Intervention de Alain Milon

Réunion du 28 novembre 2013 à 9h30
Financement de la sécurité sociale pour 2014 — Rejet d'un projet de loi en nouvelle lecture

Photo de Alain MilonAlain Milon :

Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, pour cette nouvelle lecture du projet de loi de financement de la sécurité sociale, je vous épargnerai de longs discours, même si certains de mes propos risquent d’être redondants avec ceux que j’ai prononcés lors de la première lecture. Il n’est toutefois pas inutile de répéter pour finir, un jour peut-être, par être entendu…

Le texte que nous examinons ce matin est, en effet, la copie quasi conforme de celui que nous avons rejeté voilà quelques jours. Je regrette que les amendements adoptés par le Sénat sur l’initiative de M. le rapporteur général n’aient même pas été retenus. Je pense notamment, à cet égard, à la baisse du taux de la cotisation versée par les établissements hospitaliers au titre du financement du fonds pour l’emploi hospitalier.

Seul l’article 8 a été modifié substantiellement, comme notre assemblée l’avait demandé. En effet, sous la pression des associations d’épargnants, le Gouvernement propose que la suppression des taux historiques s’applique aux seuls contrats d’assurance vie multisupports. Alors que le Premier ministre vient d’annoncer une remise à plat de la fiscalité, il n’est à notre avis pas cohérent de taxer les ménages à hauteur de 400 millions d’euros sur ce seul produit d’épargne.

À l’occasion de cette nouvelle lecture, je souhaite revenir sur certaines mesures qui n’ont malheureusement pas été modifiées.

Il s’agit notamment, à l’article 9, du mode de financement des mesures de revalorisation des retraites agricoles, que vous faites peser uniquement sur les agriculteurs, contrairement à la promesse du Président de la République de le faire porter par la solidarité nationale.

Il en est de même de l’élargissement de l’assiette des prélèvements sociaux qui s’applique aux exploitants agricoles et du déplafonnement de l’assiette des cotisations d’assurance vieillesse de base des artisans et commerçants affiliés au RSI, le régime social des indépendants, même si la hausse est lissée sur deux années. Ces mesures participent de la même logique : toujours plus de prélèvements.

En outre, en instaurant une troisième tranche dans l’assiette de la contribution sur le chiffre d’affaires due par les grossistes-répartiteurs – c’est l’article 12 bis –, vous risquez de compromettre l’approvisionnement des pharmacies d’officine et de mettre en péril un pan entier de la distribution des produits de santé en les concentrant entre les mains de ces professionnels.

S’agissant de l’article 12 ter qui introduit de façon détournée l’équivalent des « clauses de désignation », vous vous entêtez et passez outre les décisions du Conseil constitutionnel.

En effet, le Conseil a rappelé par deux décisions des 13 juin et 18 octobre 2013 que « les clauses de désignation portent à la liberté d’entreprendre et à la liberté contractuelle une atteinte disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi de mutualisation des risques ».

Cette clause de recommandation se transformera d’autant plus en désignation que le choix d’un autre organisme assureur sera fiscalement sanctionné. Je rappelle que le forfait social passera de 8 % à 20 % pour les entreprises de plus de dix salariés.

Nous sommes donc toujours convaincus que cette mesure porte atteinte à la liberté contractuelle.

Par ailleurs, pour la deuxième année consécutive, vous prévoyez de reverser le produit de la contribution additionnelle de solidarité pour l’autonomie, la CASA, au Fonds de solidarité vieillesse. Nous considérons qu’il s’agit d’un détournement pur et simple des fonds dédiés à la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, la CNSA.

Comble du comble, le texte voté mardi dernier par les députés consacre seulement 30 millions d’euros sur les 100 millions envisagés au financement d’actions consacrées à l’aide et l’accompagnement à domicile.

Ce détournement de plus de un milliard d’euros depuis 2013 nous fait douter de la volonté du Gouvernement de mener à bien une réforme à la hauteur des enjeux démographiques et financiers liés au vieillissement de la population.

Quant à l’article 22 relatif aux modalités de recouvrement des cotisations au régime social des indépendants, il n’apportera guère de remèdes aux problèmes rencontrés par les petites entreprises et les professions indépendantes. L’important est d’entreprendre rapidement une réforme de fond du RSI, dont le fonctionnement a été qualifié par la Cour des comptes de « catastrophe industrielle ». C’est pourquoi nous nous félicitons que la MECCS, la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale du Sénat, ait retenu notre proposition d’y travailler dans les prochains mois, en désignant comme corapporteurs Jean-Noël Cardoux et Jean-Pierre Godefroy.

J’en viens aux mesures relatives aux dépenses.

Nous sommes évidemment favorables à l’amélioration de l’accès à l’ACS, mais la méthode que vous utilisez pose, là encore, des problèmes. Comment l’appel d’offres sera-t-il mené et qui décidera des contrats qui seront choisis ? En créant des « contrats dédiés à l’ACS », puisque les bénéficiaires seront obligés d’y recourir, vous complexifiez le système et vous risquez de stigmatiser ces populations, ce qui ne réglera pas le problème du non-recours de nombre de bénéficiaires potentiels à cette aide.

En outre, déterminer un plafond au-delà duquel les organismes complémentaires ne doivent pas assurer la prise en charge, c’est prendre le risque de créer un prix de référence pour tous les produits. Pourtant, les équipements d’optique et dentaires sont, nous le savons tous, des produits de santé qui répondent aux besoins individuels de chaque assuré. Ils sont, par essence, tous différents.

Fixer un tel plafond compromettra l’accès des assurés à l’innovation et à la qualité. Or les enjeux économiques et l’impact social d’une mauvaise vision ou d’une mauvaise dentition sont importants.

Pourquoi n’avez-vous pas choisi de mettre en œuvre la labellisation qui avait été prévue par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2012 ?

S’agissant des mesures concernant l’hôpital, je veux revenir sur la tarification hospitalière qui, j’en suis convaincu, doit être repensée. Néanmoins, s’attaquer à ce problème, comme vous le faites, par la mise en œuvre de tarifs dégressifs de remboursement en fonction du nombre d’actes réalisés est, je l’ai déjà dit, une fausse bonne idée. Elle constitue une nouvelle régulation par les volumes qui risque, dans les faits, de fortement pénaliser les établissements choisis par les patients pour la qualité de leurs médecins et de leurs plateaux techniques. Au final, les patients seront les premières victimes puisqu’ils verront leurs interventions repoussées, voire déprogrammées, pour éviter que l’établissement ne dépasse son volume d’actes.

J’en viens à la création d’un collège des financeurs chargé d’évaluer les modèles économiques des coopérations soumises par les professionnels de santé dans le cadre de la loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, dite loi HPST.

Ajouter au système déjà complexe prévu par la loi une étape supplémentaire risquerait de décourager les professionnels, alors que leur premier objectif est de soigner. Ils risqueraient de ne parvenir à se mettre en adéquation avec leurs obligations administratives que grâce à l’appui des agences régionales de santé.

Ce collège des financeurs ne doit pas devenir un nouveau verrou bloquant les initiatives de terrain.

À ce titre, nous regrettons que vous n’ayez pas repris la proposition que ma collègue Catherine Génisson et moi-même vous avions soumise, visant à limiter le rôle de ce collège à la mise en place de modèles médico-économiques que les professionnels auraient pu reprendre dans l’élaboration de leurs projets.

Enfin, je veux brièvement revenir sur une mesure concernant le médicament : la promotion des médicaments biologiques similaires, à travers l’autorisation de la « substitution » en initiation de traitement par le pharmacien. Ce dispositif soulevant de nombreux problèmes, il nous semble indispensable d’attendre les conclusions du groupe de travail sur les biosimilaires mis en place dans le cadre du Conseil stratégique des industries de santé.

En conclusion, j’ose le dire, madame la ministre, votre projet de loi de financement de la sécurité sociale n’est pas à la hauteur des enjeux. Il consiste presque uniquement à assommer de nouveaux prélèvements les retraités, les agriculteurs, les indépendants, les familles, et j’en oublie sans doute ! En procédant de la sorte, non seulement vous compromettez l’avenir de notre pays, mais vous n’avez même pas la garantie de susciter des recettes supplémentaires.

Monsieur le rapporteur général, si aucune des propositions majeures formulées par le Sénat n’a été retenue, ce serait en raison d’une « coalition disparate », avez-vous dit.

À chacun sa façon de défendre les options qu’il préconise pour ce projet de loi de financement de la sécurité sociale !

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