Intervention de Daniel Reiner

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 26 novembre 2013 : 1ère réunion
Loi de finances pour 2014 — Mission « défense » programme « equipement des forces » - examen du rapport pour avis

Photo de Daniel ReinerDaniel Reiner, co-rapporteur :

C'est la deuxième année consécutive où nous allons présenter ce programme 146 à trois voix, avec mes collègues Xavier Pintat et Jacques Gautier. Je vais donc vous présenter les observations d'ensemble, puis mon collègue Xavier Pintat vous présentera la partie nucléaire - commandement de l'information et mon collègue Jacques Gautier les équipements conventionnels.

Première observation : nous avons fait ce que nous avons dit, ici au Sénat, lors du vote en première lecture du projet de loi de programmation militaire (LPM). Nous nous sommes assuré que les crédits du PLF soient bien conformes à ceux de la LPM. On connait trop bien le schéma habituel des LPM qui dérivent dans la durée. Nous avons donc vérifié que le PLF 2014 correspondait bien aux crédits de la LPM. Et c'est le cas, au report de charges près.

Deuxième observation : bien que ne figurant pas au rang des priorités, la mission défense est néanmoins bien traitée puisque les crédits de paiement sont maintenus en euros courants. Or, il y a toujours deux façons de voir les choses et l'on peut voir le verre à moitié vide ou à moitié plein. On peut considérer que ce maintien en valeur est synonyme d'une diminution à laquelle fera face le budget des armées. Et c'est vrai. Mais on peut aussi considérer -c'est notre vision des choses- que, dans le contexte actuel particulièrement difficile qui est celui de nos finances publiques, nous avons évité le pire.

Troisième observation : ce projet de loi marque l'apparition d'un nouveau programme : le programme 402 « excellence technologique des industries de défense ». Ce nouveau programme s'inscrit dans le cadre du plan d'investissement d'avenir (PIA) - ou PIA-2 - d'un montant de 12 milliards d'euros. Il doit permettre le développement des moyens, connaissances et compétences nécessaires à la satisfaction des besoins de la Défense dans le domaine nucléaire et de l'observation spatiale. Comme le P 146, il est co-piloté par le DGA et le CEMA et s'articule autour de deux actions : « maîtrise des technologies nucléaires » dont le CEA est l'opérateur ; « maîtrise des technologies spatiales » dont le CNES est l'opérateur.

Les crédits ouverts sur ce programme financeront certaines actions initialement programmées sur le P146 en matière de dissuasion et de programmes majeurs : MUSIS, sous-marins nucléaires, porte-avions Charles de Gaulle. C'est pour cette raison que nous joignons son analyse à celle du P146. Mais si nous comprenons bien les raisons de la création de ce programme -qui selon toute vraisemblance disparaîtra l'année prochaine- il altère considérablement la lisibilité de la mission défense en général et du programme 146 en particulier. Il a fallu aller dans le détail des feuilles de calcul pour y voir clair. Mais, pour une fois, cela a été utile puisque nous avons eu une bonne surprise dont je vais vous faire part immédiatement.

Quatrième observation : on a beaucoup discuté des risques qui pesaient sur l'exécution budgétaire de la LPM et notre commission a fait tout ce qui était en son pouvoir pour atténuer ces risques et s'assurer du contrôle de l'exécution, grâce à l'instauration d'un contrôle sur pièces et sur place. La question la plus importante était celle des ressources exceptionnelles. De ce point de vue, le budget 2014 nous réserve une bonne surprise. En effet, selon la présentation faite en LPM, les crédits budgétaires de la mission défense passaient de 30,1 milliards d'euros en 2013 à 29,6 milliards en 2014, ce qui aurait représenté une diminution de 1,6% et ce n'est que grâce à une augmentation des ressources exceptionnelles de 1,27 à 1,77 milliard d'euros que l'on aurait réussi à stabiliser le budget à 31,38 milliards et à atteindre ainsi le « zéro valeur ». Le risque était donc de 1,77 milliard d'euros. C'est du reste ainsi que le budget de la mission défense a été présenté, aussi bien à l'Assemblée nationale, qu'au Sénat à la commission des finances où les rapporteurs ont naturellement utilisé, compte tenu des délais, les réponses aux questionnaires budgétaires.

La réalité est un peu différente. Quand on additionne l'ensemble des programmes budgétaires et donc le nouveau programme 402, on arrive non pas à la somme de 29,6 milliards, mais à celle de 31,12 milliards, ce qui représente non pas une diminution, mais une hausse significative de 3,4% des crédits budgétaires de la mission défense. Du coup, les recettes exceptionnelles des comptes d'affectation spéciales ne sont plus que de 270 millions d'euros. Cela signifie que -et c'est très important- la mise en risque du budget pour 2014 est quasiment réduite à zéro. Cela ne veut pas dire pour autant qu'il sera exécuté conformément aux prévisions -il peut y avoir d'autres facteurs de perturbation sur le chemin budgétaire- mais cela veut dire que l'aléa pesant sur la perception des ressources exceptionnelles est réduit à la portion congrue.

Cinquième observation : pour ce qui concerne le budget des équipements, nous avons tous pu lire dans les plaquettes de présentation du budget de la mission défense la « priorité » qui est « donnée aux équipements ». Et on constate ainsi que le montant des crédits consacrés aux équipements devrait passer de 16 milliards d'euros à 16,4 milliards d'euros. Il devrait même atteindre, si on en croit la trajectoire financière de la LPM 18,2 milliards en 2019.

Autant vous le dire tout de suite, je nourris quelque doute là-dessus. Mais là n'est pas l'essentiel. Ce qui m'agace d'abord c'est le fait que ce slogan de « priorité à l'équipement » est quasiment le même depuis maintenant six ans, c'est-à-dire depuis que je suis arrivé dans cette commission en 2008. Or, depuis six ans passés à sillonner le terrain, je n'ai pas le sentiment qu'on ait comblé toutes les lacunes. Certains matériels ont même près de soixante ans d'âge. Ce qui m'agace ensuite, c'est le recours à cet agrégat « équipement » dont on ne sait d'où il sort ni ce qu'il agrège, ni comment on le calcule -alors qu'il existe un programme « équipement des forces ». Tout cela est source de confusion et n'est pas de bonne méthode. Si on pouvait mettre de l'ordre là-dedans ce serait bien et je le souhaite ardemment.

Sixième observation : dans le même ordre d'idées, je crois qu'il est important que nous demandions au Gouvernement que, pour l'année prochaine, les crédits de la mission défense soient présentés, tous programmes confondus, en ne tenant pas compte des pensions. Les crédits de la mission défense sont de 31,38 milliards d'euros hors pension, et c'est ce chiffre-là qui fait sens pour mesurer l'effort de défense -et ils sont de 39 milliards avec les pensions. Le problème est que tous les chiffres concernant les programmes qui sont dans les bleus budgétaires prennent en compte les pensions. Par exemple le P 178 est de 22,2 milliards d'euros et le P 146 de 10,2 milliards. Mais en réalité, hors pensions, le P 178 ne pèse « plus » que 16 milliards et le P 146 : 9 milliards. Les rapports de notre commission sont les seuls où l'on peut trouver l'ensemble des chiffres hors pensions -programme par programme- « action par action » et « sous-action par sous-action », ce qui est la seule façon d'apprécier la réalité des évolutions de l'effort de défense. Mais cela demande des retraitements budgétaires non négligeables et qui prennent beaucoup de temps. Si le Sénat n'avait pas annoncé son intention de renoncer au bonheur de voter la seconde partie du PLF -je vous aurais bien proposé un amendement pour faire en sorte que les chiffres du PAP soient présentés « hors pension ».

Septième et dernière observation : cela fait plusieurs années qu'avec Jacques Gautier et Xavier Pintat, nous avons constaté dans l'observation du P 146 que les préoccupations de politique industrielle, telles qu'exprimées par le DGA, l'emportent quasi systématiquement sur l'expression du besoin opérationnel, telle qu'exprimée par le CEMA. Or il est indispensable qu'un meilleur équilibre soit trouvé entre la stratégie d'acquisition et la stratégie industrielle, toutes deux également légitimes, et que les outils d'arbitrage tels que le comité ministériel d'investissement fonctionnent de façon plus efficace et plus transparente. L'intitulé du nouveau programme 402 est de ce point de vue révélateur. Aussi louable soit-il, l'objectif d'assurer « l'excellence technologique des industries de défense » n'est pas, en soi, un objectif concourant à la « mission défense » à mettre sur le même plan que « l'équipement des forces ».

Si on veut que notre pays continue à faire de la « défense » et pas seulement de « l'industrie de la défense », c'est-à-dire qu'il soit capable d'entrer en premier -comme en Libye- de projeter ses forces vite et loin -comme au Mali- ou de donner du poids à la parole du Président de la République quand il menace un satrape syrien, il est temps de trouver un meilleur équilibre entre les préoccupations industrielles et le besoin opérationnel et donc de revoir notre démarche stratégique -ce que nous sommes ici nombreux à réclamer.

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