité majeure.

En matière de capacités techniques, la priorité est donnée par la nouvelle LPM aux composantes spatiales et aériennes, pour l'imagerie et pour l'interception électromagnétique. Il s'agit notamment de lancer le programme de satellites d'écoute électromagnétique CERES, qui présente une importance particulière pour la surveillance de certaines zones comme le Sahel, de mettre en service, à partir de 2017, les deux premiers satellites d'observation MUSIS, de livrer quatre systèmes de quatre drones MALE et deux systèmes de drones tactiques comprenant quatorze vecteurs. Le développement des activités de renseignement dans le domaine cyber et des moyens techniques associés sera également poursuivi.

A l'initiative de notre commission, un amendement a été adopté au texte de la LPM afin de donner une indication précise concernant l'augmentation des moyens humains des services de renseignement, en s'inspirant de la précédente LPM.

Ainsi, il est dorénavant précisé, dans le rapport annexé, que la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) bénéficiera du recrutement d'au moins 430 personnels supplémentaires sur les cinq prochaines années et que les services de renseignement du ministère de la défense bénéficieront d'un recrutement de l'ordre de 300 agents supplémentaires sur la période 2014-2019.

Sur ces 300 postes supplémentaires, la DGSE devrait bénéficier de 284 postes supplémentaires, le reste (soit seize agents) devant bénéficier à la DRM. C'est beaucoup moins que ce qui avait été demandé initialement par la DGSE, mais cela devrait néanmoins permettre au service de poursuivre le renforcement de ses capacités, notamment en matière technique. La DPSD devrait, quant à elle, voir ses effectifs stabiliser à 1 100 personnels sur la période 2014-2019, conformément au souhait que nous avions exprimé l'an dernier. Il faudra cependant veiller à préserver ses crédits et à poursuivre l'effort de requalification de ses personnels.

Je laisse maintenant la parole à notre collègue M. André Trillard, en précisant que je voterai les crédits de la mission « Défense ».

Debut de section - PermalienPhoto de André Trillard

je serai d'autant plus bref que mon collègue M. Jeanny Lorgeoux a rappelé la physionomie du programme qui comporte 1,9 milliard de crédits, 1,8 milliard en réalité si on fait abstraction des crédits de pension.

Au sein de cet ensemble, la prospective de défense représente cette année 1,1 milliard en crédits de paiement - hors pensions toujours - soit 61% des crédits du programme et autant en autorisations d'engagement.

Je vous présenterai cette année cinq observations sur ces crédits :

La première, sur le fond, est que le programme 144, et plus encore la partie « prospective de défense », continue, comme l'année dernière à augmenter de façon significative.

Les crédits de paiement - hors pension - passent ainsi de 1 060 millions d'euros à 1 096, ce qui représente une augmentation de 3,4%.

Cette augmentation est encore plus importante : 6,2%, si l'on considère de façon spécifique la sous-action « études amont » dont les crédits de paiement passent de 702 millions d'euros à 746 millions.

Il ne s'agit pas de bouder son plaisir, mais cette augmentation n'est qu'à moitié satisfaisante.

Premièrement parce que le fait que les crédits d'études augmentent dans une enveloppe de défense qui diminue doit être pris avec satisfaction, certes, mais de façon néanmoins modérée - et même très modérée. En effet, nous le savons tous ici : notre effort de défense va passer sous le seuil de 1,5% du PIB dès 2014 et, si tout se passe bien, atteindre à 1,3% du PIB en 2019.

Deuxièmement, cette augmentation n'est pas un signe de vitalité. J'ai déjà eu l'occasion de le dire l'an dernier, mais l'observation vaut davantage encore pour l'année qui vient : dans une séquence de diminution globale des crédits de la défense - c'est ce que prévoit la loi de programmation militaire pour 2014-2019 - concentrer des crédits sur la prospective de défense et en particulier les études amont traduit tout simplement le fait que l'on essaie de préserver l'essentiel. Si vous me passez l'expression, on « sauve les meubles ».

De fait, on augmente les études pour faire tourner les bureaux du même nom, mais on réduit la cible des programmes et on étale leur calendrier. Bref, on réduit la production. Ce faisant, on sauvegarde l'essentiel, les emplois les plus qualifiés, ceux des ingénieurs. C'est bien. Mais on ne peut se satisfaire de cette situation. On ne gardera pas éternellement les talents, on ne motivera pas les équipes, on ne saura pas tirer des leçons de nos expériences et en définitive on ne sera pas progresser sans véritables programmes menés de bout en bout et conduisant à des équipements militaires utilisés sur le terrain. M. Marwan Lahoud, le directeur de la stratégie d'EADS, va beaucoup plus loin que moi, puisqu'il affirmait dans un colloque récent que la conservation des compétences n'est pas un objectif en soi. Ce qu'il faut c'est garder les compétences critiques, c'est-à-dire celles utiles pour dessiner l'outil de défense dont nos forces ont besoin. Encore faut-il que nous soyons capables de nous payer un outil de défense.

Deuxième observation : la maquette budgétaire du programme 144 a été substantiellement remaniée il y a deux ans et sa nouvelle présentation - est beaucoup plus lisible, cohérente que celle qui prévalait auparavant. Dont acte. Pour autant, sa gouvernance est restée inchangée.

Or je m'interroge : le fait de confier la gestion de ce programme au directeur des affaires stratégiques, alors que son contrôle effectif ne porte que sur 6 millions d'euros sur un total de 1,8 milliard, n'est-il pas curieux ?

Ne pourrait-on pas envisager pour ce programme un co-pilotage du CEMA et du DGA, comme c'est le cas pour le programme 146 « équipement des forces » et comme pour le programme 402 « excellence technologique de l'industrie de défense » qui vient d'être créé.

Ce n'est pas une question de personne, mais force est de constater que le DAS quel qu'il soit n'a aucun mot à dire - et c'est bien ainsi - ni sur la gestion du renseignement qui relève soit du DGSE soit du CEMA, ni sur la définition des études amont, qui relèvent du DGA. Dans ces conditions pourquoi lui confier le pilotage de ce programme ?

Ce qui m'emmène à ma troisième observation : nous attendons toujours avec impatience une authentique réforme de la démarche stratégique française.

Comme vous le savez Monsieur le Président, notre commission a beaucoup travaillé sur le sujet. D'abord avec le rapport de M. del Picchia sur l'analyse stratégique, puis avec celui de MM. Reiner et Gautier sur les « capacités industrielles militaires critiques ».

Plus récemment, mon collègue Jacques Gautier a eu l'occasion - dans un article de la revue de défense nationale - de formuler un certain nombre de critiques - constructives il va de soi - sur la façon dont la commission du Livre blanc avait fonctionné, ce qui avait été satisfaisant et ce qui ne l'avait pas été.

Il me semble que, dans l'intérêt bien compris de tous et en particulier de nos forces armées, il faudrait en tenir compte et peut-être pourriez-vous, Monsieur le Président, vous faire le porte-parole de notre commission auprès du ministre afin que notre commission soit consultée sur la réforme de l'analyse stratégique qui se prépare et ne la découvre pas, comme à l'accoutumée, par voie de presse.

Pour ce qui est de la diplomatie de défense, une nouvelle direction générale chargée des affaires stratégiques, de la prospective et des relations internationales, qui serait rattachée directement au ministre de la défense, devrait reprendre une partie ou la totalité des attributions et des moyens de la délégation aux affaires stratégiques, de la sous-chefferie « relations internationales » de l'état-major des armées et de la direction du développement international de la direction générale de l'armement, avec peut-être aussi le réseau des attachés de défense.

Or, cette réforme majeure, qui aboutirait à retirer en tout ou partie la responsabilité de la coopération en matière militaire à l'état-major des armées, avec le risque d'une déconnexion avec les armées, se fait dans la discrétion la plus complète et sans que le Parlement soit réellement consulté ou même informé.

De plus cette réforme pourrait s'accompagner d'une réduction des effectifs et des moyens consacrés à la coopération européenne et internationale en matière de défense, dans un contexte général de déflation des effectifs et de dépyramidage. Ainsi, le nombre d'officiers français insérés au sein des structures de commandement de l'OTAN pourrait diminuer à l'avenir, ce qui serait contradictoire avec la volonté affichée de renforcer notre place et notre influence au sein de l'Alliance atlantique.

Je dois quand même vous dire un mot d'un amendement qui a été adopté par l'Assemblée nationale et qui vise à retirer 500 000 euros sur les crédits de l'école polytechnique afin de la sanctionner en quelque sorte du non remboursement - dans certains cas précis - de ce que l'on appelle la « pantoufle ».

Le détail de cette opération est exposé dans notre rapport écrit. A titre personnel, je ne pense pas que l'amendement de nos collègues députés soit justifié, ni sur le fond, ni sur la forme. Du reste, nos collègues MM. Yves Krattinger et Dominique de Legge, au nom de la commission des finances, ont déposé un amendement destiné à rétablir ces crédits.

Très sincèrement, compte tenu des difficultés budgétaires auxquelles est confrontée la défense en ce moment, du fait de la réduction des crédits, je crois que ces querelles ne sont pas à la mesure des enjeux et risquent d'être mal comprises par nos forces armées. C'est pourquoi je n'ai pas retenu nécessaire de vous présenter un amendement qui serait identique à celui de la commission des finances, même si j'en partage l'orientation et me contenterai, le cas échéant, de le voter, le moment venu.

Sur cette dernière observation je conclus mon intervention, un peu forcé, en ma qualité de co-rapporteur du programme 144, de vous recommander l'adoption des crédits de la mission défense, puisque le vote porte sur l'ensemble de la mission et non pas sur les programmes.

Néanmoins vous le savez bien, mes chers collègues, je considère que le projet qui nous est proposé pour la mission défense n'est pas du tout satisfaisant et réserve des lendemains difficiles voire très difficiles pour notre défense. Personnellement je m'abstiendrai sur l'ensemble de la mission défense de ce projet de loi de finances pour 2014.

La commission donne ensuite un avis favorable à l'adoption du programme 144 de la mission « Défense » au sein du projet de loi de finances pour 2014, les groupes CRC et UMP s'abstenant.

La commission examine le rapport pour avis de MM. Daniel Reiner, Jacques Gautier et Xavier Pintat sur le programme 146 - Equipement des forces - de la mission Défense du projet de loi de finances pour 2014.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

Avant de donner la parole aux rapporteurs du programme 146, je voudrais vous faire part d'une communication. Le ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian, vient de m'informer du vote prochain d'une résolution de l'Organisation des Nations unies concernant la situation en République Centrafricaine. A la suite de cette résolution, nos forces sont prêtes, le cas échéant, à se déployer dans les meilleurs délais. Le ministre a indiqué que, sur la base de la nouvelle résolution de l'ONU, nous devrions déployer 800 hommes supplémentaires qui viendraient compléter les 400 soldats d'ores et déjà à Bangui. Il s'agirait d'appuyer la force africaine qui se déploie et de l'accompagner au plan opérationnel.

Debut de section - PermalienPhoto de Jeanny Lorgeoux

Je me réjouis de cette décision. La vraie question néanmoins est de savoir quel processus politique comptons-nous mettre en oeuvre après cette intervention ? Les troupes du président Bozizé ont été démobilisées et les troupes de la Séléka se paient sur la bête. Les éléments qui ont été à l'origine du problème sont malheureusement toujours là. Comment après une intervention militaire pourrons-nous promouvoir un processus politique qui aboutisse au rétablissement de l'Etat centrafricain ?

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Reiner

C'est la deuxième année consécutive où nous allons présenter ce programme 146 à trois voix, avec mes collègues Xavier Pintat et Jacques Gautier. Je vais donc vous présenter les observations d'ensemble, puis mon collègue Xavier Pintat vous présentera la partie nucléaire - commandement de l'information et mon collègue Jacques Gautier les équipements conventionnels.

Première observation : nous avons fait ce que nous avons dit, ici au Sénat, lors du vote en première lecture du projet de loi de programmation militaire (LPM). Nous nous sommes assuré que les crédits du PLF soient bien conformes à ceux de la LPM. On connait trop bien le schéma habituel des LPM qui dérivent dans la durée. Nous avons donc vérifié que le PLF 2014 correspondait bien aux crédits de la LPM. Et c'est le cas, au report de charges près.

Deuxième observation : bien que ne figurant pas au rang des priorités, la mission défense est néanmoins bien traitée puisque les crédits de paiement sont maintenus en euros courants. Or, il y a toujours deux façons de voir les choses et l'on peut voir le verre à moitié vide ou à moitié plein. On peut considérer que ce maintien en valeur est synonyme d'une diminution à laquelle fera face le budget des armées. Et c'est vrai. Mais on peut aussi considérer -c'est notre vision des choses- que, dans le contexte actuel particulièrement difficile qui est celui de nos finances publiques, nous avons évité le pire.

Troisième observation : ce projet de loi marque l'apparition d'un nouveau programme : le programme 402 « excellence technologique des industries de défense ». Ce nouveau programme s'inscrit dans le cadre du plan d'investissement d'avenir (PIA) - ou PIA-2 - d'un montant de 12 milliards d'euros. Il doit permettre le développement des moyens, connaissances et compétences nécessaires à la satisfaction des besoins de la Défense dans le domaine nucléaire et de l'observation spatiale. Comme le P 146, il est co-piloté par le DGA et le CEMA et s'articule autour de deux actions : « maîtrise des technologies nucléaires » dont le CEA est l'opérateur ; « maîtrise des technologies spatiales » dont le CNES est l'opérateur.

Les crédits ouverts sur ce programme financeront certaines actions initialement programmées sur le P146 en matière de dissuasion et de programmes majeurs : MUSIS, sous-marins nucléaires, porte-avions Charles de Gaulle. C'est pour cette raison que nous joignons son analyse à celle du P146. Mais si nous comprenons bien les raisons de la création de ce programme -qui selon toute vraisemblance disparaîtra l'année prochaine- il altère considérablement la lisibilité de la mission défense en général et du programme 146 en particulier. Il a fallu aller dans le détail des feuilles de calcul pour y voir clair. Mais, pour une fois, cela a été utile puisque nous avons eu une bonne surprise dont je vais vous faire part immédiatement.

Quatrième observation : on a beaucoup discuté des risques qui pesaient sur l'exécution budgétaire de la LPM et notre commission a fait tout ce qui était en son pouvoir pour atténuer ces risques et s'assurer du contrôle de l'exécution, grâce à l'instauration d'un contrôle sur pièces et sur place. La question la plus importante était celle des ressources exceptionnelles. De ce point de vue, le budget 2014 nous réserve une bonne surprise. En effet, selon la présentation faite en LPM, les crédits budgétaires de la mission défense passaient de 30,1 milliards d'euros en 2013 à 29,6 milliards en 2014, ce qui aurait représenté une diminution de 1,6% et ce n'est que grâce à une augmentation des ressources exceptionnelles de 1,27 à 1,77 milliard d'euros que l'on aurait réussi à stabiliser le budget à 31,38 milliards et à atteindre ainsi le « zéro valeur ». Le risque était donc de 1,77 milliard d'euros. C'est du reste ainsi que le budget de la mission défense a été présenté, aussi bien à l'Assemblée nationale, qu'au Sénat à la commission des finances où les rapporteurs ont naturellement utilisé, compte tenu des délais, les réponses aux questionnaires budgétaires.

La réalité est un peu différente. Quand on additionne l'ensemble des programmes budgétaires et donc le nouveau programme 402, on arrive non pas à la somme de 29,6 milliards, mais à celle de 31,12 milliards, ce qui représente non pas une diminution, mais une hausse significative de 3,4% des crédits budgétaires de la mission défense. Du coup, les recettes exceptionnelles des comptes d'affectation spéciales ne sont plus que de 270 millions d'euros. Cela signifie que -et c'est très important- la mise en risque du budget pour 2014 est quasiment réduite à zéro. Cela ne veut pas dire pour autant qu'il sera exécuté conformément aux prévisions -il peut y avoir d'autres facteurs de perturbation sur le chemin budgétaire- mais cela veut dire que l'aléa pesant sur la perception des ressources exceptionnelles est réduit à la portion congrue.

Cinquième observation : pour ce qui concerne le budget des équipements, nous avons tous pu lire dans les plaquettes de présentation du budget de la mission défense la « priorité » qui est « donnée aux équipements ». Et on constate ainsi que le montant des crédits consacrés aux équipements devrait passer de 16 milliards d'euros à 16,4 milliards d'euros. Il devrait même atteindre, si on en croit la trajectoire financière de la LPM 18,2 milliards en 2019.

Autant vous le dire tout de suite, je nourris quelque doute là-dessus. Mais là n'est pas l'essentiel. Ce qui m'agace d'abord c'est le fait que ce slogan de « priorité à l'équipement » est quasiment le même depuis maintenant six ans, c'est-à-dire depuis que je suis arrivé dans cette commission en 2008. Or, depuis six ans passés à sillonner le terrain, je n'ai pas le sentiment qu'on ait comblé toutes les lacunes. Certains matériels ont même près de soixante ans d'âge. Ce qui m'agace ensuite, c'est le recours à cet agrégat « équipement » dont on ne sait d'où il sort ni ce qu'il agrège, ni comment on le calcule -alors qu'il existe un programme « équipement des forces ». Tout cela est source de confusion et n'est pas de bonne méthode. Si on pouvait mettre de l'ordre là-dedans ce serait bien et je le souhaite ardemment.

Sixième observation : dans le même ordre d'idées, je crois qu'il est important que nous demandions au Gouvernement que, pour l'année prochaine, les crédits de la mission défense soient présentés, tous programmes confondus, en ne tenant pas compte des pensions. Les crédits de la mission défense sont de 31,38 milliards d'euros hors pension, et c'est ce chiffre-là qui fait sens pour mesurer l'effort de défense -et ils sont de 39 milliards avec les pensions. Le problème est que tous les chiffres concernant les programmes qui sont dans les bleus budgétaires prennent en compte les pensions. Par exemple le P 178 est de 22,2 milliards d'euros et le P 146 de 10,2 milliards. Mais en réalité, hors pensions, le P 178 ne pèse « plus » que 16 milliards et le P 146 : 9 milliards. Les rapports de notre commission sont les seuls où l'on peut trouver l'ensemble des chiffres hors pensions -programme par programme- « action par action » et « sous-action par sous-action », ce qui est la seule façon d'apprécier la réalité des évolutions de l'effort de défense. Mais cela demande des retraitements budgétaires non négligeables et qui prennent beaucoup de temps. Si le Sénat n'avait pas annoncé son intention de renoncer au bonheur de voter la seconde partie du PLF -je vous aurais bien proposé un amendement pour faire en sorte que les chiffres du PAP soient présentés « hors pension ».

Septième et dernière observation : cela fait plusieurs années qu'avec Jacques Gautier et Xavier Pintat, nous avons constaté dans l'observation du P 146 que les préoccupations de politique industrielle, telles qu'exprimées par le DGA, l'emportent quasi systématiquement sur l'expression du besoin opérationnel, telle qu'exprimée par le CEMA. Or il est indispensable qu'un meilleur équilibre soit trouvé entre la stratégie d'acquisition et la stratégie industrielle, toutes deux également légitimes, et que les outils d'arbitrage tels que le comité ministériel d'investissement fonctionnent de façon plus efficace et plus transparente. L'intitulé du nouveau programme 402 est de ce point de vue révélateur. Aussi louable soit-il, l'objectif d'assurer « l'excellence technologique des industries de défense » n'est pas, en soi, un objectif concourant à la « mission défense » à mettre sur le même plan que « l'équipement des forces ».

Si on veut que notre pays continue à faire de la « défense » et pas seulement de « l'industrie de la défense », c'est-à-dire qu'il soit capable d'entrer en premier -comme en Libye- de projeter ses forces vite et loin -comme au Mali- ou de donner du poids à la parole du Président de la République quand il menace un satrape syrien, il est temps de trouver un meilleur équilibre entre les préoccupations industrielles et le besoin opérationnel et donc de revoir notre démarche stratégique -ce que nous sommes ici nombreux à réclamer.

Debut de section - PermalienPhoto de Xavier Pintat

Je ferai cette année cinq observations sur ma partie.

Première observation : la force de dissuasion nucléaire, le Livre blanc, la LPM et maintenant le projet de loi de finances pour 2014, tous confirment la décision du Président de la République de maintenir les deux composantes et de les moderniser. Ce choix correspond à la très large majorité de notre commission -tel qu'il avait été fait en juillet 2012- à travers l'adoption, à l'unanimité moins une abstention, du rapport sur l'avenir des forces nucléaires. Je m'en réjouis. De fait, les crédits de paiement en faveur de l'action stratégique « dissuasion » s'établissent pour 2014 à 3 505 millions d'euros (+9,7%) et les autorisations d'engagement à 3 115 millions (-13,7%). Il faut interpréter ces fortes variations d'une année sur l'autre avec beaucoup de prudence, puisqu'il s'agit d'investissements relevant d'une programmation pluriannuelle sur un temps long. Nous avons pour la première fois cette année obtenu la programmation pluriannuelle -et sa trajectoire financière. Il nous a fallu quelques années avant d'apprendre à poser les bonnes questions. Malheureusement cette trajectoire est classifiée et nous ne pouvons en faire état.

Deuxième observation : malgré ce premier satisfecit, il ne faut pas se dissimuler ce qui nous attend. Notre effort de défense va descendre en dessous du seuil des 1,5% dès 2014 pour atteindre -si tout se passe bien, c'est-à-dire si l'exécution est conforme aux résultats -1,3% en 2019- très loin des 1,8% dont nous avons beaucoup parlé dans cette commission. Dans ces conditions, le maintien à niveau de notre dissuasion va exercer un effet d'éviction sur les autres programmes. Dans cinq ans, il faudra choisir. La question est d'une grande simplicité : à quelle capacité majeure militaire devrons-nous renoncer dans cinq ans ? Autant s'y préparer. Que supprimerons-nous, si nous voulons garder la dissuasion ? Faudra-t-il renoncer au porte-avions ? Revendre les Rafale ? Ou faire l'impasse sur quelques Barracuda ? Ou alors faire -vraiment- la défense européenne -c'est-à-dire consentir à des abandons de souveraineté ? Y sommes-nous prêts ?

Troisième observation : afin d'éviter d'être confrontés à ce choix, j'aurais souhaité que les crédits consacrés à la défense nationale reprennent, dès l'an prochain, une trajectoire financière normale, c'est-à-dire qu'ils tiennent compte au moins de l'inflation. Et nous avions tous été unanimes l'an dernier -sous l'impulsion du président Carrère- pour dire que nous ne laisserions pas faire cela et qu'il serait hors de question d'accepter une baisse des crédits deux années de suite. Aujourd'hui, on peut se réjouir que ce ne soit pas pire. Nous avons oeuvré avec efficacité pour l'adoption du projet de LPM en première lecture au Sénat. Mais on peut regretter cette diminution des crédits. D'autant qu'une autre politique eût été possible, qu'une autre trajectoire financière aurait pu être dessinée, comme l'a montré Jacques Gautier, tout simplement en vendant une petite partie -20 milliards sur 100 de participations dans les sociétés cotées et non cotées. Nous sommes nombreux dans cette commission à nous poser la question de leur utilité pour l'exécution de la politique industrielle de l'Etat -comme l'a démontré l'affaire EADS.

Quatrième observation : l'espace militaire. Jusqu'à présent les crédits en faveur de l'espace militaire ont été maintenus à un niveau satisfaisant. Les programmes inscrits dans le PLF 2014 bénéficient de 209,4 millions d'euros de crédits de paiement, auxquels s'ajoutent 171,9 millions de crédits de paiement du P 402, soit un total de 381,3 millions d'euros. Ces crédits de paiement doivent permettre de mener à bien les programmes MUSIS et l'opération CERES qui doivent respectivement pérenniser et améliorer nos capacités d'observation par satellite, ainsi que de doter la France d'une capacité opérationnelle d'écoute spatiale. C'est une excellente chose et je m'en félicite. On peut regretter en revanche que rien ne soit prévu pour l'alerte spatiale. Nous savons tous ce que cela veut dire en matière d'indépendance et d'autonomie et de surveillance de la prolifération. Je n'en dis pas plus.

Cinquième observation : les drones tactiques. C'est un sujet que nous avons régulièrement évoqué avec vous. Cette fois nous y sommes. Le projet de LPM prévoit la livraison de 14 vecteurs à partir de 2017. Dans le cadre de Lancaster House, une évaluation du drone Watchkeeper de l'industriel israélien Elbit britannisé par Thales UK et qui doit entrer en service au Royaume-Uni, a été menée en France. Un accord a été signé entre la France et le Royaume-Uni en juillet 2012 afin de conduire une expérimentation. Cette expérimentation a eu lieu de novembre 2012 à juin 2013. Résultat : selon Laurent Collet-Billon, que nous avons auditionné il y a quelques semaines à peine devant cette commission : « le Watchkeeper n'a pas un degré de maturité satisfaisant ». Face à lui, le drone Patroller de SAGEM vole depuis plusieurs années à partir d'une cellule de planeur allemande. Il est équipé des capteurs français, possède une capacité d'emport supérieure et a un moteur plus puissant lui permettant de mieux résister aux vents de travers. Mais ce drone n'a pas bénéficié des mêmes soutiens de la part de l'Etat français que le Watchkeeeper de la part de l'Etat anglais. Il est peut être donc moins mature. Personne n'en sait rien car il n'y a pas eu d'expérimentation digne de ce nom. Dans ces conditions, Daniel Reiner, Jacques Gautier et moi-même ne disons pas qu'il faut choisir tel drone ou tel autre. C'est à l'état-major de définir le besoin opérationnel et à l'état-major -sous l'autorité du ministre et, le cas échéant, avec les conseils de la DGA- de dire ce qui convient le mieux. Mais il revient aux parlementaires de donner ou de refuser l'autorisation budgétaire. Or nous pensons que dans l'intérêt financier de l'Etat -aussi bien que dans celui de nos armées- un appel d'offres s'impose. Faisons le tout de suite, c'est-à-dire en 2014 -afin que nous puissions être au rendez-vous de 2017 et que l'on ne vienne pas nous dire au dernier moment qu'on n'a plus le temps. Il n'y a aucune raison, alors que le fabricant du matériel n'est même pas européen, de lui acheter en gré à gré -c'est-à-dire avec l'assurance de payer plus cher- alors que nous avons un industriel national à la tête, c'est un comble, de la seule filière industrielle de drones qui fonctionne en Europe depuis plus de dix ans et qui crée des emplois. Avoir le même drone que les Britanniques ne doit pas être le seul critère de choix. Nos amis n'ont pas eu la même analyse que nous dans l'affaire de leurs porte-avions.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Gautier

Il me revient donc de vous présenter la troisième et dernière partie du programme 146, celle qui concerne les systèmes de force conventionnels, c'est-à-dire « l'engagement et le combat », la « projection », la « protection » auxquels il faut ajouter un sixième système de force, celui qui est chargé d'équiper tous les autres : la « DGA ».

Mais avant de commencer, je tiens à vous dire que nous avons dû cette année travailler dans des conditions difficiles du fait de l'interpénétration entre l'exécution budgétaire 2013, avec le projet de loi de finances rectificatives et le décret d'avance, la LPM et le projet de loi de finances pour 2014. Nous avons beaucoup de mal à y voir clair. Nous avons maintenant une image plus précise de ce qui va se passer et cela provoque chez moi deux inquiétudes.

La première est celle de l'entrée en LPM. Il y aurait un report de charges de 3,6 milliards d'euros, dont 2 milliards sur le programme 146. Ce même programme enregistre 641 millions d'annulations de crédits. Nous avons essayé de savoir sur quoi portaient ces annulations et avons reçu une réponse uniquement ce matin qui ne nous éclaire guère.

La seconde inquiétude est que Bercy a décidé unilatéralement de passer -pour tous les ministères- le pourcentage du « surgel » de 6% à 7%. C'est-à-dire que si Bercy peut faire cela, il faudrait quand même que nous posions collectivement la question de l'utilité de l'autorisation budgétaire.

Pour le reste, si j'essaie de mettre de l'ordre dans mes idées, je vous présenterai cette année trois séries d'observations que je regrouperai ainsi : les points de vigilance, les points de satisfaction et l'avenir.

Commençons par les points de vigilance : le PLF 2014 s'inscrit dans le cadre de la LPM, laquelle découle elle-même du Livre blanc. Donc nulle surprise. Nous l'avons dit et redit, les choix effectués étaient les moins mauvais possibles dans le cadre budgétaire défini. Mais ce cadre budgétaire n'était pas le bon. Et il était possible de faire autrement. J'ai proposé au Sénat une solution indolore et efficace. Il n'en a pas voulu. N'en parlons plus.

Il n'empêche, dans l'architecture d'ensemble qui a été tracée par la LPM, et maintenant par ce projet de loi de finances, il y a des points sur lesquels nous devrons rester vigilants. Je ne reviens pas sur les considérations financières évoquées par Daniel Reiner. Je partage ces analyses et je n'ai rien à y rajouter, sinon que nous serons peut-être contraints de mettre en oeuvre nos nouveaux pouvoirs de contrôle sur pièce et sur place, plus rapidement que prévu.

Pour ce qui est des opérations d'armement concernant les équipements conventionnels, qui sont détaillées sans fioriture dans notre rapport écrit, j'ai trois inquiétudes.

La première concerne la réduction du format de l'aviation de chasse française et dans une moindre mesure celle des hélicoptères -qu'il s'agisse des hélicoptères de combat comme le Tigre-ou la Gazelle- ou des hélicoptères de manoeuvre comme le NH-90. Ces réductions de format sont sévères. Dire que ce format était déjà « juste insuffisant » ! Quel terme utiliseront nos successeurs pour décrire le format que nous laisserons en héritage ? Néanmoins ces réductions peuvent être faites sans trop compromettre la capacité d'agression de nos forces, si certaines conditions sont remplies. Concernant l'aviation de chasse, il faudra veiller à la bonne application du principe de différenciation de la préparation opérationnelle et des programmes d'équipement. C'est le cas en particulier du programme « Cognac 2016 », sans lequel la réduction du format ne sera pas supportable. S'agissant des hélicoptères, ce sont les commandes de pièces de rechange en quantité suffisante et le maintien en conditions opérationnelles. Il y a aussi des questions que l'on doit se poser : à défaut de Tigre, pourquoi ne pas se contenter de Gazelle -rénovées ? Car le but n'est pas, ne doit pas être de faire tourner les chaînes d'assemblage d'Eurocopter. Le but est de permettre à nos forces d'intervenir au Mali ? Des bruits nous reviennent, en ces temps de disette budgétaire, de comportements agressifs des grands groupes vis-à-vis des PME. Peut-être faudrait-il, Monsieur le président, que nous nous penchions sur cette question.

Ma seconde inquiétude concerne les munitions et les missiles, d'une part, et les avions ravitailleurs, d'autre part. La raison en est la même ; le maintien de la cohérence capacitaire. Cela ne sert à rien d'avoir des avions Rafale, si nous n'avons pas les munitions pour les équiper ou des avions ravitailleurs pour les ravitailler. Nous avons déjà eu l'occasion maintes fois d'en parler. J'ai déposé des amendements. Le Sénat ou l'Assemblée n'ont pas jugé bon de les retenir. Je n'insiste pas.

Enfin, troisième et dernière inquiétude, le soutien de l'avion A400M. Réussir le programme était bien. Réussir le soutien sera mieux. Comme vous le savez, en aéronautique, ce qui coûte cher c'est le soutien. Pour un euro dépensé dans l'acquisition, il faut dépenser deux euros dans la maintenance. Or, de ce point de vue, les informations qui nous parviennent ne sont pas bonnes. Nous n'arrivons pas à mettre en place un soutien commun avec les Britanniques. Et il nous faut très vite comprendre pourquoi. La DGA est pointée du doigt. Nous devons nous faire notre propre opinion.

J'aborde maintenant ma deuxième série d'observations : les sujets de satisfaction. Parmi les choses qui vont bien, je me réjouis de l'acquisition de drones MALE Reaper sur étagère, ce qui va enfin combler un besoin opérationnel évident et mettre un terme à des années d'atermoiements. C'est un sujet que nous avons tellement rebattu ici que je n'y reviens pas.

Je me félicite également de la décision prise, au sommet de l'Etat du lancement du missile antinavire léger. C'est un programme qui se trouvait sur le chemin critique de la défense européenne. Le Président de la République a pris la bonne décision. Bravo ! De la même façon je me réjouis du lancement du missile moyenne portée (MMP) qui, là encore, met un terme à des années d'indécision. C'est un sujet sur lequel nous avons beaucoup veillé Daniel Reiner et moi-même, et sur lequel nous continuerons à veiller.

Enfin, je me réjouis du lancement du programme SCORPION pour l'armée de terre. Ce programme est important. Il va faire gagner de l'argent à l'Etat. Il va donner à l'armée de terre la capacité de remplir ses contrats opérationnels. Il va introduire de la cohérence et de l'efficacité. Il faut impérativement qu'il ne soit pas retardé et que l'armée de terre puisse en bénéficier.

Enfin je veux terminer en disant que c'est vrai, ne nous leurrons pas : notre effort de défense diminue et va nous obliger à faire des choix douloureux dans les cinq années qui viennent. Dans cinq ans, nous serons peut-être obligés, comme l'évoquait Xavier Pintat, de renoncer à des capacités essentielles. Ni Daniel Reiner ni moi n'envisageons une seule seconde de vendre le Charles de Gaulle, de renoncer à la dissuasion ou de repousser encore des programmes ou de réduire encore des cibles. La prochaine fois, l'exécutif devra faire des choix.

Or si nous sommes incapables de nous donner les moyens de nos ambitions, si nous sommes incapables de faire des choix douloureux et renoncer à des capacités pour concentrer nos moyens sur ce que nous voulons garder, il y a quand même un moyen de s'en sortir : c'est le pari de l'Union. « Faire l'Union ou mourir » disait déjà Benjamin Franklin en 1787. Cela a plutôt bien réussi aux Etats-Unis. Évidemment il y a un prix élevé pour cela : des pertes de souveraineté. Y sommes-nous prêts ? Je n'en suis pas sûr. Nos partenaires y sont-ils prêts ? Je n'en suis pas sûr non plus. C'est ce que nous avons exposé dans notre rapport sur la défense européenne en juillet dernier. Et bien donnons-nous les moyens de le faire -en tous les cas de leur poser la question et de nous poser la question. Il faut impérativement renouer le fil du dialogue avec nos amis allemands. Il faut également le faire avec nos amis italiens. Il ne sert à rien de s'arrêter au bord du chemin et de gémir. L'avenir se construit aujourd'hui. Ici. Maintenant. Tâchons d'y jouer notre rôle. Nous sommes des sénateurs libres et devons faire des choix dans l'intérêt de la nation.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

Je n'ai pas de désaccord avec cela. Mais quand je vois des sourires lourds de sous-entendus chaque fois que l'on évoque l'Europe comme solution, je suis triste. L'Europe ne changera pas si l'envie d'Europe reste ce qu'elle est. Et si l'Europe n'est plus une solution, alors il nous faudra nous retourner vers des solutions purement nationales. C'est pourquoi j'insiste sur le fait qu'il ne faut pas exclure que nous devions porter notre effort de défense à 1,8% et empêcher en tous les cas qu'il descende en dessous de 1,5%. Pour l'instant cela paraît difficile, tant la conjoncture est mauvaise. Mais la conjoncture peut changer. Quelle que soit la majorité politique en 2014 au Sénat, mon attitude sur ce point ne changera pas. Il nous faut faire bloc et profiter de la seconde lecture de la LPM au Sénat pour l'affirmer.

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Demessine

J'ai un désaccord de fond avec ce que les rapporteurs viennent de dire et cela concerne la cession de participations de l'Etat dans des entreprises de défense. C'est un fusil à un coup, dans des secteurs stratégiques, et ça nous fragiliserait. Je suis totalement contre la vente des entreprises de l'Etat pour maintenir le budget de la défense.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Reiner

C'est vrai que les cessions alimenteront les ressources exceptionnelles dans l'exécution de la LPM ; mais ce n'est pas vrai en 2014. Les ressources exceptionnelles viennent du PIA, donc de l'emprunt.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

En définitive, quelle est la recommandation des rapporteurs sur la mission défense ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Gautier

M. Xavier Pintat, co-rapporteurs. - A titre personnel, nous nous abstiendrons.

La commission a donné un avis favorable sur les crédits du programme 212, les groupes CRC et UMP s'abstenant.

La commission examine le rapport pour avis de MM. Gilbert Roger et André Dulait sur le programme 178 - Préparation et emploi des forces - de la mission Défense du projet de loi de finances pour 2014.

Debut de section - PermalienPhoto de André Dulait

En tant que rapporteur du titre 2, c'est moi qui ouvre traditionnellement le feu pour l'examen des crédits du programme 178. Avec 22 milliards d'euros, en baisse de 1%, c'est le plus gros programme de la mission Défense, regroupant 90% des dépenses de personnel et tous les crédits de fonctionnement et d'entraînement des trois armées.

Ce programme concentre toutes les problématiques de « la manoeuvre des ressources humaines ». C'est sur lui que s'exercent les tensions sur les coûts fonctionnement ; c'est à lui, enfin, qu'il revient de dégager des marges financières, par la maîtrise de la masse salariale et la diminution des coûts du soutien, deux « leviers » -je dirais presque deux « Graals »- sur lesquels parie la prochaine LPM -dans la lignée, d'ailleurs, de la précédente-.

Comme nous « fermons la -longue!- marche », des rapporteurs de la mission « Défense » cet après-midi, je me limiterai à 5 brefs constats.

1er constat, le pari de la maîtrise de la masse salariale n'est toujours pas gagné, malgré des déflations d'effectifs considérables.

Paradoxe incroyable : le ministère de la défense, qui aura perdu 54 000 emplois en 7 ans, qui est salué par tous, Cour des comptes et Direction du Budget inclus, comme le champion de la réforme de l'État, n'arrive pas à diminuer son 1er poste de coût, la masse salariale, restée stable depuis 2009, autour de 11,7 milliards d'euros...

La précédente LPM prévoyait que la moitié des économies résultant des réductions d'emploi permettrait d'améliorer la condition militaire, et que l'autre moitié viendrait nourrir les dépenses d'équipement. Finalement, la masse salariale a tout absorbé, avec, en plus, un « retour catégoriel » limité à 40%.

Année après année, il a même fallu voter des rallonges, sous forme d'augmentation en construction budgétaire (« resoclage »), ou de redéploiement par collectifs budgétaires : 213 millions d'euros en 2010, 158 millions en 2011, 474 millions en 2012, 232 millions -nous l'avons appris ces derniers jours- dans le prochain collectif 2013. Ces crédits sont en général pris sur les crédits d'équipement. L'inverse du but recherché !

Au-delà des modes de calculs et des montants, qui diffèrent suivant les « manifestants » ou la « police » (comprenez : la défense ou la Cour des comptes), les causes du dérapage sont bien diagnostiquées, mais pas encore endiguées : mesures indiciaires (c'était un rattrapage, qui était voulu) ; demandes nouvelles en personnel qualifié (renseignement, OTAN) ; réforme des retraites ; coût des mesures d'accompagnement de la déflation (pécules etc...), coût du chômage et des dépenses de « guichet » comme l'amiante, et le fameux « repyramidage » c'est-à-dire l'augmentation des taux d'encadrement, de 15,5 à 16,5%, responsable d'un surcoût de 20 à 40 millions d'euros par an.

En 2014, des mesures sont prises : direction des ressources humaines renforcée, crédits du titre 2 rassemblés dans un seul programme, « dépyramidage » avec une suppression plus que proportionnelle des postes d'officiers, 5 800 sur la durée de la prochaine programmation. On ne nomme plus que 20 Généraux par an aujourd'hui, contre le double en 2006. Certains parlent de « double dépyramidage » car des civils seront affectés sur des postes de soutien, où les militaires effectuaient souvent une deuxième partie de carrière. C'est, d'ailleurs, un point sensible : attention à ne pas opposer les militaires aux civils...

Deuxième constat : le risque de tarir les recrutements va continuer à peser sur la prochaine déflation d'effectifs.

En 2014, le ministère de la défense devra supprimer 7 881 emplois, reste de la précédente LPM, ce qui en fera l'une des années les plus « dures ». L'équilibre entre la régulation par les flux, les mobilités vers les autres fonctions publiques et les départs vers le privé ne sont pas ceux que nous aurions souhaités : l'équilibre « idéal » 60-20-20 n'est pas respecté et on sait bien que fermer le robinet des recrutements pour tenir les objectifs de la déflation risque de vieillir la population -et d'en renchérir le coût-. Compte tenu du contexte économique, ce risque va persister pour la prochaine déflation (de 23 500 postes), malgré des mesures d'incitation au départ maintenues et confortées.

Troisième constat : Louvois n'a pas fini d'affecter la lisibilité financière de la réforme, non plus que le quotidien des soldats.

La décision d'abandonner LOUVOIS, désastre de grande ampleur, devrait être annoncée mardi prochain. Le montant des « trop versés » est estimé entre 70 et 133 millions d'euros en 2012, et entre 65 et 70 millions d'euros en 2013. Les mécanismes d'avances mis en place pour les personnels qui ne recevaient pas leur solde perturbent eux aussi le système. Un plan d'action en 12 points a été mis en place, un recouvrement des trop perçus a été lancé en août, des renforts ont été apportés dans les centres de paie : 63 à Nancy, 39 à Toulon, plus des vacataires et des prestataires externes. Attendons les annonces du ministre mardi prochain mais il faudra entre 18 mois et 3 ans pour configurer un nouveau progiciel de paie....

Avec 174 indemnités, pour 3,2 milliards d'euros, le tiers de la rémunération des militaires, le système des primes a sa part de responsabilité dans le désastre. Sa remise à plat est devant nous ; elle sera difficile sans dépenser un euro de plus : il est rare d'arriver à simplifier un système en l'alignant par le bas...

Quatrième constat : Des signaux convergents font craindre une détérioration du moral des militaires. Sans sombrer dans le catastrophisme -ce n'est pas ma nature !- il est de notre responsabilité de le dire. A la fatigue de la réforme, à la dégradation du cadre de vie quotidien en base de défense, au contingentement de l'entraînement, s'ajoutent Louvois, qui détruit la confiance. Le Haut conseil de la condition militaire pointe qu'avec les restructurations, en 2012, 45 000 personnes ont été mutées, soit le quart des officiers par exemple ; une mutation hors métropole sur trois se fait avec un préavis de moins de 3 mois ! Du fait des difficultés d'accès du conjoint à l'emploi, les ménages avec un militaire ont un revenu inférieur de 18% aux fonctionnaires civils de l'État ; le célibat géographique touche désormais 17% des officiers et 14% des sous-officiers.... Les déflations à venir seront douloureuses... Heureusement, nous savons pouvoir compter sur le dévouement et l'engagement de nos personnels de la défense.

Cinquième et dernier constat, le surcoût OPEX se confirme comme une enveloppe trop « justement » calculée. En 2013, les OPEX coûteront le double de l'enveloppe prévue, soit 1,26 milliard contre 630 millions budgétés, principalement à cause de SERVAL. Le dépassement sera bien financé en interministériel. Il n'y aura pas « d'entorse au contrat » : 580 millions d'euros d'ouvertures de crédits complémentaires sont prévus en collectif. Je crois que dans la situation actuelle, on ne peut que le souligner, pour s'en féliciter -même s'il y a, par ailleurs des annulations pour tous les ministères, et à hauteur de 486 M€ pour la défense-. Pour 2014, la provision OPEX est de 450 millions, pour un surcoût constaté moyen de 500 millions ces 10 dernières années et de 900 millions depuis 2009. Je rappelle que nous renforçons d'un millier d'hommes notre dispositif en RCA et que nous avons toujours 3 000 hommes au Mali. Je ne reviens pas sur cette question, sauf pour dire que nous avons bien fait de sécuriser dans la LPM la prise en charge interministérielle du dépassement.

Debut de section - PermalienPhoto de Gilbert Roger

J'irai à l'essentiel pour ce qui concerne les crédits de fonctionnement et d'entraînement, avec 4 remarques.

1ère remarque : l'effort budgétaire pour redresser la disponibilité des matériels ne se fera pas sentir en 2014. Le ministre a fait, à juste titre, du redressement de la disponibilité des matériels sa priorité. Elle est globalement dégradée avec des points noirs bien identifiés comme les V.A.B., le transport stratégique et tactique de l'armée de l'air ou la patrouille maritime, où moins d'un avion sur deux est en état de voler.

Malgré un effort budgétaire, +4,3% pour les crédits, 3,4 milliards d'euros, on ne pourra pas redresser pas la situation en 2014. Pourquoi ?

- d'abord il faut du temps pour reconstituer les stocks de pièces de rechange dans lesquels on a puisé ces dernières années,

- ensuite, on se heurte à la fameuse « courbe en baignoire » : les parcs trop vieux ou au contraire tout récents qui sont les nôtres coûtent plus cher à entretenir,

- enfin, les besoins de régénération sont accrus après une période d'engagements multiples.

2ème remarque, l'entraînement restera en dessous des normes OTAN en 2014 (et sans doute en 2015). La préparation opérationnelle est depuis plusieurs années 15 à 20% en dessous des normes ; elle le restera en 2014 et sans doute en 2015. Nous serons à 83 jours d'entraînement contre un objectif de 90 pour l'armée de terre, à 156 heures de vol contre 180 pour les pilotes de l'ALAT, à 86 jours de mer contre 100 pour les bâtiments de la marine nationale, à 150 heures de vol contre 180 pour l'aéronavale et la chasse de l'armée de l'air. Le général Mercier nous a ainsi indiqué que le maintien d'un tel niveau dans le temps dégraderait forcément le niveau opérationnel. « Le maintien de certaines compétences est dès à présent fragilisé » (je cite).

L'effet « aguerrissement en OPEX » n'a joué qu'un temps, au prix d'un fossé entre les unités projetées et les autres. Face au rationnement de l'entrainement, la différenciation de la préparation sera désormais la règle. Les modalités sont à définir : l'armée de terre l'appliquait déjà, mais pour les pilotes de l'armée de l'air, par exemple, il pourrait y avoir deux cercles, un premier cercle entraîné pour tout type d'opérations, et un deuxième cercle de pilotes, qui, après un passage en premier cercle, n'auraient plus que 40 h de vol par an sur avion de chasse, pour maintenir leurs compétences a minima, quitte à être « réentraînés » à la demande en cas d'opérations.

3ème remarque : Le pari des économies sur le soutien est très ambitieux. De 2014 à 2019, les coûts de fonctionnement doivent être contenus à 3,5 milliards d'euros par an. En 2014, il faut 100 millions d'euros d'économies de plus dans le soutien. Or, nous le savons bien, les dépenses sont rigides ou en hausse. Toutes les économies « faciles » ont déjà été faites.

Le ministre et les chefs d'état-major se sont livrés devant nous à un concours d'euphémismes : économies « très volontaristes », « défi majeur et immédiat »..., bref, vous l'aurez compris : c'est une vraie inconnue, presque un pari. La méthode employée ? Renégocier les contrats d'énergie, rogner sur tout, y compris les repas, supprimer encore des véhicules, des emplois, laisser tomber l'entretien du propriétaire, et mettre en place une « énième » réforme des soutiens spécialisés, basée cette fois sur une organisation verticale, de « bout en bout ». Quand on sait que supprimer une unité ne « rapporte » que 2 millions d'euros d'économies de fonctionnement, on comprend mieux le défi.

4ème remarque : nos constats précédents restent valables pour les bases de défense, malgré la mise en oeuvre de la plupart de nos recommandations. Depuis 2 ans, l'environnement des bases de défense a été simplifié et consolidé, dans le droit fil des recommandations de notre rapport de 2012. Mais des difficultés demeurent, notamment budgétaires, au sein d'une enveloppe contrainte à 720 millions d'euros en 2014.

Prenons l'exemple de la base de Mont-de-Marsan que nous avons pu visiter récemment grâce à notre président Jean-Louis Carrère :

- malgré des demandes de crédits en baisse du fait d'économies très volontaristes, à 7 millions d'euros, la base n'a obtenu que 5,4 millions d'euros en 2013 ;

- la part des dépenses incompressibles (elle-même en baisse : bel effort !) était 4,8 millions d'euros (soit 88% des crédits !) ;

- il y avait un report de charge de 900 000 euros non payés en 2012 ;

- conclusion : comme dans les 60 bases de défense, les dépenses réalisées à compter du 1er novembre 2013 seront payées sur les crédits 2014... Je rappelle que le personnel de cette base, qui héberge le prestigieux Normandie-Niémen, fleuron de notre aviation de chasse, effectue désormais lui-même le nettoyage des locaux ; certains hangars n'ont pas eu de travaux depuis la 2ème guerre mondiale. Je salue l'engagement, la loyauté et l'abnégation des personnels.

Le ministre est très conscient de cette situation : il a récemment mis en oeuvre un plan d'urgence pour les bases et débloqué 30 millions d'euros qui vont permettre de réaliser 1 200 projets pour améliorer concrètement la vie des personnels. Ce plan est très bienvenu, ne serait-ce que sur le plan des symboles, pour les personnels du soutien. Nous avons besoin d'eux pour porter la réforme et réussir la LPM.

En conclusion, je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 178 dans le projet de loi de finances pour 2014, qui sont une déclinaison fidèle du projet de loi de programmation militaire.

La commission donne ensuite un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Défense » au sein du projet de loi de finances pour 2014, les groupes CRC et UMP s'abstenant.

La commission nomme rapporteur :

· M. André Vallini sur le contrat d'objectifs et de moyens de France Médias Monde (article 53 de la loi n°86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication) ;

· M. René Beaumont sur le projet de loi n° 697 (2012-2013), adopté par l'Assemblée nationale, autorisant la ratification du traité de coopération en matière de défense entre la République française et la République de Djibouti ;

· M. Alain Néri sur le projet de loi n° 700 (2012-2013), adopté par l'Assemblée nationale, autorisant la ratification du traité instituant un partenariat en matière de coopération militaire entre la République française et la République du Sénégal ;

· M. Christian Cambon sur le projet de loi n° 703 (2012-2013), adopté par l'Assemblée nationale, autorisant la ratification du traité instituant un partenariat de défense entre la République française et la République de Côte d'Ivoire.