Il me revient donc de vous présenter la troisième et dernière partie du programme 146, celle qui concerne les systèmes de force conventionnels, c'est-à-dire « l'engagement et le combat », la « projection », la « protection » auxquels il faut ajouter un sixième système de force, celui qui est chargé d'équiper tous les autres : la « DGA ».
Mais avant de commencer, je tiens à vous dire que nous avons dû cette année travailler dans des conditions difficiles du fait de l'interpénétration entre l'exécution budgétaire 2013, avec le projet de loi de finances rectificatives et le décret d'avance, la LPM et le projet de loi de finances pour 2014. Nous avons beaucoup de mal à y voir clair. Nous avons maintenant une image plus précise de ce qui va se passer et cela provoque chez moi deux inquiétudes.
La première est celle de l'entrée en LPM. Il y aurait un report de charges de 3,6 milliards d'euros, dont 2 milliards sur le programme 146. Ce même programme enregistre 641 millions d'annulations de crédits. Nous avons essayé de savoir sur quoi portaient ces annulations et avons reçu une réponse uniquement ce matin qui ne nous éclaire guère.
La seconde inquiétude est que Bercy a décidé unilatéralement de passer -pour tous les ministères- le pourcentage du « surgel » de 6% à 7%. C'est-à-dire que si Bercy peut faire cela, il faudrait quand même que nous posions collectivement la question de l'utilité de l'autorisation budgétaire.
Pour le reste, si j'essaie de mettre de l'ordre dans mes idées, je vous présenterai cette année trois séries d'observations que je regrouperai ainsi : les points de vigilance, les points de satisfaction et l'avenir.
Commençons par les points de vigilance : le PLF 2014 s'inscrit dans le cadre de la LPM, laquelle découle elle-même du Livre blanc. Donc nulle surprise. Nous l'avons dit et redit, les choix effectués étaient les moins mauvais possibles dans le cadre budgétaire défini. Mais ce cadre budgétaire n'était pas le bon. Et il était possible de faire autrement. J'ai proposé au Sénat une solution indolore et efficace. Il n'en a pas voulu. N'en parlons plus.
Il n'empêche, dans l'architecture d'ensemble qui a été tracée par la LPM, et maintenant par ce projet de loi de finances, il y a des points sur lesquels nous devrons rester vigilants. Je ne reviens pas sur les considérations financières évoquées par Daniel Reiner. Je partage ces analyses et je n'ai rien à y rajouter, sinon que nous serons peut-être contraints de mettre en oeuvre nos nouveaux pouvoirs de contrôle sur pièce et sur place, plus rapidement que prévu.
Pour ce qui est des opérations d'armement concernant les équipements conventionnels, qui sont détaillées sans fioriture dans notre rapport écrit, j'ai trois inquiétudes.
La première concerne la réduction du format de l'aviation de chasse française et dans une moindre mesure celle des hélicoptères -qu'il s'agisse des hélicoptères de combat comme le Tigre-ou la Gazelle- ou des hélicoptères de manoeuvre comme le NH-90. Ces réductions de format sont sévères. Dire que ce format était déjà « juste insuffisant » ! Quel terme utiliseront nos successeurs pour décrire le format que nous laisserons en héritage ? Néanmoins ces réductions peuvent être faites sans trop compromettre la capacité d'agression de nos forces, si certaines conditions sont remplies. Concernant l'aviation de chasse, il faudra veiller à la bonne application du principe de différenciation de la préparation opérationnelle et des programmes d'équipement. C'est le cas en particulier du programme « Cognac 2016 », sans lequel la réduction du format ne sera pas supportable. S'agissant des hélicoptères, ce sont les commandes de pièces de rechange en quantité suffisante et le maintien en conditions opérationnelles. Il y a aussi des questions que l'on doit se poser : à défaut de Tigre, pourquoi ne pas se contenter de Gazelle -rénovées ? Car le but n'est pas, ne doit pas être de faire tourner les chaînes d'assemblage d'Eurocopter. Le but est de permettre à nos forces d'intervenir au Mali ? Des bruits nous reviennent, en ces temps de disette budgétaire, de comportements agressifs des grands groupes vis-à-vis des PME. Peut-être faudrait-il, Monsieur le président, que nous nous penchions sur cette question.
Ma seconde inquiétude concerne les munitions et les missiles, d'une part, et les avions ravitailleurs, d'autre part. La raison en est la même ; le maintien de la cohérence capacitaire. Cela ne sert à rien d'avoir des avions Rafale, si nous n'avons pas les munitions pour les équiper ou des avions ravitailleurs pour les ravitailler. Nous avons déjà eu l'occasion maintes fois d'en parler. J'ai déposé des amendements. Le Sénat ou l'Assemblée n'ont pas jugé bon de les retenir. Je n'insiste pas.
Enfin, troisième et dernière inquiétude, le soutien de l'avion A400M. Réussir le programme était bien. Réussir le soutien sera mieux. Comme vous le savez, en aéronautique, ce qui coûte cher c'est le soutien. Pour un euro dépensé dans l'acquisition, il faut dépenser deux euros dans la maintenance. Or, de ce point de vue, les informations qui nous parviennent ne sont pas bonnes. Nous n'arrivons pas à mettre en place un soutien commun avec les Britanniques. Et il nous faut très vite comprendre pourquoi. La DGA est pointée du doigt. Nous devons nous faire notre propre opinion.
J'aborde maintenant ma deuxième série d'observations : les sujets de satisfaction. Parmi les choses qui vont bien, je me réjouis de l'acquisition de drones MALE Reaper sur étagère, ce qui va enfin combler un besoin opérationnel évident et mettre un terme à des années d'atermoiements. C'est un sujet que nous avons tellement rebattu ici que je n'y reviens pas.
Je me félicite également de la décision prise, au sommet de l'Etat du lancement du missile antinavire léger. C'est un programme qui se trouvait sur le chemin critique de la défense européenne. Le Président de la République a pris la bonne décision. Bravo ! De la même façon je me réjouis du lancement du missile moyenne portée (MMP) qui, là encore, met un terme à des années d'indécision. C'est un sujet sur lequel nous avons beaucoup veillé Daniel Reiner et moi-même, et sur lequel nous continuerons à veiller.
Enfin, je me réjouis du lancement du programme SCORPION pour l'armée de terre. Ce programme est important. Il va faire gagner de l'argent à l'Etat. Il va donner à l'armée de terre la capacité de remplir ses contrats opérationnels. Il va introduire de la cohérence et de l'efficacité. Il faut impérativement qu'il ne soit pas retardé et que l'armée de terre puisse en bénéficier.
Enfin je veux terminer en disant que c'est vrai, ne nous leurrons pas : notre effort de défense diminue et va nous obliger à faire des choix douloureux dans les cinq années qui viennent. Dans cinq ans, nous serons peut-être obligés, comme l'évoquait Xavier Pintat, de renoncer à des capacités essentielles. Ni Daniel Reiner ni moi n'envisageons une seule seconde de vendre le Charles de Gaulle, de renoncer à la dissuasion ou de repousser encore des programmes ou de réduire encore des cibles. La prochaine fois, l'exécutif devra faire des choix.
Or si nous sommes incapables de nous donner les moyens de nos ambitions, si nous sommes incapables de faire des choix douloureux et renoncer à des capacités pour concentrer nos moyens sur ce que nous voulons garder, il y a quand même un moyen de s'en sortir : c'est le pari de l'Union. « Faire l'Union ou mourir » disait déjà Benjamin Franklin en 1787. Cela a plutôt bien réussi aux Etats-Unis. Évidemment il y a un prix élevé pour cela : des pertes de souveraineté. Y sommes-nous prêts ? Je n'en suis pas sûr. Nos partenaires y sont-ils prêts ? Je n'en suis pas sûr non plus. C'est ce que nous avons exposé dans notre rapport sur la défense européenne en juillet dernier. Et bien donnons-nous les moyens de le faire -en tous les cas de leur poser la question et de nous poser la question. Il faut impérativement renouer le fil du dialogue avec nos amis allemands. Il faut également le faire avec nos amis italiens. Il ne sert à rien de s'arrêter au bord du chemin et de gémir. L'avenir se construit aujourd'hui. Ici. Maintenant. Tâchons d'y jouer notre rôle. Nous sommes des sénateurs libres et devons faire des choix dans l'intérêt de la nation.