Intervention de Joëlle Garriaud-Maylam

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 27 novembre 2013 : 1ère réunion
Accord entre la france et la russie relatif à la coopération dans le domaine de l'adoption — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Joëlle Garriaud-MaylamJoëlle Garriaud-Maylam, rapporteure :

Ce projet de loi a été ratifié par l'Assemblée nationale le 31 octobre et nous espérons le faire adopter au Sénat la semaine prochaine. Ce texte est urgent et ses conséquences seront des plus concrètes : débloquer les dossiers des familles en cours d'adoption en Russie et permettre aux familles souhaitant adopter en Russie de le faire dans un cadre juridique rigoureux.

Cette convention, tant qu'elle n'est pas ratifiée, est source de souffrance à la fois pour les familles qui attendent l'arrivée d'un enfant dans leur foyer et dont le dossier est bloqué à cause de la non-ratification française, et pour les enfants qui, pour certains, ont déjà rencontré leurs parents mais restent en orphelinat pour cause de lenteur administrative.

Les couples français candidats à l'adoption se tournent le plus souvent vers l'adoption internationale qui représente plus de 80% de l'adoption en France. En 2011, près de 2 000 adoptions ont été réalisées à l'étranger. La Russie est le premier pays de provenance des enfants adoptés par des couples français à l'étranger, plaçant la France au quatrième rang des pays d'accueil. En 2012, 235 enfants russes ont ainsi été adoptés par des familles françaises.

La Russie appliquant le principe de subsidiarité prescrit par la convention de La Haye de 1993 sur la protection de l'enfance et la coopération en matière d'adoption internationale, ce sont principalement des enfants à besoins spécifiques qui sont proposés à l'adoption, puisque les enfants dits « sans problème » sont plus facilement adoptés nationalement. Sont considérés comme plus difficilement adoptables les enfants qui présentent une pathologie plus ou moins grave (177 des 235 enfants russes adoptés en 2012), ceux d'un âge plus avancé (41 enfants avaient plus de 5 ans) ou ceux adoptés en fratrie (51 sur 235).

Jusqu'à présent, les adoptions d'enfants russes pouvaient être faites par un opérateur agréé ou de façon individuelle. Dans ce dernier cas, le plus fréquent, les familles déposaient elles-mêmes leur demande auprès de l'organisme public russe par le biais d'un facilitateur. Dans les faits, certains parents, une fois l'adoption finalisée et l'enfant accueilli au foyer, ne respectaient pas l'obligation de transmission régulière de rapports d'information sur l'enfant, son intégration et son développement, rapports exigés par nombre de pays d'origine, dont la Russie. Une liste noire de départements où résidaient des familles ayant failli à cette obligation a été dressée, pénalisant ensuite celles qui voulaient adopter et qui résidaient dans lesdits départements.

La Russie a encadré plus strictement l'adoption, notamment en privilégiant la signature d'accords bilatéraux sur l'adoption, comme celui qui nous est soumis aujourd'hui. Deux ont déjà été conclus, avec l'Italie et les États-Unis, mais ce dernier a été dénoncé et il est désormais impossible pour des ressortissants américains d'adopter des enfants russes. D'autres sont en cours de négociation avec l'Espagne ou encore l'Allemagne. Enfin, la Russie a signé la convention de La Haye mais ne l'a pas ratifiée.

D'autres modifications sont intervenues dernièrement, qui concernent directement les parents : depuis 2012, ils doivent valider un séminaire préparatoire de 80 heures afin de se préparer à leur rôle de parents, et des questions sont posées lors du jugement. La Russie a la hantise de voir des homosexuels adopter certains de ses enfants ; dans cette optique, elle interdit même, depuis le 3 juillet 2013, l'adoption de ses enfants par tous les célibataires ressortissants de pays ayant légalisé le mariage homosexuel. Depuis le 3 septembre, elle exige que des rapports de suivi post-adoption soient envoyés régulièrement jusqu'à la majorité de l'enfant adopté. Et surtout, du fait de la loi du 3 juillet et de la non-ratification par la France de la présente convention, les adoptions sont bloquées, ou du moins accordées au compte-goutte.

C'est pourquoi il est très urgent que nous ratifiions ce traité, qui a été signé le 18 novembre 2011 à Moscou et ratifié par la Russie en août 2012. Ses dispositions s'inspirent de celles de la convention de La Haye sur la protection des enfants.

S'agissant de la procédure d'adoption, le traité met fin à la possibilité de recourir à l'adoption individuelle, qui représentait près de 80% des adoptions auparavant. Le recours à un opérateur agréé est donc obligatoire. Actuellement il en existe trois : l'Agence française de l'adoption, « De Pauline à Anaëlle », et « Enfance et Avenir ».

Le rôle de chaque État tout au long de la procédure est défini par le traité. Le pays d'origine étant seul décisionnaire pour l'adoption internationale, il doit s'assurer que l'enfant est bien légalement adoptable, avant que soit prononcée l'adoption. Le pays d'accueil, quant à lui, vérifie que les candidats sont en possession de l'agrément requis, qu'ils répondent aux exigences formulées par l'autre partie, notamment en termes de formation, et vérifie que les opérateurs agréés effectuent le suivi post-adoption demandé.

La procédure prévoit également les conditions de choix, de présentation des enfants et d'apparentement. L'adoption est prononcée par jugement, et entraîne la rupture définitive du lien de filiation d'origine. L'enfant acquiert de plein droit la nationalité française, tout en conservant la nationalité russe au moins jusqu'à sa majorité. Le traité règle également la question des obligations militaires pouvant découler de cette double-nationalité : l'enfant adopté sera exempté de ces obligations sur le territoire d'une partie s'il les a effectuées sur le territoire de l'autre partie.

Le traité encadre mieux le suivi. La fin des procédures individuelles permettra de contrôler que les parents envoient bien les rapports post-adoption. Les opérateurs agréés devront assurer le suivi des conditions de vie et d'intégration de l'enfant. Tout manquement entraînerait la suspension temporaire des dossiers des candidats à l'adoption.

Enfin, le traité prévoit les cas de replacement d'un enfant adopté. En cas de retrait d'un enfant adopté et d'une nouvelle adoption, le pays d'accueil doit demander l'accord du pays d'origine, puisque la Russie s'oppose à ce que ses enfants soient adoptés par des couples homosexuels. Dans les faits, le replacement d'un enfant adopté est exceptionnel.

Ce cadre juridique formalise les adoptions, en s'inspirant de la convention de La Haye, ratifiée par la France en 1998. Quelques questions demeurent cependant, en particulier sur les dossiers en cours qui sont, pour la plupart, bloqués, créant des souffrances pour les familles. La ratification du traité devrait débloquer la situation.

S'agissant des dossiers en cours relevant de la procédure individuelle, le traité prévoit que les candidats à l'adoption dont le dossier a été enregistré auprès d'une autorité régionale pourront mener à son terme la procédure d'adoption. Mais qu'en est-il des dossiers présentés par des femmes célibataires ? Nous allons attirer l'attention des autorités russes sur ce point, car des femmes ont rencontré les enfants et ont suivi toute la procédure. Que dire des enfants qui les ont identifiées comme futures mamans ? Nous espérons que leurs dossiers seront examinés avec bienveillance.

Les personnes auditionnées ont attiré notre attention sur le terme « dossier enregistré » : s'agit-il de l'apparentement qui est déjà un pas important dans la procédure ? Lorsque des parents rencontrent l'enfant et donnent leur accord à l'adoption, le lien est déjà créé. Il faudra préciser la terminologie.

La situation est donc urgente, tant pour les enfants que pour les parents. La ratification française permettra de surmonter les blocages et les enfants pourront enfin être accueillis dans leur nouveau foyer. Je vous propose donc d'adopter ce projet de loi, qui devrait faire l'objet d'un examen en procédure simplifiée dans l'hémicycle. Initialement, ce texte devait être examiné le 18 décembre, mais j'ai demandé au ministre chargé des relations avec le Parlement de l'avancer au 3 décembre. Tous les groupes politiques ont été consultés et j'espère qu'ils n'y sont pas opposés.

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