La décennie 2010-2020 sera décisive, le rapporteur l’a souligné. Face à l’émergence de concurrents mondiaux, il faut préparer le renouvellement de produits absolument stratégiques pour chacun des grands acteurs nationaux. Tel est, par exemple, pour Airbus, l’enjeu du remplacement du moyen-courrier A320, fleuron de l’industrie aéronautique française et européenne des années 1980 à 2000. Les motoristes et les équipementiers devront quant à eux fournir des moteurs et des équipements qui permettront à l’aviation civile d’être moins polluante, moins bruyante et plus économique. Les défis qui attendent le transport aérien tant pour répondre à l’accroissement du trafic, qui devrait doubler d’ici à la période 2030-2040, que pour répondre à des préoccupations environnementales, obligent ainsi les opérateurs à investir dans la recherche.
J’en viens à la troisième priorité que je souhaite mettre en avant : l’adaptation aux nouvelles exigences environnementales, qui est un sujet majeur. L’accroissement de la performance des avions, et plus globalement du système de transport aérien, en termes de réduction de la consommation de carburant et des émissions sonores, de CO2 ou de gaz à effet de serre, requiert des ruptures technologiques et de nouvelles architectures.
La recherche en aéronautique civile s’organise autour de plusieurs enjeux : réduction de l’empreinte environnementale – consommation, bruit, émissions –, compétitivité, sécurité et fiabilité. Dans ce cadre, les industriels centrent leurs efforts de recherche sur l’aérostructure, les matériaux, les systèmes propulsifs avancés, la gestion de l’énergie de bord, où l’électricité prend de plus en plus de place, et les systèmes de navigation et de contrôle. Dans son rapport, Roland Courteau détaille fort bien l’ensemble des recherches lancées dans ces directions ; elles donnent une idée de ce que sera ou pourrait être l’avion du futur.
La dernière question que je souhaite aborder est celle du rôle de l’État. Elle est liée à celle de la recherche, notamment environnementale, et de la compétitivité. L’État se trouve à un moment stratégique, car il s’interroge sur ses missions et sur sa capacité à les mener à bien.
L’obligation d’investir dans la recherche nécessite le maintien d’une forte présence de la puissance publique dans le secteur aéronautique. À défaut, nous devrons inventer un autre système de financement sur le long terme. L’industrie aéronautique se caractérise en effet par des cycles de développement supérieurs à quinze ans et des cycles de vie des produits supérieurs à trente ans. Les choix technologiques impliquent donc des investissements de recherche et de validation considérables afin de garantir la pertinence des choix et de limiter le risque. En outre, les retours sur investissement se font sur un temps long – vingt à vingt-cinq ans, en moyenne – et de manière incertaine. Compte tenu de la faible profitabilité du secteur, les industriels privés peuvent difficilement financer la recherche aéronautique par les marges réalisées sur la vente d’avions.
Soit l’État peut continuer à répondre présent, soit nous devons rapidement trouver un autre modèle de financement. Je plaide pour le maintien d’un rôle fort de l’État. Le transport aérien possède une dimension de souveraineté économique reconnue et affichée par les grandes nations et les pays émergents. La compétitivité et l’excellence technologique du secteur résultent de l’engagement fort et constant de l’État ; nous l’avons vu par le passé. Or l’engagement de la puissance publique ne se situe plus au même niveau depuis quelques années. Cette évolution, qui a débuté sous les précédents gouvernements, crée des inquiétudes pour l’avenir.
Le CORAC, qui est un organisme de recherche collaborative, estime que l’effort de soutien public à la recherche aéronautique devrait être porté à 160 millions d’euros, mais la DGAC n’a que 60 millions d’euros à nous proposer. On trouve des palliatifs grâce à aux programmes d’investissements d’avenir, les PIA. Il y a eu un PIA 1 et un PIA 2, et il faudra un PIA 3, parce que les industriels ont besoin d’une visibilité et d’une prévisibilité à long terme pour fournir l’effort de recherche industrielle qui permet les ruptures technologiques.
Un certain nombre de clignotants sont allumés, Roland Courteau les a signalés. Je pense notamment à la baisse des crédits de l’ONERA. Le projet de loi de programmation militaire constitue lui-même un sacré clignotant, qui dégrade nos perspectives, car les crédits de recherche militaire ont des effets induits sur la recherche civile en matière d’aviation. Ce projet de loi entraînera inévitablement la cession de participations de l’État au capital des sociétés stratégiques que sont les équipementiers. Faute de ressources exceptionnelles, la cession de ces participations interviendra lorsque les crédits des PIA seront épuisés.
Je vous invite à méditer sur ce risque. Il sera difficile pour l’État de soutenir l’effort de recherche. J’emprunterai ma conclusion à Charles Revet, qui a souligné que la question du maintien des compagnies européennes était déterminante.