Intervention de Claude Dilain

Commission des affaires économiques — Réunion du 4 décembre 2013 : 1ère réunion
Accueil et habitat des gens du voyage — Examen du rapport pour avis

Photo de Claude DilainClaude Dilain, rapporteur :

Notre commission ne s'étant saisie de ce texte que la semaine dernière, j'ai dû travailler dans un délai très court ; déposée le 26 juillet dernier, cette proposition de loi sera discutée en séance publique le jeudi 12 décembre prochain.

Pourquoi nous en sommes-nous saisis ?

D'abord, parce qu'elle modifie la « loi Besson » du 5 juillet 2000, dont notre commission s'était déjà saisie pour avis - avec Pierre Hérisson comme rapporteur pour avis.

Ensuite, les questions d'accueil et d'habitat des gens du voyage sont étroitement liées à la compétence de notre commission en matière de logement et d'urbanisme. Lors de la discussion du projet de loi relatif à la mobilisation du foncier public en faveur du logement, dont notre collègue Claude Bérit-Débat était rapporteur, nous avions examiné des amendements visant à ce qu'un emplacement d'aire destinée à l'accueil des gens du voyage soit pris en compte au titre de l'article 55 de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU).

La France est l'un des rares pays à disposer d'une législation spécifique consacrée à l'accueil des gens du voyage. La « loi Besson » du 5 juillet 2000 est une loi d'équilibre, comme le soulignait alors le rapporteur du Sénat sur ce texte, notre ancien collègue Jean-Paul Delevoye. Ce texte vise à « favoriser l'aménagement, sur quelques années, d'un nombre d'aires suffisant pour faire face aux besoins (...) [à prévoir] plusieurs dispositions destinées à soutenir financièrement les communes dans la réalisation et la gestion des aires d'accueil [et à] renforcer (...) les moyens juridiques permettant de lutter contre les occupations illicites ».

Son article 1er dispose que chaque département doit adopter un schéma départemental identifiant les secteurs géographiques et les communes d'implantation des aires permanentes d'accueil. Les communes de plus de 5 000 habitants figurent obligatoirement au schéma. Ce dernier détermine également les emplacements destinés aux rassemblements traditionnels ou occasionnels.

L'article 2 a fixé un délai de deux ans suivant la publication du schéma pour que les communes participent à la mise en oeuvre de ce schéma. La loi de 2000 a été modifiée à deux reprises pour accorder des délais supplémentaires aux communes ayant manifesté la volonté de se conformer à leurs obligations légales.

L'article 3 permet à l'État de se substituer à une commune défaillante.

En contrepartie de ces obligations nouvelles, la loi a créé des outils juridiques permettant de mettre fin, dans les communes remplissant leurs obligations légales, aux occupations illicites et sauvages. Ces outils ont été renforcés par la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance, qui a substitué à une procédure civile d'expulsion une procédure d'évacuation forcée relevant de la police administrative.

L'article 9 de la loi de 2000 prévoit aujourd'hui que, dans les communes respectant leurs obligations en matière d'aires :

- le maire peut interdire par arrêté le stationnement des résidences mobiles en dehors des aires d'accueil aménagées ;

- en cas de stationnement illicite, le maire, le propriétaire ou le titulaire du droit d'usage du terrain occupé, peut demander au préfet de mettre en demeure les occupants de quitter les lieux. La mise en demeure ne peut cependant intervenir que si le stationnement est de nature à porter atteinte à la salubrité, la sécurité ou la tranquillité publiques ;

- la mise en demeure est assortie d'un délai d'exécution qui ne peut être inférieur à 24 heures. Au terme de ce délai ou au terme des recours, le préfet peut procéder à l'évacuation forcée des résidences mobiles ;

- en cas de recours contre la mise en demeure, l'exécution de la décision du préfet est suspendue. Le juge statue alors dans un délai de soixante-douze heures.

La proposition de loi de notre collègue Pierre Hérisson, vise principalement à renforcer ces sanctions en cas d'occupation illicite.

Son article 1er double les sanctions pénales en cas d'installation illicite en réunion sur un terrain appartenant à autrui en vue d'y établir une habitation : elles sont ainsi portées à douze mois d'emprisonnement et 7 500 euros d'amende.

L'article 2 supprime la condition fixée par la loi pour la mise en demeure du préfet, à savoir le fait que le stationnement est de nature à porter atteinte à la salubrité, la sécurité ou la tranquillité publiques.

L'article 3 prévoit que le délai d'exécution de la mise en demeure est fixé à 24 heures maximum et non pas à 24 heures minimum : cette inversion est très conséquente.

L'article 4 fixe à six heures le délai maximal d'exécution de la mise en demeure dans le cas où les occupants ont déjà occupé illicitement un autre terrain sur la même commune ou sur toute commune du même département - ce qui s'apparente à une récidive.

L'article 5 réduit de 72 à 48 heures le délai dans lequel statue le tribunal saisi par les occupants illicites d'un recours contre la mise en demeure du préfet.

Tout en mesurant la réalité et l'importance du problème que cette proposition de loi entend résoudre, je suis très sceptique sur ce texte : ses dispositions, d'abord, me paraissent poser de sérieuses difficultés constitutionnelles ; ensuite, je crois que nous devons réfléchir aux moyens de faire respecter par les communes leurs obligations en matière d'aires d'accueil, en restant fidèle à l'équilibre trouvé par la loi de 2000, et que, plus généralement, nous avons besoin d'un grand texte relatif à l'accueil et au statut des gens du voyage, qui redéfinisse en particulier le statut juridique de ces derniers - je m'étonne que notre collègue Pierre Hérisson, qui avait déposé en juillet 2012 une proposition de loi relative au statut juridique des gens du voyage et à la sauvegarde de leur mode de vie, nous présente cette proposition de loi très incomplète et déséquilibrée.

Que mon propos soit bien compris : je mesure très bien la réalité des difficultés rencontrées par certains élus locaux, les médias les ont largement relayées l'été passé et je suis passé par cette épreuve en tant que maire.

Certains élus locaux, dont la commune respecte ses obligations légales, se trouvent démunis face à l'arrivée inopinée de plusieurs dizaines de caravanes et à l'occupation illicite de terrains publics comme privés.

Je suis en conséquence tout à fait favorable à ce que, comme l'écrivait déjà Jean-Paul Delevoye dans son rapport sur la « loi Besson », « les efforts importants demandés aux communes [aient] pour contreparties (...) une répression effective du stationnement illicite ».

Autrement dit, il convient d'être très ferme face aux occupations illicites.

Pour autant, plusieurs rapports importants ont été publiés sur l'application de la loi de 2000 : un rapport d'octobre 2010 du Conseil général de l'Environnement et du Développement durable ; un rapport de mars 2011 d'une mission d'information de l'Assemblée nationale, dont le rapporteur était le député Didier Quentin ; un rapport de juillet 2011 de notre collègue Pierre Hérisson, intitulé « Gens du voyage : pour un statut proche du droit commun » ; enfin, un rapport d'octobre 2012 de la Cour des comptes sur l'accueil et l'accompagnement des gens du voyage.

Or, aucun de ces rapports n'a proposé de modifier les sanctions contre le stationnement illégal dans les communes respectant leurs obligations. Notre collègue Pierre Hérisson n'a formulé, dans son rapport de juillet 2011, aucune proposition en la matière.

Pourquoi ne pas avoir fait de propositions sur ce sujet ? La raison me semble en être, comme l'écrit notre collègue député Didier Quentin dans son rapport de mars 2011, que « le législateur est probablement allé en 2007 aussi loin qu'il était possible d'aller ».

Dans une décision du 9 juillet 2010, le Conseil constitutionnel a en effet jugé que « compte tenu de l'ensemble des conditions et des garanties qu'il a fixées et eu égard à l'objectif qu'il s'est assigné, le législateur a adopté des mesures assurant une conciliation qui n'est pas manifestement déséquilibrée entre la nécessité de sauvegarder l'ordre public et les autres droits et libertés ».

C'est ce qui a fait dire à nos collègues députés que « la constitutionnalité de la procédure repose en partie sur les conditions et garanties qui ont été fixées, qu'il serait donc constitutionnellement périlleux d'assouplir ».

Dans ces conditions, les dispositions prévues par les articles 2, 3 et 4 de la proposition de loi de notre collègue Hérisson me paraissent poser de vraies difficultés constitutionnelles - je vous proposerai en conséquence des amendements de suppression.

Au-delà de cette question constitutionnelle, ce texte me paraît déséquilibré en se focalisant uniquement sur la répression, alors que l'accueil des gens du voyage implique un grand nombre de problématiques, comme l'ont relevé les rapports que je viens d'évoquer.

Premier sujet qui n'est pas évoqué par la proposition de loi : le statut juridique des gens du voyage, qui relève encore de la loi du 3 janvier 1969 relative à l'exercice des activités ambulantes et au régime applicable aux personnes circulant en France sans domicile ni résidence fixe.

Une partie de cette loi, notamment les dispositions discriminatoires portant sur l'exercice du droit de vote, a été déclarée contraire à la Constitution par une décision en date du 5 octobre 2012. Demeurent en vigueur les dispositions relatives au livret spécial de circulation ou au rattachement à une commune.

La loi de 1969 a été dénoncée tant par la Haute autorité de lutte contre les discriminations (HALDE) que par la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH). Je vous proposerai donc d'abroger cette loi - Pierre Hérisson le proposait également, dans sa proposition de loi de juillet 2012 sur le statut juridique des gens du voyage.

Deuxième sujet qui n'est pas évoqué par la proposition de loi : les communes défaillantes.

Trop peu d'aires d'accueil ont été construites : fin 2010, la moitié seulement des aires prévues par les schémas départementaux étaient aménagées, comme l'a souligné le rapport de la Cour des comptes. Quant au pouvoir de substitution confié au préfet par la « loi Besson », il n'a jamais été mis en oeuvre.

Nous devons donc réfléchir, avec les associations d'élus locaux, aux moyens de renforcer l'effectivité de la « loi Besson », par exemple en améliorant le pouvoir de substitution du préfet aux maires défaillants, ou en créant des pénalités financières contre les communes qui ne respectent pas leurs obligations. A l'instar de l'article 55 de la « loi SRU » on pourrait ainsi instituer un prélèvement sur les ressources des communes défaillantes ou permettre au préfet de conclure des conventions avec des organismes pour construire les aires nécessaires. L'éventuel constat de carence devrait prévoir, comme pour la construction de logements sociaux, la prise en compte des spécificités locales, telles que la disponibilité foncière ou les difficultés naturelles.

Troisième sujet non traité par cette proposition de loi : les évolutions constatées depuis la « loi Besson », qu'il conviendrait de prendre en compte - je pense en particulier aux aires de grand passage et à l'accès au logement des gens du voyage qui se sédentarisent.

Toutes les études témoignent d'un phénomène de sédentarisation partielle ou totale des gens du voyage. Or, faute de terrains adaptés, la sédentarisation se fait trop souvent sur les aires permanentes d'accueil : les aires d'accueil sont aujourd'hui majoritairement utilisées par des familles semi-sédentarisées - ces aires ne sont pas adaptées à cet accueil et la présence permanente empêche la rotation.

Il nous faut donc trouver comment faire prendre en compte, par les schémas départementaux, les besoins en matière de terrains familiaux ou d'habitat adapté. De même, il faudrait que les schémas départementaux soient davantage coordonnés avec les plans départementaux d'accès au logement des personnes défavorisées (PDALPD), ces derniers devant, en principe, identifier les besoins des gens du voyage en matière d'habitat adapté et définir des objectifs de réalisation quantifiés et territorialisés.

Voilà donc les raisons de mon scepticisme sur ce texte, même si je mesure la réalité des problèmes que Pierre Hérisson veut résoudre. La commission des lois se réunit en ce moment même, nous verrons quel sera le texte issu de ses travaux ; pour l'heure, je vous proposerai quatre amendements, l'un pour abroger la loi de 1969 et les trois autres pour supprimer trois articles qui me semblent poser un problème de constitutionnalité.

Notre collègue député Dominique Raimbourg s'apprête à déposer une proposition de loi qui embrasse l'ensemble du champ de l'accueil des gens du voyage, c'est-à-dire les questions du statut juridique, de l'effectivité de la « loi Besson », des moyens légaux permettant de mettre fin aux occupations illicites... Ce texte devrait permettre une discussion sereine et sans exclusive et il conviendra, Monsieur le Président, que notre commission se saisisse de ce texte, qui pourrait venir en discussion en 2014.

Comme le proposait Pierre Hérisson dans son rapport de juillet 2011, je pense donc qu'il est temps de « restructurer le droit applicable aux gens du voyage autour d'une loi unique par une mise à jour de la loi du 5 juillet 2000 relative à l'accueil et à l'habitat des gens du voyage ».

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