Intervention de Charles Revet

Réunion du 4 décembre 2013 à 18h00
Débat sur les perspectives d'évolution de l'aviation civile à l'horizon 2040 : préserver l'avance de la france et de l'europe

Photo de Charles RevetCharles Revet :

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président et monsieur le rapporteur de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, mes chers collègues, il est des débats dont l’objet prête davantage à la polémique et aux projections alarmistes que ce débat sur les perspectives d’évolution de l’aviation civile à l’horizon de 2040. Contrairement à d’autres sujets afférents aux problématiques environnementales et énergétiques ou à des choix scientifiques, nous n’aurons pas à dresser un catalogue de chiffres ou de signaux catastrophiques, ni à nous cacher derrière des objectifs inatteignables, comme cela peut être le cas lors d’autres débats.

Il convient donc, en évoquant les progrès réalisés par l’aviation civile depuis un demi-siècle, de reconnaître la place de la France et de l’Europe dans ce développement.

Le premier progrès, parfaitement décrit dans le rapport de notre collègue Roland Courteau, concerne la rationalisation des mouvements aériens, grâce, d’une part, à l’augmentation des capacités d’emport et, d’autre part, à la croissance du taux de remplissage des avions qui est passé de 55 % en 1970, à 75 % en 2010. Grâce à cette rationalisation, nous observons une relative stabilité des mouvements aériens au cours des vingt dernières années, alors même que le trafic de passagers et de fret a considérablement augmenté.

De la même manière, nous constatons que l’efficacité énergétique a été multipliée par deux. Nous constatons également une nette diminution des nuisances sonores. Enfin, et c’est sans doute la donnée la plus satisfaisante, le taux d’accident fatal par million de décollages est passé de 40 en 1955 à 0, 7 en 2010.

Tous ces chiffres témoignent des avancées technologiques incontestables réalisées depuis un demi-siècle, avancées technologiques auxquelles l’industrie aéronautique française et européenne a pris une part considérable.

Que nous apprennent ces chiffres sur les enjeux auxquels nous allons être confrontés ?

Nous savons, à la lecture du rapport sur les perspectives de l’aviation civile, que le transport de passagers dépassera au moins les 60 millions de passagers en 2030 avec une estimation haute à 80 millions de passagers. Le transport de fret connaîtra une croissance similaire de l’ordre de 15 % à 25 % d’ici à 2030.

Cependant, les progrès que réalise le secteur – industriels et compagnies aériennes – nous permettent d’entrevoir l’avenir avec une relative sérénité.

Certes, la hausse du volume de passagers et de fret transporté conduira à une hausse des mouvements aériens, mais le processus de rationalisation n’est pas encore totalement achevé.

En outre, la demande supplémentaire occasionnée par la hausse du fret et du transport de voyageurs ne conduira pas à une explosion de la consommation de carburant. Rappelons que la consommation des derniers appareils permet de descendre sous les trois litres aux cent kilomètres par passager, et qu’Airbus se lance dans un projet d’avion hybride.

Une autre interrogation porte sur les risques d’accident. Sur ce point, il est clair qu’il n’existe aucun rapport de causalité entre la quantité de mouvements aériens et le nombre d’accidents.

Enfin, sur les pollutions et notamment sur les nuisances sonores, la prise de conscience s’est accompagnée de mesures fortes avec, bien sûr, la limitation du trafic de nuit. La demande pourra donc être satisfaite sans contribuer à la hausse des pollutions, des nuisances sonores et des accidents.

Aussi, il ne faut pas craindre la hausse du transport de voyageurs et de fret, car l’industrie aéronautique et les compagnies de transport pourront y répondre.

Certes, on nous parle de saturation de la navigation aérienne ou de l’impossibilité d’étendre les capacités aéroportuaires à proximité de très grandes villes, mais ces défis, que ne manque pas de souligner le rapport de Roland Courteau, toucheront prioritairement les pays émergents qui présentent les demandes en infrastructures les plus élevées.

Une autre question se pose alors : l’industrie aéronautique française et européenne aura-t-elle sa place dans l’aviation civile des années 2020 à 2050 ? Sans excès d’optimisme, je répondrai immédiatement par l’affirmative. Cependant, son avenir nécessite de relever plusieurs défis : construire des avions moins gourmands en énergie, plus gros et qui aillent plus loin.

S’agissant de la taille des avions, la compagnie Airbus a clairement une longueur d’avance avec l’Airbus A380-800 qui peut transporter au minimum cent passagers de plus que son principal concurrent le Boeing 747-81.

En ce qui concerne le rayon d’action, facteur de désengorgement des aéroports et de diminution de la pollution, Airbus dispose, là aussi, d’une courte avance sur ses concurrents, puisque l’Airbus A350-900R a une autonomie nettement supérieure à celle du Boeing 777, à l’exception d’une de ses versions. Notons d’ailleurs que la question de l’autonomie en vol sera sûrement le critère le plus déterminant quant à la compétitivité des constructeurs aéronautiques.

Enfin, sur le point de la consommation, Airbus possède là encore une carte à jouer grâce à son programme NEO, qui fera de l’Airbus A320 le biréacteur long-courrier le plus performant au monde avec une consommation pouvant atteindre 2, 4 litres aux cent kilomètres par passager.

Ces avantages certains sont encourageants pour les dix, vingt ou trente prochaines années, mais peut-on se projeter encore davantage dans l’avenir ? Là aussi, il me semble possible de pouvoir répondre positivement.

L’aéronautique européenne peut se projeter sans crainte dans l’avenir. La meilleure illustration de cette confiance est l’obtention du prix GreenTec Award 2013, catégorie « aviation », par Airbus, qui souhaite intégrer la technologie de la pile à combustible en tant que source d’énergie alternative dans les avions civils. Ajoutons également l’E-Airbus, un avion régional à propulsion hybride, qu’EADS espère voir entrer en service à l’horizon de 2030.

Un dernier mot, enfin, sur la relocalisation du siège social d’Airbus à Toulouse, symbole de l’enracinement de cette entreprise de dimension mondiale, ainsi que sur son changement de nom, puisque EADS a adopté « Airbus » comme dénomination officielle, ce qui ne manquera pas de faciliter la visibilité de la société.

Toutes ces données nous permettent donc d’envisager l’avenir de l’industrie aéronautique européenne avec une certaine sérénité, mais parler de l’aviation civile française et européenne et de son avenir à l’horizon de 2040, c’est aussi parler du sort qui sera réservé aux principales compagnies européennes.

Depuis l’après-guerre, les grandes compagnies nationales européennes ont toujours réussi à se maintenir dans le peloton de tête des principales compagnies aériennes internationales. Si ces compagnies doivent affronter aujourd’hui une concurrence en pleine expansion, notamment de la part des compagnies des pays émergents, trois groupes européens figurent toujours dans les dix plus grandes compagnies internationales : Lufthansa, Ryanair et Air France-KLM. Malheureusement, il n’est pas certain que les compagnies aériennes européennes puissent rivaliser encore longtemps avec leurs concurrents extra-communautaires.

Le premier problème réside dans la difficulté de continuer à se développer sur le marché européen. Trois facteurs expliquent cette situation. Tout d’abord, les grandes compagnies historiques viennent seulement de prendre la mesure de la concurrence des compagnies low cost. Cependant, il sera difficile de regagner les parts de marché perdues, d’autant que la croissance économique du marché est quasi nulle.

En outre, elles font face à un problème inhérent à l’ensemble des activités économiques en Europe : le coût. Vous l’aurez compris, le développement des compagnies européennes historiques, sur le sol européen, ne peut plus se poursuivre.

La deuxième difficulté à laquelle les compagnies européennes sont confrontées, qu’il s’agisse de compagnies historiques ou de nouveaux opérateurs, est l’imperméabilité des marchés émergents. Cette absence dans les pays émergents résulte, là aussi, de coûts opérationnels trop importants auxquels s’ajoutent les barrières juridiques, et notamment l’impossibilité de composer librement le capital de sa filiale, comme cela peut être le cas en Asie.

Enfin, le dernier nuage dans le ciel de nos compagnies européennes tient au caractère inéquitable de la concurrence entre les compagnies européennes et certaines compagnies asiatiques.

Si les compagnies d’Extrême-Orient opposent une belle concurrence sur leur sol – ce qui n’est pas surprenant –, les compagnies du Moyen-Orient ont, quant à elles, développé des stratégies de développement beaucoup plus agressives et beaucoup plus dangereuses pour les compagnies européennes. Ces compagnies sont subventionnées par des États qui sont prêts à tout pour augmenter leur visibilité. Ces compagnies s’appuient également sur une logistique et des plates-formes essentiellement présentes dans leurs pays d’origine et avec lesquelles nos compagnies ne peuvent pas rivaliser en termes de coûts.

Dans ce contexte, les compagnies européennes ne disposent pas d’une pluralité de solutions. Elles devront relever plusieurs défis dans un laps de temps extrêmement réduit.

Elles doivent d’abord rationaliser leurs dépenses. Tel est notamment l’objectif du plan Transform 2015 du groupe Air France, qui tente de concilier le maintien des grandes lignes dans son périmètre d’activité avec une baisse des coûts. La mise au point de ce plan n’a pas été chose facile, en raison notamment de la nécessité de procéder à une rationalisation des effectifs.

Mais existent également des coûts externes dont les compagnies ne sont pas responsables. Dans ce cas, la compétitivité des compagnies européennes dépendra de la capacité de la France et, plus généralement, des institutions européennes à favoriser le développement d’infrastructures de qualité, notamment en ce qui concerne la navigation aérienne, les aéroports et la distribution, le tout à un coût raisonnable par rapport à ceux pratiqués dans les autres régions du monde.

Songeons, par exemple, que l’aéroport Paris-Charles-de-Gaulle est au troisième rang mondial en matière de taxe aéroportuaire, juste derrière Londres-Heathrow et Francfort. Or les taxes aéroportuaires sont un élément déterminant dans la compétition que se livrent les compagnies, car toutes ne sollicitent pas les mêmes aéroports.

C’est à ce prix que nous paierons le développement, et peut-être aussi la survie, des grands groupes européens. Soit les efforts sont consentis, et alors les groupes poursuivront leur développement, soit nous restons les bras ballants et, dans ce cas, ils continueront d’être victimes de distorsions de concurrence.

Vient ensuite la problématique récurrente de l’insécurité juridique, dont le meilleur exemple est la suspension de l’application du système européen d’échange de permis d’émissions aux vols extra-communautaires.

Le dernier défi que devront relever les compagnies européennes est l’amélioration de la compétitivité produit. Les États n’y pourront rien. Les compagnies européennes devront capitaliser sur le prestige qui est attribué à l’Europe.

En fin de compte, il n’est pas difficile d’entrevoir quels sont les atouts et les handicaps de l’aviation civile française et européenne pour affronter la concurrence internationale. Notre industrie aéronautique sera prête à relever les défis technologiques, environnementaux et économiques qui s’offrent à elle, parce que l’innovation lui permettra de préserver son rang.

En revanche, il est temps de se pencher avec plus d’attention sur le sort des compagnies aériennes, dont on ne peut exiger concomitamment le développement international et le maintien de l’emploi sans leur fournir les infrastructures indispensables à leur développement. N’oublions pas que la préservation d’une grande compagnie nationale est un élément de puissance indispensable pour n’importe quel État, aussi bien d’un point de vue pratique que sur le plan symbolique, comme élément d’influence et de soft power. Il convient donc de mettre notre compagnie nationale dans les meilleures dispositions possibles.

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