La séance est ouverte à dix-huit heures cinq.
Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
M. le président du Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courrier en date du 4 décembre 2013, le texte de deux décisions du Conseil constitutionnel qui concernent la conformité à la Constitution :
- de la loi organique relative au Procureur de la République financier,
- de la loi relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière.
Acte est donné de ces communications.
M. le président du Sénat a reçu de Mme la ministre chargée des petites et moyennes entreprises, de l’innovation et de l’économie numérique le rapport relatif aux conditions d’exécution par La Poste de sa mission de service universel postal, établi en application de l’article L. 2 du code des postes et communications électroniques.
Acte est donné du dépôt de ce rapport.
Il a été transmis à la commission des affaires économiques.
M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le 4 décembre 2013, qu’en application de l’article 61–1 de la Constitution la Cour de cassation a adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l’article L. 3222–3 du code de la santé publique (Dispositions relatives aux soins psychiatriques sans consentement) (2013–367 QPC).
Le texte de cette décision de renvoi est disponible à la direction de la séance.
Acte est donné de cette communication.
L’ordre du jour appelle le débat sur les perspectives d’évolution de l’aviation civile à l’horizon 2040 : préserver l’avance de la France et de l’Europe.
La parole est à M. le président de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est à la demande du bureau du Sénat, en juin 2011, que l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, l’OPECST, a été saisi d’une étude sur « Les perspectives de l’aviation civile à l’horizon 2040 : préserver l’avance de la France et de l’Europe ».
M. Roland Courteau, vice-président de l’Office, a aussitôt été désigné comme rapporteur, et a présenté un rapport de faisabilité en février 2012.
Pour mener à bien cette étude au thème ambitieux, le rapporteur a procédé à des auditions, effectué plusieurs déplacements en France métropolitaine ainsi qu’à Bruxelles, en Allemagne, aux États-Unis et au Canada.
Au terme de près de deux années d’investigations, c’est en juin 2013 que le rapporteur a présenté à l’Office un projet de rapport, fondé sur huit constats conduisant à douze recommandations, qui a été adopté à l’unanimité des membres présents, puis publié.
Ce rapport a bénéficié d’un certain écho dans la presse.
Le présent débat, d’abord inscrit à l’ordre du jour du Sénat pour le 15 octobre 2013, était attendu, car le dynamisme du secteur de l’aviation civile française, en cohérence avec l’évolution rapide de ce secteur au niveau mondial, est porteur de leçons, particulièrement en ces temps de morosité.
D’un point de vue plus formel, le président de l’Office ne peut que se féliciter de l’organisation de tels débats à la suite de l’adoption de tout nouveau rapport par l’Office, dès lors que celui-ci en souhaite l’organisation et que la conférence des présidents veut bien accéder à cette demande.
En effet, les thèmes de fond qui sont confiés à l’Office par les bureaux des assemblées ou les commissions – pour l’avenir de l’aviation civile, il s’agit, je le rappelle, d’une saisine émanant du bureau du Sénat – demandent des investigations très poussées destinées à éclairer l’ensemble des parlementaires, députés comme sénateurs, sur des questions scientifiques et techniques. Cela permet d’aborder ensuite, le plus en amont possible, les votes politiques intervenant sur ces questions complexes déjà débroussaillées, oserais-je dire, par cette sorte d’éclaireur qu’est l’Office.
À ce propos, permettez-moi de rappeler que la qualité des travaux de l’OPECST est directement liée au respect d’une méthode de travail qui lui est propre, et maintenant confortée par une expérience d’une trentaine d’années.
Cette méthode consiste à entendre toutes les parties prenantes, à retracer les arguments présentés, puis à avoir quelques mois plus tard, en séance plénière de l’Office, un débat approfondi à partir de données scientifiques et techniques analysées aussi finement que possible et éclairées par les explications du rapporteur.
De plus en plus souvent, à mi-parcours, une journée d’auditions publiques est organisée afin de permettre à divers acteurs particulièrement significatifs de confronter leurs points de vue et de répondre aux questions des membres de l’Office.
Cette journée est fréquemment retransmise en direct par une chaîne parlementaire ou, à tout le moins, enregistrée en vidéo pour être consultée sur les sites des assemblées.
Enfin, préalablement à l’examen d’un rapport par l’Office, j’insiste auprès de ses membres sur l’importance de la présence du maximum d’entre eux pour que, si possible, priorité soit donnée à l’Office dans les agendas parlementaires à un moment clé de sa mission.
Le maintien de cette méthode traditionnelle d’élaboration des rapports est le gage de la réputation d’excellence de l’OPECST, qui, à ce jour, a publié cent soixante-deux rapports, dont la plupart ont été assortis de recommandations et, pour nombre d’entre eux, des comptes rendus des auditions.
Je suis, en tant que président, le garant de l’observation de ces règles qui ont fait leurs preuves.
Pour ce qui concerne le présent rapport, permettez-moi de rendre hommage à la précision du travail de rapporteur réalisé par notre collègue Roland Courteau, dont c’est le sixième rapport pour l’Office. En effet, ce rapport succède, pour lui, à des travaux sur la pollution de la Méditerranée, en 2013 et au début de 2011, sur l’éventualité d’un tremblement de terre en France, en 2010, …
Quant au fond du rapport, sans empiéter sur les développements bien plus techniques du rapporteur, je voudrais souligner que l’observation de mécanismes de l’innovation, particulièrement à l’œuvre dans l’aviation civile, fait partie des thèmes de réflexion favoris de l’Office. Il a ainsi réalisé en 2012 un rapport sur ce sujet, dont les auteurs étaient les députés Claude Birraux et Jean-Yves Le Déaut, intitulé L’innovation à l’épreuve des peurs et des risques.
L’aviation civile est née de la créativité et du talent d’ingénieurs français, manifestés dès le début du XXe siècle. La remarquable faculté d’adaptation dont ils ont su faire preuve depuis lors a permis l’essor, sur notre sol, d’une industrie de renommée et de rang mondiaux, de très haut niveau technologique, au service, notamment, d’un transport aérien dynamique et de qualité. Loin de s’endormir sur leurs lauriers, les inventeurs et les industriels, souvent aidés de la puissance publique, ont continué leur course en tête du point de vue tant des technologies de pointe que de la capacité d’innovation.
Dans un tel contexte, il importe qu’aucune entrave ne soit mise à la poursuite d’un tel élan, marqué par une recherche de pointe, des découvertes et des innovations de conception nombreuses dans un domaine où l’industrie française et européenne est aujourd’hui unanimement considérée comme un acteur majeur.
Indépendamment du souhait de poursuite des tendances actuelles les plus favorables jusqu’en 2040, il est prévisible que, à l’avenir, les nécessités accrues d’un développement durable, d’hommes de mieux en mieux formés et la survenue de multiples évolutions, dont certaines de rupture, conduiront probablement à reconsidérer nombre de paramètres ayant fondé les conclusions de ce rapport.
Quelles que soient les précautions prises et la justesse de certaines anticipations, l’année 2013 ne saurait constituer qu’un fugitif moment d’observation. Au cours de ce moment, la fertilisation croisée des inventions et des techniques, l’imbrication de multiples choix – publics ou privés effectués séparément, et aussi privés et publics réalisés ensemble – dessinent au quotidien l’aviation de demain.
On se prend alors à rêver de drones permettant quelques incursions dans le futur, pour nous aider à y tracer, pour les générations à venir et avec elles, la meilleure trajectoire du voyage vers 2040 grâce au carburant renouvelé de nos imaginations. §
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en quarante ans, les progrès de l’aviation civile ont été spectaculaires dans chacun des segments d’un secteur devenu central pour l’économie française. Cette position, doit-on le rappeler, est le résultat de plusieurs dizaines d’années d’efforts conjugués de l’État, des industriels et des chercheurs.
Néanmoins, face au durcissement de la concurrence internationale et aux défis du transport aérien, la question qui m’a été posée par l’OPECST et son président est la suivante : la France et l’Europe pourront-elles préserver leur avance, à vue d’une génération, dans le champ industriel directeur de l’aviation civile, sachant que l’avenir de ce secteur de pointe de notre industrie se décide aujourd’hui ?
Je me suis donc efforcé, dans mon rapport n° 658 du Sénat et n° 1133 de l'Assemblée nationale, de discerner les défis auxquels ce secteur sera confronté d’ici à 2040 et d’examiner les réponses scientifiques et technologiques qui pourront leur être apportées, ainsi que les axes d’évolution du financement de l’effort de recherche.
Je rappelle d’emblée que le transport aérien a accompli d’immenses progrès en 40 ans : le nombre de passagers a été multiplié par 10, le volume du fret par 14, la consommation de carburant a été réduite de moitié – un A380 rempli à 80 % ne consomme que 3 litres aux 100 kilomètres par passager –, le bruit a été réduit par 8. Depuis 1986, la sécurité des vols, mesurée par le nombre d’accidents mortels, a été améliorée et divisée par 5.
Pour la France, l’aviation civile est une industrie majeure : elle représente 330 000 emplois directs, 1 million d’emplois directs et indirects, 75 milliards d'euros de chiffre d’affaires, 18 milliards d'euros d’exportations. C’est également une industrie qui a un très fort pouvoir de diffusion transversale de ses innovations technologiques sur l’ensemble du tissu industriel français.
Qu’en sera-t-il dans trente ans ? La question est loin d’être facile.
Sur la base de 2, 5 milliards de passagers en 2010 et d’un taux de progression de 4, 6 % à 4, 8 %, on escompte un doublement du trafic entre 2030 et 2040. Cette croissance confrontera l’aviation civile à plusieurs défis : la baisse de la consommation unitaire des avions dans un contexte prévisible d’augmentation des prix du carburant, les capacités d’accueil des aéroports, l’apparition d’un nouvel acteur, les drones civils.
Pour faire face à ces défis, un déploiement très important de compétences scientifiques et technologiques est nécessaire. Je précise que ces avancées devront progresser frontalement, faute de quoi des goulets d’étranglement apparaîtront.
Parallèlement, une autre question se pose. Les avions qui seront lancés en 2025–2030 et qui succéderont aux modèles sortis récemment ou en voie d’être lancés seront-ils conçus, comme par le passé, sur la base d’une poussée technologique qui atteint certaines limites ou sur la base de ruptures technologiques fortes ?
Plusieurs domaines de la construction aéronautique sont concernés.
Les architectures n’ont que peu évolué depuis soixante ans. Des pistes sont explorées en vue d’une rupture sur ce point : aile haubanée, aile rhomboédrique, aile volante. Toutefois, il n’est pas assuré qu’elles puissent déboucher sur des applications pratiques avant 2030.
La propulsion intégrée, c’est-à-dire l’inclusion des moteurs au fuselage et non plus sur les ailes, offre probablement des perspectives de mise en œuvre moins lointaines.
Pour la motorisation des turboréacteurs, les améliorations à venir pourraient porter d’abord sur les parties chaudes du moteur : amélioration du cycle de combustion, substitution des céramiques à certaines parties métalliques, en vue de gains de masse. Elles pourront concerner aussi les parties « froides » des moteurs, qui sont essentielles à l’efficacité de la propulsion. Dans ce cadre, les moteurs à hélices contrarotatives permettraient des gains bruts de combustion de l’ordre de 30 %.
L’introduction de cette technologie pose cependant différents problèmes. L’absence de carène augmente la traînée, diminue l’aérodynamisme et augmente le bruit.
En outre, l’inclusion croissante de composites dans l’aérostructure – 5 % pour l’A320, 53 % pour l’A350 – est un facteur de gain de masse décisif. Rappelons qu’une tonne économisée dans l’aérostructure aboutit à économiser 6 000 tonnes de kérosène sur la durée de vie de l’avion.
Cette technologie pose néanmoins des problèmes, d’une part, de foudroiement, car les composites ne forment pas une cage de Faraday, ce qui oblige à les « grillager », réduisant les gains de masse, d’autre part, de vieillissement, car la vie des composites dans les conditions d’usage d’un avion est beaucoup moins documentée sur la durée que celle de l’aluminium.
Un autre problème se pose : le doublement escompté du trafic ferait passer la demande mondiale en kérosène de 250 millions de tonnes à 500 millions de tonnes par an. Ce surcroît de demande pourrait être « lissé » par les progrès technologiques et la modernisation de la navigation aérienne.
En tout état de cause, un besoin annuel de 100 millions de tonnes de kérosène subsistera, dont on ignore s’il pourra être satisfait par l’offre mondiale d’hydrocarbures.
Au vu de ce constat, il est donc nécessaire de développer les biokérosènes.
La première génération de production de biokérosène par hydrotraitement des huiles en est au stade de la démonstration industrielle ; elle permet une réduction nette de 30 % des émissions de gaz à effet de serre, mais a l’inconvénient d’entrer en concurrence avec les usages agricoles. Une remarque s’impose : la fabrication du biokérosène nécessaire au trafic aérien de l’Union européenne représenterait une mobilisation de 24 % des terres agricoles.
La seconde génération de production de biokérosène par gazéification de la biomasse est plus prometteuse : 60 % de réduction des émissions de CO2 et 8 % des terres agricoles mobilisées. Toutefois, son déploiement repose sur des investissements très coûteux dont le retour financier pourrait être supérieur à dix ans.
Les biokérosènes de troisième génération fabriqués à partir de microalgues n’ont pas les inconvénients des deux premières filières. Cependant, cette filière n’est pas mûre technologiquement et aboutit à des prix de référence trop élevés pour le moment, entre 3 euros et 6 euros le litre, alors que le coût du litre de kérosène fossile est de l’ordre de 0, 7 euro.
Concernant les aéroports, il y a peu de recherches sur les possibilités d’accroissement de leurs capacités d’accueil. Je mentionnerai une idée originale qui nous vient des États-Unis, celle d’un « béton mou » dans lequel les avions s’enlisent graduellement, ce qui permettrait de raccourcir les dégagements prévus en cas de problèmes au décollage ou à l’atterrissage.
Par ailleurs, la navigation aérienne est le segment de la chaîne de valeur de l’aviation civile qui pourrait poser le plus de problèmes en cas d’accroissement du trafic.
L’Union européenne a lancé un programme de modélisation, SESAR. Ce système repose sur le positionnement numérisé en quatre dimensions des avions, qui, à terme, devrait permettre d’optimiser leur trajectoire. La mise en œuvre de ce programme dont la réalisation s’étalera jusqu’en 2025 suscite néanmoins des interrogations. Il est très coûteux pour les compagnies aériennes, qui devraient supporter 23 milliards d’euros d’équipement et surtout de rééquipement des avions sur les 30 milliards d'euros du coût du déploiement des installations.
Enfin, je tiens à rappeler que les progrès accomplis par l’aviation civile française et européenne ne sauraient l’être sans d’importants soutiens publics, qui existent aussi aux États-Unis et en Chine. Quelle est la situation sur ce point ?
Si le niveau et les procédures de financement européens sont satisfaisants, sous réserve de la poursuite de l’effort commun, dans le cadre du huitième programme-cadre de recherche et de développement 2014-2020, on observe une altération inquiétante des soutiens publics nationaux, probablement à la suite de l’allocation au secteur des fonds du Grand emprunt, dont l’aviation civile a, certes, bénéficié, mais pas plus que d’autres industries.
Cela étant précisé, j’insisterai de nouveau sur l’importance de la charnière 2025–2030, et ce pour deux raisons. D’une part, c’est à ce moment-là que des goulets d’étranglement pourraient se manifester : disponibilité et prix des combustibles fossiles, capacité d’accueil des aéroports, risques de thrombose du contrôle aérien. D’autre part, c’est à ce moment-là que sortiront de nouveaux modèles d’avions destinés à passer le demi-siècle et à succéder aux avions qui arrivent sur le marché. Or, compte tenu de constantes de temps d’innovation relativement longues dans ce secteur, les « briques technologiques » nécessaires au lancement de ces avions doivent se préparer dès maintenant.
Si les industriels doivent prendre leur part dans cet effort de recherche, ils ne peuvent l’assumer seuls, en raison d’une concurrence très agressive et très aidée publiquement des États-Unis et de la Chine.
D’où ma première proposition, qui consiste à mettre à niveau les financements publics de la recherche dans ce secteur.
Je pense tout d’abord aux soutiens de la Direction générale de l’aviation civile, la DGAC, à l’Office national d’études et de recherches aérospatiales, l’ONERA, qui sont essentiels, puisque ces subventions permettent d’adosser une recherche en amont indispensable et d’explorer les développements technologiques de base, en liaison avec les industriels.
Depuis 2011, ces crédits sont passés, annuellement, de 140 millions à 60 millions d'euros, alors que les programmes allemands, comme ceux de la Chine et des États-Unis, suivaient le chemin inverse. Il est donc urgent de rétablir ces dotations.
Par ailleurs, la « feuille de route » détaillée par le Conseil pour la recherche aéronautique civile, le CORAC, a précisé trois projets – usine du futur, systèmes avancés, nouvelles architectures – qui sont destinés à préparer les ruptures technologiques de 2030. La bonne fin de ces recherches conditionne assez largement la préservation d’une avance technologique que nous avons su construire patiemment.
Je vous prie de remarquer que, sur ce sujet comme sur le précédent, il existe une disproportion fâcheuse entre des sommes relativement modestes et les bénéfices en termes d’emplois et de fiscalité que l’on peut escompter de leur libération.
Il sera aussi nécessaire de s’intéresser aux recherches sur les avions à hélice et la turbopropulsion.
En effet, dans un environnement où le prix des carburants augmenterait fortement, il s’agit d’un segment du marché qui pourrait être amené à se développer.
La deuxième proposition porte sur l’encouragement aux filières de biokérosène.
Il me paraît indispensable d’activer progressivement le passage industriel aux biocarburants de deuxième génération à l’échelon européen. Cela nécessite de les subventionner, comme cela s’opère aux États-Unis, pour réduire l’écart de prix entre cette offre et les carburants fossiles. À terme, cela pourrait renvoyer à l’opportunité d’établir dans l’Union européenne une légère taxation du kérosène.
La recherche sur les carburants de troisième génération, les microalgues, doit également être activée à l’échelon européen.
La troisième proposition porte sur l’anticipation du développement des drones. J’apprécie d’ailleurs, monsieur le ministre, que ce secteur fasse partie des 34 plans pour une « nouvelle France industrielle ».
Il faudra, par ailleurs, porter une attention particulière à la convergence des normes des deux programmes de modernisation de la navigation aérienne, NextGen aux États-Unis et SESAR dans l’Union européenne. Sur ce point, l’Europe devra également porter une offre de modernisation, à long terme, répondant aux besoins des marchés asiatiques.
Mes chers collègues, l’aviation civile illustre un paradoxe français, constaté dans d’autres secteurs : le décalage qui existe entre une demande forte de main-d’œuvre qualifiée et une offre inadaptée. Il me paraît utile de développer, dans ce secteur, l’enseignement en alternance à tous les niveaux de compétence, comme le font les Allemands à Hambourg.
Le dernier domaine où j’ai constaté un manque est celui des logiciels embarqués, pour lequel, selon le récent rapport Potier, seuls 20 % des jeunes diplômés ont reçu une formation en 2010, et sur lequel aucun cursus d’ensemble n’est proposé, alors qu’il s’agit de l’une des clés de voûte de la modernisation de notre industrie.
Je propose enfin de veiller à la modernisation des aéroports, en confiant une mission exploratoire à Aéroports de Paris, ADP, pour activer, à l’échelle européenne, la recherche dans ce secteur, qu’il s’agisse du développement de l’intermodalité entre le rail et l’avion, de la fluidité et de la sécurité des flux de passagers et de bagages – il faut noter que 3 % des bagages sont mal acheminés dans le monde, ce qui représente une perte de 3 milliards d’euros par an pour les compagnies – ou de la centralisation des fonctions opérationnelles de l’aéroport.
Voilà donc les principales propositions que j’ai été amené à faire dans le cadre des travaux de l’OPECST, au terme d’une étude au cours de laquelle j’ai entendu plus d’une centaine de personnes représentant les principaux acteurs de l’aviation civile. N’oublions pas que l’aviation civile représente 330 000 emplois directs et un million d’emplois au total, si on y ajoute les emplois indirects.
Toutefois, in fine, je me dois de nouveau d’insister sur l’importance de l’aviation civile, qui ne se mesure pas uniquement aux commandes enregistrées par nos constructeurs, mais s’incarne aussi dans son pouvoir de diffusion à l’ensemble du tissu industriel, qui en fait véritablement une aile marchande de notre économie.
Applaudissements.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en cinquante ans, nous avons eu la chance de vivre une accélération des échanges de biens et services et un développement rapide des déplacements touristiques ou professionnels à travers la planète, sous l’impulsion des progrès réalisés par l’aviation civile. Cette dernière a joué et continue de jouer un rôle essentiel pour la croissance et l’ouverture des États sur le monde en estompant les contraintes de distance et de temps.
Si le secteur aéronautique fait preuve d’un indéniable savoir-faire en matière d’innovation scientifique et technologique, les nombreux défis auxquels il devra faire face risquent de faire chanceler une économie internationale fortement dépendante de sa réussite.
Avec le secteur spatial, l’aéronautique demeure l’un des secteurs industriels français parmi les plus dynamiques, qui fait la fierté de notre pays et constitue l’un des piliers de l’industrie française, comme vient de le rappeler M. le rapporteur : 330 000 emplois directs, un million d’emplois au total, 75 milliards d’euros de chiffre d’affaires et 4 % du produit intérieur brut.
L’histoire de l’aviation est également indissociable de celle de l’Europe, de la France – de Toulouse !
Sourires.
Constructeurs, équipementiers et motoristes associent leur savoir-faire pour conserver l’avance de l’Europe en matière aéronautique. Les commandes d’avions s’enchaînent sans que l’on parvienne à répondre à la demande, ce qu’il convient de souligner, particulièrement dans la conjoncture actuelle ! De nombreux emplois sont encore créés en dépit de la crise.
J’ouvre d’ailleurs une parenthèse, pour souligner la nécessité de mettre en avant, auprès de nos jeunes, les formations offertes par cette filière, car elles sont de très grande qualité. Je pense notamment à de nombreux lycées professionnels, mais aussi à l’École nationale de l’aviation civile, l’ENAC, que nous avons l’honneur d’accueillir à Toulouse – vous me pardonnerez cette nouvelle marque de chauvinisme, mes chers collègues… Cette filière ne manque vraiment pas de débouchés !
L’aviation civile est un secteur stratégique qui mérite qu’on lui accorde plus d’attention et qui ne doit pas être négligé sous prétexte de ses bonnes performances actuelles, car son avenir dépend de la réponse qui sera donnée aux défis évoqués par notre collègue Roland Courteau dans son excellent rapport. Il nous faut absolument anticiper ces orientations.
Avec un doublement du trafic d’ici à 2040 ou 2050, la gestion de la navigation aérienne et la capacité d’accueil des aéroports devront être adaptées. Or les décisions d’investissement doivent être prises rapidement, car les adaptations seront lourdes.
La hausse du trafic mondial est rapide : elle devrait s’établir à 5, 9 % en 2014 et à 6, 3 % l’année suivante, selon l’étude publiée en juillet dernier par l’Organisation de l’aviation civile internationale, l’OACI. Elle est tirée vers le haut par une demande croissante de la part des pays du Moyen-Orient, de l’Amérique latine et de l’Asie.
L’Union européenne, se saisissant de cette problématique, a décidé de lancer le programme SESAR, actuellement en phase de développement, qui apportera une meilleure sécurité dans le partage du ciel avec une modélisation en 4D et, surtout, une harmonisation de la gestion de la navigation aérienne en Europe.
Comme le souligne le rapport, les compagnies aériennes devront consentir des efforts de l’ordre de 23 milliards d’euros pour équiper leur flotte, alors que certaines sont déjà en difficulté.
L’arrivée des drones civils dans l’espace aérien pose également question. Nous savons que certaines entreprises s’y intéressent à des fins commerciales.
En outre, des efforts de financement devront être également consentis en matière d’énergie, puisque la question du carburant dans le secteur aéronautique est vitale. Alors que le prix du carburant représente presque un tiers de la charge d’exploitation aérienne, l’envolée du prix du baril, à terme, doit être pleinement intégrée dans les travaux de prospective. En effet, si les aéronefs gagnent en efficacité énergétique, puisque celle-ci a été multipliée par deux depuis 1970, la raréfaction du pétrole risque de freiner le dynamisme du transport aérien.
Le rapport offre, ainsi, un état des lieux intéressant des différentes filières de biocarburants, très prometteuses, comme les micro-algues. Cependant, les coûts de production impliqueront un soutien indispensable des pouvoirs publics et une intégration progressive du biokérosène.
Nous regrettons que d’autres énergies, telles que l’hydrogène, aient été écartées des travaux de l’OPECST, alors que des scientifiques mènent des recherches sur le transport de l’hydrogène qui, dangereux à l’état gazeux, pourrait ne pas l’être à l’état solide.
Ces énergies alternatives participeront aux objectifs de l’Union européenne en matière de transport aérien, qui visent à réduire de moitié les émissions de gaz à effet de serre et de 80 % les émissions d’oxydes d’azote à l’horizon de 2020. En effet, les évolutions en matière d’aérodynamisme, de composants ou de motorisation ne seront pas suffisantes pour y parvenir.
L’envolée du prix du baril pèsera avant tout sur la situation économique des compagnies aériennes. Cette perspective est d’autant plus inquiétante que les compagnies européennes peinent à concurrencer les compagnies du Golfe et les compagnies asiatiques pour les long-courriers. D’un côté, Emirates, nommée meilleure compagnie de l’année, ne cesse de créer de nouvelles routes aériennes et d’agrandir sa flotte ; de l’autre, le plan Transform 2015 d’Air France ralentit les investissements.
La compagnie française pâtit d’une réelle inégalité face à la concurrence de certaines compagnies qui profitent d’une réglementation beaucoup plus souple et n’hésitent pas à utiliser des pratiques de dumping social et fiscal.
L’évolution de l’aviation civile doit également être appréhendée en prenant en compte les autres modes de transport que la France, mais aussi l’Europe prétendent développer, comme le mode ferroviaire. L’aviation civile subira sans aucun doute la concurrence de la grande vitesse ferroviaire avec l’avènement de l’Europe du rail. Il convient, comme cela a été souligné, de créer des conditions favorables à l’intermodalité entre ces deux modes de transport complémentaires en modernisant les aéroports et les connexions.
C’est une condition nécessaire, notamment pour ce qui concerne les questions essentielles de l’aménagement du territoire.
Face à autant de défis à relever, nous joignons nos inquiétudes à celles qu’a exprimées M. le rapporteur sur l’érosion du financement de la recherche à long terme, pourtant le seul moyen de fixer des orientations claires et durables. Les plans d’investissements d’avenir, les PIA, s’ils sont bienvenus, ne garantissent aucune visibilité aux industriels. D’ailleurs, les crédits accordés à l’aéronautique et à l’industrie spatiale lors du dernier plan, d’un montant de 1, 3 milliard d’euros, ne sont pas à la hauteur des enjeux.
De même, nous ne pouvons qu’exprimer notre perplexité quant aux cessions de capital de l’État au sein d’EADS ou encore d’Aéroports de Paris, alors qu’il nous faut, dans ce secteur plus que dans tout autre, renforcer et assumer le rôle de l’État stratège.
Compte tenu de ces considérations et de la part de la valeur ajoutée que représente l’aviation civile dans notre économie, nous vous demandons de pérenniser cette filière d’excellence confrontée à de nombreuses mutations.
Applaudissements.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de l’Office, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord saluer le travail quantitativement très impressionnant mené par M. le rapporteur Roland Courteau sur ce sujet d’importance.
Puisqu’elles ont été évoquées tout à l’heure, je dirai tout d’abord un mot des modalités de fonctionnement de l’Office. Celui-ci existe effectivement depuis trente ans, les textes fondateurs de 1983 étant très clairs sur son esprit et ses buts. À cet égard, les sénateurs écologistes, peut-être bientôt rejoints par leurs collègues députés, souhaitent déposer une proposition de loi très précise sur le mode d’examen des rapports de l’OPECST. En effet, au regard de l’importance des sujets qu’ils traitent, de même que de l’ampleur des chiffres et des analyses qu’ils contiennent, nous estimons qu’ils méritent plus et mieux qu’un débat en séance. Nous souhaiterions pouvoir disposer d’un délai suffisant pour consulter ces travaux et les soumettre à des regards croisés.
Venons-en maintenant au rapport à proprement parler : comme cela a été souligné, l’aviation civile a connu des avancées remarquables ces dernières années.
Je tiens tout d’abord à saluer l’action de cette filière pourvoyeuse d’emplois, qui stimule la recherche et permet aussi de mettre en avant le savoir-faire français dans les technologies de pointe. Ce savoir-faire, en constante évolution et renouvellement, permet à notre pays de faire bénéficier tous les usagers d’une aviation civile de qualité répondant à leurs besoins.
Ces avancées technologiques s’adaptent en effet à une demande croissante des personnes qui souhaitent se déplacer pour leurs loisirs ou pour des raisons professionnelles. Comme le souligne le rapport, si le volume des passagers transportés par avion a doublé au cours de ces vingt dernières années, le trafic n’a, pour sa part, augmenté que de 20 %, grâce à des avions plus grands et mieux remplis. De vrais efforts et de vrais progrès ont été faits par l’industrie de l’aviation, notamment en matière d’efficacité énergétique et de remplissage des avions. Nous devons les saluer.
Je tiens également à souligner un point très important du rapport, celui de la formation des femmes et des hommes qui travaillent à chacun des maillons de la vaste chaîne de l’industrie de l’aviation, laquelle constitue un lobby puissant dans notre pays. Les évolutions technologiques ne peuvent en effet intervenir sans une adaptation des personnels aux nouvelles possibilités qui sont offertes.
Ce rapport extrêmement riche et intéressant manque toutefois, selon nous, d’un volet plus critique, plus introspectif, sur les nuisances ou les limites du transport aérien. Tel n’était sans doute pas le but de ce travail, mais nous le regrettons.
Dans le contexte actuel, qui se caractérise par une volonté de réduire les utilisations d’énergies et les émissions de gaz à effet de serre, c’est toute la filière de l’aviation civile qui doit se mobiliser afin de concevoir des avions, certes plus performants et plus attractifs, mais surtout moins énergivores et plus faiblement émetteurs de gaz à effet de serre.
La France a pris des engagements en matière environnementale ; elle doit les tenir. Elle s’est notamment engagée à diviser par quatre ses émissions de gaz à effet de serre à l’horizon de 2050, un objectif dont nous avons eu confirmation hier, en dépit de certains propos tenus dans les médias.
À l’heure où elle vient de se voir confier l’organisation de la 21e conférence des parties à la convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques, ou COP 21, en 2015, la France doit montrer l’exemple et tenir ses engagements, qui vont dans le bon sens, celui d’une promotion maximale des transports respectueux de l’environnement, chaque fois que cela est possible.
Vous le savez comme moi, l’Europe s’est engagée dans la voie d’une taxation européenne du CO2, dans un but de stabilisation de ses émissions. Il faut aussi intégrer cette contrainte au développement de cette industrie qu’est l’aviation civile.
Le rapport parie par ailleurs sur une croissance importante du trafic. Celle-ci sera inévitablement corrélée à de nombreux problèmes touchant divers domaines : les capacités aéroportuaires et les infrastructures, les risques environnementaux et, parfois, la saturation de la navigation.
Pour éviter ces risques réels qui handicaperont notre pays, d’autres solutions complémentaires de l’aviation civile sont parfois possibles. Le report modal, pour les trajets internes à la France, voire à l’Europe, est une solution qui doit être favorisée. Nous plaidons à cet égard pour une action de rénovation et de modernisation des infrastructures existantes des lignes ferroviaires, lorsque cela est possible.
Pour nous, le ferroviaire ne s’oppose par l’aviation civile. Au contraire, nous devons jouer sur la complémentarité des modes de transport afin que ceux-ci soient moins énergivores et plus opérationnels.
Les compagnies aériennes européennes elles-mêmes s’intéressent aujourd’hui à des offres combinées « rail-air ». Même si cette option ne m’est pas apparue dans le rapport, il nous semble qu’il faille l’intégrer dans l’analyse présentée ce soir. Autrement dit, la réflexion sur le développement de l’aviation civile ne doit pas faire l’objet d’un raisonnement « en silo », ne prenant en considération que les éléments propres à ce secteur, mais intégrer les divers autres moyens de transport existants.
Enfin, nous rappelons que l’avion n’est pas un moyen de transport économique, loin de là ; c’est l’un des plus coûteux et cette particularité ne cessera de s’aggraver avec la raréfaction des ressources énergétiques.
Malgré les évolutions technologiques soulignées dans le rapport, nous devons envisager la situation actuelle au regard de celles, concrètes, existant sur nos territoires. Et vous voyez venir où je veux en venir, monsieur le ministre, avec mes gros sabots…
Un des arguments des défenseurs du projet de transfert de l’aéroport de Nantes Atlantique à Notre-Dame-des-Landes est celui du bruit. Or, la nuisance sonore n’est pas évoquée dans le rapport…
Certes, mais pas ce cas d’espèce.
Ainsi, cette nuisance empêcherait le bon développement de Nantes et du sud de sa métropole. Or, les avions étant de moins en moins bruyants, nous considérons que l’argument de la nuisance sonore ne peut être utilisé comme prétexte pour justifier le déplacement de l’aéroport de Nantes à Notre-Dame-des-Landes.
D’ailleurs, plusieurs plans d’exposition au bruit prévisionnels, réalisés récemment, ont clairement démontré l’inutilité d’un transfert de l’aéroport actuel. Ces nouveaux plans, commandés au cabinet Adecs Airinfra et rendus publics en septembre 2013, mettent à mal les précédentes statistiques, datant de 2003. Nous privilégions donc les statistiques de 2013, celles de 2003 nous paraissant caduques.
Monsieur le ministre, ce petit « zoom » sur l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes sert aussi à rappeler l’existence d’aéroports vides, en Espagne par exemple ou au Canada, qui en compte deux. De même, je vous invite à visiter avec moi l’aéroport Willy Brandt, à trente kilomètres de Berlin. Modèle technologique, cet aéroport, dont l’inauguration a été reportée, ne sera vraisemblablement pas ouvert à une échéance très proche.
Ainsi, penser l’avenir de l’aviation civile est une bonne chose. Toutefois, il semble nécessaire de lier cette réflexion à la réalité de nos territoires, aux aéroports où les avions se posent. Cette réflexion nous aurait également semblé pertinente et nous aimerions que cet oubli soit réparé.
Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président et monsieur le rapporteur de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, mes chers collègues, il est des débats dont l’objet prête davantage à la polémique et aux projections alarmistes que ce débat sur les perspectives d’évolution de l’aviation civile à l’horizon de 2040. Contrairement à d’autres sujets afférents aux problématiques environnementales et énergétiques ou à des choix scientifiques, nous n’aurons pas à dresser un catalogue de chiffres ou de signaux catastrophiques, ni à nous cacher derrière des objectifs inatteignables, comme cela peut être le cas lors d’autres débats.
Il convient donc, en évoquant les progrès réalisés par l’aviation civile depuis un demi-siècle, de reconnaître la place de la France et de l’Europe dans ce développement.
Le premier progrès, parfaitement décrit dans le rapport de notre collègue Roland Courteau, concerne la rationalisation des mouvements aériens, grâce, d’une part, à l’augmentation des capacités d’emport et, d’autre part, à la croissance du taux de remplissage des avions qui est passé de 55 % en 1970, à 75 % en 2010. Grâce à cette rationalisation, nous observons une relative stabilité des mouvements aériens au cours des vingt dernières années, alors même que le trafic de passagers et de fret a considérablement augmenté.
De la même manière, nous constatons que l’efficacité énergétique a été multipliée par deux. Nous constatons également une nette diminution des nuisances sonores. Enfin, et c’est sans doute la donnée la plus satisfaisante, le taux d’accident fatal par million de décollages est passé de 40 en 1955 à 0, 7 en 2010.
Tous ces chiffres témoignent des avancées technologiques incontestables réalisées depuis un demi-siècle, avancées technologiques auxquelles l’industrie aéronautique française et européenne a pris une part considérable.
Que nous apprennent ces chiffres sur les enjeux auxquels nous allons être confrontés ?
Nous savons, à la lecture du rapport sur les perspectives de l’aviation civile, que le transport de passagers dépassera au moins les 60 millions de passagers en 2030 avec une estimation haute à 80 millions de passagers. Le transport de fret connaîtra une croissance similaire de l’ordre de 15 % à 25 % d’ici à 2030.
Cependant, les progrès que réalise le secteur – industriels et compagnies aériennes – nous permettent d’entrevoir l’avenir avec une relative sérénité.
Certes, la hausse du volume de passagers et de fret transporté conduira à une hausse des mouvements aériens, mais le processus de rationalisation n’est pas encore totalement achevé.
En outre, la demande supplémentaire occasionnée par la hausse du fret et du transport de voyageurs ne conduira pas à une explosion de la consommation de carburant. Rappelons que la consommation des derniers appareils permet de descendre sous les trois litres aux cent kilomètres par passager, et qu’Airbus se lance dans un projet d’avion hybride.
Une autre interrogation porte sur les risques d’accident. Sur ce point, il est clair qu’il n’existe aucun rapport de causalité entre la quantité de mouvements aériens et le nombre d’accidents.
Enfin, sur les pollutions et notamment sur les nuisances sonores, la prise de conscience s’est accompagnée de mesures fortes avec, bien sûr, la limitation du trafic de nuit. La demande pourra donc être satisfaite sans contribuer à la hausse des pollutions, des nuisances sonores et des accidents.
Aussi, il ne faut pas craindre la hausse du transport de voyageurs et de fret, car l’industrie aéronautique et les compagnies de transport pourront y répondre.
Certes, on nous parle de saturation de la navigation aérienne ou de l’impossibilité d’étendre les capacités aéroportuaires à proximité de très grandes villes, mais ces défis, que ne manque pas de souligner le rapport de Roland Courteau, toucheront prioritairement les pays émergents qui présentent les demandes en infrastructures les plus élevées.
Une autre question se pose alors : l’industrie aéronautique française et européenne aura-t-elle sa place dans l’aviation civile des années 2020 à 2050 ? Sans excès d’optimisme, je répondrai immédiatement par l’affirmative. Cependant, son avenir nécessite de relever plusieurs défis : construire des avions moins gourmands en énergie, plus gros et qui aillent plus loin.
S’agissant de la taille des avions, la compagnie Airbus a clairement une longueur d’avance avec l’Airbus A380-800 qui peut transporter au minimum cent passagers de plus que son principal concurrent le Boeing 747-81.
En ce qui concerne le rayon d’action, facteur de désengorgement des aéroports et de diminution de la pollution, Airbus dispose, là aussi, d’une courte avance sur ses concurrents, puisque l’Airbus A350-900R a une autonomie nettement supérieure à celle du Boeing 777, à l’exception d’une de ses versions. Notons d’ailleurs que la question de l’autonomie en vol sera sûrement le critère le plus déterminant quant à la compétitivité des constructeurs aéronautiques.
Enfin, sur le point de la consommation, Airbus possède là encore une carte à jouer grâce à son programme NEO, qui fera de l’Airbus A320 le biréacteur long-courrier le plus performant au monde avec une consommation pouvant atteindre 2, 4 litres aux cent kilomètres par passager.
Ces avantages certains sont encourageants pour les dix, vingt ou trente prochaines années, mais peut-on se projeter encore davantage dans l’avenir ? Là aussi, il me semble possible de pouvoir répondre positivement.
L’aéronautique européenne peut se projeter sans crainte dans l’avenir. La meilleure illustration de cette confiance est l’obtention du prix GreenTec Award 2013, catégorie « aviation », par Airbus, qui souhaite intégrer la technologie de la pile à combustible en tant que source d’énergie alternative dans les avions civils. Ajoutons également l’E-Airbus, un avion régional à propulsion hybride, qu’EADS espère voir entrer en service à l’horizon de 2030.
Un dernier mot, enfin, sur la relocalisation du siège social d’Airbus à Toulouse, symbole de l’enracinement de cette entreprise de dimension mondiale, ainsi que sur son changement de nom, puisque EADS a adopté « Airbus » comme dénomination officielle, ce qui ne manquera pas de faciliter la visibilité de la société.
Toutes ces données nous permettent donc d’envisager l’avenir de l’industrie aéronautique européenne avec une certaine sérénité, mais parler de l’aviation civile française et européenne et de son avenir à l’horizon de 2040, c’est aussi parler du sort qui sera réservé aux principales compagnies européennes.
Depuis l’après-guerre, les grandes compagnies nationales européennes ont toujours réussi à se maintenir dans le peloton de tête des principales compagnies aériennes internationales. Si ces compagnies doivent affronter aujourd’hui une concurrence en pleine expansion, notamment de la part des compagnies des pays émergents, trois groupes européens figurent toujours dans les dix plus grandes compagnies internationales : Lufthansa, Ryanair et Air France-KLM. Malheureusement, il n’est pas certain que les compagnies aériennes européennes puissent rivaliser encore longtemps avec leurs concurrents extra-communautaires.
Le premier problème réside dans la difficulté de continuer à se développer sur le marché européen. Trois facteurs expliquent cette situation. Tout d’abord, les grandes compagnies historiques viennent seulement de prendre la mesure de la concurrence des compagnies low cost. Cependant, il sera difficile de regagner les parts de marché perdues, d’autant que la croissance économique du marché est quasi nulle.
En outre, elles font face à un problème inhérent à l’ensemble des activités économiques en Europe : le coût. Vous l’aurez compris, le développement des compagnies européennes historiques, sur le sol européen, ne peut plus se poursuivre.
La deuxième difficulté à laquelle les compagnies européennes sont confrontées, qu’il s’agisse de compagnies historiques ou de nouveaux opérateurs, est l’imperméabilité des marchés émergents. Cette absence dans les pays émergents résulte, là aussi, de coûts opérationnels trop importants auxquels s’ajoutent les barrières juridiques, et notamment l’impossibilité de composer librement le capital de sa filiale, comme cela peut être le cas en Asie.
Enfin, le dernier nuage dans le ciel de nos compagnies européennes tient au caractère inéquitable de la concurrence entre les compagnies européennes et certaines compagnies asiatiques.
Si les compagnies d’Extrême-Orient opposent une belle concurrence sur leur sol – ce qui n’est pas surprenant –, les compagnies du Moyen-Orient ont, quant à elles, développé des stratégies de développement beaucoup plus agressives et beaucoup plus dangereuses pour les compagnies européennes. Ces compagnies sont subventionnées par des États qui sont prêts à tout pour augmenter leur visibilité. Ces compagnies s’appuient également sur une logistique et des plates-formes essentiellement présentes dans leurs pays d’origine et avec lesquelles nos compagnies ne peuvent pas rivaliser en termes de coûts.
Dans ce contexte, les compagnies européennes ne disposent pas d’une pluralité de solutions. Elles devront relever plusieurs défis dans un laps de temps extrêmement réduit.
Elles doivent d’abord rationaliser leurs dépenses. Tel est notamment l’objectif du plan Transform 2015 du groupe Air France, qui tente de concilier le maintien des grandes lignes dans son périmètre d’activité avec une baisse des coûts. La mise au point de ce plan n’a pas été chose facile, en raison notamment de la nécessité de procéder à une rationalisation des effectifs.
Mais existent également des coûts externes dont les compagnies ne sont pas responsables. Dans ce cas, la compétitivité des compagnies européennes dépendra de la capacité de la France et, plus généralement, des institutions européennes à favoriser le développement d’infrastructures de qualité, notamment en ce qui concerne la navigation aérienne, les aéroports et la distribution, le tout à un coût raisonnable par rapport à ceux pratiqués dans les autres régions du monde.
Songeons, par exemple, que l’aéroport Paris-Charles-de-Gaulle est au troisième rang mondial en matière de taxe aéroportuaire, juste derrière Londres-Heathrow et Francfort. Or les taxes aéroportuaires sont un élément déterminant dans la compétition que se livrent les compagnies, car toutes ne sollicitent pas les mêmes aéroports.
C’est à ce prix que nous paierons le développement, et peut-être aussi la survie, des grands groupes européens. Soit les efforts sont consentis, et alors les groupes poursuivront leur développement, soit nous restons les bras ballants et, dans ce cas, ils continueront d’être victimes de distorsions de concurrence.
Vient ensuite la problématique récurrente de l’insécurité juridique, dont le meilleur exemple est la suspension de l’application du système européen d’échange de permis d’émissions aux vols extra-communautaires.
Le dernier défi que devront relever les compagnies européennes est l’amélioration de la compétitivité produit. Les États n’y pourront rien. Les compagnies européennes devront capitaliser sur le prestige qui est attribué à l’Europe.
En fin de compte, il n’est pas difficile d’entrevoir quels sont les atouts et les handicaps de l’aviation civile française et européenne pour affronter la concurrence internationale. Notre industrie aéronautique sera prête à relever les défis technologiques, environnementaux et économiques qui s’offrent à elle, parce que l’innovation lui permettra de préserver son rang.
En revanche, il est temps de se pencher avec plus d’attention sur le sort des compagnies aériennes, dont on ne peut exiger concomitamment le développement international et le maintien de l’emploi sans leur fournir les infrastructures indispensables à leur développement. N’oublions pas que la préservation d’une grande compagnie nationale est un élément de puissance indispensable pour n’importe quel État, aussi bien d’un point de vue pratique que sur le plan symbolique, comme élément d’influence et de soft power. Il convient donc de mettre notre compagnie nationale dans les meilleures dispositions possibles.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord remercier le président de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, notre collègue Bruno Sido, d’avoir choisi ce sujet et féliciter le rapporteur de son travail.
La France a une responsabilité particulière dans le domaine de l’aviation civile. Elle doit cette responsabilité à son histoire, marquée par la créativité de ses ingénieurs qui furent d’illustres pionniers. Elle occupe aujourd’hui un rang de premier plan. L’enjeu est important : comment garder ce rang et ce rôle de premier plan sur le long terme ?
J’aborderai successivement quatre points : l’adaptation à une concurrence renouvelée ; le besoin de maintenir un niveau de recherche élevé ; la nécessité de s’adapter aux nouvelles exigences environnementales ; la question clé du rôle de l’État dans l’aviation civile.
Le rapport pose parfaitement les termes du débat. L’objectif est bien de préserver l’avance de la France et de l’Europe dans le secteur stratégique de l’aviation civile. Dans l’aéronautique plus encore que dans d’autres secteurs, demain se prépare aujourd’hui. Cette certitude, nous devons la partager et surtout la traduire en actes.
J’entends parfois certains dire que le secteur aéronautique est si florissant qu’il n’est pas utile de maintenir un tel niveau de crédits publics pour aider la recherche. Ce secteur où les carnets de commande sont pleins et les résultats financiers positifs doit pourtant assurer dès aujourd’hui son avenir. Or des clignotants se sont allumés.
Ne pas les voir serait méconnaître totalement la réalité du secteur.
Le succès actuel de notre industrie aéronautique et de nos champions nationaux – Airbus, par exemple – ne doit pas nous faire oublier que la concurrence se renforce et croît en compétences. Cette concurrence vient non seulement des États-Unis, avec Boeing, mais également de la Chine, qui cherche à développer une gamme complète d’avions.
Quant à l’industrie russe, elle s’est engagée dans une renaissance fortement soutenue par l’État. N’oublions pas le Canada, avec Bombardier, ni le Brésil, avec Embraer, dont les projets d’avions monocouloirs concurrenceront à terme ceux de Boeing et d’Airbus.
Le duopole Boeing-Airbus est peut-être déjà derrière nous. L’investissement dans l’innovation et la créativité est donc plus que jamais nécessaire pour maintenir la compétitivité de l’offre de l’industrie française. Pour le dire autrement, l’aviation civile de 2040 se prépare dès aujourd’hui en ne ratant pas les innovations et les ruptures technologiques. Cela passe par un soutien public fort à la recherche-développement et à l’innovation dans la production industrielle, mais aussi par un accompagnement public visant à pérenniser nos positions sur les marchés à l’exportation. La question est bien là : ne baissons pas la garde, car les ruptures technologiques arrivent vite.
Le renforcement de la concurrence concerne aussi les systémiers et les équipementiers, qui doivent faire face à des groupes américains de plus en plus présents, tandis que des pays émergents comme la Chine et la Russie veulent constituer leurs propres champions.
Tel était le premier point de mon intervention : la concurrence est là, et nous sommes à un tournant. Le deuxième élément sur lequel je veux insister, c’est l’importance de la recherche. Face à une concurrence de plus en plus rude, il est indispensable de garder une longueur d’avance en matière d’innovation et d’offre commerciale pour répondre aux attentes des clients. Ces derniers ont des exigences toujours plus fortes en termes de performance des aéronefs, de maintenance et d’impacts environnementaux.
Notre industrie et l’industrie européenne sont engagées dans une course contre la montre. Les investissements dans la recherche en amont et en aval sont indispensables pour que la France conserve sa place en 2040. Afin de préserver l’avance de la France et de l’Europe, nous devons prendre les bonnes décisions. La France doit préparer dès aujourd’hui les futures générations de moyens de transport aérien pour 2025 et au-delà, si elle veut maintenir sa compétitivité internationale.
La décennie 2010-2020 sera décisive, le rapporteur l’a souligné. Face à l’émergence de concurrents mondiaux, il faut préparer le renouvellement de produits absolument stratégiques pour chacun des grands acteurs nationaux. Tel est, par exemple, pour Airbus, l’enjeu du remplacement du moyen-courrier A320, fleuron de l’industrie aéronautique française et européenne des années 1980 à 2000. Les motoristes et les équipementiers devront quant à eux fournir des moteurs et des équipements qui permettront à l’aviation civile d’être moins polluante, moins bruyante et plus économique. Les défis qui attendent le transport aérien tant pour répondre à l’accroissement du trafic, qui devrait doubler d’ici à la période 2030-2040, que pour répondre à des préoccupations environnementales, obligent ainsi les opérateurs à investir dans la recherche.
J’en viens à la troisième priorité que je souhaite mettre en avant : l’adaptation aux nouvelles exigences environnementales, qui est un sujet majeur. L’accroissement de la performance des avions, et plus globalement du système de transport aérien, en termes de réduction de la consommation de carburant et des émissions sonores, de CO2 ou de gaz à effet de serre, requiert des ruptures technologiques et de nouvelles architectures.
La recherche en aéronautique civile s’organise autour de plusieurs enjeux : réduction de l’empreinte environnementale – consommation, bruit, émissions –, compétitivité, sécurité et fiabilité. Dans ce cadre, les industriels centrent leurs efforts de recherche sur l’aérostructure, les matériaux, les systèmes propulsifs avancés, la gestion de l’énergie de bord, où l’électricité prend de plus en plus de place, et les systèmes de navigation et de contrôle. Dans son rapport, Roland Courteau détaille fort bien l’ensemble des recherches lancées dans ces directions ; elles donnent une idée de ce que sera ou pourrait être l’avion du futur.
La dernière question que je souhaite aborder est celle du rôle de l’État. Elle est liée à celle de la recherche, notamment environnementale, et de la compétitivité. L’État se trouve à un moment stratégique, car il s’interroge sur ses missions et sur sa capacité à les mener à bien.
L’obligation d’investir dans la recherche nécessite le maintien d’une forte présence de la puissance publique dans le secteur aéronautique. À défaut, nous devrons inventer un autre système de financement sur le long terme. L’industrie aéronautique se caractérise en effet par des cycles de développement supérieurs à quinze ans et des cycles de vie des produits supérieurs à trente ans. Les choix technologiques impliquent donc des investissements de recherche et de validation considérables afin de garantir la pertinence des choix et de limiter le risque. En outre, les retours sur investissement se font sur un temps long – vingt à vingt-cinq ans, en moyenne – et de manière incertaine. Compte tenu de la faible profitabilité du secteur, les industriels privés peuvent difficilement financer la recherche aéronautique par les marges réalisées sur la vente d’avions.
Soit l’État peut continuer à répondre présent, soit nous devons rapidement trouver un autre modèle de financement. Je plaide pour le maintien d’un rôle fort de l’État. Le transport aérien possède une dimension de souveraineté économique reconnue et affichée par les grandes nations et les pays émergents. La compétitivité et l’excellence technologique du secteur résultent de l’engagement fort et constant de l’État ; nous l’avons vu par le passé. Or l’engagement de la puissance publique ne se situe plus au même niveau depuis quelques années. Cette évolution, qui a débuté sous les précédents gouvernements, crée des inquiétudes pour l’avenir.
Le CORAC, qui est un organisme de recherche collaborative, estime que l’effort de soutien public à la recherche aéronautique devrait être porté à 160 millions d’euros, mais la DGAC n’a que 60 millions d’euros à nous proposer. On trouve des palliatifs grâce à aux programmes d’investissements d’avenir, les PIA. Il y a eu un PIA 1 et un PIA 2, et il faudra un PIA 3, parce que les industriels ont besoin d’une visibilité et d’une prévisibilité à long terme pour fournir l’effort de recherche industrielle qui permet les ruptures technologiques.
Un certain nombre de clignotants sont allumés, Roland Courteau les a signalés. Je pense notamment à la baisse des crédits de l’ONERA. Le projet de loi de programmation militaire constitue lui-même un sacré clignotant, qui dégrade nos perspectives, car les crédits de recherche militaire ont des effets induits sur la recherche civile en matière d’aviation. Ce projet de loi entraînera inévitablement la cession de participations de l’État au capital des sociétés stratégiques que sont les équipementiers. Faute de ressources exceptionnelles, la cession de ces participations interviendra lorsque les crédits des PIA seront épuisés.
Je vous invite à méditer sur ce risque. Il sera difficile pour l’État de soutenir l’effort de recherche. J’emprunterai ma conclusion à Charles Revet, qui a souligné que la question du maintien des compagnies européennes était déterminante.
J’ai beaucoup parlé de l’industrie, mais le transport aérien nécessite lui aussi une réflexion stratégique. En clair, pouvons-nous nous en tenir au statu quo, chacun possédant sa compagnie et affrontant seul ses difficultés ? Faut-il s’allier avec des compagnies du Golfe ou bien bâtir de grandes compagnies européennes ? (Applaudissements.)
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat sur les conclusions et les préconisations du rapport rédigé par Roland Courteau au nom de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques nous permet d’aborder la question de l’aviation civile et des conditions à réunir pour préserver l’avance de la France et de l’Europe en la matière.
Il s’agit en effet d’un secteur d’activité essentiel. L’aviation civile est une industrie majeure, avec 33 000 emplois directs et même un million d’emplois si l’on compte l’ensemble des emplois induits. Elle représente 75 milliards d’euros de chiffre d’affaires et 18 milliards d’euros d’exportations. Outre son poids économique, ce secteur est l’un des leviers majeurs de la transition écologique, dans la mesure où le nombre de passagers passera de 2, 7 milliards à 5, 4 milliards d’ici à 2040.
Il est donc important que les pouvoirs publics s’intéressent de près aux conditions de développement du secteur, et nous remercions Roland Courteau de la qualité de son travail et de son rapport, particulièrement complet et exhaustif. Des préconisations sont formulées dans six domaines. Je reprendrai ces préconisations en les commentant, et je conclurai sur le point qui me semble essentiel, car il est peut-être insuffisamment traité par le rapport.
La première préconisation est le soutien à la recherche. Nous partageons cette préoccupation. Dans tous les secteurs, la recherche est la clé de l’innovation et donc de la performance. Malheureusement – le rapport le souligne –, nous assistons depuis quelques années à un affaissement des soutiens nationaux à la recherche, dans le secteur de l’aviation civile comme dans tous les autres secteurs. La dotation à l’institut de recherche aéronautique français est ainsi passée de 140 millions d’euros à 60 millions d’euros, et la feuille de route du CORAC n’est que très partiellement financée.
Il s’agit là, selon nous, de l’un des effets négatifs, voire contre-productifs, des politiques d’austérité menées tant au niveau national qu’au niveau européen ces dernières années. Nous considérons, à l’inverse, que c’est bien le financement de la recherche qui créera les conditions de la relance de notre industrie. En investissant moins, non seulement les pouvoirs publics ne permettent pas la sortie de crise, mais au contraire ils confortent la crise, ce qui doit nous amener à nous interroger.
La deuxième préconisation appelle à anticiper le développement du marché des drones. Nous prenons acte de cette réalité qui tend aujourd’hui à s’imposer, mais je dois dire que nous ne sommes pas fascinés par l’essor de ce type d’appareils qui posent des questions en matière de respect des libertés individuelles et collectives, car ils renforcent les possibilités de surveillance. L’usage des drones doit donc être particulièrement encadré pour éviter toute dérive.
La troisième préconisation porte sur la nécessité de soutenir les progrès de la filière du biokérosène à l’échelon européen. Pour notre part, nous sommes assez dubitatifs sur ces biocarburants. En effet, ceux-ci ont tendance à être présentés comme la panacée pour la transition énergétique, alors même que leur développement, nous le savons, entrave l’utilisation des terres agricoles en pervertissant leur fonction vivrière, qui est leur destination première. Nous souhaitons donc le développement de ces biocarburants, ainsi que la poursuite des recherches, à l’unique condition qu’ils n’entrent pas en concurrence avec la vocation nourricière de l’agriculture.
Sur cette question comme sur d’autres, un effort accru de recherche doit donc être poursuivi au niveau tant national qu’européen. À cet égard, nous estimons qu’il conviendrait d’y faire participer les grands groupes pétroliers qui, aujourd’hui, profitent d’une rentabilité accrue des énergies fossiles du fait de leur extinction prochaine. En effet, le rapport indique que le retour sur investissement, de l’ordre de dix ans, est aujourd’hui trop long pour permettre que les financements soient assurés. Nous considérons que cette participation à l’investissement pour la recherche autour de nouvelles énergies propres et renouvelables doit non pas dépendre du libre arbitre des acteurs du secteur, mais bien être une obligation.
En quatrième préconisation, vous proposez de renforcer l’établissement de normes convergentes pour les deux systèmes de navigation aérienne : SESAR dans l’Union européenne et NextGen aux États-Unis. Il s’agit, pour ce qui concerne l’Europe, du volet technologique du ciel unique européen lancé sur l’initiative de la Commission européenne, finalisé en 2004 et révisé en 2009.
Nous ne contestons pas le bien-fondé d’une vision européenne de la gestion du trafic, mais nous regrettons que la réflexion ait été conduite concrètement et de manière concomitante avec une volonté de libéralisation, par la voie de l’externalisation d’un maximum d’activités liées à l’aviation. À nos yeux, un tel constat soulève de nombreuses questions en termes de sécurité et d’efficacité.
À ce sujet, le dernier rapport d’Eurocontrol montre que la régularité se dégrade depuis 2003 : plus de 18 % des vols en Europe accusent aujourd’hui des retards. Pour notre part, nous estimons qu’il faut reconnaître encore plus le rôle de la puissance publique dans ce secteur pour garantir la sécurité.
Le rapport aborde également la question du coût que représente pour les entreprises l’adaptation aux normes de sécurité. Il nous semble plutôt qu’il s’agit non pas d’un coût, mais d’un investissement nécessaire. Malheureusement, trop souvent, notamment ces dernières années, la sécurité est devenue la variable d’ajustement de la rentabilité dans le secteur aérien.
La sixième et dernière préconisation concerne les aéroports. Améliorer la fluidité et les services, ainsi que l’intermodalité, semble aujourd’hui une exigence. Cependant, au préalable, il est important de nous réinterroger sur l’intérêt de la privatisation de ces espaces pour privilégier le côté commercial. Nous estimons ainsi qu’il faudrait faire un bilan de l’ouverture du capital d’Aéroports de Paris depuis 2003, notamment au regard des bénéfices, réels ou supposés, qu’en auraient retirés les usagers.
Il convient également, et le Sénat s’en est ému, de revoir la proposition de la Commission européenne de réduire le seuil en deçà duquel l’État peut aider les aéroports régionaux. En abaissant ce seuil d’un million à 200 000 passagers par an, nous pouvons craindre la suppression de nombreuses lignes peu rentables, ou supposées telles, pour les compagnies aériennes et la fermeture d’un certain nombre d’aéroports français, entraînant de fait une surcharge des plus grands aéroports, ce qui ne va pas dans le sens de cette plus grande fluidité que vous appelez de vos vœux.
Le rapport de l’Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques suggère également de consacrer une forte attention à la formation des hommes. Bien évidemment, nous partageons ce souhait même si, avouons-le, il est difficile à concilier avec la logique concurrentielle qui vise à limiter les coûts du travail pour financer plus et mieux le capital, comme en témoigne la succession de plans sociaux dans les compagnies aériennes, notamment à Air France. Vous évoquez ainsi le renforcement de la formation en alternance : nous pensons pour notre part, sans faire de choix, que c’est l’excellence de la formation qui permettra aux personnels du secteur de remporter le défi de l’innovation dans un secteur où les emplois devraient augmenter, comme tout le monde s’accorde à le dire.
En conclusion, je voudrais évoquer ce qui nous semble essentiel. À nos yeux, résoudre l’équation de la compétitivité de l’aviation n’appelle pas que des réponses scientifiques et technologiques, même si elles ont leur importance. Aujourd’hui, permettre l’essor du transport aérien et sa viabilité à long terme doit conduire prioritairement les pouvoirs publics à remettre en cause la libéralisation du secteur.
Il s’agit en effet d’un secteur d’activité où, nous le savons, le dumping fiscal et social est particulièrement présent, comme le prouve le développement des compagnies low cost. À ce titre, la récente condamnation de Ryanair à verser 9 millions d’euros de dommages et intérêts pour travail dissimulé doit nous amener à entamer une réflexion sur l’élaboration d’une législation plus sévère dans ce secteur. Un tel travail est d’autant plus nécessaire que la réalisation du plan Transform 2015 vise à permettre à la compagnie Air France de se repositionner sur les vols low cost, ce qui nous fait craindre une pression accrue sur les salaires et sur l’emploi.
Pour finir, je vous rappelle la grève, en juin dernier, des personnels de l’aviation civile qui dénonçaient « les futurs règlements européens concernant la navigation européenne [comme] une attaque directe contre le caractère de service public de ce secteur d’activité ». Selon les syndicats, ces règlements visent notamment « à externaliser et à mettre en concurrence des pans entiers de la gestion de la navigation aérienne ». Ils déploraient alors « un impact négatif sur la sécurité et une dégradation des conditions de travail des agents ».
Finalement, c’est quand même le modèle ultra-concurrentiel au sein de ce secteur qui met à mal la sécurité des usagers et des personnels, sans apporter de réponses aux grands défis pour l’aviation civile en termes de transition écologique et de sûreté.
Plutôt que la concurrence, mieux vaut la coopération entre les opérateurs nationaux et européens. Souvenons-nous : le lancement d’EADS et d’Airbus a été, à l’époque, l’illustration de cette logique de coopération et d’excellence. Il faut aujourd’hui promouvoir les nouveaux partenariats qui permettront à la France et à l’Europe de rester à la pointe de l’aviation civile.
Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, élu de Haute-Garonne, vous comprendrez que je dresse l’oreille, à l’instar de tous les Haut-Garonnais, quand on évoque le trafic aérien et l’industrie aéronautique.
À cet égard, je ne peux pas m’empêcher de rappeler devant vous que l’épopée de l’aviation commerciale a en grande partie commencé à Toulouse. Dois-je évoquer tous ces noms qui sont familiers à nos oreilles toulousaines : Latécoère, Daurat, Mermoz, Saint-Exupéry, et quelques autres ? Ce n’est pas si vieux, puisque cela remonte au début du dernier siècle.
Aujourd’hui, comme l’a dit Roland Courteau, l’aviation civile représente pas moins de 330 000 emplois directs dans notre pays, plus d’un million d’emplois si l’on y ajoute les emplois indirects.
Je tiens donc tout particulièrement à remercier notre excellent rapporteur Roland Courteau...
Sourires.
… ainsi que Bruno Sido, président de l’office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques. Ils nous donnent en effet l’occasion de revenir sur les perspectives d’évolution de l’aviation civile à l’horizon de 2040 en évaluant le formidable bond en avant effectué depuis l’époque que j’évoquais tout à l’heure. Comme M. le rapporteur en a fait la démonstration, cette tendance ne se démentira pas d’ici à 2040.
L’enjeu est clair : il s’agit de préserver l’avance de la France et de l’Europe dans un domaine éminemment stratégique. Le rapport a le grand mérite de mettre en évidence la vitesse vertigineuse à laquelle se développent cette industrie et les compétences technologiques et scientifiques qui la soutiennent.
Avec l’Union européenne, nous sommes en pointe dans ce secteur. À ce sujet, plusieurs orateurs ont déjà évoqué l’aventure d’Airbus-EADS : on peut dire que cette société porte des gènes européens. Il ne s’agit donc pas d’une mince affaire, d’autant qu’il faut bien reconnaître qu’une concurrence mondiale acharnée nous impose son rythme.
Aussi, la devise d’Airbus est de se dire qu’elle doit toujours avoir un Airbus d’avance, notamment par rapport à la Chine. Tiendrons-nous ce pari ? C’est tout le mal que nous nous souhaitons collectivement !
La croissance explosive du secteur aérien et des performances aéronautiques est incontestablement, avec celle de l’Internet, celle qui a le plus sûrement façonné notre environnement économique actuel. Perdre du terrain ici reviendrait à renoncer à la capacité d’agir significativement sur un secteur structurant de l’économie mondialisée.
Il est donc capital de s’engager dans une démarche prospective, dont ce rapport est un outil essentiel, afin de mettre en œuvre une stratégie qui engage aussi bien les secteurs du transport aérien que de la production industrielle et de la recherche et développement.
Face au doublement prévu du trafic de passagers entre 2030 et 2040, la recherche scientifique, la valorisation et l’exploitation industrielle de ses résultats vont jouer, à l’évidence, un rôle prédominant.
Il va en effet falloir répondre à de nombreux impératifs déjà évoqués, tels que la baisse nécessaire de la consommation des avions en kérosène, l’amélioration de l’efficacité de la navigation aérienne, ainsi que la limitation des rejets de gaz à effet de serre dans le cadre de la lutte contre le réchauffement climatique. Pour répondre à ces défis, comme le précise aussi le rapport, l’utilisation des matériaux composites permet notamment de réduire le poids des aéronefs.
Dans un autre registre, la mise au point et la production de biokérosène constituent un enjeu central. J’ajoute, dans le souci du détail, que l’on s’achemine très rapidement vers la mise au point de moteurs électriques couplés au train d’atterrissage qui permettront de couper les réacteurs de l’avion pour circuler sur le tarmac avant l’envol.
Mes chers collègues, vous le voyez, la recherche est en constant mouvement, ce qui est une bonne chose.
Au vu de ces défis et du caractère concurrentiel des marchés du transport aérien et de la production aéronautique, il nous faut prendre très sérieusement en compte leur évolution telle qu’elle se dessine pour les trente prochaines années.
En effet, nous parlons ici de secteurs extrêmement compétitifs qui imposent le déploiement de stratégies industrielles et commerciales de très long terme. Une fois ces stratégies choisies, une forme d’inertie empêche de rectifier le tir. Nous ne sommes donc pas simplement soumis à une obligation de moyens, mais presque à une obligation de résultat.
La lourdeur des investissements à consentir, les contraintes productives et commerciales rendent difficile, sinon impossible, toute réactivité dans la correction des trajectoires engagées.
Lancés sur leur erre – terme de navigation maritime –, les grands acteurs du secteur que sont EADS-Airbus, d’un côté, et Air France, de l’autre, jouent véritablement le devenir de filières de prestige reconnues à l’échelon mondial, qui sont capitales non seulement pour le standing, l’image de marque de notre pays, mais également pour son attractivité et l’avenir de notre industrie.
Nous le savons, ces deux géants industriels sont parfaitement identifiés comme faisant partie du patrimoine aéronautique de notre pays. Tout doit donc être mis en œuvre pour assurer leur pérennité, qui doit être considérée comme relevant de l’intérêt général.
Monsieur le ministre, vous l’aurez compris, il s’agit donc d’un dossier politique qui justifie votre présence dans cet hémicycle aujourd’hui. Bien entendu, j’emploie le qualificatif « politique » au sens le plus littéral et le plus noble du terme.
J’en reviens à EADS-Airbus, dont la spécificité, faut-il vous le rappeler, est de compter l’État dans son actionnariat à concurrence de 14 %. Après le départ du groupe Lagardère, qui n’a pas été un partenaire très pertinent ni très actif, cette participation est déterminante pour permettre à l’État-stratège de continuer à jouer son rôle afin d’affronter les défis industriels que j’évoquais tout à l’heure.
Comme d’autres orateurs l’ont fait avant moi, il faut se féliciter que la puissance publique soit également mobilisée sur la recherche, deux des trente-quatre plans de la « nouvelle France industrielle » présentés dernièrement par Arnaud Montebourg concernant spécifiquement le secteur aéronautique et spatial. Il s’agit notamment de la mise au point d’un avion à motorisation électrique. Une telle attention se justifie par le poids que représente ce secteur dans notre économie : je le répète, il est au premier rang des exportations, ce qui est une bonne chose par les temps qui courent.
Dans le même temps, le soutien à l’ONERA et au CORAC ne doit pas se démentir, bien au contraire.
En ce qui concerne la compagnie Air France, grande utilisatrice d’Airbus, à l’autre bout de la chaîne, elle est actuellement dans une passe difficile, victime, comme l’a indiqué Charles Revet, de la concurrence des compagnies low cost, …
… qui utilisent trop souvent des artifices fiscaux leur permettant de lutter à armes inégales. Là aussi, il s’agit véritablement d’un dossier politique, mais qui doit être traité à l’échelon européen.
Par ailleurs, la compagnie Air France pâtit également de la concurrence des compagnies du Golfe, qui payent le carburant à bas prix, bénéficient d’aides étatiques et sont le plus souvent exonérées de taxes.
Voilà pourquoi Air France traverse une situation délicate. Pour autant, la présence de l’État dans son actionnariat devrait influer sur l’élaboration d’un projet stratégique et industriel lui permettant de redresser la tête. Il s’agit de jouer sur la qualité et d’éviter que le personnel ne soit pris comme une variable d’ajustement afin de regagner les marges perdues par la compagnie. Vigilance et action de l’État sont donc de mise.
Nous devons envisager la définition d’une politique qui permette la planification et la modernisation des infrastructures de transport de manière beaucoup plus générale, à l’échelon de notre territoire. Notre pays mérite d’être doté d’un véritable schéma national des infrastructures de transport, qui n’a toujours pas été mis en place malgré un certain nombre de tentatives.
Il est temps de développer l’intermodalité. Je pense, notamment, aux deux secteurs qui nous intéressent le plus : l’aviation et le rail, qui sont en corrélation directe. Disons-le haut et fort : le rail n’est pas l’ennemi du transport aérien, et vice-versa. Ces deux modes de transport doivent être présentés de manière complémentaire : on doit pouvoir prendre l’avion juste après avoir voyagé par rail, et réciproquement.
Certes, monsieur le ministre, le secteur du rail peut être en concurrence avec le secteur aérien, comme nous l’avons vu lors de votre récent déplacement à Toulouse au cours duquel vous avez favorisé la finalisation du tracé de la ligne à grande vitesse, la LGV, mais de grâce évitons toute diabolisation et n’opposons pas un mode de transport à l’autre !
Il s’agira également de rationaliser l’implantation des plates-formes aéroportuaires en France, car certaines font double emploi. Dans le cadre du marché européen, il sera aussi possible de rationaliser leur fonctionnement.
De ce point de vue, la construction de la plate-forme de Notre-Dame-des-Landes est le fruit d’un travail technique et politique de longue date. J’ai la conviction que la décision difficile qui a été prise s’appuie sur des éléments objectifs tout à fait incontestables.
À Toulouse, il y a quelque temps, a surgi le spectre de la mise en place d’une deuxième plate-forme aéroportuaire. En l’occurrence, celle-ci ne se justifiait pas, car il a été clairement démontré que les capacités d’absorption du trafic de l’aéroport de Toulouse-Blagnac, moyennant une adaptation et une modernisation, étaient suffisantes. Le projet a donc été repoussé, preuve que, quand les politiques se mêlent de ce qui les regarde, ils prennent généralement des décisions pertinentes, même si elles peuvent paraître impertinentes !
À l’époque, cette question avait fait l’objet un débat important en région toulousaine.
Pour conclure, puisque les rapports ont été parfaitement éclairants sur le plan technique, j’avais choisi délibérément, vous l’aurez tous compris, de mettre l’accent sur le rôle de l’État stratège et sur l’importance de la puissance publique dans les deux secteurs de l’industrie aérienne et du transport aérien.
J’ai la conviction, monsieur le ministre, que l’État stratège a eu, a et aura encore son rôle à jouer pendant de très longues années : il y va, je le répète, de l’intérêt général et de l’intérêt national. Je suis certain, monsieur le ministre, que vous partagez mon point de vue. En tout état de cause, nous serons résolument à vos côtés pour mettre en œuvre ce qui est, selon moi, une véritable ambition nationale !
Applaudissements.
Monsieur le président, monsieur le président de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi à mon tour de saluer le travail dense et de qualité de M. le rapporteur, …
… et de me féliciter de la tenue de ce débat important, qui fait honneur à votre assemblée.
J’ai toujours plaisir à venir participer aux travaux du Sénat. Ce rapport vient renforcer encore davantage ma conviction que, lorsque les élus – ce point a été souligné à l’instant – se saisissent de questions stratégiques, il y a toujours beaucoup d’enseignements à en tirer ! Le débat que nous avons cet après-midi est intéressant non seulement pour aujourd’hui, mais aussi pour l’avenir, car il permet d’orienter et de confirmer l’enjeu des investissements publics.
Monsieur Courteau, votre rapport, qui fait déjà référence, dresse une analyse juste et pertinente. Il souligne les difficultés du secteur et les interrogations qui se font jour.
Les enjeux sont à long terme, ce qui rend difficile la définition des choix stratégiques, et ne sont pas perceptibles immédiatement : toute erreur peut avoir des conséquences insurmontables. C’est une forme d’hommage que nous rendons à nos prédécesseurs, qui ont su à la fois construire une filière, relever des défis et bâtir cet avenir qui est aujourd’hui notre quotidien.
Nous devons être à la hauteur de ce qui fut réalisé de belle manière.
Au-delà des choix géographiques identifiés, cher Jean-Jacques Mirassou, il est évident que toute une industrie, toute une filière est concernée.
L’aviation civile est, comme cela a été souligné à plusieurs reprises, une industrie où notre pays est un acteur de rang mondial, qu’il s’agisse des aéroports, de l’activité de sa principale compagnie aérienne ou de son offre d’avions, domaine dans lequel la France est peut-être le seul pays, avec les États-Unis, à posséder un grand constructeur, un grand motoriste et un grand spécialiste d’avionique.
Ce secteur représente, nombre d’intervenants l’ont souligné, plus de 800 000 emplois et 4 % du PIB. L’enjeu est donc important. Le secteur aéronautique a un effet d’entraînement pour le pays tout entier et représente un modèle d’organisation. J’en ai été à plusieurs reprises témoin. Je mesure la passion des industriels, et de celles et ceux qui sont impliqués, qui forment des grappes d’entreprises, des solidarités d’entreprises de filière. Dans une perspective d’avenir, les plus gros acteurs aident et accompagnent les PME et les chercheurs.
Ce secteur se caractérise cependant par des situations contrastées. Si la construction aéronautique connaît une situation favorable, tout comme les aéroports, toutes les compagnies aériennes françaises sont confrontées à un déficit de compétitivité qui leur fait perdre des parts de marché et fragilise leur avenir. Le Gouvernement assume les difficultés et cherche à apporter une réponse quotidienne aux plans sociaux douloureux, qui doivent redonner de la compétitivité aux entreprises et aux compagnies aériennes.
L’action que mène le Gouvernement depuis plus d’un an s’articule autour de trois objectifs principaux, qui répondront peut-être à vos constats, à vos inquiétudes ou correspondront à vos suggestions.
Tout d’abord, il s’agit de maintenir dans la durée l’excellence des secteurs de la construction aéronautique et des aéroports. Il s’agit, ensuite, d’assurer la mise en œuvre de la modernisation des systèmes de navigation aérienne, au niveau français et surtout européen. Ce point nourrit d’intenses débats lors des réunions du conseil des ministres européens des transports. Enfin, il s’agit d’accompagner immédiatement les efforts de productivité et de restructuration des compagnies aériennes françaises.
Ainsi, comme vous avez pu le constater lors de notre débat, monsieur le rapporteur, une grande partie de vos propositions, indispensables pour maintenir notre place jusqu’en 2040 et au-delà, ont déjà été mises en œuvre ou sont sur le point de l’être. Elles inspireront l’action du Gouvernement, d’autant que le constat et le désir d’efficacité sont partagés sur toutes les travées, quelles que soient les sensibilités politiques.
Vous avez tous évoqué les soutiens publics à la recherche aéronautique. Ceux-ci, contrairement à ce qui a pu être dit, sont restés très élevés dans un contexte de finances publiques contraint.
Fleuron de l’industrie nationale, l’industrie aéronautique participe à la reconstruction industrielle de notre pays par sa création continue d’emplois très qualifiés : 60 000 embauches depuis 2008 et près de 15 000 embauches prévues en 2013. Elle contribue également à la création de la richesse nationale en étant, en particulier, le premier contributeur à la balance commerciale, avec un excédent de plus de 20 milliards d’euros en 2012.
L’industrie aéronautique réalise des investissements considérables sur le territoire, dans le domaine de la recherche et du développement. Cet effort important est consenti sur des cycles très longs, car la rentabilité financière n’est souvent atteinte que vingt ans à vingt-cinq ans après le début des investissements. Il faut essayer de se projeter et de guider le mieux possible les premiers investissements. Dans la mesure où il s’agit d’une projection à long terme, l’action de l’État et la mobilisation des moyens publics n’en sont que plus fondamentales, voire indispensables, pour impulser le mouvement.
Le nouveau programme d’investissements d’avenir, le PIA, a ainsi apporté une nouvelle dotation à l’action aéronautique de 1, 22 milliard d’euros. Mme Laborde a jugé cet effort insuffisant, j’y reviendrai.
Parmi cette dotation, selon les termes du projet de loi de finances, 150 millions à 320 millions d’euros seront consacrés au soutien des propositions du Conseil pour la recherche aéronautique civile, le CORAC, …
… suivant en cela les préconisations et les attentes des chercheurs ainsi que des industriels.
Monsieur le sénateur Capo-Canellas, je veux vous rassurer. Nous faisons preuve d’une détermination totale dans notre engagement : dans le cadre des huit programmes-cadres de recherche et développement, les PCRD, plus de 1, 8 milliard d’euros seront affectés à l’initiative Clean Sky 2. Je suis heureux de livrer cette information récente à votre assemblée.
Le soutien de l’État reste donc indispensable pour accompagner la filière dans sa démarche de progrès technologique et nous permettre de rester à l’avant-garde dans un environnement de plus en plus concurrentiel, avec l’émergence prévisible de nouveaux acteurs, tels que le Brésil, la Russie, l’Inde, le Japon. Aujourd’hui, le défi est de faire voler des avions qui seront plus économes en énergie, plus légers, moins bruyants et toujours plus sûrs.
Un certain nombre de propositions, qui sont autant d’impulsions nécessaires, ont été avancées dans votre rapport, monsieur le rapporteur, notamment sur la question du biocarburant, dont le développement ne doit pas se faire au détriment d’un certain nombre de productions agricoles.
C’est un aspect que vous avez aussi souligné, madame Cukierman. Je craignais que vous ne vous contentiez de nous dire qu’il y avait un risque par rapport aux productions agricoles, mais vous avez fort justement poursuivi votre raisonnement, ce qui a soulagé d’ailleurs un certain nombre d’auditeurs
Sourires.
Monsieur le rapporteur, j’ai souhaité que les soutiens apportés par la DGAC depuis 2011 aux recherches spécifiques sur les biocarburants aéronautiques soient poursuivis. Je pense notamment aux « algocarburants » : nous avons encore tant à découvrir sur la potentialité énergétique des micro-algues, par exemple.
C’est un enjeu majeur pour la compétitivité de notre pays, qui – n’est-ce pas, monsieur Revet ? – souffre peut-être toujours d’un manque de reconnaissance de son caractère maritime. Voilà en tout cas un argument supplémentaire qui montre combien le fait de se situer au deuxième rang mondial en termes de surface maritime peut être utile, y compris pour ses avions. Il n’y a donc pas de concurrence entre le rail et l’aviation, mais une complémentarité.
Les entraves doivent être supprimées et ce débat constituera une impulsion supplémentaire en ce sens.
Lors de la cinquantième édition du Salon international de l’aéronautique et de l’espace, qui s’est déroulée au Bourget du 17 au 23 juin dernier, le Président de la République et le Premier ministre ont réaffirmé l’engagement du Gouvernement de soutenir les démonstrateurs de recherche technologique dont la filière a besoin pour préparer son avenir et de mener avec détermination les actions nécessaires pour que les besoins de l’industrie aéronautique demeurent au plus haut niveau de ses priorités d’investissements d’avenir.
J’en profite d’ailleurs pour noter que ce salon, qui réunit tous les deux ans l’ensemble des acteurs de l’industrie aéronautique et spatiale mondiale pour un événement qui est majeur et unique au monde, a été un parfait reflet de l’excellence de l’industrie aéronautique française et européenne.
Cette rencontre fut, cette fois encore, un excellent cru. Pour ma part, j’ai souhaité mobiliser tous les services et profiter de ce rendez-vous pour multiplier les rencontres avec mes homologues, puisqu’une invitation a été adressée à tous les ministres des transports avec lesquels nous avons des contacts pour qu’à cette occasion soient mis en avant nos savoir-faire.
La question de la formation a été également évoquée de façon tout à fait légitime, monsieur le rapporteur.
Il est essentiel de pouvoir trouver – c’est une préoccupation des industriels – suffisamment de jeunes, de pouvoir les former et de s’assurer que les métiers soient en adéquation avec l’évolution des technologies. Dans le cadre des orientations du comité stratégique de la filière aéronautique, coprésidé par les ministres du redressement productif et des transports, un partenariat entre les grandes entreprises et les PME visant à favoriser le recrutement des jeunes en alternance a pu être spécifiquement mis en place dans l’aéronautique.
C’est extrêmement important. D’ailleurs, au Bourget, nous avons également multiplié les actions de sensibilisation en direction des jeunes issus de toutes les filières, de tous les lycées professionnels ou tout simplement des quartiers. Plus de 5 000 jeunes sont employés en contrat d’apprentissage ou en contrat de professionnalisation depuis le début de 2013. Ce chiffre a progressé de 15 % sur un an ; c’est dire la nécessité de faire correspondre les métiers, l’enjeu et la perspective. C’est dire aussi la sécurité que cela peut amener dans un parcours qualifiant ou professionnalisant.
Permettez-moi d’aborder ici un sujet qui me passionne et même de m’y attarder – mais vous m’y avez invité – : je veux parler des drones. Nous devons également être présents dans des filières d’avenir telles que celle des drones, avec leurs applications civiles et militaires. M. le président Sido y a fait référence également, c’est un enjeu majeur.
La France, compte tenu de la forte tradition aéronautique qui la caractérise, est naturellement très présente sur ce nouveau marché des drones, et ses entreprises – pour avoir visité bon nombre de leurs stands, je peux l’affirmer – ont la capacité de faire fructifier leurs compétences et leurs savoir-faire. Encore faut-il que nous puissions élaborer mais aussi simplifier un certain nombre de réglementations afin de rendre opérante l’utilisation de ces nouvelles technologies.
Le Gouvernement, comme je le suis moi-même, est particulièrement favorable à l’émergence de ces technologies et au développement des services qu’elles peuvent rendre. Il est important que les entreprises françaises soient très présentes dans ce domaine. Elles sont en mesure de l’être, encore faut-il que nous leur donnions, notamment par l’affirmation d’une volonté publique, une perspective, une impulsion.
Je tiens donc à réaffirmer la nécessité stratégique d’être présent dans ces filières d’avenir et la nécessité de cet engagement industriel, car, dans cette optique, nous souhaitons rendre plus faciles et plus abordables non seulement des marchés, mais aussi des utilisations.
Un premier référentiel réglementaire a été mis en place en France après une concertation approfondie, l’objectif ayant été de trouver un premier équilibre entre la garantie de la sécurité et l’ouverture aux innovations technologiques, tout en étant attentifs aux questions de société qui en découlent. Nous avons été interpellés sur ce point : il faut évidemment que nous ayons présente à l’esprit la question du respect de la vie privée, grand enjeu de société.
Plus de 350 opérateurs ont reçu une autorisation pour des opérations de travail aérien avec des drones dans les cadres prédéfinis par une réglementation adaptée : la dynamique a donc été lancée. Je souhaite que nous puissions lever certains obstacles sans toutefois remettre en cause la sécurité et la protection de la propriété et de la vie privée. C’est d’ailleurs – les services de la DGAC le savent bien – une demande expresse de ma part : je souhaite que nous puissions non seulement simplifier les règlements, mais également soutenir ces jeunes entreprises, les start-updes drones, qui, aujourd’hui, n’en sont qu’aux balbutiements dans l’utilisation de cette technologie.
Très important, et il nous appartient de ne pas brider ce potentiel par une réglementation qui serait, de ce point de vue, limitative.
Si la création d’une « mission interministérielle » ne doit pas être écartée d’emblée, il n’est pas certain, à ce stade, qu’elle soit garante d’une plus grande efficacité ni qu’elle permette de simplifier les procédures. Peut-être faut-il, au contraire, éviter de créer une nouvelle structure administrative qui ne serait pas particulièrement efficiente.
La problématique d’intégration d’un espace aérien civil est en effet primordiale. Il appartient à la DGAC, en liaison avec les institutions européennes, de continuer à travailler sur ce sujet. La France sera tout à fait leader, soyez-en convaincus !
Là encore, de nouveaux dispositifs publics peuvent accompagner financièrement et technologiquement l’émergence de ces acteurs sur les marchés, dès lors que ceux-ci sont à même d’apporter la preuve de la pertinence des concepts proposés pour de nouveaux services aériens.
Mme Laborde et M. Mirassou ont évoqué la question de la cession de parts de capital, en se demandant comment nous pouvions concilier notre vision de l’État stratège et le redéploiement du capital de certaines sociétés, notamment d’EADS. Je serai très clair sur cette question : une réorganisation de la gouvernance d’EADS a été mise en place, d’ailleurs soutenue par la France, qui a conduit à aligner la participation de la France sur celle de l’Allemagne. Cette démarche, qui n’a en rien affaibli les relations avec l’entreprise, visait simplement à réajuster, au sein même de la gouvernance, la part de chacun.
Concernant Aéroports de Paris, l’État a ramené sa participation de 58 % à un peu plus de 50 %. Je pense que la position du Gouvernement a été très claire. Si elle ne l’a pas été suffisamment, je la réaffirme : il n’est en rien question d’aller en deçà de 50 % ; l’État gardera évidemment la majorité dans la composition du capital d’ADP.
D’ailleurs, je vous rassure sur ce point, mais vous le savez, cela ne pourrait se faire que par un vote du Parlement. Donc, tant que vous n’avez pas été saisis – et vous ne le serez pas par le Gouvernement –, la question ne se pose pas.
Une autre question a trait à l’adaptation progressive des capacités aéroportuaires aux besoins de transport aérien. Nous avons parlé de complémentarité entre les différents modes de transport. Nous avons évoqué, j’y reviendrai dans quelques instants, l’optimisation nécessaire de l’organisation de l’espace aérien, notamment des voies aériennes. C’est pourquoi il importe de soutenir, au niveau européen, les programmes d’innovation relatifs aux espaces aériens. Mais il est des moments où les choix politiques s’imposent à nous.
J’ai bien entendu l’appel de Mme Corinne Bouchoux, qui est revenu sur un sujet d’actualité. Il est effectivement compliqué de vouloir protéger l’environnement – protection sonore, non-survol de zones – et de refuser la création d’aéroports.
Vous connaissez ma position sur ce point. La croissance du trafic aéroportuaire dans toute cette région de l’Ouest, une croissance à plus de deux chiffres, est la plus importante de France. Il est absolument nécessaire d’envisager un équipement aéroportuaire qui protège l’environnement – les populations y ont droit –, mais qui puisse aussi absorber à long terme le trafic sur cette partie du territoire. Là où il est possible d’optimiser les plates-formes existantes, nous devons le faire. L’exemple de Toulouse en est une parfaite illustration.
Nous devons le faire aussi en étant attentifs à la qualité de l’environnement des populations. Je reçois, pour ma part, des délégations d’élus, des associations de riverains et je sais que la perspective d’éventuels travaux ou extensions – je pense à Orly – peut susciter beaucoup d’anxiété.
L’optimisation de l’existant est la piste prioritaire, mais le redéploiement des capacités aéroportuaires ne doit pas être écarté lorsqu’il devient une nécessité absolue.
S’agissant des infrastructures indispensables à l’augmentation des capacités pour les aéroports parisiens de Roissy et d’Orly, c’est-à-dire les aérogares, les aires de stationnement et les accès terrestres, vous avez raison de souligner combien les programmes d’investissements d’Aéroports de Paris doivent être étroitement encadrés par les contrats de régulation économique signés tous les cinq ans avec l’État. Ces contrats ont permis, depuis 2005, la mise en œuvre d’investissements structurants sur une base de programmation pluriannuelle.
Par ailleurs, ces aéroports, sources de richesse économique et d’emplois pour les communes voisines, doivent pouvoir se développer dans le respect des riverains avec un plafonnement de leurs émissions sonores. J’attire l’attention sur l’importance des emplois fournis par les plates-formes aéroportuaires à des populations qui en ont aujourd’hui besoin. Il est nécessaire de veiller à l’équilibre social que permettent ces métiers.
Bref, il y a là des enjeux qui concernent la chaîne de décision, les relations économiques entre les entreprises et leurs sous-traitants, le respect des populations et le rapport social. Il faut bien évidemment, aussi, respecter les riverains, ce qui passe par l’amélioration des performances acoustiques des aéronefs, mais aussi par la mise en place de nouvelles solutions de navigation aérienne.
Puisque je viens d’évoquer les nouvelles solutions de navigation aérienne qui permettront de réduire les nuisances autour des aéroports, je souhaite confirmer la nécessité, largement soulignée dans le rapport, de moderniser les systèmes de navigation aérienne. Cet enjeu majeur très complexe doit être traité au niveau européen. Je me félicite qu’un ambitieux programme européen dit « Ciel unique » ait été lancé dès 2004 et que la France y joue un rôle tout à fait important.
Notre pays est en particulier engagé, avec cinq autres États – l’Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas, le Luxembourg et la Suisse –, dans la mise en place du FABEC, le bloc d’espace aérien fonctionnel « Europe Centrale ». L’objectif est de gérer l’espace aérien et le trafic aérien dans cette zone indépendamment des frontières nationales, pour rendre plus fluide la circulation aérienne, grâce à une organisation groupée, et augmenter la performance. J’y ai fait référence précédemment.
Ce projet extrêmement important doit permettre d’absorber la croissance attendue du trafic, d’optimiser notre capacité d’y répondre avec des niveaux de sécurité et de ponctualité aussi élevés qu’aujourd’hui et de réduire, dans le même temps, l’impact environnemental des vols, grâce notamment à des trajectoires optimisées. Des travaux sont en cours, et la DGAC doit régulièrement adapter les logiciels et les schémas pour permettre des améliorations, notamment dans le domaine des trajectoires d’approche. Il est nécessaire d’optimiser les trajectoires pour générer des gains de consommation de carburant.
Le FABEC est le bloc d’espace aérien fonctionnel le plus important d’Europe, car il représente 55 % des vols en Europe. Sa réussite est primordiale. Lors du dernier conseil des ministres européens informel, j’ai demandé au commissaire Kallas une pause dans la réglementation aérienne - je pense notamment au « Ciel unique 2 + ».
En effet, il faut laisser le temps à la réglementation, qui date de 2009, de porter tous ses fruits avant de remettre celle-ci en cause. Nous avons en France une organisation administrative de grande qualité, qui est d’ailleurs, je le souligne, une référence européenne et mondiale. Je le répète, nous devons prendre le temps d’appliquer les réglementations existantes et éviter cette forme de harcèlement textuel !
Je me réjouis que l’Europe ait lancé à ce sujet un programme technologique de premier ordre, dénommé SESAR. Ce partenariat entre la Commission européenne, l’agence européenne Eurocontrol et les acteurs opérationnels et industriels est unique dans le secteur de la recherche et du développement en matière de gestion du trafic aérien. Le programme est d’une ampleur sans précédent : 2, 1 milliards d’euros sont investis dans la phase de développement, de 2008 à 2016, avec près de 3 000 personnes impliquées dans les différents secteurs aéronautiques. C’est dire combien la recherche-développement peut permettre de tracer de grandes perspectives pour l’organisation même des services aériens au niveau européen. L’enjeu est de mettre en service, d’ici à 2020-2025, le futur système européen de gestion du trafic aérien intégrant de nouveaux concepts opérationnels.
La phase de développement de SESAR comprend un programme de travail de 310 projets. La DGAC, en association avec l’École nationale de l’aviation civile, l’Office national d’études et de recherches aérospatiales, Météo France et ses partenaires associés, participe à 75 projets pour un montant de 69 millions d’euros.
Le Gouvernement mène donc une politique déterminée pour maintenir, dans la durée, le leadership de notre construction aéronautique et de nos aéroports. J’ai d’ailleurs reçu aujourd’hui l’un de mes homologues. Nous pouvons apporter notre savoir-faire et faire bénéficier de la pertinence de nos analyses et de nos solutions des pays qui connaissent des taux de croissance beaucoup plus forts que le nôtre, notamment dans le domaine aérien. Notre système de navigation aérienne doit pouvoir nous permettre de garder notre leadership dans la durée.
Monsieur le rapporteur, vos propositions seront une source d’inspiration pour l’impulsion que nous voulons donner au secteur de l’aviation civile, et je m’en réjouis. Beaucoup reste à faire. Il nous faut, et vous l’avez dit dans vos interventions, mesdames, messieurs les sénateurs, porter une attention de tous les instants aux choix budgétaires de long terme que nous arrêterons. Ils doivent nous permettre de maintenir un haut niveau d’investissement et de recherche, et de faire en sorte que la route tracée par nos prédécesseurs puisse être suivie. Les perspectives sont encourageantes. Il nous appartient, en cette période où les finances publiques sont contraintes, de nous assurer que les investissements d’aujourd’hui deviennent les emplois de demain, et de respecter tant l’environnement que les populations concernées.
Je souhaite souligner l’une des priorités actuelles du Gouvernement, qui a d’ailleurs fait l’objet d’une communication de ma part en conseil des ministres en janvier dernier : il s’agit du rétablissement de la compétitivité de nos compagnies aériennes. Vous avez tous évoqué cette question, et particulièrement Charles Revet, Vincent Capo-Canellas et Françoise Laborde. Je voudrais vous apporter un certain nombre de précisions sur les charges que supportent nos compagnies, et particulièrement notre compagnie leader.
Le transport aérien connaît une croissance soutenue, mais qui reste cependant faible en France, en Europe et aux États-Unis. Les compagnies françaises sont dans une situation extrêmement difficile, car elles sont soumises à la concurrence des transporteurs à bas coûts sur les vols moyen-courriers et celle des compagnies du Golfe sur les vols long-courriers.
La survie des compagnies aériennes à l’horizon de 2040 se joue dès aujourd’hui, avec les choix stratégiques que nous ferons. C’est vrai pour notre compagnie nationale. Il suffit de regarder l’exemple des compagnies de nos voisins pour nous convaincre des difficultés qui nous attendent – je pense notamment au Royaume-Uni, à l’Allemagne et, plus récemment, à l’Italie – et mesurer combien les choix seront incontournables.
Il faudra que les parties concernées acceptent les décisions qui devront être prises pour sauver la compagnie Air France.
Je veux rendre hommage à tous ceux, notamment les salariés et les représentants des organisations syndicales, qui acceptent aujourd’hui la réalité de l’absence de compétitivité de la compagnie et la nécessité de faire bouger les lignes. Cette acceptation ne relève pas forcément d’une évidence absolue, elle est donc d’autant plus remarquable qu’elle est extrêmement difficile. Les transporteurs français mènent donc actuellement un plan de redressement extrêmement important et réalisent les efforts de productivité nécessaires.
Contrairement à ce que certains ont pu affirmer, le Gouvernement a décidé d’accompagner ces efforts par des mesures fiscales et financières leur permettant de rétablir leur compétitivité ; je profite de l’occasion pour le rappeler, car ces mesures ne sont peut-être pas suffisamment visibles.
Je pense notamment à l’allégement de deux taxes spécifiques au transport aérien, qui représentent elles aussi des enjeux majeurs : la taxe d’aéroport et la taxe sur les nuisances sonores aériennes, que j’ai fait diminuer dès le 1er avril dernier à Roissy pour favoriser la compétitivité du transport aérien. Ainsi, la taxe d’aéroport a été réduite de 40 % pour les passagers en correspondance, ce qui fait gagner 30 millions d’euros à Air France.
Dans le même temps, nous avons fait baisser la taxe sur les nuisances sonores aériennes, qui faisait peser des prélèvements trop importants – de l’ordre de 5 millions d’euros par an – sur les compagnies, tout en maintenant l’effectivité du dispositif. Il existe là encore un déséquilibre entre les résultats des aéroports et ceux des compagnies : comme je le disais en introduction de mon propos, si les aéroports se portent très bien, les compagnies vont beaucoup moins bien lorsqu’il s’agit de Roissy ou d’Orly, particulièrement notre compagnie nationale. Il nous faut corriger ce déséquilibre budgétaire, dans le respect de la concurrence, bien évidemment, et avec un traitement qui soit égalitaire – nous ne saurions nous faire attaquer pour discrimination positive.
Surtout, j’ai souhaité encourager ADP à modérer la hausse des redevances aéroportuaires pour 2014. Alors que le contrat de régulation économique qui a été signé il y a quelques années, et qui ne porte donc pas ma signature, aurait pu permettre une hausse de ces redevances de 3, 74 %, nous sommes convenus avec ADP que cette augmentation soit limitée à moins de 3 % – en l’occurrence, elle s’élèvera à 2, 95 %. Cet effort, considérable, est à la hauteur des enjeux.
Vous le voyez, ces mesures annoncées en conseil des ministres ont trouvé pleine application dans le plan de relance et de soutien de notre compagnie nationale. Au demeurant, d’autres pistes sont encore à l’étude.
Enfin, l’État veille également à ce que les conditions de concurrence soient équitables. Il entend mener toutes les enquêtes nécessaires pour vérifier que le droit est bien respecté par les transporteurs.
Ainsi, comme je l’ai souligné lors de l’avant-dernier conseil des ministres, on ne peut être que satisfait de certains jugements exemplaires intervenus dans ce domaine, notamment celui rendu le 2 octobre 2013, qui condamne les pratiques sociales de la compagnie Ryanair.
Le tribunal a condamné la compagnie à une amende de 200 000 euros pour non-respect du droit social français et à près de 10 millions d’euros de dommages et intérêts pour les parties civiles. Ce jugement vient conforter la politique des autorités françaises à l’égard des compagnies à bas coûts. Il doit permettre tout simplement de restaurer une concurrence loyale entre l’ensemble des compagnies.
Au reste, cet enjeu ne concerne pas que le secteur aérien : il est totalement d’actualité pour toutes les formes de transport.
On ne saurait épuiser ces thèmes, sauf à épuiser l’ensemble des personnes présentes dans cet hémicycle, à commencer par celui qui s’exprime à cet instant à la tribune !
Sourires.
Pour conclure, je considère que ce débat et ces contributions en appellent bien d’autres. Mesdames, messieurs les sénateurs, je compte sur vous pour sensibiliser toute la nation à l’enjeu industriel, économique et social que représente ce domaine, si stratégique pour notre pays et pour l’Europe !
Applaudissements.
Nous en avons terminé avec le débat sur les perspectives d’évolution de l’aviation civile à l’horizon 2040.
M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat que le Conseil constitutionnel a été saisi, le 4 décembre 2013, en application de l’article 61, alinéa 2, de la Constitution, par plus de soixante sénateurs, d’une demande d’examen de la conformité à la Constitution de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2014.
Le texte de la saisine du Conseil constitutionnel est disponible au bureau de la distribution.
Acte est donné de cette communication.
Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au jeudi 5 décembre 2013 :
À neuf heures trente :
1. Débat sur les conclusions de la commission d’enquête sur le rôle des banques et acteurs financiers dans l’évasion des ressources financières en ses conséquences fiscales et sur les équilibres économiques.
De quinze heures à quinze heures quarante-cinq :
2. Questions cribles thématiques sur l’accès à la justice et la justice de proximité.
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
La séance est levée à vingt heures quinze.