Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, sans vouloir paraître grandiloquente ou politiquement incorrecte, il est évident que, sur ce dossier, il y a quelque chose à changer. La sécurité sociale, me disait un ancien étudiant, c’est Kafka !
Les étudiants sont trois fois moins couverts par une complémentaire santé que la moyenne de la population française : 19 % n’ont en effet pas de complémentaire santé, alors que la moyenne nationale se situe aux alentours de 6 %. Une fois ce constat fait, on doit impérativement s’interroger sur les raisons de l’exclusion des étudiants du dispositif de l’ACS, l’aide à l’acquisition d’une complémentaire santé, alors qu’ils y sont éligibles et contribuent à son financement.
Pour rappel, comme cela a été dit, l’aide à l’acquisition d’une complémentaire santé consiste en une réduction forfaitaire du montant de la cotisation annuelle à payer à l’organisme auprès duquel est contractée la complémentaire santé. En pratique, la caisse primaire d’assurance maladie remet à l’assuré qui le demande et qui remplit les conditions d’éligibilité une attestation, un « chèque », qu’il fournit à l’organisme de son choix – mutuelle, assurance ou institution de prévoyance –, chèque dont le montant varie selon l’âge du bénéficiaire. L’organisme choisi déduit alors l’aide obtenue du montant de la cotisation.
Les étudiantes et les étudiants boursiers sont par définition éligibles à l’aide à l’acquisition d’une complémentaire santé puisque leurs revenus correspondent aux barèmes de l’ACS, laquelle est destinée aux foyers fiscaux dont les revenus n’excèdent pas 35 % du plafond de la CMU, soit 11 600 euros en 2013. Toutes et tous devraient donc en bénéficier, pour un montant de 200 euros par ans, comme c’est le cas pour les autres bénéficiaires âgés de seize à quarante-neuf ans. Cependant, ils en sont de facto exclus.
Trois verrous réglementaires cumulatifs engendrent un taux de recours quasi nul : l’obligation de justifier d’un logement indépendant, or 41 % des étudiants n’en disposent pas ; l’obligation de ne pas percevoir de pension alimentaire de la famille, or 73 % d’entre eux déclarent que l’aide familiale est leur première source de revenu ; l’obligation d’être indépendant fiscalement, or 82 % des étudiants ne le sont pas. Cumulées, ces conditions aboutissent au fait que, parmi les étudiants âgés de seize à vingt-neuf ans, seuls 1, 3 % d’entre eux pourraient en bénéficier.
Deux injustices inhérentes au système aggravent encore la situation.
Tout d’abord, le montant de la bourse sur critères sociaux entre dans l’assiette des revenus pris en compte pour l’instruction de la demande d’ACS. Obtenir une bourse réduit les chances d’obtenir l’ACS, parfois même pour la famille entière, ce qui est pour le moins paradoxal.
Ensuite, alors que les étudiants financent l’ACS par le biais de la taxe CMU par un prélèvement de 6, 27 % sur leur complémentaire santé affecté au fonds CMU, lequel est la seule source de financement de l’ACS, ils en sont exclus. Ils payent mais n’en profitent pas !
Pour toutes ces raisons, il est incompréhensible que l’ACS ne bénéficie pas aux étudiants boursiers. Selon nous, ouvrir cette possibilité constituerait un formidable levier de promotion de la santé pour les étudiants. Les interventions de nos collègues ont d’ailleurs montré à quel point cela est nécessaire. Une telle mesure favoriserait également l’autonomie en donnant aux étudiants les moyens de s’équiper d’une complémentaire santé propre et de mieux gérer leur santé. En outre, ce dispositif serait neutre pour les finances publiques.
Il est à relever – cela a été dit précédemment – que plusieurs initiatives ont été développées par des collectivités territoriales pour pallier les lacunes des dispositifs existants. Par exemple, la région Pays de la Loire a lancé à la rentrée de 2011 un « pass complémentaire santé », dont le montant peut s’élever jusqu’à 100 euros pour l’acquisition d’une première complémentaire. Au cours de l’année universitaire 2012-2013, 7 000 jeunes en ont bénéficié.
Pour simplifier encore l’accès aux droits sociaux, j’appelle l’attention sur le remarquable rapport remis par notre collègue Aline Archimbaud, dans lequel elle propose que la demande puisse se faire au moment où l’étudiant remplit en ligne le dossier social, c’est-à-dire en amont. Cette demande est en effet une démarche connue de la quasi-totalité des étudiants et des familles. Elle pallierait donc le manque de notoriété du dispositif ACS. On pourrait même imaginer une automaticité entre l’obtention d’une bourse sur critères sociaux et de l’ACS.
L’article 45 du projet de loi de financement de la sécurité sociale semble aller en ce sens en indiquant que « les étudiants bénéficiaires de certaines prestations mentionnées à l’article L. 821-1 du code de l’éducation, déterminées par arrêté des ministres chargés de l’enseignement supérieur et de la sécurité sociale, peuvent bénéficier, à titre personnel, de la protection complémentaire ». La question est de savoir quand cet arrêté interviendra et ce qu’il prévoira exactement, car nous n’avons à ce stade aucune certitude sur la portée de ce qui a été voté par nos collègues de l’Assemblée nationale. J’espère en tout cas qu’il ne s’agira pas finalement de n’ouvrir l’ACS qu’aux étudiants en « rupture familiale », dont le nombre ne s’élèverait qu’à 500 ou 1 000 chaque année, même si leur situation doit être prise particulièrement au sérieux. Malgré tout, cela constitue un signal encourageant, ne serait-ce que parce que c’est la première fois qu’un gouvernement reconnaît les difficultés des étudiants pour accéder à l’ACS et à la CMU complémentaire.
Un autre espoir réside dans les décrets relatifs à l’accord national interprofessionnel, qui sont en cours de rédaction, puisque l’ANI reconnaît que tout salarié doit avoir accès une complémentaire santé. Cependant, la plupart des emplois précaires vont a priori être exclus du champ d’application de ce texte. La majorité des étudiants qui ont un emploi « à côté » ne devraient donc pas être protégés à ce titre.
Un espoir est-il encore permis en la matière ? Bien sûr, cela induirait un changement significatif dans la structuration du système actuel concernant les étudiants. Cependant, la santé de nos étudiants n’est ni de gauche ni de droite ; c’est la santé « tout court ». Ce sujet ne doit pas nous diviser. Il faut aligner le régime des étudiants le plus possible sur le droit commun, les insérer dans une protection sociale inclusive et non exclusive, afin d’éviter les dérapages et les ratés qui ont pu être constatés au fil du temps. Il faut instaurer une vraie prévention pour nos étudiants.
Madame la ministre, les étudiants vous regardent. Ils comptent sur vous. Nous devons répondre à leur attente.