Intervention de André Dulait

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 26 novembre 2013 : 1ère réunion
Loi de finances pour 2014 — Mission « défense » programme « préparation et emploi des forces » - examen du rapport pour avis

Photo de André DulaitAndré Dulait, rapporteur pour avis :

En tant que rapporteur du titre 2, c'est moi qui ouvre traditionnellement le feu pour l'examen des crédits du programme 178. Avec 22 milliards d'euros, en baisse de 1%, c'est le plus gros programme de la mission Défense, regroupant 90% des dépenses de personnel et tous les crédits de fonctionnement et d'entraînement des trois armées.

Ce programme concentre toutes les problématiques de « la manoeuvre des ressources humaines ». C'est sur lui que s'exercent les tensions sur les coûts fonctionnement ; c'est à lui, enfin, qu'il revient de dégager des marges financières, par la maîtrise de la masse salariale et la diminution des coûts du soutien, deux « leviers » -je dirais presque deux « Graals »- sur lesquels parie la prochaine LPM -dans la lignée, d'ailleurs, de la précédente-.

Comme nous « fermons la -longue!- marche », des rapporteurs de la mission « Défense » cet après-midi, je me limiterai à 5 brefs constats.

1er constat, le pari de la maîtrise de la masse salariale n'est toujours pas gagné, malgré des déflations d'effectifs considérables.

Paradoxe incroyable : le ministère de la défense, qui aura perdu 54 000 emplois en 7 ans, qui est salué par tous, Cour des comptes et Direction du Budget inclus, comme le champion de la réforme de l'État, n'arrive pas à diminuer son 1er poste de coût, la masse salariale, restée stable depuis 2009, autour de 11,7 milliards d'euros...

La précédente LPM prévoyait que la moitié des économies résultant des réductions d'emploi permettrait d'améliorer la condition militaire, et que l'autre moitié viendrait nourrir les dépenses d'équipement. Finalement, la masse salariale a tout absorbé, avec, en plus, un « retour catégoriel » limité à 40%.

Année après année, il a même fallu voter des rallonges, sous forme d'augmentation en construction budgétaire (« resoclage »), ou de redéploiement par collectifs budgétaires : 213 millions d'euros en 2010, 158 millions en 2011, 474 millions en 2012, 232 millions -nous l'avons appris ces derniers jours- dans le prochain collectif 2013. Ces crédits sont en général pris sur les crédits d'équipement. L'inverse du but recherché !

Au-delà des modes de calculs et des montants, qui diffèrent suivant les « manifestants » ou la « police » (comprenez : la défense ou la Cour des comptes), les causes du dérapage sont bien diagnostiquées, mais pas encore endiguées : mesures indiciaires (c'était un rattrapage, qui était voulu) ; demandes nouvelles en personnel qualifié (renseignement, OTAN) ; réforme des retraites ; coût des mesures d'accompagnement de la déflation (pécules etc...), coût du chômage et des dépenses de « guichet » comme l'amiante, et le fameux « repyramidage » c'est-à-dire l'augmentation des taux d'encadrement, de 15,5 à 16,5%, responsable d'un surcoût de 20 à 40 millions d'euros par an.

En 2014, des mesures sont prises : direction des ressources humaines renforcée, crédits du titre 2 rassemblés dans un seul programme, « dépyramidage » avec une suppression plus que proportionnelle des postes d'officiers, 5 800 sur la durée de la prochaine programmation. On ne nomme plus que 20 Généraux par an aujourd'hui, contre le double en 2006. Certains parlent de « double dépyramidage » car des civils seront affectés sur des postes de soutien, où les militaires effectuaient souvent une deuxième partie de carrière. C'est, d'ailleurs, un point sensible : attention à ne pas opposer les militaires aux civils...

Deuxième constat : le risque de tarir les recrutements va continuer à peser sur la prochaine déflation d'effectifs.

En 2014, le ministère de la défense devra supprimer 7 881 emplois, reste de la précédente LPM, ce qui en fera l'une des années les plus « dures ». L'équilibre entre la régulation par les flux, les mobilités vers les autres fonctions publiques et les départs vers le privé ne sont pas ceux que nous aurions souhaités : l'équilibre « idéal » 60-20-20 n'est pas respecté et on sait bien que fermer le robinet des recrutements pour tenir les objectifs de la déflation risque de vieillir la population -et d'en renchérir le coût-. Compte tenu du contexte économique, ce risque va persister pour la prochaine déflation (de 23 500 postes), malgré des mesures d'incitation au départ maintenues et confortées.

Troisième constat : Louvois n'a pas fini d'affecter la lisibilité financière de la réforme, non plus que le quotidien des soldats.

La décision d'abandonner LOUVOIS, désastre de grande ampleur, devrait être annoncée mardi prochain. Le montant des « trop versés » est estimé entre 70 et 133 millions d'euros en 2012, et entre 65 et 70 millions d'euros en 2013. Les mécanismes d'avances mis en place pour les personnels qui ne recevaient pas leur solde perturbent eux aussi le système. Un plan d'action en 12 points a été mis en place, un recouvrement des trop perçus a été lancé en août, des renforts ont été apportés dans les centres de paie : 63 à Nancy, 39 à Toulon, plus des vacataires et des prestataires externes. Attendons les annonces du ministre mardi prochain mais il faudra entre 18 mois et 3 ans pour configurer un nouveau progiciel de paie....

Avec 174 indemnités, pour 3,2 milliards d'euros, le tiers de la rémunération des militaires, le système des primes a sa part de responsabilité dans le désastre. Sa remise à plat est devant nous ; elle sera difficile sans dépenser un euro de plus : il est rare d'arriver à simplifier un système en l'alignant par le bas...

Quatrième constat : Des signaux convergents font craindre une détérioration du moral des militaires. Sans sombrer dans le catastrophisme -ce n'est pas ma nature !- il est de notre responsabilité de le dire. A la fatigue de la réforme, à la dégradation du cadre de vie quotidien en base de défense, au contingentement de l'entraînement, s'ajoutent Louvois, qui détruit la confiance. Le Haut conseil de la condition militaire pointe qu'avec les restructurations, en 2012, 45 000 personnes ont été mutées, soit le quart des officiers par exemple ; une mutation hors métropole sur trois se fait avec un préavis de moins de 3 mois ! Du fait des difficultés d'accès du conjoint à l'emploi, les ménages avec un militaire ont un revenu inférieur de 18% aux fonctionnaires civils de l'État ; le célibat géographique touche désormais 17% des officiers et 14% des sous-officiers.... Les déflations à venir seront douloureuses... Heureusement, nous savons pouvoir compter sur le dévouement et l'engagement de nos personnels de la défense.

Cinquième et dernier constat, le surcoût OPEX se confirme comme une enveloppe trop « justement » calculée. En 2013, les OPEX coûteront le double de l'enveloppe prévue, soit 1,26 milliard contre 630 millions budgétés, principalement à cause de SERVAL. Le dépassement sera bien financé en interministériel. Il n'y aura pas « d'entorse au contrat » : 580 millions d'euros d'ouvertures de crédits complémentaires sont prévus en collectif. Je crois que dans la situation actuelle, on ne peut que le souligner, pour s'en féliciter -même s'il y a, par ailleurs des annulations pour tous les ministères, et à hauteur de 486 M€ pour la défense-. Pour 2014, la provision OPEX est de 450 millions, pour un surcoût constaté moyen de 500 millions ces 10 dernières années et de 900 millions depuis 2009. Je rappelle que nous renforçons d'un millier d'hommes notre dispositif en RCA et que nous avons toujours 3 000 hommes au Mali. Je ne reviens pas sur cette question, sauf pour dire que nous avons bien fait de sécuriser dans la LPM la prise en charge interministérielle du dépassement.

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