Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la santé des étudiants est un sujet que nous tient particulièrement à cœur. Aussi me réjouis-je de ce débat, qui ne peut que contribuer à améliorer leur protection sociale. Même si les jeunes, cela vient d’être dit, sont moins malades que le reste de la population, ce fait ne doit en aucun cas constituer une excuse à une dégradation des services sanitaires et sociaux qui leur sont dédiés.
En France métropolitaine et dans les départements d’outre-mer, les étudiants de l’enseignement supérieur n’ont jamais été aussi nombreux puisqu’ils sont près de 2 350 000. Or 63 % d’entre eux considèrent que la société ne leur offre pas les conditions nécessaires à leur réussite. Ces dernières années, la situation sanitaire et sociale de ces étudiants s’est en effet fortement dégradée. Comme l’a affirmé le Président de la République, « les conditions de vie des étudiants ne cessent de se dégrader […], leur précarité augmente, les inégalités entre eux s’accroissent ».
Depuis 1948, les étudiants bénéficient d’un régime spécifique de sécurité sociale. La gestion est assurée aujourd’hui par deux organismes : LMDE et le réseau emeVia. Ce régime n’a pas d’équivalent au sein de l’Union européenne.
Depuis des années, le niveau de vie des jeunes recule sous les effets de la crise. Ainsi, la part des étudiants vivant sous le seuil de pauvreté est de 20, 3 %, contre 14, 3 % pour la population générale. La dégradation de leurs conditions de vie a des effets notables sur leur santé : le renoncement aux soins des jeunes n’est plus une probabilité, mais bien une réalité ! En 2011, 34 % des étudiants renonçaient à se soigner, contre 25 % en 2005. Car se soigner est devenu un parcours du combattant ! Pour lutter contre le renoncement aux soins, la société doit offrir aux jeunes l’accès au droit commun.
Chaque année, le projet de loi de financement de la sécurité sociale constitue l’occasion d’améliorer les choses, mais l’année 2014 et la future loi de santé publique représentent à mon sens une réelle opportunité de traduire nos propositions en actes.
Premier point positif, énoncé dans la stratégie nationale de santé, le tiers payant devra être généralisé d’ici à 2017, pour faciliter l’accès aux soins de ville. Dans une optique de montée en charge progressive du dispositif et afin de lutter contre le renoncement aux soins des jeunes, j’avais déposé, lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, un amendement visant à faire bénéficier les étudiants du tiers payant dès 2014. Les contraintes budgétaires actuelles, que je comprends, ne nous ont pas permis de l’adopter.
En termes de couverture complémentaire, les étudiants sont statistiquement trois fois moins couverts que la population générale : 19 % n’ont pas de complémentaire santé, alors qu’ils étaient 13 % en 2008. Plus alarmant encore, 34 % d’entre eux renoncent à se soigner, contre 15 % pour l’ensemble de la population. Il est temps de réinventer, de redéfinir le parcours de santé des jeunes, afin de mettre l’offre de soins au service des patients.
Dans un rapport sénatorial publié en décembre 2012, dont je suis corapporteur avec ma collègue Catherine Procaccia, nous avions souligné une qualité de services globalement très insatisfaisante. En effet, les étudiants et leurs familles sont régulièrement confrontés à des délais de remboursement importants et à des difficultés pour contacter les mutuelles. Les problématiques ne changent guère : longs délais de remboursement et, surtout, très grandes difficultés à joindre un correspondant, tant au téléphone que par courrier ou messagerie électronique.
L’enquête plus exhaustive qu’a publiée l’UFC-Que Choisir en septembre 2012 a confirmé cette impression : elle mettait en avant la complexité du système pour les étudiants, le coût pour la société, une qualité de service « en berne », une difficulté récurrente à joindre certaines plateformes téléphoniques et des courriers et mails restés sans réponse. L’UFC-Que Choisir avait relevé que le taux d’appels décrochés, c’est-à-dire le pourcentage des appels entrants effectivement traités, pouvait varier du simple au double selon les mutuelles.
Par ailleurs, un tiers des nouveaux étudiants seraient toujours sans carte Vitale trois mois après leur affiliation.
Néanmoins, quelques progrès sont observés. Je pense notamment au rapprochement entre LMDE et la MGEN, qui a facilité une « gouvernance partagée ». Les services de la MGEN assument ainsi des tâches touchant au cœur du fonctionnement de LMDE. Par exemple, leurs plateformes informatiques sont communes, ce qui permet à La Mutuelle des étudiants de bénéficier de moyens logistiques et techniques performants et, ainsi, d’améliorer ses services. Il s’agit en particulier des activités de liquidation et d’exploitation informatique.
Reste que le processus d’affiliation est une première cause de difficulté. La refonte de cette procédure, notamment l’ouverture des droits dès le 1er septembre, permettrait une nette amélioration dans le traitement des dossiers. Actuellement, les mutuelles étudiantes reçoivent une information de la part de l’établissement d’enseignement supérieur qui est chargé de recueillir le choix de son centre de gestion par l’étudiant. Ces informations sont fournies sous des formats variables, éventuellement via un formulaire papier qui n’a pas été actualisé depuis trente ans. Alors que les inscriptions s’effectuent le plus souvent au début de l’été, l’affiliation au régime étudiant ne débute qu’à compter du 1er octobre et les établissements transmettent les informations selon leur bon vouloir, parfois plusieurs semaines après cette date théorique d’ouverture des droits. En outre, l’ensemble des inscriptions arrivent sur une période courte dans l’année, ce qui crée un pic d’activité très important. Il existe donc une première série de difficultés au moment de l’affiliation.
Le régime étudiant est un régime de transition. Par définition, les jeunes n’y étaient pas inscrits avant de commencer leurs études supérieures. C’est la « mutation inter-régimes ». Ce seul fait engendre une lourdeur administrative, le régime étudiant se voyant dans l’obligation de récupérer les informations de la caisse antérieure. Aussi ai-je tendance à penser que la fusion des deux mutuelles étudiantes en un régime unique global permettrait une amélioration, tout en conservant l’objectif d’autonomie de 1948.
Mon souhait n’est pas de mettre fin à la délégation de service public, car on ne peut nier l’utilité de la sécurité sociale étudiante : elle développe des couvertures sanitaires adaptées aux problématiques étudiantes, mène des campagnes d’information ainsi que des actions de prévention indispensables. Il est temps en revanche de mettre fin à la concurrence à laquelle se livrent trop souvent les deux organismes. La situation est devenue intolérable et le statu quo n’est plus envisageable. Cette concurrence, « commerciale » voire sauvage, est préjudiciable aux étudiants eux-mêmes.
À son tour, la Cour des comptes a pointé les défaillances du système et l’insatisfaction des étudiants. Les deux rapports convergent. Les pouvoirs publics doivent maintenant se saisir de ce besoin réel de réformer en profondeur le système de sécurité sociale des étudiants.
La revendication originelle de 1948 d’un régime spécifique unique intégré à la sécurité sociale et géré démocratiquement par des étudiants reste, me semble-t-il, toujours d’actualité. Cependant, la fin de cette dualité permettrait – ce n’est pas inintéressant – de supprimer des surcoûts de gestion importants pour le régime étudiant. Il serait donc tout à fait envisageable que les mutuelles étudiantes se regroupent. Elles conserveraient l’accueil physique, les courriers et les réclamations, et l’assurance maladie liquiderait les prestations, assurerait les contrôles et la gestion des fraudes, voire gérerait les affiliations en ce qui concerne le répertoire national inter-régimes ou les cartes Vitale. Comme nous l’avons souligné avec Catherine Procaccia dans notre rapport, cette solution présenterait des avantages indéniables.
Je suis convaincu, mes chers collègues, que nous devons au minimum nous diriger vers une telle solution : pas de big-bang, mais une amélioration sensible des modalités de gestion. Car, aujourd’hui, la complexité du système dessert en réalité l’autonomie de l’étudiant : les parents sont dans l’obligation, lorsqu’ils le peuvent, d’aider leurs enfants face au véritable fatras auquel ils sont confrontés.
Il apparaît aussi clairement que le mutualisme étudiant manque cruellement des moyens nécessaires au bon accomplissement de ses missions de service public que sont la prévention et l’éducation à la santé. Ce sous-financement est, semble-t-il, lié au mode de calcul retenu par la CNAMTS, la Caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés, dans le cadre de la remise de gestion accordée aux mutuelles. Ainsi, seul 1, 3 euro par an et par étudiant est prévu en matière de prévention.
Par ailleurs, des mesures ont été prises ces dernières années qui pèsent lourdement sur la gestion des mutuelles étudiantes. Ainsi, les frais de gestion sont estimés à 13, 7 % des remboursements, contre 4, 5 % pour l’assurance maladie. La taxe spéciale sur les contrats d’assurance, qui était de 3, 5 % le 1er janvier 2011 et qui a été relevée à 7 % depuis le 1er octobre, est venue s’ajouter à la taxe CMU de 6, 27 %. L’État prélève au final 13 euros sur les 100 euros de cotisation versés par un étudiant à sa mutuelle.
Le Sénat, l’UFC-Que Choisir et la Cour des comptes ont tiré la sonnette d’alarme. Aujourd’hui, le moment est propice à une réforme.
La mesure la plus urgente serait vraisemblablement l’attribution d’un chèque santé national, dont le montant reste à définir, mais qui pourrait être compris entre 100 et 200 euros. Des collectivités locales, notamment certains conseils régionaux, l’ont mis en place avec succès. Je pense au conseil régional d’Île-de-France et au conseil général de Loire-Atlantique. Ce dispositif mériterait, au nom de l’équité territoriale et de l’égalité de tous devant la santé, d’être repris par l’État. D’ailleurs, dès 2006, un député, nommé par la suite ministre, Laurent Wauquiez, proposait sa création dans un rapport. François Hollande avait lui-même souhaité ouvrir une concertation sur l’extension du chèque santé. Il me semble que nous pouvons dès ce soir poser cette question.
Dans le même esprit, l’aide à l’acquisition d’une complémentaire santé serait un levier important pour favoriser l’accès aux soins des étudiants. Néanmoins, des critères d’attribution particulièrement restrictifs – indépendance fiscale, décohabitation, absence de pension alimentaire – constituent un frein à son accès.
Il est important de noter que, en dix ans, le coût de la sécurité sociale étudiante a augmenté de plus de 17 %. Pourtant, le budget de rentrée d’un étudiant est toujours aussi serré. Ayons toujours à l’esprit, mes chers collègues, qu’agir aujourd’hui pour enrayer la dégradation de l’état sanitaire des étudiants, c’est éviter des dépenses supplémentaires demain à notre système de protection sociale.