Intervention de Catherine Procaccia

Réunion du 3 décembre 2013 à 21h30
Débat sur la sécurité sociale des étudiants

Photo de Catherine ProcacciaCatherine Procaccia :

… ou des cartes Vitale non délivrées six mois après l’inscription. Cependant, nous n’avons pas eu l’occasion de présenter officiellement nos conclusions aux deux ministres concernées, c’est-à-dire à vous, madame Fioraso, ainsi qu’à Mme Touraine.

Heureusement, plusieurs études le prouvent, les étudiants sont une population en bonne santé, malgré ce qu’affirment certaines mutuelles. Reste que ceux qui le sont moins pâtissent depuis de trop nombreuses années d’un système défaillant. La Cour des comptes, dans son dernier rapport sur la sécurité sociale, va encore plus loin dans les critiques et préconise des pistes d’amélioration, dont certaines vont dans le sens de notre rapport. Je me félicite donc que ce thème d’actualité ait été inscrit à l’ordre du jour, même si, comme la plupart d’entre vous, j’aurais aimé en être avertie un peu plus d’une semaine à l’avance…

Quoi qu’il en soit, madame la ministre, ce débat vous donnera l’occasion de nous apporter des réponses et vous permettra de rassurer étudiants et parents, qui se demandent pendant combien d’années encore les gouvernements vont laisser perdurer de telles situations. Je dis bien les gouvernements, car j’inclus dans ce constat celui d’aujourd’hui et les précédents, voire les prochains, quelle que soit leur orientation politique. Sachez que j’ai comptabilisé le nombre de questions posées par les députés et les sénateurs sur les dysfonctionnements des mutuelles. J’en ai recensé 217 au Sénat et 260 à l’Assemblée nationale en cinq ans. Impressionnant ! Pour les seuls députés, depuis un an, 98 questions ont été posées sur le sujet. À ce rythme, on ne pourra reprocher aux services des ministères concernés de faire des copier-coller pour répondre aux questions des parlementaires s’ils veulent continuer à travailler.

Il est temps que le système de sécurité sociale des étudiants soit toiletté et adapté. En 1947-1948, lorsque fut créé le régime d’assurance maladie délégué, les étudiants étaient peu nombreux et leurs études moins longues ; la carte Vitale et l’informatique n’existaient pas, non plus que la formation en alternance. Si depuis soixante ans le monde étudiant a changé, le système, lui, a peu évolué, mais il a connu des soubresauts mouvementés.

L’UNEF, l’Union nationale des étudiants de France, a créé en 1948 la MNEF, la Mutuelle nationale des étudiants de France, compétente sur l’ensemble du territoire, sauf en Lorraine où existait déjà une mutuelle. La MNEF a détenu le monopole assurantiel jusqu’à ce que soient autorisées les mutuelles à vocation régionale en 1972. Une dizaine d’années après, la Cour des comptes dénoncera le fonctionnement de cette mutuelle. Cette retentissante histoire financière donnera naissance en 2000 à LMDE, La Mutuelle des étudiants, sans doute avec l’espoir de mieux commencer le XXIe siècle…

Certaines mutuelles régionales n’ont pas non plus été épargnées par les scandales, qui ont aussi conduit à des changements de noms. Depuis lors, un contrôle est exercé par l’Autorité des marchés financiers et par l’Autorité de contrôle des assurances et des mutuelles.

Aujourd’hui, et c’est une particularité en France, les étudiants ont donc le choix, pour leur régime de base, entre deux organismes offrant des prestations strictement identiques : La Mutuelle des étudiants, avec ses 920 000 affiliés, ou l’une des dix mutuelles régionales, avec leurs 850 000 affiliés. Les prestations perçues sont comparables à celles du régime général, lequel verse aux mutuelles, en sus de ces prestations, des remises de gestion destinées à compenser les coûts.

Chacune des mutuelles est indépendante, même si des accords de partenariat ont pu être noués, comme entre LMDE et la Mutuelle générale de l’éducation nationale, la MGEN. Les mutuelles régionales forment, quant à elles, le réseau emeVia, qui est une structure de coordination et de représentation.

Au fur et à mesure des décennies, le régime étudiant, censé permettre une première « appropriation » de la sécurité sociale par les jeunes, est passé de compliqué à abracadabrantesque ! Il serait pourtant aisé de le simplifier. Songez que, selon la profession des parents, l’inscription est obligatoire à dix-huit ans, à vingt ans, à vingt et un ans, voire facultative, comme pour les enfants des cheminots, qui demeurent rattachés à leurs parents jusqu’à vingt-huit ans.

Il conviendrait également de s’attaquer à ces allers et retours permanents entre les régimes : les jeunes quittent le régime des parents pour intégrer la sécurité sociale étudiante ; s’ils poursuivent une activité salariée ou font une année en alternance, ce qui est de plus en plus préconisé par votre ministère, madame Fioraso, ils rejoignent le régime général, puis retournent dans le système étudiant pour quelques mois avant d’intégrer définitivement le régime général au moment de leur première activité salariée.

Toujours dans un but de simplification, il serait souhaitable de modifier l’appellation de ces organismes. Le code de la sécurité sociale leur attribue le qualificatif de « mutuelle », mais les deux réseaux commercialisent également des contrats de complémentaire santé. Cette double casquette est source de confusion, bon nombre de jeunes croyant être assurés par une complémentaire maladie. C’est pourquoi, dans notre rapport, nous préconisons de dissiper cette ambiguïté trompeuse et de réserver le terme « mutuelle » à leur seule activité d’assureur. S’agissant de cette dernière, nous nous contentons de demander une labellisation de contrats vraiment adaptés aux étudiants, sujet auquel devrait être sensible le Gouvernement, particulièrement Mme Touraine, qui tente d’imposer une clause de recommandation pour les salariés dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale.

La Cour des comptes va plus loin : elle affirme que « l’adhésion au régime complémentaire étudiant est […] financièrement peu intéressante », la plupart des étudiants bénéficiant, grâce à la complémentaire de leurs parents, d’une tarification familiale plus avantageuse. Si seulement 26 % des étudiants effectuent cette démarche, ce n’est donc pas uniquement une question de pouvoir d’achat, comme le soutient LMDE, mais une question de qualité de prestations et surtout de double emploi, sans compter que la Cour des comptes estime que les remises de gestion financent en partie les coûts liés à la complémentaire ; le coût analytique de gestion du régime obligatoire pourrait donc baisser de 15 % par la seule adoption d’une hypothèse neutre de répartition. Dans ces conditions, est-il légitime que l’assurance maladie obligatoire finance la complémentaire santé ?

Notre rapport évoque trois évolutions possibles pour la sécurité sociale étudiante.

La première, qui est sage, envisage une gestion partagée avec le régime général. Cette solution serait pratique, mais peu ambitieuse : en répartissant les rôles, on préserve l’existence des mutuelles, et donc la paix syndicale, mais on leur reconnaît aussi une capacité limitée. En outre, LMDE est déjà adossée à la MGEN.

La deuxième piste, si elle est rationnelle sur le plan de la gestion, a montré ses limites dans le passé : le retour à un organisme unique. Cette solution mettrait fin à une concurrence coûteuse, mais elle supposerait un organisme capable de gérer efficacement 2 millions d’étudiants. Est-ce envisageable ? Si la plupart des mutuelles régionales fonctionnent plutôt efficacement, c’est parce qu’elles sont de petite taille et assurent un contact de proximité. La plus grosse, la SMEREP, la Société mutualiste des étudiants de la région parisienne, elle, n’est pas un modèle d’efficacité. Quant à LMDE, malgré les déclarations annuelles récurrentes depuis six ans de ses présidents successifs, l’amélioration annoncée n’est toujours pas au rendez-vous. Elle est encore et toujours en cours…

J’ai bien conscience que certains veulent utiliser notre rapport pour confier à LMDE l’ensemble du régime délégué et qu’une interview de mon collègue Kerdraon tend à alimenter cette hypothèse. Avec un an de recul, je ne crois pas que ce soit la solution. Je suis même maintenant persuadée du contraire. Quel serait l’intérêt de fusionner une mutuelle qui fonctionne mal avec d’autres, plus petites, qui fonctionnent mieux ? En soixante ans, aucune mutuelle n’a su s’adapter à une population croissante d’étudiants. Et ce n’est pas en doublant la capacité de la moins efficace que cette faculté d’adaptation s’améliorera !

Certes, les avis de la Cour des comptes sont très rarement suivis. Je pense notamment à la gestion des comptes des comités d’entreprise, autre dossier dans lequel je me suis beaucoup engagée. Toutefois, le fait d’aller totalement à l’inverse de leurs préconisations serait très mal venu. Sans compter que l’enquête du journal Le Monde a fait resurgir le fantôme du scandale de la MNEF, encore bien présent dans les esprits, et fera douter d’autres que moi de l’opportunité de cette solution.

Bref, une telle issue, logique sur le papier, me paraît aujourd'hui impossible. En effet, qu’il y ait une ou onze mutuelles, l’existence même d’un régime étudiant séparé nécessite d’affilier plusieurs centaines de milliers de personnes chaque année.

La troisième hypothèse que nous préconisons est celle qui serait la plus simple pour tous les Français : supprimer le régime délégué et maintenir l’étudiant affilié au régime dont il dépendait mineur, et ce jusqu’à ce qu’il travaille. Cela aurait le mérite de réduire non seulement les coûts de gestion, mais aussi la lourdeur et la lenteur des mutations inter-régimes. Quoi de plus simple, puisque les systèmes informatiques existent ? Rien n’empêche que le jeune ait son propre compte et ses identifiants !

À y regarder de plus près, serait-ce vraiment une révolution ? En effet, 35 % à 40 % des étudiants ont moins de vingt ans et demeurent ayants droit du régime de leurs parents ; près de 6 % d’entre eux sont rattachés au régime général de la sécurité sociale par leur activité salariée ; enfin, les enfants de cheminots continuent à relever du régime de la SNCF jusqu’à vingt-huit ans.

La France est l’unique pays à avoir mis en place un tel régime spécifique, qui revêt une ambiguïté certaine : seuls ceux qui poursuivent des études ont le droit, ou la malchance, d’en dépendre. Ni les apprentis ni les autres jeunes ne sont concernés ! Étrange pays qui assure à sa jeunesse une protection sociale différente selon le type de formation…

La Cour des comptes avance, quant à elle, une quatrième piste que je qualifierai non pas de normande, pour ne pas vexer le président Dupont, …

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