C'est la deuxième fois que nous examinons de manière séparée les crédits de la pêche et de l'aquaculture. Ceux-ci sont regroupés au sein d'une action dédiée au sein du programme 205 « Sécurité et affaires maritimes, pêche et aquaculture » de la mission « Écologie, développement et mobilité durables ».
Les crédits budgétaires n'échappent pas au mouvement de réduction de moyens que l'on observe sur beaucoup de missions du budget général. Déjà modestes en 2013, les crédits de la pêche le sont encore plus en 2014 : avec 49,5 millions d'euros en autorisations d'engagement (AE) comme en crédits de paiement (CP) contre 52 millions d'euros l'année dernière, la baisse est de 4,7 %. Par rapport aux 60,4 millions d'euros de crédits de paiement de 2012, le mouvement de contraction des crédits est donc très prononcé.
Ces crédits se décomposent en trois blocs :
- Un premier bloc correspond au financement des actions régaliennes, pour un peu plus de 17 millions d'euros. Ces actions sont celles concernant le contrôle des pêches, la collecte des données ou encore l'appui technique aux organisations internationales ou au fonctionnement des comités consultatifs régionaux. À ces 17 millions d'euros s'ajoutent des contreparties communautaires versées par le Fonds européen de la pêche (FEP), qui sera remplacé prochainement par le Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP). Les moyens de l'État pour le contrôle des pêches ou encore pour améliorer l'état des connaissances scientifiques augmentent de 3 millions d'euros environ par rapport à l'année dernière.
- Un deuxième bloc correspond à la participation de l'État à la caisse chômage intempérie des marins-pêcheurs, qui s'élève, comme en 2013, à 6,8 millions d'euros. Cette caisse est alimentée par une même somme provenant des marins eux-mêmes.
- Un troisième et dernier bloc est constitué par les actions de soutien économique aux opérateurs de la filière pêche, essentiellement les pêcheurs eux-mêmes. C'est ce bloc qui se contracte. Il ne représente plus que 25 millions d'euros en 2014, contre 31 millions en 2013. Cette réduction de voilure s'observe sur de nombreux dispositifs : ainsi les plans de sortie de flotte et arrêts temporaires d'activité ne représenteraient plus que 3,31 millions d'euros de crédits en 2014 contre 7 millions d'euros en 2013. De même, l'enveloppe des contrats bleus, mutualisée avec celle consacrée à l'équipement des ports de pêche ou aux projets innovants passe de10 à 6 millions d'euros et risque de disparaître, en fonction des arbitrages qui seront rendus sur le FEAMP. Les projets locaux cofinancés par les régions dans le cadre des contrats de plan État Région (CPER) sont maintenus au même niveau qu'en 2013. L'incertitude sur les types de mesure qui pourront être prises en charge dans le cadre du FEAMP entraîne mécaniquement une baisse de l'enveloppe des crédits nationaux destinés au soutien économique aux pêcheurs.
Le budget 2014 s'analyse plus comme un budget de transition, destiné à solder les opérations prévues au FEP, avant de démarrer réellement l'exécution du FEAMP en 2015. Le bleu budgétaire indique d'ailleurs qu'à peine 5 millions d'euros pourront être engagés sur le FEAMP l'année prochaine et il est probable que le programme opérationnel du fonds ne soit pas validé par la Commission européenne avant la toute fin 2014.
La politique commune de la pêche (PCP) et les conditions techniques d'exploitation de la mer sont particulièrement difficiles et font de la pêche maritime un secteur fragile. La première fragilité de la pêche maritime tient à sa dépendance au carburant. Malgré une détaxation du gazole destiné à l'avitaillement des navires de pêche, il faut environ 50 000 litres de gazole par navire, soit une charge de 35 à 40 000 euros par an. La technique du chalut est gourmande en énergie et les navires sont vétustes et pas optimisés du point de vue de leur consommation énergétique.
Une autre fragilité tient à l'exposition à la concurrence internationale : le marché des produits de la mer est un marché mondialisé et l'on retrouve sur les étals des poissonniers des produits du monde entier, d'autant plus que la France n'est pas autosuffisante : nous consommons 2,2 millions de tonnes de poissons alors que nous n'en pêchons que 700 000 tonnes. Les prix sont cependant bien orientés depuis quelques années. La démarche de valorisation de la pêche française à travers le « pavillon France » promu par France filière pêche est une réussite mais se heurte au manque de volumes pour répondre à la demande.
En outre, la pêche française fait face à la concurrence d'une pêche illégale dont les produits peuvent se retrouver dans nos assiettes. Il est indispensable d'intensifier la lutte contre la pêche illégale tant en mer, par des contrôles, en particulier au large des côtes ultramarines, comme en Guyane, que sur terre, en permettant aux agents de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) de contrôler la provenance des chargements.
La flotte de pêche française continue son reflux. Après les sorties de flotte massives jusqu'au milieu des années 2000, le mouvement s'est ralenti. Mais il est remplacé par un phénomène plus insidieux et inquiétant : l'acquisition auprès de pêcheurs en fin de carrière de leurs navires et des quotas qui s'y attachent par des armateurs étrangers, qui gonflent ainsi leurs droits à produire au détriment de la pêche française et les exploitent ailleurs avec d'autres navires, plus modernes. J'ai été alerté sur ce point lors des auditions.
La PCP va continuer à imposer des contraintes lourdes aux pêcheurs, du fait de l'intégration croissante des préoccupations environnementales. La volonté d'atteindre le rendement maximum durable (RMD) le plus rapidement possible n'est pas contestable car il en va de l'avenir de la ressource. Au demeurant, la situation a plutôt tendance à s'améliorer, ce qui montre que l'actuelle PCP n'est pas aussi inefficace que ses détracteurs le disent. Selon la commission européenne elle-même, près de deux tiers des stocks sont au RMD en 2013, contre 28 % en 2010 et 6 % en 2007. Mais localement, des restrictions sont inévitables : les quotas de sole en Manche-Est et dans le Golfe de Gascogne ou encore d'Églefin, devront être réduits en 2014.
L'obligation de débarquer toutes les captures avec une tolérance de rejets de 5 % en 2019 va aussi peser sur les équilibres économiques de la pêche. Enfin, des menaces pèsent sur certaines formes de pêche. La pêche au chalut est contestée au nom des dommages environnementaux qu'elle génère sur les fonds marins. La pêche de grands fonds est également contestée et une proposition de règlement d'interdiction de cette pratique a été déposée au niveau européen, où elle est actuellement en discussion.
J'en termine en évoquant les conditions de travail dans la filière pêche et le renouvellement des générations. Bien que pouvant gagner correctement sa vie, jusqu'à 3 000 euro par part, le marin-pêcheur travaille dans des conditions difficiles et risquées. Le travail en criées ou dans le mareyage, à terre, est également éprouvant.
Il est donc essentiel de mener une modernisation des équipements à bord comme à terre qui permettent d'améliorer la sécurité et le confort des pêcheurs. De ce point de vue, la mise en place des CPER devra prendre en compte cette dimension sociale des investissements. De même, le FEAMP devrait soutenir les investissements dans les navires, pas seulement pour mieux gérer la ressource, permettre le stockage de toutes les captures du fait de l'interdiction des rejets ou encore aider les patrons de pêche payer des instruments plus sélectifs.
Le FEAMP doit pouvoir être utilisé également pour construire des navires de moins de 12 mètres plus performants du point de vue économique car moins gourmands en carburant, mais aussi plus confortables et plus sûrs. Je salue de ce point les avancées dans les discussions européennes, même si rien n'est acquis.
Un des enjeux essentiels pour la pêche demain est d'assurer le renouvellement des générations. Là aussi, le FEAMP doit pouvoir être mise à contribution pour aider à l'acquisition de navires par les jeunes. L'absence de perspectives sur les quotas disponibles constitue un frein à l'investissement dans un bateau neuf. Mais il n'est pas le seul. Un bateau de 25 mètres avec son train de pêche coûte plus de 4 millions d'euros. Or, un armement peut difficilement travailler avec un seul navire. Il faut donc inventer les moyens de financer de tels investissements, particulièrement lourds, et pour lesquels un financement bancaire traditionnel n'est pas disponible.
L'année 2014 est une année de transition pour la pêche dans l'attente de la mise en application pleine et entière de la nouvelle politique commune de la pêche et de son instrument financier, le FEAMP. Les réductions de crédits nationaux s'expliquent principalement par ce contexte. J'émets donc un avis de sagesse à l'adoption des crédits relatifs à la pêche figurant au sein de la mission « Écologie, développement et aménagements durables ».